Merci. Nous sommes tous nés avec un cerveau, qui a 86 milliards de neurones. Et au cours de notre vie, nous en fabriquons relativement peu de nouveaux. En fait, au cours de notre vie, nous perdons deux milliards de neurones. Vous vous demandez peut-être : si nous perdons des milliards de neurones et nous n'en produisons pas beaucoup de nouveaux, qu'est-ce qui change dans notre cerveau, et facilite toutes ces habitudes et comportements mentaux qui forment notre identité ? Eh bien, la réponse, c'est la « plasticité dépendante de l'activité ». C'est la fonction qui permet au cerveau d'être en permanence modifié par les 150 mille milliards de connections synaptiques entre cellules qui se créent, en réponse à nos expériences quotidiennes. Le point essentiel à retenir, c'est que non seulement elles contribuent à votre identité, mais elles changent constamment votre cerveau, et elles ont une grande influence sur votre santé et votre longévité. J'espère démontrer aussi qu'une forme systématique d'entraînement mental impliquant la méditation peut potentiellement vous transformer, et transformer vos habitudes mentales dans le bon sens. En 2002, j'étais un étudiant diplômé en neurosciences cognitives. Là, c'est moi. J'étudiais le cerveau des rats pour comprendre les circuits neuronaux de l'apprentissage et de la mémoire. Et la plasticité dépendante de l'activité, était un concept important pour étudier la mémoire, mais je m'intéressais à la façon dont ce concept pouvait s'appliquer à une compréhension neuroscientifique du Soi, sous l'angle de la méditation et de l’état de présence consciente. La présence consciente peut être simplement considérée comme un moyen de prêter attention, de façon continuelle et avec vigilance, tout en discernant ce qui se passe dans notre esprit et le monde extérieur. Quand j'étais à la fac, il n'y avait quasiment pas de science de la pleine conscience. En fait, avant 2000, il y avait au total 39 articles scientifiques évalués par des pairs, publiés sur le sujet. À juste titre peut-être, mon mentor, un jour, m'a assis pour me dire : « Dave, tu ne réussiras pas à l'université en te concentrant sur la méditation. Oublie tous ces trucs sur le Zen. » Et je suis sorti de son bureau plutôt déçu et découragé. Mais cela ne m'a pas arrêté dans mon élan. Dix années plus tard, j'étais un membre de l'école de médecine de Harvard, où j'étudiais la méditation dans un laboratoire de neuroimagerie. Et environ à cette époque, on m'a invité à présenter ma recherche directement au Dalai Lama, avec cinq autres futurs leaders dans ce domaine venant de partout dans le monde. (Applaudissements) Merci, c'est très gentil. Oui, ça a été vraiment une formidable occasion. Et le conseil qu'il a donné aux six d'entres nous est quelque chose que je n'oublierai jamais. Il nous a dit, en pointant son doigt vers chacun de nous : « Vous avez, chacun de vous, la lourde responsabilité d'aider à construire un monde heureux et en paix. Des millions de personnes veulent un monde heureux et en paix, mais ils ne savent pas comment faire. En faisant vos expérimentations, mois après mois, année après année, vous obtiendrez des preuves pour convaincre les autres. Je vous regarderai, que vous aidiez vraiment à construire un monde heureux et en paix, ou non. » Ensuite, il nous a menacés, en plaisantant - du moins je l'espère - (Rires) de nous surveiller depuis sa tombe, et même s'il était en enfer, il reviendrait sous la forme d'un démon pour nous pourchasser, afin d'être sûr que nous faisons ce travail. (Rires) Sans plaisanter ! Enfin, nous l'espérons. Quand le Dalai Lama vous pointe du doigt et vous menace comme ça - ou vous met à l'épreuve, vraiment - vous ne pouvez pas vraiment dire « Non ». En plus de me fournir une motivation et un sens, cette expérience m'a réellement procuré un plan de carrière en recherche plutôt solide, pour les trente années suivantes. Plus tard en 2016, j'ai eu l'opportunité de venir ici, à Nashville, à l'Université Vanderbilt pour diriger des recherches au Centre de Médecine Intégrative Osher. Donc mon intérêt pour le Soi, à la lumière de la méditation, me ramène au point de départ car, aujourd'hui, je