Nous étions des soldats pour la libération nationale des Pays Catalans, point.
Terra Lliure a marqué une étape, a éveillé les consciences de beaucoup de gens...
C'était un sujet qui préoccupait les gens...
Il ne devait pas y avoir de lutte armée. Ils ont donc fait leur possible pour empêcher cela.
Terra Lliure est l'organisation qui a ouvert la voie à l'indépendantisme actuel.
L'indépendantisme n'existerait pas si Terra Lliure n'avait pas existé.
Ce matin, deux jeunes ont fait plusieurs graffitis
aux sièges de Barcelone de la chaîne COPE et du journal "El País".
La Garde urbaine les a arrêtés. Il s'agit de deux mineurs de 16 et 17 ans...
qui ont écrit sur la façade de la COPE, dans la rue Diputació de Barcelone...
"Terra Lliure reviendra"
ainsi que "fascistes" et "nazis".
Les jeunes, qui ont été...
Ce graffiti a été fait à la fin de l'année 2005.
Dix ans après la dissolution définitive de l'organisation armée.
Quel sens a Terra Lliure pour ces deux jeunes et pourquoi
revendiquent-ils son nom aujourd'hui encore ?
Terra Lliure est née en 1979 et a été officiellement dissoute en 1995.
Au cours de ces 16 années, l'organisation a commis plus de 200 actions armées.
Des actions qui ont fait des dizaines de blessés
et un mort.
Les nombreuses opérations de police réalisées contre l'organisation
se sont soldées par plus de 300 arrestations
et un activiste a été tué par la police.
Trois autres activistes ont été tués par leurs propres engins explosifs.
Tout s'est terminé par l’auto-dissolution en 1995.
Le gouvernement espagnol l'a confirmé un an plus tard, le 8 mars 1996.
Ce jour-là, le dernier conseil des ministres présidé par Felipe González
a gracié tous les indépendantistes
emprisonnés ou condamnés pour avoir fait partie de Tierra Lliure.
C'était le point final à seize années d'un indépendantisme armé
qui est aujourd'hui encore revendiqué comme un symbole par certains secteurs.
Mais qu'était réellement Terra Lliure ?
Le contexte de base est la transition politique
qui a lieu après la mort de Franco.
Le dictateur est mort en disant qu'il laissait tout "ficelé et bien ficelé".
Il s'agissait de barrer le chemin à cette transition,
d'essayer de lui mettre des bâtons dans les roues
et, d'autre part, de bâtir une alternative réellement indépendantiste
avec des gens qui s'opposent à cela.
En gros, c'est comme ça que ça a commencé.
Parallèlement, des gens ont créé
une structure, petite au début,
de combat plus direct. Et c'est de là qu'est née Terra Lliure.
C'est à la fin du franquisme que commence à apparaître l'idée
qu'une organisation armée est nécessaire ici.
Je crois que la décision a proprement parler vient
de quelque chose que nous avons appelé, un peu de façon humoristique,
"Les révolutions de Fontpedrosa",
parce qu'elle a été prise ici, à Fontpedrosa.
Et cela a donné lieu à un petit livre
intitulé "Qu'est-ce que le PSAN provisoire".
C'était après la scission du PSAN.
C'est donc là qu'elle se définit d'une certaine façon
en disant qu'une lutte nationale a toujours une composante armée.
Le PSAN-P était le Parti socialiste de Libération nationale
branche provisoire.
L'une des deux branches issues de la division du PSAN en 1976.
À la fin des années 70 il sortirait du PSAN-P
la formation politique : Independentistes dels Països Catalans, IPC,
ainsi que les fondateurs de l'organisation armée Terra Lliure.
C'était les années de la réforme politique.
Il faut être présent dans les grandes décisions.
Si tu votes aujourd'hui, tu pourras décider demain.
C'est le moment où le référendum sur la réforme politique a été approuvé,
où ont eu lieu les premières élections,
et le nouveau régime a voté une loi d'amnistie
qui ne s'appliquait pas aux indépendantistes catalans.
Elle ne s'appliquait pas aux indépendantistes, ce qui signifie que l'indépendatisme
sera un des éléments qui subira le plus la répression à cette époque.
Nous sommes les perdants de la transition.
Oui, nous sommes les perdants de la transition parce que nous, nous voulions
qu'il y ait une rupture avec le franquisme.
Et ceux qui ont gagné, ce sont ceux qui voulaient qu'il y ait une continuité
de l'appareil d'État, une continuité d'absolument tout.
La volonté d'action qui était importante en Catalogne,
pas seulement chez les forces politiques catalanes,
ne passait pas par la violence.
Elle ne passait pas par la violence.
C'est pourquoi je ne suis pas d'accord avec cet argument selon lequel ils ont été
disons cohérents. Tous les partisans de la violence
ont été isolés, très minoritaires.
¡Viva Cataluña! ¡Viva!
La naissance de Terra Lliure a lieu
au moment où s'achève la Transition,
et il y a des groupes qui restent hors de cette Transition.
À ce moment-là, il y a une situation curieuse où
tout le mouvement anti-système de l'extrême gauche disparaît
la mobilisation disparaît, le désenchantement arrive,
et le seul mouvement extrême ou d'agitation radicale en Catalogne
qui se maintient mais qui, en plus, se développe est l'indépendantisme radical.
Terra Lliure est le résultat d'une tradition ancienne
au sein de notre lutte politique
qui est qu'à partir d'une idée nationale,
les gens la poussent jusqu'à ses dernières conséquences.
D'une certaine façon, Terra Lliure nous rappelle constamment que
le peuple de Catalogne a le droit de se prononcer,
non seulement parce qu'il n'a pas renoncé à l'autodétermination,
mais essentiellement parce que les problèmes qui découlent du statut d'autonomie
nous les voyons au quotidien.
Il est vrai qu'une partie des indépendantistes, surtout
la faction la plus radicale, n'apprécie pas la Transition.
Ils rêvaient d'une transition différente, c'est pourquoi ils dérivent vers...
Du fait que l'État les maintienne isolés,
ils dérivent vers des positions plus radicales.
Avec une certaine fascination pour le Pays Basque.
Le choix du PSAN-P en faveur de la lutte armée était clair,
mais pour passer de la théorie à la pratique, il fallait trouver
des indépendantistes prêts à militer dans une organisation armée.
Quand nous avons commencé, nous venions d'un petit groupe que nous avions créé
disons de "kale borroka". Et le PSAN provisoire
souhaitait faire quelque chose de plus sérieux avec la Charte de Brest.
