>> Le Rocher de Kanuméra,
comme une grosse tortue,
planté dans l'une des plus
belles baies du monde,
la baie de Kuto en
Nouvelle-Calédonie.
C'est sur ce rocher tabou
qu'on a découvert
le corps de Mika Kusama,
une touriste japonaise
de 29 ans qui était partie seule
à la découverte de l'Île des Pins.
Le crime est sordide : Mika a
été retrouvée fracassée, brûlée,
dans un cercle de pierre. Crime
rituel ou meurtre sexuel ?
La question ne s'est
pas posée longtemps.
Les coupables étaient tout désignés : les
frères Kohnu, les gardiens du rocher,
deux Kanaks au coup de poing facile.
Restait à le démontrer,
mais le rocher de Kanuméra ne
lâche pas ses secrets comme ça.
>> Mika arrive à l'Île des
Pins qui est considérée
comme le joyau du Pacifique
pour les Japonais.
Ils appellent ça « l'île la
plus proche du paradis ».
Elle arrive, elle a plein
d'étoiles dans la tête,
avec l'idée qu'elle va découvrir
quelque chose de splendide.
Mika, c'est une grande
voyageuse,
elle adore voyager et
elle voyage seule.
C'est-à-dire que c'est une espèce
d'aventurière, à la mode japonaise.
Elle va choisir un petit gîte
et elle va partir comme ça
à la découverte de cette île
avec un esprit très très ouvert.
Elle demande la direction pour voir
la baie de Kanuméra...
et c'est la dernière fois
qu'on la verra vivante,
c'est à 15 heures et quelques,
quand elle sort de l'hôtel
habillée avec sa petite robe jaune
et qu'elle part se promener.
Voilà.
Et on ne la reverra
plus vivante.
>> En fin de soirée, un coup
de téléphone à la brigade.
Mme Kouathé, qui est la
gérante du gîte le Kuberka,
nous téléphone pour nous informer
que l'une de ses clientes,
une Japonaise, ne s'est
pas présentée au dîner.
>> Mika Kusama est arrivée le matin
même au gîte, le 2 mai 2002.
Avant de partir en balade,
elle a réservé un dîner
traditionnel sur l'Île des
Pins, avec de la langouste.
>> Effectivement, le repas est servi et
personne n'est là pour le prendre,
et ça c'est pas normal.
>> Les gendarmes rassurent la
gérante du gîte :
Mika a peut-être décidé de dîner
ailleurs, au dernier moment.
Mais le lendemain matin, la
gérante rappelle la gendarmerie :
Mika n'est pas rentrée de la nuit,
et le piroguier qui devait l'emmener
se promener l'attend toujours.
>> Balade en pirogue qu'elle
n'honore pas non plus.
Donc on commence à s'inquiéter.
On regarde les listings des
voyageurs à l'aérodrome,
on s'aperçoit qu'elle
n'est pas repartie,
donc on se dit : il a dû y avoir un
accident, quelque chose s'est passé...
>> Les gendarmes fouillent
la chambre de Mika.
Ils trouvent un journal intime,
rédigé en japonais,
un paquet de cigarettes,
une canette de bière.
>> Je fais des prises de vues
photographiques, je fais un inventaire,
et j'appréhende ces objets
que je ramène à la brigade
pour libérer ainsi cette chambre.
>> En interrogeant le
personnel du gîte,
les gendarmes en apprennent
plus sur Mika :
elle a 29 ans,
elle parle un peu français,
elle a déjà bourlingué
huit mois en France
où elle a beaucoup aimé Paris.
Mika est une japonaise atypique,
pas le genre de touriste
à voyager en groupe
guidée par un tour operator,
non : une baroudeuse.
>> Là, nous avons affaire à
une touriste japonaise
qui voyage seule,
avec son sac à dos,
qui vit au moins sur le territoire
depuis déjà quelque temps,
qui visiblement
s'exprime en français,
et une touriste... un peu à l'européenne,
qui boit de la bière et qui fume.
>> Le Parquet de Nouméa ouvre une enquête
pour disparition inquiétante.
Si Mika est blessée,
le temps est compté.
La brigade locale entame
des recherches. Pas simple.
>> L'Île des Pins, c'est une île qui fait
grosso modo 28 kms de long sur 25 de large.
Ce sont huit tribus coutumières, une
capitale (entre guillemets), Vao,
et ce sont surtout de grandes brousses,
beaucoup de baies, beaucoup d'îlots,
donc un territoire très
étendu et très sauvage.
>> L'Île des Pins, l'une des îles les plus
réputées de la Nouvelle-Calédonie :
2000 habitants, 155 km2
de brousse
qu'il faut maintenant passer
au peigne fin pour retrouver
la jeune touriste japonaise, et la
brigade de Kuto, c'est quatre gendarmes.
Après une journée de
recherches,
ils se rendent compte qu'ils n'y
arriveront pas tous seuls.
>> Nous sollicitons de la
part de notre hiérarchie
l'envoi de renforts matériels,
dont un hélicoptère qui arrive
dès le dimanche, et nous sollicitons
de Mr le Maire - qui est également
le grand chef coutumier de l'Île des Pins -
Monsieur Vendegou Hilarion,
qu'il rassemble la population, et
notamment les gens de la tribu de Comagna
où est implanté le gîte pour
effectuer des recherches.
>> Au deuxième jour, les
gendarmes organisent
une battue minutieuse, avec
l'aide des habitants de l'île.
Ils ratissent tous les coins
touristiques de l'île,
notamment le parcours
que Mika aurait effectué
en sortant du gîte, le long de
la baie de Kuto.
C'est là qu'ils recueillent
un témoignage important.
>> Arrivée au bout de
cette plage, elle a été vue,
dans un premier temps,
par un premier témoin
qui nous dit qu'effectivement
il a croisé une touriste japonaise.
Il nous la décrit comme étant jolie.
Et il nous a donné ce point de détail :
C'est qu'elle s'exprimait en français.
Donc on sait que, en fin
d'après-midi, Mika Kusama est à Kuto.
>> Après ce témoin, plus personne
ne semble avoir vu Mika vivante.
Deux jours, trois jours ont passé...
les recherches s'enlisent.
>> Je décide, avec mes
camarades de la brigade,
de monter sur le
Rocher de Kanuméra...
rocher que, en deux ans de présence sur
l'Île des Pins, je n'avais jamais foulé.
>> Et pour cause ! Le rocher
de Kanuméra est un rocher tabou.
Tout proche de l'endroit
où Mika a disparu,
c'est le domaine d'un puissant
clan de l'Île, le clan Kohnu.