dispose des ressources et du soutien nécessaires pour faire la science que je voulais faire à la fac. Je dirige aujourd'hui une équipe de scientifiques pour cartographier le cerveau en méditation, l'esprit en méditation, et pour mieux comprendre à quoi ressemble un esprit, un cerveau, et un corps épanouis du point de vue neurobiologique, psychologique et sociologique. Aujourd'hui, pendant que nous réfléchissons ensemble au Soi, je vous propose de penser à la façon dont toutes vos expériences - même le gars là, tout là-haut - a fait de vous la personne que vous êtes devenue aujourd'hui, et à explorer la façon dont toutes vos pensées et émotions que vous avez là, maintenant, pourraient faire de vous la personne que vous deviendrez demain. Le Dhammapada, un des recueils les plus connus de Bouddha, dit : « Notre vie est formée par notre esprit, car nous devenons ce que nous pensons. » L'idée fondamentale, c'est que, de notre naissance à aujourd'hui, notre Soi - notre expérience d'être quelqu'un, nos envies, nos peurs, nos désirs, nos espérances, valeurs et attentes - toute l'actualisation de notre soi est sans cesse construite par une chaîne de processus d'autopollination d'instant en instant. [Le Soi: une succession d'instants] Et ces instants peuvent eux-mêmes être divisés en processus de perception, de conscience sensorielle, et d'évaluation, qui tous se produisent à l'échelle d'une demie seconde ou 500 millisecondes. Et grâce à la recherche neurophysiologique, on a découvert que le tronc cérébral et les régions subcorticales aident à filtrer les informations qui sont sans intérêt pour vous et à préparer votre esprit à l'action. Cette partie de notre expérience mentale se passe complètement inconsciemment. Dans la deuxième moitié de chaque instant, notre cortex primaire sensoriel, situé le long de la surface externe de notre cerveau, intègre les informations venant de la perception et de la conscience, et préparent les déductions et prédictions pour guider notre comportement. C'est seulement à la fin de chaque instant - après environ 300 à 500 millisecondes - que la conscience se manifeste, et que nous commençons à évaluer ce que nous vivons. Et cette évaluation se passe dans certains volets de notre cortex pré-frontal. Cette succession d'instants maintient nos habitudes et nos dispositions mentales qui s'auto-conditionnent et s'auto-perpétuent à travers la répétition. Elle guide constamment notre état de conscience du moment, colorie nos souvenirs du passé, et fait des prédictions pour l'avenir. Et cette idée fondamentale soutient vraiment l'idée que ce petit bonhomme-là a eu environ trois milliards d'instants en 42 ans pour devenir le type qui se tient devant vous, aujourd'hui. Et quelque part dans cette chaîne d'instants, j'ai pris une mauvaise habitude - peut-être que ça vous parle. Quand j'avais huit ans, ma mère m'a offert un punching-ball pour gérer ma colère et ma frustration. Merci, maman ! C'était efficace à court terme. Je descendais dans ma cave et je frappais ce sac chaque fois que j'étais en colère ou frustré. Puis, finalement, comme vous pouvez l'imaginer, ce punching-ball s'est cassé et a été jeté dans les ordures. Mais le conditionnement, lui, n'a pas disparu. Je n'ai jamais frappé personne, mais j'ai continué à frapper les murs, les portes et les fenêtres. J'ai même une cicatrice sur ma main qui va avec. Un peu plus d'une décennie plus tard, à 20 ans, en deuxième année à l'université, j'ai eu l'occasion de faire une retraite de méditation - dix jours de méditation silencieuse pour la première fois - non pas pour remédier à ma colère, mais par curiosité pour le Bouddhisme et mon intérêt pour l'étude de l'esprit. Ça a été une expérience profonde à plusieurs niveaux. D'une part, elle m'a fourni un repère dans ma vie, qui m'a conduit sur le chemin sur lequel je suis aujourd'hui. Elle m'a aussi donné l’aptitude, basée sur la pleine conscience, d'être méta-conscient de mes habitudes mentales. La méta-conscience veut dire être conscient de là où trouve notre attention et où elle va à tout moment. Et quand on s'entraîne à utiliser une approche basée sur la pleine conscience, elle agit