Pourquoi se jette-t-on sur le papier toilette et les produits aseptiques ? Pourquoi ? Pourquoi ? C'est comme si nous avions décidé de jouer un jeu appelé : « Gagne la pandémie » et sois plus fort que ton voisin dans ce qui est devenu un jeu très troublant. Pourquoi ? Pour nous comporter ainsi ? Cette question mérite vraiment réponse. Ce n'est pas une question rhétorique. J'aimerais réfléchir à ce qui pousse les gens à se ruer sur des rayons comme celui-ci, un rayon bien achalandé, pour les vider et en faire ceci. On pourrait dire que nous n'aimons pas les autres et que pour cette raison, nous accumulons les produits. Nous n'aimons pas les autres et nous sommes si inciviques, si hostiles vis-à-vis de nos voisins que nous sommes prêts à les piétiner afin de mettre la main sur tout le papier toilette du magasin. En fait, nous sommes nombreux à attribuer les problèmes, de nombreux problèmes sociétaux, dont nos réactions au coronavirus, à l'incivilité, surtout en politique. Insultes, théories de la conspiration, diabolisation de l'opposition, quoi que ce soit, on met tout dans le même sac. Alors que nous approchons des élections et que cela sent déjà mauvais, et que cela va s'accentuer, je souhaite vous suggérer que notre problème sociétal et politique n'est pas l'incivilité. Pour deux raisons. D'abord, il y a le problème de manque de liens. Nous n'entretenons plus de lien entre nous, avec nos voisins, nos communautés et le gouvernement. Deuxièmement, nous pouvons mieux appréhender ce problème en faisant une analogie avec les règles d'un jeu. Pourquoi le manque de lien est-il une réponse au problème alors que l'incivilité ne le fait pas ? C'est dû au fait que si les personnes inciviques peuvent se comporter de manière méchante et grossière, les personnes sans lien se comportent avec égoïsme. Imaginez ceci. C'est le repas de Thanksgiving. Après que les membres de la famille ont tous mis les autres en colère et se soient disputés, votre partenaire ne vous adresse plus la parole et c'est le moment du dessert. Qu'est-ce qui vous empêche de vous servir le plus gros morceau du gâteau et de laisser les miettes pour votre famille et vos amis ? Ce sont vos liens. Vous faites partie d'un groupe. Quel genre de sociopathe prendrait la part du lion pour ne laisser que des miettes à sa famille et ses amis ? La diversité de nos réactions devant un gâteau au potiron et le papier toilette illustre un problème très bien étudié de la société et de la politique américaines. En voici le fil conducteur : le problème que nous vivons est le résultat d'une hausse de l'incivilité, de la méchanceté, de la causticité et de l'agressivité. Mais voici un problème avec cette explication-là. La société américaine a toujours été incivique. En fait, quand ce type, Alexis de Tocqueville, a visité les États-Unis en 1831, il a découvert un peuple qui pratiquait ce qu'il a nommé une démocratie vibrante. Voici notre vision idéalisée de ce à quoi cela peut ressembler. Mais c'est éloigné de ce que Tocqueville a découvert. Il a découvert un peuple qui pratiquait une forme de politique mauvaise, trempée dans le vitriol et la malveillance. Elle est si méchante que même George Washington a souffert de ses abus. Vous pourriez même vous souvenir dans « Hamilton » des mots qui ont mené Charles Lee à mourir en duel, tué par John Lawrence. La politique d'alors ressemble à celle d'aujourd'hui. Affirmer que notre politique est incivique n'explique pas vraiment la différence. Qu'est-ce qui est différent alors ? Qu'est-ce qui a changé ? Dans les années 1800, quand les Américains avaient fini de s'injurier et de se calomnier, ils allaient à l'église ensemble, ils jouaient au base-ball ensemble, ils dînaient ensemble sans plus penser à leur différences politiques et leurs enfants se mariaient ensemble. Les gens reliaient leurs intérêts à ceux de la communauté et ces intérêts communs prédominaient au-delà des différences politiques. Tocqueville a appelé cela la vertu civique. Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui ? Contrairement à 1831, les Américains se sentent déconnectés des autres, de leurs communautés et de leur gouvernement. Nous avons, pour reprendre les termes de Tocqueville, moins de vertu civique. Le processus décrit est le suivant : au fur et à mesure de la croissance de la population et de l'accès à l'argent et aux ressources, les gens deviennent individualistes et égoïstes. Les gens égoïstes deviennent déconnectés. Ils le deviennent car ils ne supportent pas l'idée d'être entourés de gens qui pensent autrement. En général, les gens ont deux réactions face une telle société. La première est de s'organiser en tribus de personnes aux valeurs semblables et de s'associer uniquement avec des gens qui pensent comme vous. Le problème est qu'on finit par avoir des conversations avec soi-même. On finit par avoir des relations très limitées qui ne nous remettent pas en question, qui n'élargissent pas notre horizon mental, qui ne créent pas de potentiel pour de nouvelles idées et qui conduisent éventuellement à de la violence envers l'autre, envers des gens qui ne pensent pas comme nous. Cette autre réaction est un peu différente. De nombreuses personnes n'ont pas intégré de tribus. Ils rentrent à la maison et allument Netflix. De nombreuses études corrèlent la richesse accrue et l'affluence dans les démocraties occidentales avec un éventail de pathologies comme la dissociation sociale, la solitude, le déclin de la participation civique et la perte de confiance dans le gouvernement. La dissociation et l'isolement social correspondent avec le déclin de l'empathie pour l'autre, l'augmentation de la dysrégulation émotionnelle, le déclin de l'attachement au gouvernement. Cela inclut l'anxiété, le narcissisme et une variété de psychopathologies et de névroses. Je souhaite présenter une autre manière de penser susceptible de nous aider à casser l'isolement social et les silos d'opinions semblables dans lesquels nous enfermons notre cerveau. Imaginons que la société soit un jeu, que nos liens avec la société, nos amis, notre famille, nos voisins, notre communauté et le gouvernement, soient un jeu. Quelles en sont les règles ? Il y a deux éléments à prendre en compte : D'abord, il faut savoir qu'il y a deux types de jeu. Ensuite, vous pourriez penser que vous êtes en train de jouer à un jeu alors que vous êtes en fait dans un autre jeu. Vous pourriez vous tromper au sujet du jeu auquel vous jouez. Quels sont ces deux types de jeux ? Le premier est appelé un jeu collectif. Un jeu collectif est un jeu où on joue en équipe : vous ne pouvez gagner que si l'équipe gagne. Des exemples : Donjons et Dragons et World of Warcraft. L'autre type de jeu est un jeu à somme nulle et il n'y a qu'un seul gagnant. C'est un jeu qu'on ne peut gagner que si tous les autres perdent. Le Monopoly par exemple. [Monopoly] Il a certes des jeux intermédiaires. Il y a des jeux intermédiaires. Ce sont des jeux où une personne va gagner mais personne ne s'intéresse vraiment à qui va gagner car c'est la participation au groupe, la connexion avec les autres qui prime. Un exemple de ces jeux intermédiaires est Cards Against Humanity. Alors, à quel jeu jouez-vous ? Les membres civiques de la société jouent à Donjons et Dragons. Ils sont en lien avec les autres. Ils ont relié leurs objectifs avec ceux du groupe. Les tribus dissociées ? Elles jouent au Monopoly. Elles doivent vaincre. Et elles ne peuvent vaincre que si tous les autres gagnent. Les personnes isolées ont cessé de jouer, tout simplement. Je reconnais qu'aucun jeu n'est parfait et qu'ils ont tous leurs problèmes. Ce n'est pas parce qu'on joue un jeu collectif que l'on va gagner. Dans certains jeux, principalement des jeux collectifs, il ne suffit pas de se concentrer sur le seul objectif du groupe pour gagner. Il faut convaincre les membres du groupe de ne pas exploiter les ressources communes et de profiter de la situation aux dépens des autres membres en agissant mal ou de manière égoïste. Voici un exemple : souvenez-vous Leeroy Jenkins. Si