Un rocher sur lequel même un adjudant
de gendarmerie ne monte pas comme ça.
>> Je précise que je demande l'autorisation
de monter sur ce rocher à Mme Kohnu.
Ce rocher est difficilement
praticable.
Quand je dis « rocher », il s'agit
surtout d'une roche corallienne
avec une surface très acérée,
difficile d'accès,
avec une végétation dense et grasse.
>> Le rocher est jonché de trous
coralliens, un terrain très accidenté
où l'on peut tomber, se blesser.
Mais l'adjudant ne trouve rien.
L'exploration est trop
difficile, il ne s'attarde pas.
>> C'est glissant ce jour-là
parce que la veille
il y a eu des précipitations
assez importantes.
Donc pas d'accès, pas de
chemin....euh... voilà.
Un caillou et on ne sait
pas sur quoi on marche.
>> Au quatrième jour des recherches, vers
midi, c'est un habitant de l'Île des Pins,
Charles Kouathé, qui fait une
découverte sur le rocher de Kanuméra.
>> Charles Kouathé arrive
dans les locaux,
et il est accompagné parce que
toute la tribu est là.
Oui, ils sont... ils sont effrayés,
effrayés par ce qu'ils ont vu.
Ils pensent avoir trouvé un corps,
ils n'en sont pas persuadés.
Ils nous conduisent au rocher,
et au rocher je me souviens
avoir suivi Charles,
et Charles ne se souvenait
pas où il avait vu ce corps.
Et c'est à un moment où il pense
avoir marché dessus qu'il dit : c'est là.
>> Le corps de Mika gît au
pied d'un arbre,
mais ce n'est pas un accident : elle est
recouverte de branches et de pierres.
Dénudé, son cadavre est en partie calciné.
À côté, des taches de sang, des cheveux...
La montre de Mika est arrêtée sur 6h21.
>> La première vision que
j'aurai de ce corps,
c'est un corps calciné,
un visage déformé,
c'est une vision... une
vision d'horreur.
C'est indescriptible, c'est...
Elle est brûlée sur les trois quarts
du corps, elle est défigurée,
c'est... ça n'a plus rien d'humain.
>> C'était plus la même
jeune fille, c'était plus Mika,
et on s'est attaché
pendant toute la procédure
à cacher ces photos à ses parents
pour pas qu'ils gardent
cette image de Mika.
>> Capitaine Alain Carmona, vous êtes
le directeur de cette enquête.
Comment se fait-il que les gendarmes
n'aient pas découvert
le corps de Mika Kusama
quand ils sont montés
sur le rocher, et qu'il faille
attendre le lendemain
pour que quelqu'un vienne
dire qu'il l'avait découvert ?
>> Ce rocher a une superficie de 5576 m2...
>> Un demi-hectare, donc.
>> Un demi-hectare en gros,
une circonférence de 300 mètres,
une végétation très importante,
où nous avons des arbres qui
font de 1m50 à 7 mètres.
C'est, on peut dire,
une petite jungle
au milieu de ce rocher
très rocailleux et très dangereux,
et les gendarmes se sont contentés
de faire un repérage et un ratissage
sur une petite portion de ce rocher.
C'est pour cette raison
qu'ils n'ont pas insisté plus loin,
parce qu'ils n'étaient
pas assez nombreux,
d'autant plus qu'il pleuvait ce
jour-là et qu'il était risqué
de pouvoir s'aventurer sur ce rocher.
>> Ce corps est donc disposé d'une
façon tout à fait particulière.
>> Ce corps, il était caché, d'abord, et
il y avait des pierres autour de ce corps,
tout comme une sorte de
protection qui avait été mise
autour de la tête, et ces pierres
descendaient le long du corps
jusqu'à hauteur du bassin.
>> Cette disposition a-t-elle une
valeur symbolique... coutumière ?
Alors cette disposition
peut faire penser,
notamment au regard des premiers
témoins et des Mélanésiens
qui étaient là, et qui eux-mêmes
ont pensé qu'il s'agissait d'un feu
typiquement mélanésien,
typiquement kanak,
et que ce feu n'avait pu être
allumé que par des Kanaks.
>> Ce feu, ça s'appelle un
bougna, je crois, hein ?
Et à quoi ça sert, exactement ?
>> Ce feu, c'est un feu à
l'étouffée, c'est-à-dire que
lorsqu'on veut faire cuire
soit du poisson soit de la viande,
on prédispose des pierres
tout autour du foyer principal
et on le couvre après de branchages
tout simplement pour éviter
que ça s'enflamme et que...
dans ce cas de figure-là,
pour le corps de Mika Kusama,
on a voulu à tout prix que le feu
se consume petit à petit
et que le corps puisse
être brûlé et désintégré
au fur et à mesure de la cuisson.
Voilà pourquoi tout a été préparé,
pour tout simplement cacher
le corps d'une part,
mais également lorsque le feu a été mis,
il ne fallait pas que ce feu
soit visible depuis les plages
qui n'étaient pas très loin, voilà.
>> Le lendemain matin, vous retrouvez
à cinquante mètres de là,
dans un trou, des affaires
appartenant à Mika Kusama.
Lesquelles ?
>> Un guide touristique,
ses claquettes,
une serviette de bain,
sa paire de lunettes
et euh... et d'autres petits
objets : un briquet,
un paquet de cigarettes
qui se trouvaient là
et son appareil photo
complètement désintégré.
Il était écrasé, on a bien vu qu'on ne
pouvait rien en sortir,
la pellicule avait été arrachée,
découpée en morceaux,
et nous n'avons rien pu en tirer.
Donc, l'intérêt pour celui qui a tué
Mika Kusama c'était,
dans un premier temps, de faire disparaître
le corps par le feu d'une part,
et d'autre part de cacher
ses vêtements et ses objets
dans un trou où on pouvait
penser que jamais
on ne viendrait les découvrir.
>> Dominique, le corps de
Mika est très abîmé,
l'autopsie est difficile,
mais qu'est-ce qu'elle permet
quand même de montrer ?
>> Corps abîmé par la putréfaction,
corps abîmé par le feu...
Elle a toute la partie basse
du corps qui est brûlée,
la partie gauche aussi
brûlée au troisième degré.
Elle a le visage... la
partie droite du visage
complètement écrasée.
Le crâne est écrasé,
le maxillaire est broyé... euh... c'est un
objet lourd qui a fait ça.
Et on pense tout de suite à une
pierre corallienne. Pourquoi ?
Parce qu'elle a en plus
de cet écrasement,
des marques, des plaies profondes.