comme un levier pour ouvrir nos esprits, et nous éclaire sur les habitudes mentales qui ne cessent de se manifester. Et concernant ma colère, elle m'a permis de prendre conscience de tous les catalyseurs, les impulsions, les sentiments et les pensées associés à ma colère. L'état de pleine conscience est souvent décrit comme ce levier de méta-conscience, et s'il est inséré suffisamment profondément dans notre esprit, comme le décrit l'érudit bouddhiste Andy Lenski, il ouvrira notre esprit à la sagesse. Et la sagesse est légèrement différente de la conscience, dans le sens qu'elle peut être décrite comme l'expérience directe de nos habitudes mentales. Pour ma colère, c'était la perception sensorielle dans mon corps : c'était la tension, les poings serrés, l'impulsion, être prêt à agir. C'était ma colère. L'idée, c'est que lorsque nous pratiquons la pleine conscience, la conscience et la sagesse travaillent ensemble, et contribuent à réduire le temps passé à juger et à évaluer, pour que nous soyons dans le moment présent avec notre perception sensorielle, et permettre aux émotions comme la colère de se manifester et de passer sans l'impulsion d'agir. Maintenant, mise à part la colère, d'autres pensées et émotions peuvent avoir des effets négatifs sur notre santé et notre bien-être. L'anxiété, la peur, l'inquiétude et la tristesse tendent toutes à être des habitudes et des dispositions mentales destructrices, mais seulement quand elles se produisent très fréquemment, quand elles peuvent vous blesser, ainsi que les gens autour de vous, ou quand elles interfèrent avec votre fonctionnement en société. Il s'avère précisément que sur ces trois dispositions, nous avons des données scientifiques exhaustives qui confirment leur rôle de facteurs de risque pour l'apparition des niveaux cliniques de dépression, d'anxiété, de maladies cardiovasculaires, et il a même été démontré qu'elles augmentent le taux de vieillissement cellulaire au niveau de votre ADN. Une étude du CDC a constaté qu'un tempérament coléreux augmente vos chances de mourir prématurément d'une crise cardiaque par deux fois et demie. Et il y a tout un tas d'études démontrant que ces trois dispositions, et le stress chronique qui y est associé, peuvent avoir des effets négatifs sur votre système immunitaire, sur votre sensibilité aux voies de la douleur, et sur l'atrophie, le rétrécissement des régions du cerveau qui régulent ces émotions négatives. Donc, ça devient un mauvais cercle vicieux vu que, si vous n'avez pas la capacité de réguler vos émotions, ça va être beaucoup plus difficile de les réguler à l'avenir. Une de mes études, que je voulais partager avec vous, a introduit la méditation de pleine conscience à un groupe de femmes souffrant de fibromyalgie. La fibromyalgie est un trouble de douleur chronique associé à une tendresse musculaire généralisée, et une fatigue chronique, ainsi qu'une foule d'autres symptômes cliniques. Nous avons constaté que ces patients avaient un niveau élevé d'anxiété et de peur associé à leur douleur. Quand nous les avons formés à la pleine conscience, nous avons vu une amélioration radicale de leurs symptômes cliniques. Donc, c'était une bonne chose. Mais nous nous sommes intéressés au mécanisme qui pouvait contribuer à cette amélioration clinique. Nous avons donc donné à ces patients une tâche comportementale qui évaluait la façon dont ils prêtaient attention aux mots liés à la douleur, au niveau de la perception inconsciente et au niveau, plus conscient, de l'évaluation du traitement. Nous l'avons fait en faisant varier la durée pendant laquelle nous leur montrions les mots. Nous leur avons montré les mots pendant 100 millisecondes. Ça ne leur donnait pas le temps de traiter les mots consciemment, mais nous pouvions voir s'ils regardaient les mots ou s'ils regardaient à côté. À 500 millisecondes, ils avaient le temps de traiter les mots consciemment, et nous pouvions voir s'ils s'enlisaient dans leurs pensées et leur rumination des mots. Nous avons découvert deux différences majeures entre les groupes entraînés à la pleine conscience et ceux qui ne l'étaient pas. Ceux qui n'étaient pas formés évitaient ces mots