Et si...
Et si je vous disais,
que nous avons l'opportunité
de rompre le cycle de violence
de notre société.
Et si nous pouvions l'apprendre de ceux
qui sont au cœur de cette violence,
ceux qui ont vécu ce cycle.
Et si c'était en prison
que se trouvait la solution.
Aujourd'hui, je vous amène
avec moi en prison.
C'est parti ?
Je vous invite, pour commencer,
à fermer les yeux ;
nous passons d'abord le contrôle
de sécurité et d'identité ;
nous traversons ensuite une,
et puis deux, et puis trois grilles
automatiques qui claquent
dans un bruit de métal strident.
Tout est gris et morne.
Nous entrons dans une grande salle, et là
il y a des hommes.
Nous sommes en cercle
avec des prisonniers :
les résidents de la prison.
Ils sont tous habillés de bleu et
vous remarquez, comme moi,
qu'ils ne se parlent qu'entre personnes
de même couleur de peau.
Vous pouvez maintenant réouvrir les yeux.
c'est une histoire unique
que je vais vous raconter.
Celle qui m'amène, depuis trois ans, à
aller en prison tous les jours.
Mais, être bénévole en prison,
ce n'était pas sur ma to do list.
Mon parcours, c'est bien autre chose :
déménagement aux États-Unis dans
la Napa Valley quand j'avais six ans ;
implication totale
pendant toute ma jeunesse
dans la création de notre
propriété viticole familiale ;
une grande école d'ingénieurs ;
un MBA à Berkeley ;
20 ans de vie professionnelle
vécue en entreprise ;
une vie sur quatre continents
à développer des produits innovants
pour la lutte contre le cancer
ou l'accès à l'électricité,
et tout cela à des postes
à responsabilité.
Ce n'est pas tout à fait
ce qui conduit à la prison.
Et pourtant, un jour de l'été 2015,
j'ai entendu une petite voix me dire :
« Va en prison ! »
Alors c'est venu de nulle part.
Bien sûr, j'ai rejeté.
Et en même temps,
plus je repoussais cette idée absurde,
plus je me sentais happée par elle,
je ne pouvais plus l'ignorer.
Et n'ayant aucune idée de comment
me retrouver en prison,
j'ai tapé sur Google :
« Prison à San Diego ».
Et cinq mois plus tard,
le 5 décembre 2015,
les grilles de la prison de Donovan,
l'une des 33 prisons d'État
de la Californie, s'ouvre.
Et dès mes premiers échanges
avec les résidents,
je me sens tranquille, à l'aise
comme chez moi...
Et là, mon petit saboteur intérieur
se déchaîne et s'acharne à me démontrer
que je suis tombée sur la tête.
Il questionne tout,
comme une mitraillette :
« Mais qu'est-ce qui te prend ?
Qu'est-ce que quelqu'un comme toi,
avec un Bac + 800, va faire en prison ?
Vas-tu sérieusement passer tes journées
à aider des tueurs, des braqueurs
et des violeurs ?
Et surtout les victimes,
dans tout ça, tu penses à elles ? »
Et pourtant il existe
au plus profond de moi
ce feu brûlant qui paisiblement,
et tout bas, me dit :
« Vas-y, fonce ! Tu as un rôle à y jouer.
Tu le découvriras au fur
et à mesure que tu avances. »
Et donc j'avance en mettant un pied devant
l'autre.
Je vais à la prison de Donovan
trois fois par semaine.
J'y crée et anime plusieurs programmes.
J'ai même l'idée d'y organiser des TEDx.
Vous vous rendez compte ?
Tous les ans, cent personnes
achètent des billets, comme vous,
pour passer la journée en prison.
Elles vivent une journée d'interventions
et d'échanges avec 100 hommes en bleu.
Le tout, organisé par une équipe
de quinze résidents
et réalisé avec l'aide de 70
résidents bénévoles supplémentaires.
Et au fur et à mesure
de mes visites à Donovan,
je réalise que derrière quasiment
tout acte violent,
il existe une histoire unique d'humains
pris dans la violence.
Je comprends petit à petit
que chaque histoire de vie
pourrait avoir une toute nouvelle fin.
Je commence à entrevoir l'idée folle
que pour rompre le cycle
de violence de notre société,
ces résidents sont les mieux placés.
Regardons d'abord comment fonctionne
ce cycle sociétal de la violence.
Il est sans fin.
Les personnes embourbées dedans ont donc
beaucoup de mal à s'en extraire,
même quand elles en ont le désir.
Prenons John par exemple.
John est l'aîné de sept enfants.
Son quotidien n'est que violence,
abus sexuels de son père,
haine et mépris de sa mère droguée.
Un flingue placé
sur la tempe par un voisin,
Sans amour familial, John intègre un gang.
