Tout a commencé
il y a 4 milliards d'années.
Les premières molécules s'assemblaient
pour donner la vie,
sur une planète hostile.
Cette vie de la première cellule
a ensuite évolué vers les
millions de bactéries,
champignons, végétaux, animaux,
qui peuplent aujourd'hui la Terre.
Alors cette vie, nous la connaissons
nourricière bien sûr,
mais cette vie,
c'est aussi une muse,
celle de nos poètes, de nos peintres,
mais c'est aussi la source
d'inspiration de nos inventeurs.
Léonard de Vinci imaginait des machines
fantastiques aux airs de chauve-souris.
Et aujourd'hui on s'inspire du vivant
pour créer des objets
que nous connaissons tous.
Le Velcro par exemple,
inspiré de la stratégie
de ces petites boules
qui s'accrochent à vos chaussettes
dans les hautes herbes en été.
On appelle ça le biomimétisme.
Le vivant est une source
d'inspiration donc,
car les millions d'espèces
qui se sont succédé
ont dû innover, innover
pour accéder à l'énergie,
innover pour se mouvoir,
nager, ramper, marcher
et puis voler, et innover pour
fabriquer des matériaux
qui s'avèrent souvent plus
robustes que l'acier.
Bref innover pour résoudre exactement
les mêmes défis techniques que nous.
Ce dont nous prenons
tout juste conscience,
c'est que toutes ces prouesses,
le vivant les réalise
en s'adaptant à son environnement :
il utilise l'énergie solaire,
il opère à température
et pression ambiantes,
il utilise des matériaux locaux,
et il s'organise de façon
à ce que les déchets des uns
deviennent les ressources des autres.
La vie est un succès et sa
durabilité n'est plus à prouver,
alors que peut-elle nous apprendre,
cette vie, qu'elle a découvert,
et pour lequel nous n'en sommes
qu'aux balbutiements ?
Eh bien en fait la vie,
c'est 4 milliards d'années
de recherche et développement.
Nous sommes tous impressionnés
par la R&D d'une entreprise comme Google,
pourtant Google n'a que 20 ans,
et même si on cumulait le temps-homme
passé à l'innovation,
on n'atteindrait « que » 30 000 ans.
30 000 ans, ça nous paraît colossal,
et pourtant, ce n'est presque rien
par rapport à 4 milliards d'années.
Alors pourquoi prêtons-nous
aujourd'hui si peu d'attention
à cette très grande créativité
du vivant ?
Eh bien c'est peut-être parce qu'il
n'y a pas si longtemps que ça,
quand on pensait à l'arbre du vivant,
on avait cette vision-là,
celle de Ernst Haeckel,
avec l'amibe là tout en bas,
et puis l'homme tout en haut.
Alors qu'on sait maintenant
que l'arbre du vivant moderne,
celui qui est basé sur le génome,
ça ressemble plutôt à ça.
Depuis la première cellule,
on a une explosion de la biodiversité,
avec 9 millions d'espèces
observables aujourd'hui.
La vie est une bien vieille dame,
et un de ces millions
d'arrière-arrière-arrière-petit-fils,
c'est un animal, un mammifère,
primate, hominidé,
Homo-sapiens nouveau.
Un nouveau-né de 200 000 ans.
A titre de comparaison, 200 000 ans
par rapport à 4 milliards d'années,
c'est comme si, sur un
Paris-Marseille à pied de 800 km,
j'avais parcouru 25 mètres,
c'est-à-dire comme si j'atteignais
le dixième rang de cette salle.
Nous sommes donc jeunes, très jeunes,
et il y a 200 000 ans,
ce jeune Homo-sapiens était
un modeste chasseur cueilleur.
Puis, Sapiens grandit et
il a dû lui aussi innover
pour, par exemple, assurer son accès
à la nourriture grâce à l'agriculture,
Ça, c'était il y a à peu près 20 000 ans.
Sur mon Paris-Marseille, 20 000 ans,
ça représente 4 pas.
Il a dû aussi innover pour assurer
la production d'outils,
par la métallurgie par exemple.
Ça, c'était il y a 6 000 ans, un pas,
et puis, depuis 200 ans, 2 centimètres,
Homo-sapiens est devenu Homo-industrialis,
et il a utilisé l'or noir
et son cerveau
pour faire des choses franchement
remarquables pour un mammifère bipède.
Il a réussi à prolonger
considérablement sa durée de vie,
à explorer la planète entière
et bien au-delà,
à développer des moyens de transport
qui lui permettent de se déplacer
dans les airs et dans les mers,
à communiquer à des milliers
de kilomètres de distance,
voir l'infiniment petit,
voir l'infiniment grand,
penser sa propre origine biologique
aussi bien que l'origine biologique
de sa propre pensée.