Nous avons essayé d'entamer des négociations avec l'ETA militaire,
nous l'avions bien planifié avec la Charte de Brest.
La Charte de Brest est une déclaration commune de plusieurs organisations
indépendantistes de toute l'Europe, qui a permis de renforcer
les contacts entre le PSAN-P et l'ETA.
Des contacts qui serviraient à structurer la future Terra Lliure.
Les premières discussions que nous avons eues avec l'ETA militaire pour qu'ils nous donnent
des notions ont eu lieu avec "Argala".
Nous l'avons rencontré deux fois à Lourdes.
La troisième rencontre n'a pas été possible parce qu'il avait été tué.
Mais c'était fait...
C'était fait.
Puis nous sommes partis à Noël 1978,
tout était prêt pour aller en Euskadi.
Nous sommes allés en Euskadi où nous attendaient Yoyes et Txomin,
ce sont eux qui nous ont accueillis.
Txomin a prononcé ces paroles sacrées que je n'oublierai jamais de ma vie.
Il a tout de suite dit : "Bonjour"
puis : "Un commando armé a une espérance de vie de trois mois".
"Avec de la chance. D'ici trois mois, un ou deux de vous seront morts,
un en exil et l'autre en tôle.
Vous êtes prêts à continuer ?"
Ça, ça a été la douche froide
à laquelle nous avons eu droit d'entrée.
À cette époque,
nous avions 18, 19, 20 ans, nous étions ambitieux.
Au cours de ces premiers contacts, les membres de la future Terra Lliure
ont reçu les premiers cours de formation militaire,
ainsi que les premières armes et les premiers explosifs.
Ces cours et ces échanges d'armes
ont eu lieu au Pays Basque français,
appelé Iparralde.
C'est plus une relation politique
qu'une relation strictement militaire, même s'il y a eu
des échanges de matériel.
Nous leur donnions des détonateurs et eux nous donnaient des armes,
c'est en tout cas ce que j'ai vécu.
On parle de l'analyse de la situation politique
et du fait que plus il y a de points de conflit
plus le post-franquisme espagnoliste
va s'affaiblir.
Tous les fondateurs de Terra Lliure sont d'accord pour affirmer
qu'à part ces rencontres dans les années 70, il n'y a jamais eu d'autre collaboration avec l'ETA.
Une fois les cours de formation militaire terminés
au Pays Basque français, au début de 1979,
le premier commando de ce qui deviendrait
Terra Lliure entrait en action.
Mais ses premières actions se terminèrent tragiquement.
À ses débuts, Terra Lliure a enrôlé énormément de jeunes.
Bien sûr, une organisation jeune qui vient de naître et qui, à la première occasion,
perd ses principaux leaders... Martí Marcó, mitraillé par la police,
Fèlix Goñi, tué par l'explosion de sa bombe.
Ceux qui restaient, en prison...
Ça a été un coup très dur.
Et ça a profondément marqué les consciences.
Nous avons dit : "On ne joue pas."
Le 26 janvier 1979, alors que le commando s'apprêtait à commettre un braquage,
Martí Marcó était abattu par la police.
Cette mort obligea l'embryon de Terra Lliure à suspendre tous ses plans.
De plus, le fait que Marcó soit un militant
des Jeunesses d'Esquerra Republicana, déconcerta
la police comme les partis politiques.
Le premier mort de Terra Lliure était justement un militant des JERC,
et pourtant Esquerra Republicana n'a pas voulu le revendiquer
comme un combattant.
Ils ont essayé d'attribuer sa mort
à des manœuvres étranges, un enlèvement par l'extrême droite, rien à voir.
Quatre mois plus tard, le 2 juin 1979,
le groupe reprenait ses activités et Fèlix Goñi perdait la vie
dans l'explosion de l'engin explosif qu'il s'apprêtait à poser.
Nous étions des soldats pour la libération nationale des Pays Catalans, point.
Et nous obéissions aux ordres, c'est tout.
Nous ne nous disions pas : "Merde, tu vas blesser quelqu'un". Nous étions des soldats.
Nous recevions des ordres et nous obéissions
ou nous pouvions les discuter.
C'était comme une armée plus démocratique dans laquelle on discute les ordres.
"Écoute, on ne peut pas faire ça".
Mais cette idée de... non, nous ne l'avions pas.
S'il faut faire ça on le fait, c'est tout.
Je crois que les militants de Terra Lliure
avaient un raisonnement politique excessivement primaire.
Il y avait beaucoup de volonté
mais pratiquement aucune élaboration politique.
Deux jours après la mort de Fèlix Goñi, la police
arrêtait les autres membres de ce premier commando,
qui était totalement démantelé.
Mais ni les deux morts, ni les opérations de police
qui suivirent ne freinèrent le processus de gestation de l'organisation armée.
Je suis entré dans l'organisation armée
alors que je n'avais pas encore, pour dire les choses comme ça, précisément de nom.
Et à la fin de 1979, début 1980,
motivé par des sensations qui m'avaient conduit à m'engager politiquement
dans les années 70.
Cette entrée de nouveaux militants coïncida avec l'apparition
d'une nouvelle organisation politique de soutien :
les Comités de Solidarité avec les Patriotes catalans.
"Liberté, patriotes catalans !"
"Liberté, patriotes catalans !
Liberté, patriotes catalans !"
Il faut voir les Comités comme une relation essentiellement politique
mais aussi humaine entre
les personnes poursuivies, les détenus, les familles,
les avocats, qui sont une pièce maîtresse dans ce type de processus,
et le mouvement.
Dans ce cas, le mouvement politique.
Si tu parviens à ce que des familles, des personnes poursuivies, des avocats
et un mouvement politique avancent ensemble, comme ce fut notre cas
(évidemment, nous avions un environnement qui nous était très favorable)
ça représente un saut qualitatif important.
Et c'est ce qui est arrivé à cette époque.
"Les forces d'occupation dehors !"
"Les forces d'occupation dehors !"
Au moment où naît le Comité de Solidarité avec les Patriotes catalans,
Terra Lliure se renforce.
Et tandis que les Comités de Solidarité avec les Patriotes catalans
travaillent à l'unification de l'environnement politique de la naissante Terra Lliure,
les fondateurs du groupe armé accéléraient les contacts avec Època,
une organisation armée, alors inactive,
mais qui avait commis des dizaines d'attentats dans les années 70.
Època signifiait Exèrcit Popular Català.