vous ne connaissez pas, allez vérifier sur YouTube. Un groupe de personnes qui jouent à World of Warcraft doivent franchir une porte. Ils savent que de l'autre côté, il y a des monstres. Ils tentent de coordonner leurs activités mais un des membres décide de se rebeller, hurle son nom et passe la porte. Les autres membres hésitent comment réagir et le suivent, ce qui entraîne la mort de tous. Tout le monde est perdant. C'était un guet-apens, nous le savons désormais. Mais c'est une bonne illustration de ce qui arrive quand un membre d'un groupe se comporte mal. La société est un jeu collectif par définition. Si on est un membre de la société, on participe à un jeu collectif, mais pour une raison quelconque, on le méprend souvent avec un jeu à somme nulle. Prenons le moment où on s'aperçoit que ce n'est pas un jeu à somme nulle. Une personne a relaté sur Facebook qu'il est recruteur et il est sur le quai du métro pour rejoindre le travail. Un homme le bouscule et lui a dit d'aller se faire f... Mais plus tard dans la journée, cet homme arrive pour un entretien et se retrouve face à la personne qu'il a injuriée dans le métro. L'atmosphère s'est tendue quand il lui a demandé comment s'était passé le trajet. L'individu pensait jouer dans un jeu à somme nulle alors que c'était un jeu collectif où il avait besoin d'un travail et le recruteur avait besoin d'engager. Mais tout le monde a perdu parce qu'il se trompait de jeu. Le problème des jeux à somme nulle est le suivant : c'est difficile d'identifier le mauvais joueur. C'est difficile d'identifier le mauvais joueur. Par exemple, ces trois personnes représentent une société. Une d'elles est un joueur puissant qui contrôle presque toutes les ressources et qui a convaincu les deux autres qu'ils doivent jouer un jeu à somme nulle pour le contrôle des ressources rares qui restent à leur disposition. C'est la même situation ici. Ces deux personnes voyagent en avion. Une femme a posté des photos sur Instagram. Elle a basculé son siège en arrière dans l'espace privé de la personne assise derrière elle. Et l'homme assis derrière elle a martelé son dossier pendant le reste du vol. Qui est le mauvais joueur ? Est-ce l'homme qui martèle le dossier ou est-ce la femme qui a abaissé son siège pour voyager plus confortablement mais en occupant l'espace personnel d'un autre passager. Ce n'est aucun des deux, c'est la compagnie aérienne. Malheureusement, ces deux personnes sont tellement préoccupées par accuser l'autre qu'ils ne voient pas qui est le véritable mauvais joueur. D'un autre côté, pensez à ceci : la saison de basket est annulée. Le championnat de basket est annulé et TED est reporté à juillet. Je parle devant une salle remplie de chaises vides. Les gens qui ont pris ces décisions allaient perdre des millions ainsi mais ils ont décidé de jouer un jeu collectif. Un choix de jeu à somme nulle aurait maintenu la saison de basket et le championnat. Mais le prix collectif à payer aurait été très cher. Ils auraient gagné des millions mais la collectivité aurait perdu. Ce sont de bons joueurs. Ils ont pris ces bonnes décisions en privilégiant le bien de la communauté. Quel est le résultat alors ? D'abord, toutes les sociétés ont une meilleure chance de survie si tous ses membres sont convaincus de jouer un jeu collectif. Ils peuvent se concentrer pour atteindre les objectifs du groupe tout en contrôlant les comportements des membres et en identifiant les mauvais joueurs. Par contre, une société où les individus pensent jouer un jeu à somme nulle est moins susceptible de survivre car l'attention des membres est focalisée sur la compétition et ils ne s'aperçoivent pas quel est le mauvais joueur qui les exploite. Cessons de nous inquiéter de l'incivilité et inquiétons-nous des liens. Jouons le jeu collectif et cessons de jouer le jeu à somme nulle. En jouant le jeu collectif, on peut affirmer avec légitimité aux mauvais joueurs qu'ils exploitent leur position à des fins personnelles mais qu'on les attend au tournant. Merci.