Et pour être reconnu dans ce gang,
il commet des actes violents.
À l'âge de 19 ans,
John est condamné à la prison à vie.
On lui dit qu'il est irrécupérable
et va mourir en prison.
En prison, la violence continue : alcool,
drogues, gangs, viols, poignardages.
Aujourd'hui, John a 42 ans
et son fils a déjà fait plusieurs tours
en centre de détention pour mineurs.
Avec l'histoire de John et bien d'autres,
j'ai compris que les personnes
blessées blessent,
les personnes violentées violentent.
Comme le disent les hommes en bleu,
la violence à répétition crée
une déconnexion d'avec l'humanité.
Et ensuite, c'est simple
de s'en prendre à elle.
C'était donc ça : ils étaient
déconnectés de l'humanité,
et donc ils devaient se reconnecter.
Mais comment faire pour qu'ils retrouvent
en eux-mêmes une raison d'être ?
Eh bien d'abord, à Donovan, nous ne
travaillons qu'avec des résidents
motivés pour sortir
de leur parcours destructeur.
Ce travail ne fonctionne que
s'ils font eux-mêmes ce choix.
Car il nécessite volonté,
vulnérabilité et courage.
Et puis ensuite, on applique
la recette de la mayonnaise.
Vous la connaissez, la recette ?
on prend des œufs, de la moutarde,
et de l'huile que l'on monte dans un bol
sans s'arrêter jusqu'à ce que cela
devienne une émulsion délicieuse.
Alors, chaque fois qu'on se retrouve
en cercle avec les hommes en bleu,
on applique cinq ingrédients :
un, une écoute sans attente
et sans jugement ;
deux, un espace de travail sécurisant
tenu par un cadre intransigeant ;
trois, une responsabilisation totale,
car on place, les résidents au cœur
de quasi toute décision.
quatre, un déblocage
de leur créativité existante ;
et cinq, une mise en relation avec l'autre
pour une découverte amicale.
Et de là découlent dialogue,
ensuite relation, compréhension,
et enfin connexion.
Et comme pour la mayonnaise,
on mélange les cinq ingrédients avec une
présence permanente, sans s'arrêter.
Ce travail prend du temps
et est intensément personnel.
Donc il faut garder le rythme.
Et puis, la magie
transformationnelle prend.
Cette magie, c'est, dans un premier temps,
la transformation de la personne.
Samuel en est un bel exemple.
Tout jeune, Samuel décrète
vouloir être criminel.
Ce choix de vie l'amène
une première fois en prison.
Il participe à des programmes
de réhabilitation,
et il abandonne ses
comportements criminels.
Il sort de prison
mais 50 jours plus tard,
il est de retour en prison,
cette fois avec une peine à vie.
Là, je sélectionne Samuel,
avec neuf autres résidents,
pour faire partie de la première équipe
organisatrice du TEDx.
On applique notre recette
de la mayonnaise,
et au fur et à mesure
de la préparation du TEDx,
j'ai vu Samuel avoir
la vulnérabilité et le courage
de regarder en face sa propre violence.
Il l'a traversée et l'a utilisée
pour en faire sa mayonnaise.
Lors de sa première incarcération,
Samuel a su se conformer
au cadre disciplinaire.
Et lors de sa deuxième,
il a su se reconnecter
à lui-même et à l'humanité.
De tueur dans un gang,
Samuel est devenu bienveillant et positif.
Ses moments les plus sombres
sont devenus sources de lumière.
Et aujourd'hui, les résidents le
considèrent
comme un genre de grand frère modèle.
Et les gardiens le reconnaissent comme
quelqu'un de droit comme un « i ».
Un jour,
curieuse de comprendre la différence
entre ses deux séjours en prison,
je lui pose la question :
« Comment as-tu aussi rapidement
perdu les comportements positifs
que tu avais acquis
lors de ta première incarcération ? »
Sa réponse est directe :
« C'est simple : je ne savais pas
encore qui j'étais. »
Cette transformation individuelle
est déjà une grande victoire.
Et, elle n'est qu'un début, c'est ce qui
en découle qui m'a émerveillée.
Et c'est là que j'ai découvert
une solution unique
pour rompre le cycle
sociétal de la violence.
Voici Scott, sorti de prison
après quinze années.
Et déterminé à créer son rêve.
Un dojo de taekwondo pour enseigner
aux jeunes à risques
les leçons que lui
n'avait pas reçues enfant.
Peu après sa sortie de prison,
un concessionnaire auto lui propose
un boulot de vendeur.
Et à la fin du premier mois,
il est nommé vendeur du mois.
Le deuxième mois : vendeur du mois.
Le troisième mois : vendeur du mois.