(Armée populaire catalane)
Un groupe qui n'avait jamais revendiqué ses actions
même si la police lui attribuait entre autres la mort
du chef d'entreprise José María Bultó, en mai 1977,
et celle de l'ancien maire franquiste de Barcelone,
Joaquín Viola, en janvier 1978.
Les opérations de police qui firent suite à ces deux assassinats
permirent de démanteler une bonne partie de l'organisation.
Dans les années 80, Època connaît des difficultés humaines.
Il y a alors des gens qui partagent nos idées
et nous partageons les leurs.
Et nous décidons qu'il est mieux pour tous de faire une seule organisation,
de mettre en commun notre expérience, nos outils, notre logistique, nos infrastructures,
tout ensemble, et à Època
nous décidons de continuer avec une autre organisation
qui prendra ensuite le nom de Terra Lliure.
C'est la confluence de deux lignes au sein de l'indépendantisme
qui semblaient ne jamais pouvoir s'unir et qui
le font, disons par le biais de l'action.
C'est un peu la ligne du Front Nacional,
puisqu'une bonne partie des gens d'Època, et surtout ceux qui rejoignent
Terra Lliure, viennent du Font Nacional.
Et de gens qui viennent du dynamisme plus de gauche,
ou du socialisme, plus comme ceux qui venaient du PSAN provisoire.
Ce que les gens d'Època qui ont atterri à Terra Lliure
ont essayé de faire, de mon point de vue,
c'est de faire un travail plus sérieux formellement,
ce qui n'était pas le style de Terra Lliure à ses débuts.
Je pense qu'à Època, il y a eu un mouvement de
60 à 100 personnes.
Il était peut-être considéré comme le groupe armé de l'État espagnol
le mieux armé, avec la meilleure logistique.
Peut-être même plus que les Basques à cette époque.
L'expérience militaire d'Època était très supérieure à celle de Terra Lliure.
Cela s'explique par les origines d'Època.
Une organisation clandestine qui, sans aucun mouvement politique
qui la soutienne, s'était articulée autour de
Jaume Martínez Vendrell,
dirigeant du Front Nacional de Catalunya et
ancien militaire.
Jaume Martínez Vendrell avait fait partie de gens qui avaient affronté
l'État les armes à la main,
qui avaient résisté, qui avaient participé
à la lutte contre le franquisme avec les forces alliées
pour récupérer les libertés nationales de la Catalogne.
Il y avait beaucoup de gens du Front qui n'étaient pas partisans de la lutte armée.
Martínez Vendrell était un homme qui était apprécié
pour ses caractéristiques personnelles.
Même par ceux qui étaient totalement contre ses idées.
C'était un homme apprécié.
La police repéra les contacts entre Època
le noyau fondateur de Terra Lliure.
Et, entre la fin de 1979 et le début de 1980,
elle arrêta trente indépendantistes accusés d'appartenance à bande armée.
Mais, malgré ces arrestations, l'organisation consolida
sa structure et, à la fin de 1980,
prit officiellement le nom de Terra Lliure.
Le nom de Terra Lliure est proposé
à un moment donné
pour donner une identité à cette organisation qui se construisait.
"Visca la terra, lliure!"
(Vive la terre, libre)
"Visca la terra, lliure!"
"Vive, vive, vive Terra Lliure !"
Elle utilise le mot "terre" comme patrie,
comme un endroit où
les gens agissent.
C'est un mot du XVII°,
du XVI° siècle, je veux dire que dans ce cas
c'est un lien historique.
Et l'idée de liberté, qui est une idée
très globale.
Terra Lliure commença à revendiquer ses actions à la fin de 1980.
Mais ce ne fut que le 21 mai 1981,
avec sa neuvième action, que l'organisation armée bouleversa tout l'échiquier politique.
Ce jour-là, Terra Lliure enleva
Federico Giménez Losantos,
un des principaux initiateurs du Manifeste des 2300,
un document qui dénonçait une prétendue persécution du castillan en Catalogne.
Après des semaines de préparation et de surveillance, un commando
de Terra Lliure composé de six militants reçut l'ordre de passer à l'action.
Ils commencèrent à le suivre à Santa Coloma de Gramanet,
où Losantos enseignait dans un collège,
jusqu'à Barcelone.
À un stop de la place Molina, deux activistes entrèrent
dans la Simca 1000 de Losantos, le braquèrent avec leurs pistolets
et prirent l'avenue Diagonal pour conduire sa voiture jusqu'à ce qui était alors
un terrain vague à l'entrée d'Esplugues de Llobregat.
Là, ils l'attachèrent à un arbre, lui tirèrent une balle dans la jambe droite
et le menacèrent de mort s'il ne quittait pas le pays.
Le contexte est le manifeste contre le catalan,
les espagnolistes se sentent forts,
Pour arrêter ces gens il fallait leur dire :
"Vous n'avez pas tous les droits."
À un moment donné, il faut arrêter les choses.
Et par conséquent, disons qu'un certain niveau de violence
envers ces gens est nécessaire.
Parce qu'ils ne comprennent que ce langage.
Des gens comme Giménez Losantos ou d'autres personnes ingrates
envers les Països Catalans, ce qu'il faut faire c'est les attraper
et les sortir du pays.
Cette action a fait l'objet d'une condamnation unanime
en plus de dire : "Cela ne mène nulle part.
Et, en plus, ça ne peut que nous porter préjudice."
Je crois que l'action contre Losantos a été absolument négative,
nous en avons la preuve chaque jour à la radio.
Il est plus qu'évident que quand tu génères
de la colère, des haines, il est ensuite très difficile d'arranger cela.
Peu après l'attentat, Losantos écrivit une lettre au précédent Président
de la Generalitat, Josep Tarradellas,
pour lui faire part de son départ du pays
et de son renoncement
diriger une candidature espagnoliste au
Parlement de Catalogne.
Un mois seulement après cette action
le mouvement catalaniste
Crida a la Solidaritat remplit le Camp Nou
avec sa première grande manifestation publique,
le concert géant "Som una Nació"
(Nous sommes une nation)
initié par Lluís Llach.
Terra Lliure en profita pour se présenter publiquement
pour la première fois en lançant des milliers de tracts dans le public.
"Avec cette fête, au milieu des chants et des danses,
nous voulons réaffirmer aux quatre vents
que nous sommes une nation."
L'appel qui a été fait dans la stade du Barça
se résume en quatre points faciles à comprendre
et à reproduire, pour que les gens se les passent, etc.
C'était ce que voulait cette organisation.
Et c'est ce qui a été fait.