Homo-sapiens a réussi à rendre
le monde plus vivable
pour lui-même, et il lui a alors
semblé ne plus avoir besoin
de s'adapter à son environnement
puisqu'il a cru que celui-ci
s'adapterait à lui.
Alors, il a certes bâti
une société de production
et de consommation d'une
incroyable richesse et complexité.
Mais le coût environnemental
de ce développement de l'espèce humaine
est désastreux et met
en péril sa propre survie.
Alors Homo-sapiens entre
dans un nouvel âge,
et des hommes et des femmes
se réunissent et négocient entre eux
pour voir comment on va pouvoir
gérer l'environnement,
comment on va pouvoir gérer le vivant.
Et on espère pouvoir gérer ce vivant
comme on gérait finalement
une chaîne de production
qui ne dépendrait que de nous.
Sauf que le vivant, il n'a pas besoin
de nous et il perdurera sans nous.
Donc, la question est plutôt
de savoir comment on va se gérer,
nous, dans le vivant.
Et cette différence de point de vue
génère parfois des épisodes étonnants.
Il y a quelques mois par exemple,
j'étais au Parlement Européen
dans le cadre d'un débat sur
la réintroduction de la nature en ville ;
nos villes qui sont devenues stériles,
étouffées, étouffantes.
A un moment, je demande si nous nous
posons vraiment la bonne question,
parce que, s'agit-il de faire revenir
la nature en ville
ou plutôt de faire revenir
la ville dans la nature ?
Ce à quoi on me répond qu'il s'agit là
d'un point de vue philosophique.
(Rires)
Moi, je suis biologiste,
et en tant que biologiste,
évidemment, ça n'a rien à voir
avec de la philosophie.
On respire l'air que le vivant produit,
on se nourrit du vivant
et on se chauffe en brûlant
les matériaux qu'il nous offre.
Quelle illusion de nous croire
déconnectés du vivant,
nous qui en faisons
si organiquement partie.
On a cru pouvoir négocier le vivant,
mais on ne négocie pas avec la biologie.
Sapiens, ça veut pourtant dire sage,
prudent, raisonnable, intelligent.
Alors comment se fait-il
qu'Homo-sapiens n'ait pas réalisé
que la société qu'il a bâtie
est en train d'évoluer
selon les lois de la sélection naturelle,
exactement comme toutes les espèces
qui l'ont précédé,
en obéissant à des lois dures,
des lois de la biologie,
des lois de la physique et de la chimie ?
Pour diverses raisons, tout le
monde est d'accord aujourd'hui
pour dire qu'il faut s'engager dans
une transition énergétique.
Et alors cette transition énergétique,
quels en sont les grands axes ?
Le premier : se tourner
vers les énergies renouvelables,
et en particulier le solaire.
Ensuite, recycler le CO2 atmosphérique,
décentraliser la production,
diversifier les ressources
et assurer une distribution optimale
grâce à des réseaux intelligents.
Alors ce qui est très intéressant
dans cette liste,
c'est que par un autre cheminement, nous
retombons sur les stratégies du vivant.
Exploiter l'énergie solaire ?
Bien sûr ! C'est l'entrée principale
d'énergie dans toute la biomasse terrestre
parce que c'est la plus abondante.
Recycler le CO2 ?
Le CO2, c'est la brique de base
pour construire tous les matériaux
et les carburants du vivant.
Diversifier, décentraliser,
assurer une bonne distribution ?
Vous et moi, nous ne mangeons pas
en continu.
Nous stockons des sucres et des graisses,
et leur utilisation efficace est gérée
grâce à des senseurs,
des capteurs, des réseaux de neurones,
bref des smart grids,
un maillage énergétique biologique.
Notre transition énergétique
converge donc point pour point
avec la gestion énergétique du vivant.
Prenons un autre exemple
assez évocateur : la chimie.
Les plus grands chimistes
de l'ère industrielle
soulignent la nécessité de faire
évoluer tout le secteur,
et de faire en sorte que notre chimie
ait recours à des ressources abondantes,
fasse appel à des procédés
de synthèse doux,
et élabore des produits
sans toxicité sur le long terme.
On appelle ça la chimie verte,
la chimie douce.
Eh bien, c'est exactement le cahier
des charges de la chimie du vivant.
Et cette chimie du vivant en 4 milliards
d'années, elle a réussi à développer
un système d'une telle complexité
et d'une telle sophistication
qu'on a encore du mal à se la représenter.
Cette image, par exemple,
c'est un aperçu des réactions
chimiques à l'intérieur d'une cellule.
Je vous laisse imaginer ce que ça
veut dire en terme de connaissances
concentrées dans
quelques micromètres cubes.
Un autre exemple : les matériaux.
On veut aujourd'hui développer des
matériaux qui soient multifonctionnels,
performants, tout en étant produits
par cette chimie douce, et biosourcés.