Et ces pierres coralliennes,
elles ont des arrêtes saillantes,
des aspérités.
>> Et dans ces conditions, est-ce qu'on
peut déterminer les causes de la mort ?
>> Alors, les causes de la
mort possibles, c'est :
l'écrasement de la tête,
c'est une asphyxie
(l'écrasement de la tête
provoque une obstruction
des voies respiratoires),
ou alors la perforation
des poumons par les cotes
parce qu'elle a plusieurs cotes cassées
qui lui ont percé les poumons.
>> Sait-on si Mika a été violée ?
>> On ne peut pas le savoir
parce que ses parties génitales
ont été brûlées.
Le médecin légiste va quand même
procéder à des prélèvements
qui vont peut-être permettre
de trouver un ADN.
>> Est-ce que le légiste arrive à
déterminer à peu près le jour de la mort ?
>> Non, le légiste n'arrive pas à
déterminer précisément le jour de la mort.
Il aurait pu, en utilisant l'entomologie
qui est la science de la
datation de la mort
à partir des insectes qui viennent
coloniser les cadavres,
sauf que - à décharge pour le légiste -
on est en Nouvelle-Calédonie :
il ne dispose pas des mêmes moyens
techniques immédiatement
sur place qu'en métropole,
et à défaut le médecin légiste
va dire, tenant compte
du jour de disparition,
de la date de découverte du corps :
le corps a séjourné pendant 3 jours
en milieu chaud et
humide à l'extérieur.
>> Choc, émotion et
inquiétude pour l'avenir
du tourisme japonais
en Nouvelle-Calédonie
après le meurtre d'une ressortissante
nippone en vacances sur l'Île des Pins.
>> Le Rocher de Kanuméra est pour les
Japonais l'un des symboles paradisiaques
de l'Île des Pins. Mais jeudi
dernier, il devint un enfer
pour Mika Kusama, jeune
et jolie Japonaise de 29 ans.
>> Une touriste assassinée, de ma propre
mémoire, c'était la première fois.
C'est une catastrophe
pour l'île,
c'est aussi une catastrophe
pour le pays parce que c'est
une touriste japonaise
et le Japon,
c'est le deuxième marché
touristique de la Calédonie
après la métropole et donc
on est presque dans
je n'ose pas dire dans
l'incident diplomatique
mais tout de même dans
quelque chose qui met en jeu
la réputation de la Calédonie.
>> L'enquête passionne la presse
et les détails du crime
laissent libre cours aux fantasmes.
>> Une Japonaise assassinée
dans des conditions atroces, mutilée...
On se pose la question d'un
meurtre rituel,
parce que son corps a été trouvé
sur un rocher qui était tabou.
>> Un rocher tabou : Évidemment, c'est
de ce côté-là que les gendarmes
démarrent leurs investigations.
>> Pour bien comprendre
la scène de crime,
imaginez que le corps ait
été découvert
dans la salle à manger d'une
famille X,
il est forcé et évident que nous
soupçonnions la famille X.
Ce rocher était la salle à manger -
était le salon - de la famille Kohnu.
>> Les Kohnu habitent juste en
face du rocher de Kanuméra.
Aucun d'eux n'a participé aux
recherches de Mika Kusama.
>> Les soupçons se portent
- Les soupçons de toute l'île -
se portent sur les deux frères Kohnu
parce que ce sont
les gardiens du rocher,
et ce sont les seules
personnes de toute l'Île des Pins
à amener des touristes
sur le rocher de Kanuméra.
Ce sont les seuls,
personne d'autre.
>> Les deux frères Kohnu,
les gardiens du rocher :
Ambroise l'aîné, dit Didime,
et Antoine,
deux hommes incontournables
sur l'Île des Pins.
>> C'est une famille très
ancienne dans l'Île des Pins.
Cette famille était à la tête de la
chefferie de la tribu de Comagna
à la fin du 18ème siècle, début du 19ème
lors de la déportation.
À cette époque, toute la partie ouest de
l'île a été déportée, toute la population,
pour y installer ce qu'on
a appelé le bagne.
>> À la fin du bagne, l'État français a
redistribué les terres de l'île aux Kanaks,
mais les Kohnu s'estiment spoliés :
Ils n'ont pas retrouvé
tous leurs territoires d'origine
et ils ont perdu la chefferie de la tribu.
>> En contestation de cette
injustice aux yeux du clan Kohnu,
la famille Kohnu s'est approprié
symboliquement ce rocher.
Il a décrété que ce rocher
était devenu une zone taboue.
>> Les Kohnu cristallisent
deux siècles de tensions
et de querelles sur l'île.
Mais chez les Kanaks on n'a pas
l'habitude de se dénoncer,
et encore moins aux
gendarmes de la métropole.
>> Mais là, c'est trop grave.
Effectivement, le tourisme
à l'Île des Pins,
c'est ce qu'il y a
de plus important.
Et là, c'est la rumeur qui monte,
les gens sont tendus, et très
vite on veut en découdre,
très vite on veut faire justice.
>> Le corps de Mika découvert
dans la salle à manger des Kohnu.
Forcément, les langues se délient.
>> Didime est en marge de la
société kanake à l'Île des Pins,
il est en conflit avec à peu près tout
le monde, tout le monde le craint.
C'est quelqu'un qui refuse toute
autorité,
que ce soit l'autorité républicaine,
que ce soit celle des coutumiers.
>> Dans les années 90, Didime était
le meneur de la « bande du rocher » :
des jeunes Kuniés un peu rebelles qui se
retrouvaient sur le rocher de Kanuméra
et occupaient beaucoup les gendarmes.
>> On s'adonnait à la
boisson, à la drogue...
>> On les craignait parce
c'est quand même des
gens qui sont très violents,
qui n'hésitent pas à frapper,
à frapper à coups de poings ou
avec des objets tranchants.
>> Didime a cogné, menacé
avec son sabre,
mais il a aussi essuyé des
coups :
un tir de fusil de chasse dans la jambe,
un coup de couteau dans le ventre
et ça s'est toujours réglé en tribu,
loin de la gendarmerie.
C'est aussi à cette époque que
certains reconnaissent
à Didime le don de soigner :
il est guérisseur.
Mais très vite, avec
lui, ça dérape.
>> De guérisseur, il est
passé à ressusciteur :
on prête à Didime des
sacrifices d'agneaux,
de moutons, sur ce rocher,
qu'il aurait tenté de ramener à la vie.
Il a même tenté de faire ça avec un de ses
congénères qui, heureusement pour lui,
a pris la fuite ce jour-là
et a quitté la bande du rocher.