L'enlèvement de Losantos mobilisa la police.
Le 3 décembre 1981, elle arrêtait 23 indépendantistes
accusés de faire partie de Terra Lliure.
C'était la première grande opération de police dirigée exclusivement contre
cette nouvelle organisation
qui devint alors un des objectifs prioritaires
des forces de l'ordre de l'État en Catalogne.
C'était un sujet de préoccupation.
Mais surtout pour ceux qui avaient des responsabilités
liées au gouvernement central, ici en Catalogne.
Les nombreuses opérations de police du début des années 80
permirent de démanteler une partie de l'infrastructure de Terra Lliure
et provoquèrent les premières tensions internes lorsqu'il fallut redéfinir
la stratégie de l'organisation.
Dans ce contexte, la première assemblée de Terra Lliure se conclut par
l'expulsion du secteur dirigé par Josep Serra Calasanz, alias "Cala"
qui n'était pas d'accord avec la nouvelle direction de l'organisation.
Ils l'ont expulsé de Terra Lliure
parce qu'il y a, je crois, deux positions.
Il y a une position qui définit la lutte armée comme moyen.
Et il y a une autre position où la lutte armée finit par
devenir l'objectif en soi.
Il y a eu des pertes. J'ai dit : "Eh, du calme !"
Il faut prendre contact avec le monde politique et leur dire :
"Bon, voilà la situation.
Vous devez agir pour que la situation puisse s'améliorer."
Et d'autres qui ont dit : "Non, ça c'est une vision défaitiste de la situation.
En réalité, ce que tu veux c'est te retirer, etc.,
et t'en sortir sans dommages."
La nouvelle direction de Terra Lliure décida de ne plus commettre d'enlèvements
comme celui de Losantos et de se concentrer sur des attaques de commissariats,
de casernes de la garde civile et d'organismes liés
à l'État, du Trésor public au ministère de l'Emploi,
en passant par les relais de la télévision espagnole.
"Nous revendiquons ces actions comme faisant partie de la lutte du peuple
travailleur catalan pour défendre sa terre.
Les endroits où les bombes ont été posées sont :
les bureaux de l'INEM, les équipements de la télévision espagnole,
devant le bureau du centre des impôts,
le centre de la compagnie électrique Fecsa,
la succursale de la banque Hispano Americano,
le centre des impôts à Valence, le consulat des États-Unis,
devant le commissariat de...
au commissariat de la police nationale...
du monolithe dédié à Juan Carlos Ier...
le siège de la compagnie d'assurances "La estrella"...
une vieille caserne de la garde civile...
une succursale de Banesto...
près du concessionnaire Citroën...
près d'une résidence militaire..."
D'abord tu crées une série de flashs, d'images.
L'image que tu soutiens le mouvement antinucléaire,
une autre que tu es contre les agences pour l'emploi par solidarité
avec les gens au chômage, etc.
Et tu touches différents secteurs sociaux.
À partir de là
ce qu'il faut c'est donner de la cohérence et du corps à tout ça.
Ce n'est pas par hasard, ce n'est pas parce que tu ne sais pas quoi faire les week-ends.
Il y a vraiment un combat qui t'oppose à l'État
et qui se manifeste par toutes ces actions.
En 1984, bien que plus de 70 personnes aient été arrêtées
pour appartenance à Terra Lliure,
l'organisation parvint à reformer les commandos
et réalisa un saut quantitatif avec 40 actions en une seule année.
Ce fut alors que, pour la première, il fut décidé
de réaliser également un saut qualitatif.
Le débat portait sur le fait de passer de cette phase
de propagande armée à la phase de lutte armée.
Ce sont donc des idées de risques plus importants.
Ces plans furent exposés au cours de la deuxième assemblée de Terra Lliure
en janvier 1984.
Cette assemblée permit d'approuver la déclaration de principes
de l'organisation tout en créant "Alerta",
le bulletin interne de Terra Lliure.
C'est dans ce contexte qu'en juillet 1984 naissait le Mouvement de Défense de la Terre (MDT)
l'organisation politique qui regroupait le PSAN et l'IPC.
C'est le groupe qui unifie pendant deux ans, presque pour la première fois,
ce secteur de l'indépendantisme radical
d'extrême gauche
qui, curieusement, était le seul indépendantisme à cette époque.
Il n'y avait pas de lien organique entre le MDT et Terra Lliure,
et l'un n'était pas le bras armé de l'autre,
ni le contraire, mais il y avait des objectifs communs
et la conscience de faire partie d'un même mouvement.
Et ça a été facile parce que Terra Lliure a justement
été conçue comme une organisation, un instrument destiné à développer
un mouvement politique. Et le fait que le MDT apparaisse
a été positif pour Terra Lliure.
Ça a été assumé comme le résultat obtenu par le succès d'une incidence
durant quelques années.
En 1984, l'indépendantisme radical se développa politiquement
et il se développa par sa présence, dans la rue.
"Fascistes, c'est vous les terroristes !"
Mais le saut qualitatif prévu par la direction de
Terra Lliure
ne put être mis en pratique car, en janvier 1985,
la police arrêtait les principaux dirigeants de l'organisation.
"Ces arrestations ont eu lieu suite à une opération
de la police de Barcelone et de la police française
qui a commencé le 19 avec l'arrestation à Puigcerdà de Carles Sastre,
Montserrat Tarragó et Jaume Fernández Calvet."
Dans notre cas, toute arrestation nous portait un coup parce que
depuis que j'avais fui en 1981 alors qu'on essayait de m'arrêter
jusqu'à ce moment, nous avions fonctionné sur la base que toute la coordination
se faisait à travers nous, les militants de l'extérieur,
et ça a fonctionné ainsi jusqu'à ce moment.
Ceux qui faisaient cette coordination tombaient tous ensemble.
Dans la pratique, l'organisation se retrouvait totalement démantelée.
À partir de 1985 l'organisation connaît de plus en plus de difficultés.
Plus de difficultés au niveau organisationnel mais d'un autre côté
ça coïncide aussi avec un mouvement politique important
pour l'indépendantisme des Països Catalans.
Au moment où Terra Lliure commence à connaître des difficultés,
le mouvement politique se développe et il se produit un certain décalage
dans ce que seraient les courbes.
Il y a eu des pertes ou des arrestations d'indépendantistes
liés à l'organisation.
C'est-à-dire que les gens étaient descendus dans la rue.
À partir de 1985, il y a un saut qualitatif de la mobilisation dans la rue.