Et ça continue... jusqu'au neuvième mois,
quand un investisseur, touché
par sa vision et sa détermination,
offre de soutenir Scott avec les 25 000
dollars nécessaires pour lancer son dojo.
Aujourd'hui, Scott travaille avec
60 jeunes à risques quotidiennement,
leur enseignant les règles du taekwondo
ainsi que les règles d'une vie vertueuse.
Samuel et Scott ne sont pas
des cas isolés.
Voilà, les amis, où se trouve
la vraie magie.
C'est cette contagion positive
que j'aime nommer « l'effet papillon » .
Lors de nos programmes, les résidents
découvrent pourquoi et comment
ils ont été pris
par le cycle de la violence.
Nombreux sont ceux
que j'ai vus s'illuminer.
Des hommes qui ont vécu vingt, trente,
quarante ans de violence,
découvrent leur beauté intérieure.
Et là, bam ! La lumière jaillit.
Ces fonceurs partagent alors ce cadeau,
avec leurs enfants
et leur famille d'abord,
et puis avec les autres résidents.
Cet effet papillon
gagne même les gardiens.
Et ça va encore plus loin :
ces résidents offrent alors
une nouvelle voie aux jeunes à risques.
Ils sont motivés car ils ont vécu
la même enfance et ils savent leur parler,
et deviennent leurs meilleurs mentors.
Ils comprennent
la dynamique de la violence
telle que moi je ne pourrais
jamais la comprendre.
Et une fois lancés,
impossible de les arrêter.
Ils ont des idées positives pour tout
et leurs idées vont toujours plus loin.
Ça semble tellement absurde et c'est
la vérité que je vis au quotidien.
Et là, pour moi, ça devient clair :
ceux qui sont à la source
du problème de la violence
sont aussi au cœur de la solution.
Eh oui !
Lorsqu'elles se reconnectent à l'humanité,
les personnes que la société
avait écartées comme inhumaines,
deviennent une solution pour rompre
le cycle sociétal de la violence.
Aujourd'hui, mon petit saboteur
se réveille encore parfois.
Mais les réponses, je les ai.
En octobre 2017, j'ai mis de côté
mes ambitions professionnelles
pour fonder une association à but non
lucratif, appelée « Brillance inside » -
ce qui se traduit à peu près
comme « brillance à l'intérieur » -
qui offre, à Donovan, cinq programmes,
ainsi qu'un programme
de réinsertion à l'extérieur.
Car ces hommes en bleu
m'ont enseigné à moi trois principes.
Premièrement, ils peuvent,
s'ils le souhaitent,
rédiger une toute nouvelle fin
à leur histoire de vie.
Deuxièmement, chacun d'eux possède
une brillance unique au fond de lui.
Et, troisièmement, ils peuvent devenir
une solution performante
pour créer et basculer
vers un cycle vertueux
réduisant la violence
et le nombre de victimes.
Eh oui ! D'ailleurs, même les PDG
et dirigeants d'entreprises
s'intéressent à la création
de ces équipes performantes.
Ils viennent à la prison rencontrer
les résidents, vivre ce travail,
et sont épatés.
Ils parlent, eux aussi,
de leur propre métamorphose,
ainsi que d'un effet papillon
à appliquer à leur entreprise.
Un jour, un résident me dit :
« Mais Mariette,
ces ingrédients
dont on parle tout le temps,
fonctionnent aussi au boulot,
dans nos relations, notre entourage,
les conflits, tout, quoi !
Eh oui !
Dans nos boulots, à la maison
et dans nos relations,
il est aussi possible de passer
d'un cycle de violence à un cycle de paix.
Vous rappelez-vous les ingrédients
pour faire une bonne mayonnaise ?
Eh bien, écoutez-vous !
Offrez-vous un cadre solide
pour libérer votre esprit.
Voyez-vous responsable de vos choix
et de leurs conséquences.
Créez activement votre nouvelle réalité.
Connectez-vous à vous-même et
acceptez que ceci est un travail continu.
Revenons en cercle
avec les hommes en bleu.
Je vous invite de nouveau
à fermer vos yeux.
Que voyez-vous?
Des hommes d'origines différentes
partagent et échangent,
toutes communautés confondues.
Vous voyez le courage
qu'ils expriment tous les jours
pour rester fidèles
à leur essence retrouvée.
Vous ressentez la dignité,
le respect et l'amour en eux.
Vous voyez qu'ils peuvent effectivement
être au cœur de la solution.
Certains ont été jugés des monstres.
Aujourd'hui, vous voyez des hommes.
Voici à quoi ressemble le pouvoir
de cette liberté intérieure retrouvée.
Alors maintenant, réouvrez vos yeux.
Je vous remercie.
(Applaudissements)