>> Fidèle lieutenant de Didime dans la
bande du rocher, Antoine, son petit frère.
>> Antoine est taciturne,
ne parle pas,
Antoine est souvent sous l'effet
de produits tels que le datura,
une plante qui ressemble étrangement
à du muguet mais en taille XXL,
qui se prend en infusion,
et qui a des effets irréversibles
sur le cerveau.
Antoine est vide...
Quand vous le croisez, il est vide.
Antoine n'est qu'une ombre,
n'est qu'une ombre qui fait peur.
>> Capitaine Carmona, on parle sur
l'Île des Pins d'un « rocher tabou ».
Qu'est-ce que ça veut dire « tabou »,
qu'il est sacré ?
>> Les frères Kohnu et la famille Kohnu ont
voulu que ce rocher soit sacré, soit tabou.
Ils ont toujours considéré
que ce rocher leur appartenait,
alors que ce rocher ne leur
a jamais appartenu
puisque ce rocher était
aux Affaires Maritimes,
puis il a été classé
sur les Affaires territoriales,
et en fin de compte,
il est devenu patrimoine
de l'Île des Pins.
Mais eux, ils n'ont jamais rien
voulu savoir, ils ont toujours considéré
qu'il était leur propriété, qu'il était
leur bien et que pour eux,
c'était quelque chose d'ancestral
et ils ne voulaient pas
que ce rocher devienne
la propriété des autres personnes
de l'Île des Pins.
>> Le corps de Mika est donc
retrouvé sur le rocher des Kohnu,
et tout le monde montre
du doigt les deux frères,
Ambroise (Didime) et Antoine.
Ils sont connus des services de
gendarmerie ?
>> Tout à fait. Les frères
Kohnu sont défavorablement
connus de la gendarmerie
de l'Île des Pins,
depuis de nombreuses
années d'ailleurs puisque
les touristes qui venaient,
aussi bien des touristes locaux,
des Mélanésiens de l'Île des Pins,
des touristes de la Grande Terre,
n'avaient pas accès au rocher et lorsque,
parfois, ils s'aventuraient
à monter sur ce rocher, les frères
Kohnu intervenaient rapidement,
parfois verbalement mais parfois
avec violence,
et des coups étaient donnés
et notamment, sur les années
93-94, des touristes japonaises
avaient été frappées par les frères
Kohnu pour les avoir interpellées
une fois en montant sur le rocher,
une fois en descendant du rocher.
Donc, ils ont eu plusieurs condamnations.
>> Ils ont déjà été condamnés ?
>> Ils ont été condamnés à
plusieurs reprises. Didime...
>> Pour quels faits ?
>> Didime a été condamné pour des faits de
violence, coups et blessures graves
sur des touristes, et son
frère Antoine, pareil,
a été condamné pour des
coups et blessures
sur des touristes et également pour un viol
qu'il avait commis quelques
années auparavant.
>> Pour vous, donc, les deux frères Kohnu
ont le profil de meurtriers potentiels.
>> Unanimement, tous les
gens de l'Île des Pins,
lorsque nous les avons
interrogés, nous faisaient part
qu'on ne peut pas monter sur ce rocher
sans que les Kohnu le sachent,
sans qu'ils le voient. Par conséquent,
si on trouve un cadavre sur le rocher,
c'est comme si c'était chez eux.
Ça me paraît quand même
important, il était était normal
que nous allions leur
poser quelques questions.
Et c'est pour cette raison que
le mardi, aux environs de 13 heures,
nous avons été interpeller les
frères Kohnu à la tribu de Comagna.
>> 7 mai 2002, le lendemain
de la découverte du cadavre de Mika,
c'est-à-dire 5 jours après sa disparition,
les gendarmes encerclent
la maison des Kohnu
avec le renfort des gendarmes
mobiles, le GPM. Il est midi.
>> L'intervention s'est faite en tenue.
Le lieutenant Carmona et moi-même
nous présentons à la tribu.
Pour nous accueillir, Didime. Didime
spontanément lève les bras et se rend,
et Antoine, à la vue des
militaires, tente de s'enfuir.
Il ne va pas bien loin.
Le GPM est là,
ils l'interpellent, le maîtrisent,
et ils sont conduits
dans les locaux de la brigade
de l'Île des Pins en garde à vue.
>> Quelques heures avant
le drame, Mika Kusama
a été aperçue en compagnie
de deux hommes
bien connus des services
psychiatriques de Nouville,
et dont l'un a déjà fait de la prison.
Cet après-midi, ils ont été interpellés
par la gendarmerie pour être entendus.
>> On nous dit qu'on est sur
des suspects,
mais des suspects solides,
qui ont toutes les caractéristiques
de coupables potentiels, et toutes
les raisons d'avoir pu faire ça.
>> En Nouvelle-Calédonie,
c'est le soulagement.
Les auteurs de ce crime
atroce sont sous les verrous.
Sur l'Île des Pins, le
clan Kohnu assiste, impuissant,
à l'arrestation de deux des siens,
et au déballage médiatique.
>> C'est l'image qui tue la famille,
quand ils voient Antoine
enchaîné avec une chaise,
les mains dans le dos, comme ça,
c'est... ah c'est...
Et ce soir-là, ben tout le clan
est à la maison.
On est tous dans le salon,
on regarde la télé,
et puis il y a les images qui fâchent
qui passent.
Et puis je prends conscience que
c'est moi qui dois guider la famille,
c'est moi qui dois prendre
en charge la famille.
Et ce soir-là, je parle aux enfants,
ceux qui sont là. Je leur
dis que cette affaire-là
va être lourde à porter mais c'est moi
qui dois porter cette affaire-là.
Vous, votre part aujourd'hui,
c'est de réussir à l'école
pour montrer que vos papas ne sont
pas ce qu'on dit d'eux aujourd'hui,
que vous êtes fiers
d'être les enfants de vos pères,
et puis montrer que c'est pas de la
mauvaise graine qu'ils ont semée.
>> Capitaine Carmona, parallèlement
à la garde-à-vue,
vous entendez les premiers témoins.
Que vous disent-ils très précisément ?
>> Alors, les premiers témoins. Notamment,
nous avons entendu Frédéric Kaateu,
et Frédéric Kaateu avait fait part
aux gendarmes de l'Île des Pins
que le jeudi 2 mai au matin,
aux environs de 10h15,
il a rencontré, avec Antoine,
la touriste japonaise qui
venait juste d'arriver.
Elle leur a dit « bonjour » en français, ce
qui les a surpris puisque habituellement
ils avaient l'habitude que
les Japonais leur répondent
soit en anglais ou en japonais.