La radicalisation, on pourrait même dire l'esthétique,
le laisse pas indifférent en général.
Elle fait qu'un petit secteur social s'identifie à elle.
Ce qui est intéressant surtout, c'est la diffusion du drapeau étoilé, des graffitis...
Il apparaissait spontanément dans les lycées de toute la Catalogne
et de tous les Països Catalans des graffitis avec le nom de Terra Lliure.
Ce développement de l'indépendantisme combatif
fit que Terra Lliure cessa d'être un problème strictement policier
et devint aussi une préoccupation politique.
Le fait qu'il se développe politiquement comme cela s'était passé au Pays Basque
était moins préoccupant. Mais c'était quelque chose qu'il fallait observer,
obtenir des informations, savoir comment il évoluait.
C'était un sujet qui ne laissait pas indifférent le gouvernement
de la Generalitat. Je me souviens de conversations
avec les différents conseillers
et avec le président de la Generalitat lui-même,
Jordi Pujol.
J'ai toujours manifesté mon accusation et mon rejet
de Terra Lliure.
Terra Lliure aurait pu créer un problème à un moment donné,
un problème dans le sens où elle aurait pu être utilisée contre nous.
Pas un problème dans le sens où elle aurait fini
par avoir suffisamment de poids
pour parvenir à créer
une situation de violence ou d'affrontement,
de confrontation, de fracture du pays.
Dans ce sens, non.
Au milieu des années 80, les manifestations indépendantistes
rassemblent de plus en plus de gens.
Elles se terminent souvent en affrontements
avec la police.
Paradoxalement, ces démonstrations de force du MDT
avaient lieu juste au moment où Terra Lliure était structurellement plus faible.
Joaquim Sánchez Núñez, 21 ans, est mort dans l'explosion
d'une bombe dans la cabine téléphonique qui se trouve devant le n° 2
de la rue Aldana à Barcelone.
Joaquim Sánchez Núñez se trouvait dans la cabine et, selon la police,
c'est probablement lui qui avait placé l'engin explosif
car un pistolet a été retrouvé à proximité.
Quim Sánchez était le troisième activiste qui mourait en manipulant la bombe
qu'il voulait placer.
Un accident qui se produisait la même année que la mort du militant de Valence
Toni Villaescusa, après qu'un engin explosif lui explosa dans les mains.
Malgré les morts et les arrestations, l'organisation continua ses activités
et revendiqua une vingtaine d'actions en 1985,
principalement contre des agences pour l'emploi, des centres des impôts, des bureaux de Fecsa
ainsi que contre des commissariats et des casernes de la garde civile.
Entre 1985 et 1986, en plus de l'opération contre la direction
de Terra Lliure, la police arrêta 15 autres indépendantistes
accusés d'appartenir à l'organisation.
Au cours de ces années, le MDT et Crida a la Solidaritat
subissaient pour la première fois des attentats contre leurs sièges.
À 9 h 15 ce matin une bombe placée sur la porte
du siège du MDT dans la rue Fontanella à Barcelone a explosé.
La majorité de ces actions furent revendiquées par le groupe
d'extrême droite Milicia Catalana.
J'ai toujours perçu la répression comme
quelque chose de politique.
C'est-à-dire que le cadre légal essaie de dire que ce qu'il poursuit
est une activité illicite,
que c'est la lutte armée. Mais ce n'était pas
contre la lutte armée que s'exerçait le plus de pression.
Il le faisait aussi, mais je veux dire
qu'il cherchait plus intensément l'entourage politique
de l'indépendantisme.
Bonsoir. Une quinzaine de personnes sont mortes cette après-midi dans l'attentat
commis vers 16 h 10 dans l'hypermarché Hipercor
de l'avenue Meridiana de Barcelone.
28 autres personnes ont été admises dans différents hôpitaux,
dont 19 dans un état très grave.
Une personne a appelé le journal "Avui" au nom de l'ETA
pour prévenir qu'une bombe avait été placée à Hipercor
une quarantaine de minutes avant l'explosion.
L'attentat d'Hipercor a profondément bouleversé le mouvement.
Il a rendu la compréhension de ces formes de lutte beaucoup plus difficile
et a représenté un obstacle important.
L'ETA ne devait pas agir dans les Països Catalans.
Et il aurait dû être clair pour eux que ce n'est pas l'Espagne.
Et que s'ils voulaient agir ils auraient dû le faire contre les intérêts des Espagnols,
pas dans notre pays.
Deux mois plus tard seulement, dans la nuit du 11 septembre,
Terra Lliure faisait sa première et unique victime mortelle
au tribunal de Borges Blanques.
Emilia Aldomà, 62 ans, est morte alors qu'elle dormait lorsque le mur
qui séparait sa chambre du tribunal de Borges Blanques lui est tombé dessus.
Deux personnes sont entrées, ont placé une bombe sur le bureau du juge,
pour que ce soit plus symbolique,
et sont parties.
Malheureusement,
l'explosion a provoqué
l'effondrement d'un mur du tribunal qui était mitoyen
d'un logement
où dormait une dame. Le mur lui est tombé dessus et l'a tuée.
Il faut rejeter le terrorisme importé, qui vient d'ailleurs,
et celui qui peut naître entre nous.
Celui qui cherche à tuer des gens et celui qui, bien qu'il ne le veuille pas, tue aussi.
Comme c'est arrivé dans ce cas, qui a aussi tué.
Dans ce contexte, la "Diada" de 1987 fut très dense.
En quelques mois il y avait eu l'attentat d'Hipercor, celui de Borges Blanques
et dans le milieu politique, la division du Mouvement de Défense de la Terre.
C'est un ensemble de facteurs qui a fait que l'immaturité du MDT
ne parviendrait pas à surmonter concrètement les contradictions de cette époque.
Et il y avait des contradictions importantes, on débattait du fait
d'avancer vers une unité populaire, une ligne appelée Unité populaire,
ou vers une ligne de Front patriotique.
Trois ans après sa création, le MDT se divisait
suite à l'affrontement entre le secteur qui venait du PSAN
et celui qui venait de l'IPC.
Le MDT voulait jouer le rôle que joue Batasuna en Euskadi
mais à cause de la scission,
et à cause aussi de la fragmentation
et de son manque de structure,
il s'est divisé en deux et n'est pas parvenu
à se consolider politiquement.
Dans ce contexte de crise ouverte,
en septembre 1988
la police arrêtait Núria Cadenes et trois autres activistes.
Dans mon cas ils ont toujours su que
je n'étais pas lié
à des expériences concrètes de lutte armée.