liés à la douleur au niveau de la perception non-consciente. Et ceux qui étaient formés à la pleine conscience regardaient les mots, ce qui suggère qu'ils avaient moins peur, évitaient moins, et avaient une attitude d'approche concernant leur douleur. Rappelez-vous qu'a ce stade, ils n'avaient pas conscience de le faire. Le groupe non formé avait aussi tendance à ruminer ou à s'enliser aux derniers stades du traitement, alors que ceux formés étaient capables de voir le mot, le laisser aller, et de terminer la tâche plus facilement. Ces résultats démontrent donc, que l'entraînement à la pleine conscience a la capacité d'améliorer nos habitudes mentales d'attention, à la fois au niveau conscient et inconscient. Nous avons utilisé la neuroimagerie moderne et une approche utilisant les méthodes introspectives subjectives, dans notre labo et dans d'autres, et nous pouvons appeler ça « une approche neurophénoménologique » pour cartographier l'esprit méditatif. Cela permet d'identifier les réseaux cérébraux et systèmes de fonctionnement qui soutiennent les pratiques fondées sur la pleine conscience. Alors, j'ai dit qu'il n'y avait pas beaucoup d'études sur la pleine conscience, avant l'an 2000. Eh bien, depuis 2000, il y a eu près de 4 000 études sur le sujet. Et parmi ces 4 000 études, 21 ont étudié les changements de la structure du cerveau, et 80 ont examiné le fonctionnement du cerveau dans un échantillon de novices ayant reçu une courte formation, et des experts en méditation. Et, bien que quelques différences aient été signalées entre les styles de pratique de la méditation, et entre novices et experts, je souhaite attirer votre attention sur les conclusions les plus courantes et récurrentes de toutes les études des quatre régions du cerveau - pour faciliter les choses - qui changent dans leur structure et fonctionnement. Le lobe frontal du cortex est la partie la plus antérieure de notre cerveau, juste derrière notre front. On pense aussi que c'est la partie la plus évoluée du cerveau humain qui est chargée de soutenir la méta-conscience. En conjonction avec le cortex cingulaire antérieur dorsal et l'insula antérieure, ces trois régions travaillent ensemble dans un réseau attentionnel complexe, appelé le « réseau de contrôle fronto-pariétal », pour vous permettre d'être sans cesse conscient des sensations de votre corps, et de basculer en souplesse du traitement mental interne, à la pensée dans le monde extérieur. D'accord ? Une autre découverte vraiment intéressante, c'est que nous avons observé, dans notre labo, que plus on médite, plus ce réseau de régions cérébrales devient actif. D'autres laboratoires ont découvert que plus on médite, plus ces régions sont protégées de l'atrophie normale liée à l'âge que nous connaissons tous. Malheureusement, notre cerveau rétrécie après l'âge de 20 ans, désolé. Mais si vous méditez, vous les protégez. On voit aussi une diminution d'activité dans une autre région, le cortex cingulaire postérieur ou CCP. C'est un nœud majeur dans un réseau fonctionnel plus large, qui est associé à l'autoréflexion et à la rumination. Relevant le défi lancé par le Dalaï Lama, la science commence à émerger en faveur du rôle de la pleine conscience et de la méditation dans l'amélioration de la méta-conscience et la diminution de l'enlisement dans des processus de pensée ruminante, surtout dans le contexte d'une forte demande cognitive, et aussi pour transformer le cerveau et nos habitudes mentales. Donc, nous avons appris que chaque pensée et chaque émotion conduit à la transformation de notre cerveau, en resculptant littéralement notre cerveau, à chaque instant. Et bien que nous n'ayons aucun contrôle sur ce qui s'est passé dans le passé, nous avons le pouvoir, à cet instant et à l'avenir, de choisir la façon dont nous faisons attention à nos pensées et nos émotions. Chaque moment devient, alors, une occasion pour vous de changer votre façon de percevoir le monde et d'alléger la charge qui rend possible des émotions destructrices comme l'anxiété, la colère et la tristesse. Je vous laisse avec cette question : « De quoi allez-vous remplir votre esprit ? » Merci. (Applaudissements)