Et il y a un autre témoin,
c'est son ex-compagne
qui, le 30 avril, donc la
veille de l'anniversaire d'Antoine....
Antoine était assez excité,
très impulsif et réclamait sans cesse
qu'il voulait une femme, il voulait une
femme, il voulait une femme...
>> Quelqu'un aussi l'a vu avec une
bague, je crois, aussi, non ?
>> Frédéric Kaateu, le vendredi,
il rencontra Antoine,
et il remarque qu'Antoine porte une
bague dont il donne une description
de cette bague qui est
très particulière et donc,
dans la conversation, il
ne comprend pas pourquoi
Antoine, alors qu'il n'est pas habitué
à avoir des bijoux,
pour quelle raison il avait
cette bague à un doigt.
Et à ce moment-là,
il fait le raisonnement
de penser que cette bague
pouvait appartenir à Mika Kusama.
Ces éléments-là sont quand même importants,
et nous les avons pris en compte
dans tous les témoignages
qui nous sont parvenus.
>> Moi j'ai pris l'audition d'Antoine.
Quand il s'est présenté
à moi, il avait du mal à...
je ne sais pas si c'est de la timidité
ou s'il a été...
si psychologiquement ou
moralement, il a subi quelque chose,
mais c'est sûr que c'était quelqu'un
de timide qui ne parlait pas...
>> À l'inverse, dans le bureau d'à côté,
son grand frère Didime est très bavard.
Il s'épanche sur sa
famille, son rocher.
Des années plus tard, il
se souvient encore
de ce long monologue.
>> C'est un symbole, c'est
un symbole de lutte.
Ouais, c'est quand
même la même histoire
par rapport à notre nom,
par rapport à tout.
L'identité, il faut la défendre,
c'est comme une dignité,
si on n'a plus de dignité,
ben nous, on n'existe plus.
>> Ben, Didime nous refait
l'histoire, de 1840,
du bagne, de la déportation,
de l'époque où la famille Kohnu était
une grande famille
qui avait la chefferie de Comagna,
qui était respectée,
qui avait des terres. Il nous
parle de son combat qu'il mène
depuis des années pour que son droit,
qu'il pense légitime,
lui soit reconnu, à savoir diriger
la tribu de Comagna
comme la coutume l'exige.
>> Une situation pour le moins inédite.
>> C'est un dialogue informel
où on doit écouter,
et les mots viennent d'eux.
On ne coupe pas la parole. Voilà.
Ce n'est pas aussi agressif
qu'on peut le connaître en métropole
où c'est l'enquêteur qui dirige et c'est la
personne en face qui répond.
Dans ce cas présent, ils
ont des choses à dire,
il faut les écouter et s'ils
veulent bien, ensuite,
répondre à vos questions, ils
répondront à vos questions.
>> Après avoir écouté Didime
et son exposé passionné,
l'adjudant insiste.
Il veut établir son emploi du temps.
>> Nous n'y arrivons pas,
c'est compliqué.
C'est compliqué parce que
nous ne sommes pas à la ville,
nous sommes sur une île,
nous sommes bercés
au rythme du soleil couchant,
du soleil levant, des marées.
Et il pense qu'il était aux champs.
Après, il se dit : peut-être
que j'étais ailleurs.
Pour lui, ce n'est pas important.
Ce qui s'est passé avant s'est
passé avant,
il ne s'en souvient plus.
Donc, c'est techniquement
très difficile d'établir
un emploi du temps.
>> Du côté d'Antoine, ce n'est guère mieux,
même si un témoin l'a croisé
en compagnie de la Japonaise.
>> Antoine ne sait pas où il est.
Antoine se souviendra du premier mai,
jour de son anniversaire,
et expliquera que, voilà, comme
il était fortement alcoolisé,
il ne se souvient plus
de ce qui s'est passé après.
>> Quand on lui posait la question
de savoir s'il a croisé la Japonaise,
au vu de l'audition des témoins
qui ont été entendus,
sur ce point-là, il était...
enfin c'était vraiment
la foutaise totale quoi, c'était...
comme s'il était un petit peu
amnésique, sur cette question-là,
il était... niet pas
du tout, je ne connais personne.
>> Il me disait : mais avoue
que c'est toi !
Et je lui répondais :
Mais monsieur,
je ne vais pas vous dire que
je suis responsable de ça
juste pour vous faire plaisir.
Je n'ai jamais croisé Mika Kusama,
je ne l'ai jamais vue,
je ne l'ai jamais croisée.
>> Et la bague de la Japonaise, que ce
témoin a vue au doigt d'Antoine ?
>> Une bague d'une Japonaise,
vous ne pouvez pas
la mettre à votre doigt.
Regardez votre doigt,
il est trop grand.
Les Japonaises, c'est petit leur doigt !
Vous pouvez pas la mettre
à votre doigt.
>> Au fond de moi-même, je me
disais : il est costaud !
Il est tellement costaud,
il veut pas lâcher.
>> Didime semble tout aussi
costaud que son petit frère.
Il se borne à dire qu'il n'a rien
à voir avec cette affaire.
C'est un complot contre sa famille.
>> Didime n'est pas quelqu'un
qu'on impressionne.
Je crois plutôt que c'est l'inverse.
Didime est quelqu'un d'impressionnant,
qui en impose,
c'est quelqu'un d'intelligent
et lorsqu'il me dit : « Je n'ai pas tué »,
j'ai tendance à le croire.
Mais je sens,
au plus profond de moi,
que Didime sait ce qu'il s'est passé.
Et quand je lui pose la
question - cela arrivera
plusieurs fois au cours de cette enquête :
« Tu sais ce qui est arrivé ? »,
Didime aura ce geste qu'ont tous les
Kanaks : de lever les sourcils.
Ce qui signifie qu'il sait ce
qu'il s'est passé.
>> Les frères Kohnu en garde à vue,
la colère explose sur l'Île des Pins.
Un clan rival, les Kouathé, s'en prend au
rocher, le trésor des Kohnu.
Ils détruisent l'escalier
qui permet d'y grimper,
les statues et les cabanes.
La gendarmerie doit
calmer les esprits
en rappelant que l'enquête
ne fait que commencer.
De leur côté, Antoine et Didime
ne disent pas un mot aux gendarmes
sur le meurtre de la
jeune Japonaise, Mika.
Le juge d'instruction, qui veut
savoir à qui il a affaire,
demande à un psychiatre
de les expertiser.
En pleine garde à vue, c'est pas courant.