Et c'était ça qu'ils demandaient, ils voulaient mieux connaître
me fonctionnement interne des organisations.
Dans certains cas, ils n'avaient pas une connaissance très précise,
la connaissance qu'ils avaient était très livresque.
Je voulais rappeler alors que je sors
qu'il reste encore beaucoup de camarades en prison
et que c'est une lutte qui durera longtemps et que les gens qui y participent,
au niveau politique, le font pour libérer leur nation,
et il faut prendre en compte que c'est une lutte politique.
Au total, la police arrêta 11 membres présumés de Terra Lliure.
10 autres personnes furent arrêtées au début de 1980
parmi lesquelles se trouvait Pere Bascompte de la Catalogne Nord
ainsi que Carles Benítez, à qui la police attribuait la direction de l'organisation
même après son arrestation et son incarcération.
Diriger l'organisation depuis la prison ? C'est un peu machiavélique, non ?
Personne ne peut croire qu'en étant en prison,
et surtout vu comme on est contrôlé dans l'État espagnol,
on puisse diriger une organisation.
"L'engin, de faible puissance..."
"Seul le détonateur a explosé..."
"Peu de dégâts matériels..."
"L'explosif est resté intact..."
"Les dégâts ne sont pas graves..."
"Mais il a explosé..."
"Les dégâts matériels ne sont pas très importants..."
"La bombe de faible puissance..."
"Un engin de faible puissance..."
"Trois engins de faible puissance..."
"La bombe de faible puissance..."
Nous allons faire exploser un engin explosif, à vous.
Après les arrestations de la fin 1988
la capacité opérationnelle de l'organisation chuta considérablement
et de 80 actions revendiquées entre 1987 et 1988
on passa à seulement à en 1989.
La police affirmait que les dernières actions
avaient à nouveau permis de démanteler l'organisation.
Mais Terra Lliure essayait de se restructurer
avec l'incorporation de nouveaux activistes.
Je suis entré en mai 1988
à Terra Lliure.
Jusqu'à présent, j'avais milité dans des mouvements indépendantistes,
le mouvement indépendantiste de Bages, le MDT.
Je suis entré en 1989-1990
à cause de la répression de l'État.
Des militants indépendantistes avaient été arrêtés
comme Beni, Sebastià Datzira
et Marcel·lí Canet.
À ce moment j'ai compris que je devais quitter le Mouvement
de Défense de la Terre et rejoindre Terra Lliure.
Une Terra Lliure qui, comme le reconnaissent ses militants de l'époque,
commençait à avoir de graves problèmes structurels.
Depuis 1979, la police avait arrêté près de 140 personnes
accusés de faire partie de l'organisation.
Jusqu'à présent, Terra Lliure s'était constamment reconstituée.
Mais à la fin des années 80, avec un entourage politique divisé et opposé,
la situation avait changé.
Il y a des gens qui entrent en étant déjà suffisamment formés,
qui entrent en ayant un certain âge, mais il y a des gens qui entrent très jeunes
et avec peu de formation politique.
Il y a des gens qui agissent avec plus de légèreté.
Et il y a même des gens qui font ça par jeu,
ce qui rompt avec ce que devrait être une organisation.
18 personnes souffrant de diverses blessures : c'est le bilan
des deux explosions qui se sont produites
ce matin à Barcelone
devant la succursale de la Banque centrale, au numéro 393 de la rue de Sants.
C'est le premier attentat de Terra Lliure dans lequel
cette organisation utilise un deuxième engin avec des clous
pour qu'il explose à quelques mètres du premier
dans le but de blesser des gens.
La division du MDT fut définitive quand,
en 1989, la branche venant du PSAN
créa une nouvelle organisation : Catalunya Lliure.
À partir de ce moment, les formations politiques
s'autoproclamant le bras politique de Terra Lliure étaient deux.
Catalunya Lliure a raison d'exister pour les raisons que j'ai expliquées avant.
C'est la seule organisation politique d'envergure nationale catalane.
Et la seule qui est indépendantiste statutairement.
Au début on a essayé
de faire abstraction de ces divisions politiques
et de rester unis.
Même s'il y avait dans l'organisation des gens qui
venaient d'un secteur et des gens qui venaient de l'autre.
Les deux secteurs politiques finirent par diviser l'organisation
quand les dirigeants de Terra Lliure proches du PSAN
convoquèrent la quatrième assemblée
tandis que les dirigeants proches de l'IPC ratifiaient les accords pris
lors de la troisième assemblée.
Cet affrontement politique provoqua la rupture de l'organisation
qui se divisa en Terra Lliure Troisième Assemblée
et Terra Lliure Quatrième Assemblée.
À ce moment l'organisation de Terra Lliure
est réduite en miettes, il y a des gens qui veulent
avoir une influence directe,
et une influence directe dans la manière d'agir.
Ils n'y parviennent pas à travers l'organisation existante,
ils créent donc
une organisation parallèle.
Paradoxalement, ce fut entre 1988 et 1989, en pleine division interne,
que Terra Lliure essaya de renforcer médiatiquement son rôle
de référent de l'indépendantisme.
Elle le fit au moyen de différentes interviews écrite
et surtout par le biais d'une seule interview télévisée
accordée à Euskal Telebista en mai 1989.
Notre stratégie actuelle est de développer un mouvement politique unitaire
autour de notre organisation
qui, avec ses actions symboliques, est en train de devenir
la seule référence de la légitimité catalane face à l'occupation espagnole.
Dans le futur, au fur et à mesure que ce regroupement
de forces indépendantistes se fera,
l'action de Terra Lliure sera une action militaire de plus en plus offensive.
Toute cette image, la cagoule noire, le visage caché,
qu'est-ce que ça génère chez ceux qui le voient ?
Chez un petit secteur,
idéologiquement très proche, essentiellement jeune,
d'un romantisme combatif, cela génère une identification, un signe de cohésion.
Mais ça provoque le rejet chez une grande majorité de personnes.
Les actions de Terra Lliure sont uniquement et exclusivement adaptées
à la réalité de notre peuple et leur unique fonction
est de faire avancer notre propre mouvement de libération nationale.
Malgré ces apparitions médiatiques, Terra Lliure ne pouvait occulter
la division interne qui devenait fortement évidente dans tout son entourage politique.
Depuis la branche de Terra Lliure fidèle au PSAN
qui naquit de la quatrième assemblée de l'organisation, on commençait
à parler d'échec stratégique juste au moment où une nouvelle option indépendantiste
commençait à prendre de la force.