La carapace de ce scarabée, elle joue
le rôle de squelette structurel,
de protection antichoc,
de barrière contre la déshydratation
et puis ses couleurs d'une incroyable
beauté permettent d'attirer le partenaire.
Eh bien tout ça, c'est
fabriqué par impression 3D,
à moindre coût énergétique et en
utilisant des matériaux locaux.
Dans un tout autre registre,
est-ce si surprenant
que nous mettions
autant d'efforts aujourd'hui
à développer les TIC
et l'industrie numérique ?
Pourtant notre cerveau, il ne représente
que 2% de notre poids,
il consomme 20% de notre énergie.
C'est parce que cet investissement,
il permet d'optimiser tout le reste.
On parle aussi aujourd'hui
d'agriculture biologique.
Nous avons tous été habitués
à nous représenter
l'agriculture comme de vastes étendues
de champs réguliers à perte de vue.
Absolument pas une forêt.
Pourtant une forêt ça produit énormément
de biomasse avec des rendements au m²
nettement supérieurs
à toute l'agriculture conventionnelle.
C'est pourquoi certains agriculteurs
développent des forêts comestibles,
qu'on parle d'agroforesterie,
on parle d'agriculture écomimétique,
qui imite les écosystèmes.
On veut aujourd'hui aussi
des villes plus saines,
des villes ressemblant à des écosystèmes,
on parle d'écosystèmes urbains,
on parle d'écologie industrielle.
Ce à quoi l'espèce humaine est parvenue
par ses réflexions, ses essais et erreurs,
c'est exactement ce que le vivant a
réalisé par le biais de l'évolution.
Que de temps perdu à réinventer
le vivant, finalement !
Alors plutôt que de tâtonner,
et de paniquer face aux urgences,
apprenons à regarder ce qui est autour
de nous et que nous ne voyons plus.
Pratiquons ce biomimétisme,
alors pas seulement pour copier
l'hydrodynamisme de la peau de requin,
l'effet déperlant de la feuille de lotus
ou l'adhésion de la patte du gecko.
Non, inspirons-nous surtout du vivant
pour penser des sociétés humaines durables
et emprunter une voie de résolution
inspirée du vivant,
puisque ces systèmes vivants,
de la cellule aux écosystèmes naturels,
sont des modèles de sobriété énergétique,
d'utilisation de la matière
et de gestion de l'information.
Jamais l'opportunité
n'avait été aussi belle.
L'évolution de nos connaissances du vivant
depuis les dernières décennies
est colossale et s'accélère.
Mon père avait 7 ans quand Watson et
Crick découvraient la structure de l'ADN,
mon fils de 5 ans entend parler
aujourd'hui du décryptage du génome.
Tout cela grâce au progrès scientifique,
ce progrès qui nous permet d'observer
et de comprendre le vivant
depuis la lentille d'un microscope
ou celle d'un satellite.
Ce progrès scientifique permet aujourd'hui
d'envisager de recopier le vivant.
Alors tout cet enthousiasme,
toute cette fougue,
mettons-les au service
d'une réconciliation avec le vivant.
Nous apprenons déjà à imiter
la photosynthèse
en la considérant comme l'une
des approches les plus prometteuses
pour exploiter l'énergie solaire
et produire de l'hydrogène.
Les diatomées, ces petites algues
à la carapace sculptée,
nous montrent comment produire du verre
à température et pression ambiantes.
Ces falaises calcaires, qui sont
formées par l'accumulation
de carapaces de mollusques
et de crustacés,
nous montrent comment stocker le CO2.
Utilisons encore mieux la chimie
des plantes et des champignons
pour dépolluer les sols et l'eau,
et repenser une chimie plus propre.
Démultiplions des initiatives comme
celle de la ferme du Bec Hellouin,
en mélangeant plantes, arbres, animaux,
bactéries, champignons,
de façon à obtenir une agriculture fertile
qui produira beaucoup plus
sur de petites surfaces,
tout en accueillant la biodiversité.
Enfin repensons nos bâtiments
et nos infrastructures humaines
de façon à ce qu'elles séquestrent le CO2,
produisent de l'énergie,
purifient l'air, purifient l'eau et soient
un abri pour la biodiversité.
Bref, repensons l'écosystème urbain
comme un écosystème naturel,
celui qu'il a remplacé.
Alors, à cette question fondamentale posée
à notre génération et aux suivantes :
« L'homme pourra-t-il
s'adapter à lui-même ? »,
je réponds oui.
Je réponds oui si, en avançant
dans le monde de demain,
à chaque pas, nous nous demandons
quelles solutions durables
le vivant a-t-il déjà élaborées ?
Je réponds oui, si,
à chaque moment d'incertitude,
nous nous posons la question :
« Qu'aurait fait le vivant à ma place ? »
Merci.
(Applaudissements)