Le psychiatre rencontre Didime
et Antoine à Nouméa,
dans les locaux de la gendarmerie.
Les deux frères martèlent toujours
leur innocence,
mais leur profil est inquiétant.
>> C'est des personnalités très...
qu'on classifie généralement
dans le mode de psychopathies :
Un potentiel d'agressivité
très supérieur à la normale,
une intolérance à la frustration,
c'est-à-dire que s'ils veulent
quelque chose et qu'il l'ont pas,
ça peut se passer mal.
Une prédisposition au délit,
au passage à l'acte,
c'est-à-dire que d'ailleurs...
il se passe facilement,
ils ne fantasment pas,
ils passent directement à autre chose
et une grande appétence
alcoolo-cannabique
qui facilite, effectivement,
les passages à l'acte.
>> Ça correspond exactement
aux constatations
qui ont été faites
sur le rocher,
et aux constatations sur
place, c'est-à-dire
un meurtre pas planifié, commis
dans le pire endroit possible,
c'est-à-dire un endroit
qui est au vu de tous
et avec les moyens du bord, c'est-à-dire
avec un bloc de corail qui était sur place.
>> Les gardes à vue des deux
frères se terminent sans aveux.
>> Pour nous, ça n'a pas changé.
Ça n'a pas changé notre conviction.
C'était toujours la même :
c'était les deux frères.
>> Les Kohnu sont déférés au Parquet.
>> Les deux principaux suspects sont
entendus depuis 14h30 au Parquet.
>> C'est effectivement vers
14h30 que le convoi de gendarmerie
transportant les deux suspects
est arrivé au Palais de Justice.
À l'heure qu'il est, preuve semble-t-il,
d'une certaine résistance des suspects,
ils sont toujours entendus
dans le bureau du juge.
>> Dominique, les frères Kohnu sont sous
les verrous, mais l'enquête continue.
Il s'agit donc maintenant de déterminer...
de trouver l'arme du crime.
>> C'est un habitant de l'île qui va aider
les gendarmes
en leur apportant l'arme du crime.
>> Et c'est quoi, cette arme du crime ?
>> Il apporte deux pierres
à la gendarmerie,
deux pierres dont celle-ci,
qui sont tachées de sang.
Elles vont être envoyées au laboratoire
et c'est bien le sang de
la jeune touriste japonaise.
Il apporte ces deux pierres et
il donne un nom aux gendarmes :
un certain Kouathé.
>> Comme lui !
>> Comme lui. Alors, c'est
la famille des Kouathé
et la famille des Kohnu.
Et il a une théorie :
Les Kouathé et les Kohnu sont en conflit
depuis quasiment toujours, en tout cas
ces familles ne s'entendent pas. Les
Kouathé ont intérêt à dénoncer les Kohnu.
Il a eu des problèmes entre
eux et la preuve, dit-il...
(il le dit aux gendarmes et c'est écrit
dans ce procès verbal d'audition) :
l'un des Kouathé a tiré avec une carabine
sur Didime, Didime Kohnu. Et c'est pour ça
- il a reçu une balle dans une
jambe - c'est pour ça qu'il boite.
>> Et qu'est-ce qu'il dit d'autre ?
>> Et il dit : ce Kouathé faisait
partie de l'équipe de personnes
qui a découvert le corps de la Japonaise.
>> Et les gendarmes sont allés voir, là où
il est censé avoir récupéré ces pierres ?
>> Malheureusement non,
c'est impossible,
parce que l'accès à l'île, l'accès
au rocher n'a pas été interdit
et tout le monde est allé souiller
les lieux, des curieux, des visiteurs
sont allés se promener là où on a
retrouvé le corps de la Japonaise.
Tout le monde est passé là, donc on
ne trouvera plus aucune trace.
>> Mais est-ce qu'il a quelque chose
d'autre à apporter que juste un nom ?
Est-ce qu'il a une preuve ?
Il a quelque chose à dire de plus ?
>> Aucune preuve, c'est
juste une dénonciation.
Les gendarmes vont vérifier cette piste
et ça ne donnera rien.
Mais ils vont en profiter
pour entendre
une centaine
de personnes sur l'île.
>> Le témoignage d'une employée
du gîte où logeait Mika
intéresse particulièrement
les gendarmes.
À 15h30, le jour où la
jeune touriste est arrivée,
une serveuse a remarqué une Japonaise,
alors qu'elle rentrait chez elle
à l'arrière du pick-up de sa patronne.
>> Cette employée de l'hôtel
voit, le long de la route,
une jeune femme
dans une robe jaune,
qui est visiblement japonaise,
main dans la main avec un Européen.
Un Européen qui aurait entre 40 et
50 ans, avec les cheveux coupés court, etc.
Et elle dit : « Tiens, c'est
notre petite Japonaise »,
aux autres qui sont là, qui regardent,
qui ne voient pas.
Elle est la seule à la voir.
À partir de là, il va y avoir évidemment
- et moi quand je prends le dossier,
je suis complètement là-dedans -
cette hypothèse de l'homme blanc.
C'est peut-être un homme
blanc qui a tué Mika Kusama.
>> Mika avait bien une robe jaune.
La piste semble bonne,
d'autant qu'elle est confirmée par
un second témoin.
>> Une autre personne voit cette
même jeune femme japonaise
emprunter ce fameux sentier
qui mène au gîte Nataiwatch.
Il la voit avec une bière à la main,
elle a une robe jaune et
elle est avec un Européen.
>> Une bière de la même marque que celle
qu'on a retrouvée dans la chambre de Mika.
Enfin, un troisième témoin
évoque une Japonaise.
Il l'a vue plus tôt dans la matinée,
à l'autre bout de la baie de Kuto.
>> On nous dit que, à l'arrivée
de la navette, peu de temps après,
on voit repartir un couple à pied :
un homme blanc
avec une jeune femme.
>> Et il va la voir à 7h du matin.
À 7h du matin, Mika
n'était pas arrivée à l'Île des Pins.
Et pourtant, il voit et il la décrit :
robe jaune, Japonaise,
main dans la main
avec un Européen.
>> Ce témoignage porte un coup à
la piste de l'homme blanc.
>> Nous procéderons à des
vérifications
et nous trouverons effectivement
un couple logé au gîte Nataiwatch
composé d'un homme blanc
et d'une Japonaise.
Par ailleurs, sur l'Île des Pins
résident deux Japonaises,
toutes deux accompagnées dans leur
couple par un homme blanc.
Donc, il était facile de retrouver
un couple composé d'un
Blanc et d'une Japonaise.
>> Cette piste doit pourtant être
complètement verrouillée.