L'ancien dirigeant de l'organisation Crida a la Solidaritat, Àngel Colom,
est depuis ce matin le nouveau secrétaire général
d'Esquerra Republicana de Catalunya.
L'ancien dirigeant qui veut faire de l'ERC un parti
clairement indépendantiste, écologiste et antimilitariste,
l'emporte de 34 voix.
Colom, qui vit aujourd'hui à Casablanca, rappelle ce moment comme
un des plus importants de l'histoire récente de la Catalogne.
Pour la direction d'ERC, il était très clair
à cette époque
qu'on allait vers un processus de rupture, démocratiquement,
avec l'Espagne et par conséquent vers l'indépendance.
Nous sommes dans les années 90-91
et plusieurs pays européens deviennent indépendants.
La rupture avec le Royaume d'Espagne, nous ne voulons rien savoir des Espagnols.
Ce virage indépendantiste d'ERC accéléra les débats internes
de Terra Lliure Quatrième Assemblée, celle qui était fidèle à Catalunya Lliure.
À cette époque le débat tournait autour de
l'obsolescence d'une voie armée dans le mouvement indépendantiste,
à son manque de sens, et à
la réalité irréfutable de processus de libération nationale
en Europe, qui avançaient et réussissaient même dans certains cas,
démocratiquement et pacifiquement, et à partir du débat politique.
Nous savions que c'était dans cette direction qu'il fallait aller,
qu'il y aurait des gens qui rejoindraient ERC, qu'il y avait des gens qui en avaient assez
et qui quitteraient l'organisation.
Et ce fut justement ce qui se passa en 1991 quand la Quatrième Assemblée
de Terra Lliure ouvrit les contacts avec Esquerra Republicana.
Jaume Renyer est venu et m'a dit :
"Écoute, je sais
que Terra Lliure réfléchit sérieusement,
que c'est sérieux,
et qu'ils se posent la question de passer à l'action politique
et par conséquent d'abandonner la lutte armée
qu'ils ont menée jusqu'à présent.
Est-ce que tu veux que nous leur parlions ?"
J'ai répondu : "Oui, parlons-leur."
Nous avons passé la frontière
et nous avons discuté avec les personnes qui nous ont été présentées
comme des responsables de Terra Lliure.
C'est une première réunion de prise de contact.
Une première réunion où ils veulent avoir la garantie
qu'ERC a définitivement et sérieusement opté
pour un processus dirigé vers l'obtention de la souveraineté
et de l'indépendance du pays. Ils demandent à Esquerra Republicana
d'être le pont vers Madrid pour ouvrir le dialogue politique et juridique
afin de résoudre la situation.
Chercher une solution spécifique, ensemble,
une issue légale spécifique.
Et une issue, une situation globale, pour fermer
le dossier, mettre fin aux procédures.
Ce n'était pas un processus de négociation,
parce qu'il n'y avait rien à négocier.
Il s'agissait d'une décision unilatérale de dissolution, qui comprenait
la fin d'une étape politique de la Catalogne et qui demandait la grâce
pour tous ceux qui étaient encore
en prison ou en exil.
Le questionneur devait être l'État
et le représentant de l'État en Catalogne
était le délégué du gouvernement, Martí i Jusmet.
Il n'y a pas eu une table formelle de négociations, avec des contreparties,
ni des documents ni quoi que ce soit. Il y a eu des contacts successifs
et des approches successives du cadre auquel nous voulions arriver.
Les premières discussions furent menées par Pere Bascompte.
Bascompte était un des dirigeants historiques de Terra Lliure
même si à cette époque il représentait seulement la branche de l'organisation
née de la Quatrième Assemblée, celle qui était la plus proche du PSAN.
L'autre branche de Terra Lliure, celle qui était fidèle à la Troisième Assemblée et proche
du MDT et à l'IPC, refusa le processes de dissolution.
Nous avons insisté sur le témoignage, parce que
nous voyions que l'opération de Colom
était très obscure et qu'en plus
son objectif était de dynamiter la gauche indépendantiste.
La vérité c'est que d'une certaine façon elle y est parvenue.
Il y a eu des secousses, il y a même eu des gens, surtout ceux de la Catalogne Nord,
qui ont décidé de rejoindre Esquerra ou de préciser
que Terra Lliure était terminée, tandis que nous, nous étions encore dans une situation
de militantisme actif dans l'organisation.
Pere Bascompte, Josep Aixalà et les militants indépendantistes
Jaume Renyer, Xavier Vendrell, Jordi Vera et David Ricart
ont annoncé leur intention de demander leur entrée à l'ERC.
L'organisation armée se positionne pour l'option démocratique
pour l'indépendance.
Ce processus de Terra Lliure
s'est fait uniquement et strictement dans un intérêt politique :
obtenir une République catalane indépendante en Europe
et que la génération actuelle puisse la voir.
Je crois qu'il y a un sentiment aigre-doux,
tu as laissé des camarades en route.
Mais en même temps, il y a a la satisfaction d'être convaincu d'aider,
d'apporter ton grain de sable à un processus historique,
très important.
Au total, une centaine de militants indépendantistes
de Terra Lliure et de Catalunya Lliure
annoncèrent publiquement qu'ils rejoignaient Esquerra Republicana.
La moitié de Terra Lliure entrait dans la légalité.
L'autre moitié, en revanche, restait active.
Deux mois après la conférence de presse de Perpignan, durant la Diada
du 11 septembre, la branche active de Terra Lliure
lut le communiqué suivant :
Terra Lliure ne baissera pas la garde tant que des patriotes catalans
resteront en prison.
Il y avait d'autres gens dans l'organisation,
et je dirais que la majorité de ceux que je connaissais
n'étaient pas pour l’auto-dissolution.
Au contraire, ils voulaient continuer pour au moins laisser
un nouveau témoignage.
La branche de Terra Lliure fidèle à la Troisième Assemblée
repris ses activités avec six actions à la fin 1991
et six autres début 1992.
Un engin explosif fut placé dans une agence pour l'emploi
du quartier de Horta à Barcelone.
15 personnes ont été blessées.
Des employés et des gens au chômage
qui étaient là, comme moi, ça a été très dur.
J'avais l'impression que ma tête allait éclater.
Et j'ai eu l'impression que quelque chose me propulsait en l'air
et me jetait par terre.
Cette action de Terra Lliure eut lieu le 25 mai 1992,
quelques jours après le début des Jeux Olympiques de Barcelone.
Et l'un des objectifs principaux du gouvernement espagnol
était d'éviter que Terra Lliure n'agisse pendant les Jeux.
À Banyoles, une centaine d'indépendantistes
se sont rassemblés devant la caserne de la garde civile.
Ils ont lancé des œufs et des pierres, ce à quoi la garde civile
a répondu par différentes charges.
D'après les curieux qui ont observé la scène,
les policiers ont agi avec une violence excessive.
La tension autour des préparatifs olympiques atteignit un tel point
que la flamme olympique fut escortée par des chars de la garde civile
à Banyoles, Vic et Montserrat.
Le roi a été sifflé.
Il y a eu diverses mobilisations très importantes dans les Països Catalans.
Et je crois que ça a été l'excuse pour faire éclater tout le mouvement,
pas uniquement Terra Lliure,
mais aussi le MDT
et tout ce qui sentait l'indépendantisme, disons.
En pleine tension pré-olympique, le 29 juin 1992,
Terra Lliure posa deux bombes à Girona et une à Barcelone.
Quelques heures plus tard, la garde civile lançait une opération
qui durerait 15 jours et qui se terminerait par l'arrestation de plus de
50 indépendantistes, accusés d'appartenance à Terra Lliure.
C'était la plus importante opération de police
réalisée dans l'État espagnol à l'époque.
Une opération ordonnée et dirigée par le juge de l'Audience nationale,
Baltasar Garzón, à qui elle doit son nom.
Le juge Garzón a ouvert une instruction
contre des personnes qui étaient actives,
contre des personnes qui avaient quitté l'organisation depuis des années,
contre des personnes qui avaient quelque chose à voir, qui connaissaient de près ou de loin
un activiste de Terra Lliure.
En plus des activistes de Terra Lliure,
l'"Opération Garzón" toucha
des militants du MDT, d'ERC, des journalistes du journal "El Punt"
et de la revue "El Temps", dans une dynamique
qui provoqua une vague de protestations au-delà
du milieu strictement indépendantiste.
Cette situation ne nous a pas plus.
Je me rappelle une réunion à laquelle participait le maire de Barcelone,
il y avait Martí i Jusmet, je ne me rappelle pas tout le monde, mais j'y étais moi aussi.
Il y avait des gens du gouvernement de Madrid.
"Comme est-ce que nous faisons pour que ça ne s'envenime pas ?"
De mon point de vue, à cette époque, je pensais que c'était un élément
qui pouvait dénaturer la fin.
Dénaturer la fin et nous valoir quelques conflits.
Le fait est que les arrestations de l'été 1992
mirent fin aux discussions entre l'État et les militants de Terra Lliure
qui avaient abandonné les armes en juillet 1994.
Je crois qu'on ne pourra comprendre cela
que le jour où on arrivera à connaître la psychologie de Garzón.
On ne comprend pas les raisons de cet excès.
Il y a eu une répression et une série d'arrestations
absolument démesurées.
L'opération rendit le climat politique encore plus compliqué en Catalogne
quand, les uns après les autres, la plupart des détenus auxquels
avait été appliquée la loi antiterroriste commencèrent à dénoncer
avoir été torturés dans les locaux de la garde civile.
Ils donnaient des coups de poing et de pied dans le ventre,
ils m'ont sauté dessus,
ils m'ont écrasé les doigts et le plus grave et le plus sérieux
c'est qu'ils m'ont mis un sac plastique sur la tête
pour que j'avoue toutes sortes de délits.
C'était horrible.
Ils te mettent une sorte de plastique sur les yeux,
et aussi un sac plastique sur la tête,
et ils t'emmènent dans d'autres locaux
où il y a 6 ou 7 fonctionnaires ou membres de la garde civile,
je ne saurais pas dire,
qui te frappent et serrent le sac pour que tu manques d'air,
que tu ne puisses plus respirer,
pour te faire dire ce qu'ils veulent que tu dises.
Cette année-là, nous avons eu contre nous les meilleures équipes
antiterroristes de la garde civile.
En plus, pendant qu'ils nous torturaient et qu'ils nous maltraitaient,
ils nous racontaient leur participation à
des arrestations et des fusillades en Euskadi.
J'ai assisté aux déclarations de différents accusés devant le juge Garzón.
Ils n'ont pas besoin de me dire quoi que ce soit. J'ai vu leurs visages, leurs yeux et leur allure.
Ces gens avaient subi des mauvais traitements, c'était évident.
Malgré tout, les plaignants recueillirent toutes les preuves médicales
et plusieurs procédures furent ouvertes contre l'État.
Et après plusieurs non-lieux en première instance, le 3 novembre 2004,
douze ans après les arrestations,
la Cour européenne des Droits de l'Homme
condamna l'État espagnol pour ne pas avoir enquêté sur les tortures
dénoncées en 1992.
Le verdict, insolite dans l'histoire européenne récente, fut prononcé
à l'unanimité par le tribunal de Strasbourg.
C'est très important. C'était le premier verdict,
la première fois
qu'on mettait en cause le fonctionnement
de l'Audience nationale elle-même.
Trois ans après les arrestations de 1992,
le 3 avril 1995,
le procès commençait à l'Audience nationale.
Sur les 50 personnes arrêtées initialement, seules 25 restaient poursuivies
pour appartenance ou collaboration à Terra Lliure.
Finalement, le procès de 1995 se conclut par un verdit paradoxal.
D'un côté il condamnait 18 des 25 accusés à un total
de 119 de prison.
Et, de l'autre, il demandait au gouvernement espagnol une grâce générale
pour tous les condamnés.
Quelques mois plus tard, le 11 septembre 1995,
la branche de Terra Lliure qui avait refusé l'auto-dissolution de 1991
annonçait finalement la dissolution définitive.
L'organisation armée affirmait littéralement
que les raisons de cette dissolution étaient l'épuisement de la propagande armée
et des moyens humains.
Je crois que la décision de Terra Lliure d'abandonner la lutte armée
est due au fait que la répression a créé un état de peur
dans tout le mouvement. Il n'y a plus eu d'actions.
Ce qui a fait envisager à nouveau que c'était peut-être le moment d'arrêter
et de continuer la lutte indépendantiste par des moyens exclusivement politiques et pacifiques.
Un an et demi plus tard, le 8 mars 1996,
le gouvernement espagnol appliquait la grâce demandée par le tribunal
lors du procès de 1995.
Avec cette grâce, l'État considérait que c'était la fin
des 16 années d'indépendantisme armé
qui avaient commencé en 1979.
C'était le point final de Terra Lliure.