Un témoin a parlé d'un homme
blanc cheveux courts.
Les gendarmes fouillent du côté d'un
centre de repos de l'armée : l'IGESA.
Il est situé à côté du rocher
des frères Kohnu.
Au moment du meurtre de Mika,
80 militaires y étaient en vacances
après une mission de 3 mois en Afrique.
>> Nous avons investigué sur
l'ensemble du personnel.
Le militaire réserve ses
repas le soir à l'IGESA
et, pour ceux qui n'ont pas mangé,
ils sont décomptés.
Donc, nous avons effectué
des recherches
sur les personnes qui
s'étaient décomptées.
Nous les avons localisées à l'IGESA
mais en train de manger un bougna,
et tous les personnels militaires
étaient encadrés.
>> Les gendarmes interrogent
la hiérarchie :
aucun des militaires en repos
n'a fait parler de lui
lors de son séjour.
>> Il n'y avait aucun fait de signalé,
il n'y avait pas de militaire
qui aurait été vu, ou qui aurait
commis d'acte répréhensible.
>> La piste des militaires se referme
après celle de l'homme blanc
et toutes les autres.
Les mois passent et les gendarmes en
reviennent à leur toute première hypothèse.
>> Sincèrement, à l'exclusion
des membres de la famille Kohnu,
tout le monde a désigné
Antoine et Didime
comme étant les
auteurs de ce crime.
Nous avons eu à entendre des
gens qui sont voisins
comme les membres de
la famille Kouathé,
comme les membres de
la famille Apikaoua,
qui sont nés sur cette île et
qui ne sont pas montés sur ce rocher
depuis qu'ils ont l'âge
de 3 ans,
des gens qui ont actuellement
25, 30, 40 ans. Ils vous disent :
« Je ne monte pas parce que je
ne suis pas autorisé à y monter. »
Alors, évidemment, quand on
les interroge, ces gens-là...
Alors qui d'autre ?
Mais personne, à part
Antoine et Didime !
>> C'était comme de la violence,
comme de la violence gratuite,
c'est pas la part des choses,
y'avait ce meurtre mais il a amené
toutes les rancœurs qu'il y avait...
C'était un règlement de compte
qui était en train de se faire, quoi.
C'est des querelles internes à l'île
et on profite justement de ça parce
qu'on sait qu'avec ça on va peut-être
se débarrasser d'eux une
bonne fois pour toutes.
>> Les frères Kohnu n'avouent
absolument rien devant les gendarmes.
Est-ce que c'est embêtant
pour vous ? Est-ce que c'est gênant ?
>> Nous, nous n'avons fait
que rassembler des faisceaux
de présomption de tous les éléments
que nous avions, à savoir
sur leur comportement
le jour ou le lendemain de la
disparition de Mika Kusama,
où ils se sont complètement
désintéressés des recherches.
À aucun moment,
ils ne sont venus demander
ni aux Mélanésiens de la tribu,
ni aux gendarmes
pour quelle raison ils étaient montés
sur ce rocher
et ce qu'il s'était passé sur ce rocher.
Alors, il me paraît quand même
important que, si on est propriétaire
d'un bien, on doit s'intéresser
à ce qui se passe chez soi, c'est
la première des choses.
>> Quelle serait alors, selon vous, le
mobile et le scénario de ce meurtre ?
>> Je pense que c'est lié à un
concours de circonstances.
Elle est tombée sur des
individus
qui étaient au pic de l'agression
et de la violence,
dont notamment le
comportement d'Antoine.
Cette jeune fille qui comprend
le français, parle le français,
et en sachant le respect qu'ont
les Japonais pour
l'environnement et les biens
de propriété des gens,
elle ne peut pas monter
seule sur ce rocher.
Elle a bien vu qu'il y avait marqué :
« Privé, défense d'entrer ».
Elle sait très bien qu'elle
n'allait pas monter.
Donc, par conséquent, on l'a invitée
à monter sur ce rocher,
elle est montée sur ce rocher et,
à un moment donné,
qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Est-ce que les pulsions
sont montées plus vite ?
Est-ce que quelque chose
n'a pas bien fonctionné ?
Mais ce qui est sûr, c'est
qu'elle a pris des photos.
Sinon on n'aurait pas détruit
son appareil photo,
comme nous l'avons trouvé détruit
et la pellicule déchiquetée.
Et c'est ce concours de circonstances
qui a fait que ce jour-là,
Mika Kusama s'est trouvée
au mauvais moment,
et malheureusement
elle a perdu la vie.
>> Le juge d'instruction ne tire
rien de plus des frères Kohnu.
Il les interroge 5 fois,
et à lui comme aux gendarmes, Didime et
Antoine répètent qu'ils sont innocents.
>> Antoine comme Didime sont
des personnes expérimentées
avec les interrogatoires,
avec la Justice,
pour avoir 15 et 8 séjours
en prison
- pas juste des condamnations -
c'est des condamnations
qui vont entraîner des
séjours en prison.
Il faut avoir fait 15 fois
et 8 fois des gardes à vue,
des rendez-vous avec
le juge d'instruction, etc.
Donc, ils sont rompus à cet exercice.
>> Et l'exercice tourne en
boucle, jusqu'au moment
où le juge d'instruction reçoit
le résultat des expertises ADN,
un bol d'air pour la défense
des Kohnu :
On n'a trouvé aucune trace ADN
des frères sur Mika
et aucune trace de Mika non plus
dans leurs affaires ou sur leur bateau.
La défense présente alors une demande
de remise en liberté des deux frères.
Demande acceptée, mais
pour Didime seulement.
Il sort donc de prison après
9 mois de détention.
Antoine, son jeune frère,
reste derrière les barreaux.
>> Le juge d'instruction,
lui c'était...
lui aussi il était persuadé,
il était persuadé que j'étais
toujours le coupable.
Il fallait qu'il justifie la mise en
détention, et il n'avait aucune preuve
ni matérielle ni scientifique
pour prouver ma culpabilité.
>> C'est un dossier qui ne
repose strictement sur rien,
il n'y a aucun élément matériel
à l'encontre des frères Kohnu.
Il n'y a aucun aveu,
il n'y a aucun témoin,
et on est confronté à deux hommes
qui clament leur innocence
et ne comprennent rien
à ce fonctionnement judiciaire qui
ne constate pas leur innocence.
>> Les avocats tentent de
démonter l'instruction du juge
une instruction conduite
à charge, selon eux.
>> On retrouve un cadavre
dans votre jardin,
vous êtes le responsable,
le criminel
et après l'enquête s'est
attachée à juste cadrer,
à faire cadrer un trou dans l'emploi
du temps des frères Kohnu
pour dater l'heure de la mort.
>> On ne connaît pas le jour
de la mort de cette jeune femme,
on ne connaît pas l'heure de
la mort de cette jeune femme.
L'expert légiste est incapable de le
dire, il n'y a pas de témoin,
on sait qu'elle a disparu depuis
quatre jours lorsqu'on la retrouve,
et on vient simplement dire :
« Eh bien puisque les frères Kohnu
n'ont pas d'alibi le 2 mai
entre 16h15 et 17h30,
c'est donc à cette heure-là
qu'elle a été tuée. »
>> Antoine a bien un trou
dans son emploi du temps,
un trou que le juge n'a jamais comblé.
>> Le juge d'instruction ne
leur pose des questions
sur leur emploi du temps
qu'après 18 mois d'instruction.
La première question : « Que
faisiez-vous le 2 mai à telle heure ? »
est posée 18 mois après leur
interpellation, après les faits.
>> Pour des gens qui vivent dans
les champs à longueur de journées,
pour lesquels rien ne ressemble plus
à un autre jour que le jour précédent,
qui n'ont pas de montre,
où la vie est rythmée par le soleil, par
les bus des enfants ou par les avions,
on va leur demander de
manière précise :
« Que faisiez-vous le 2 mai
de 16h15 à 17h30 ? »
>> les avocats de la défense retournent
les arguments de l'accusation.
>> On n'y comprend plus rien, enfin.
A chaque fois il n'y a pas de réponse
parce qu'il n'y a pas de logique.
Si les frères Kohnu étaient
libres de tout geste
sur le rocher de Kanuméra,
puisque personne n'osait y aller,
pour quelle raison ils n'auraient pas
masqué le cadavre ?
Enfin, il y avait ce défaut de logique,
et là il était encore plus mis en exergue.
>> La défense multiplie les demandes
de remise en liberté pour Antoine.
Chaque fois, elle attaque l'instruction
et critique les constatations
scientifiques qu'elle juge incomplètes.
>> On constate par exemple que
la montre de Mika Kusama
est déclarée brisée
et arrêtée à 6h00.
C'est une montre à aiguille : on ne
sait pas si c'est 6h00 du matin ou 18h00,
et il n'y a pas eu de recherches
pourquoi cette montre s'est
arrêtée à cette heure-là,
si c'est par l'effet du feu,
par l'effet d'un choc...
>> Les protocoles en matière de scène de
crime n'auraient pas été respectés.
>> Tous les prélèvements
qui ont été faits,
ils ont été faits postérieurement même
à la découverte du crime.
Les lieux n'ont pas été protégés
lors de la découverte du crime
après le premier passage des
techniciens d'investigation criminelle.
Et quelqu'un vient
dire au technicien :
« J'ai vu des pierres ensanglantées,
je peux vous les montrer,
c'est sûrement l'arme du crime », et on
les retrouve à un troisième ratissage.
>> L'accusation et la partie civile
justifient les faiblesses de l'enquête.
>> En Nouvelle-Calédonie, on a des moyens
qui sont limités en termes d'investigation.
À l'époque il aurait fallu,
sur une affaire comme celle-là,
quatre TIC
(Techniciens d'investigation criminelle)
Il y a en a un, simplement.
>> La scène du crime, là,
c'est une île sur l'eau.
Voilà. Vous avez beau avoir tous les
protocoles du monde,
une scène de crime comme ça,
vous en avez une
dans votre carrière,
et vous en aurez pas deux.
Et là, il aurait fallu,
effectivement, qu'on
prenne un hélicoptère,
qu'on désocle ce rocher, qu'on l'amène à
Nouméa, puis de Nouméa à Paris,
qu'on le retourne, qu'on l'étudie, mais
c'est pas possible, c'est pas possible...
>> Pour le juge, Antoine et Didime
sont bien les meurtriers de Mika Kusama.
Le 16 février 2004,
après 1 an et 9 mois d'instruction,
il les renvoie devant
la cour d'assises de Nouméa.
Maître Jean-Yves Moyart, vous êtes
l'un des avocats des frères Kohnu.
Pourquoi, selon vous, Didime Ambroise
est le seul à être libéré ?
>> La thèse du Parquet, très vite,
s'est heurtée, dans l'accusation,
au fait que Didime Ambroise
avait un commencement d'alibi.
À partir de là, il devenait
une sorte de complice
parce qu'il fallait se
raccrocher à quelque chose
et il fallait l'impliquer d'une
manière ou d'une autre,
et il est devenu une espèce de
sauveur de son frère Antoine
qui aurait fait une énorme
bêtise et qui serait
venu appeler son grand
frère à la rescousse.
C'est très vite présent
dans le dossier
et je crois que c'est ce qui explique qu'on
le libère plus tôt dans la procédure.
On garde le véritable
meurtrier finalement
et puis on libère plus
rapidement son complice.
Je pense que c'est
l'idée dominante.
>> Après deux ans d'instruction, le juge
renvoie les deux frères Kohnu pour meurtre.
>> Oui.
>> Il y a une contradiction,
quand même, non ?
>> Quand on lit les termes
de l'ordonnance de renvoi,
quand on lit les réquisitions,
quand on lit les dépositions,
on a clairement l'impression
qu'on épouse une thèse,
au petit bonheur la chance
(si vous me passez l'expression qui n'a pas
sa place dans une enceinte judiciaire)
et que, de ce fait, on
ne prend pas de risque,
et on renvoie les deux parce que,
si on change d'avis en cours de route,
eh bien on a tout le
monde sous la main.
>> Selon vous, pourquoi
s'est-on donc concentré
si vite sur les
deux frères Kohnu ?
>> Je pense qu'on a voulu
aller très vite,
et c'est le premier ferment,
encore une fois, de l'erreur judiciaire.
On a des coupables idéaux
qui vont très mal s'expliquer,
très mal se défendre,
qu'on interpelle alors que l'un s'enfuit,
et c'est leur rocher :
tout est écrit déjà pour que les choses
se passent mal par la suite.
>> C'est un peu la théorie du complot
évoquée par les frères Kohnu.
Vous y croyez, donc ?
>> C'est une des possibilités. En tout cas,
moi, il y a une interrogation majeure
qui m'est toujours restée,
qui me reste aujourd'hui :
On a la mer à perte de vue.
L'endroit où les frères Kohnu
auraient choisi, encore une fois,
d'abandonner le corps
de Mika Kusama,
c'est en face de chez eux, sur leur rocher,
de façon à ce que n'importe qui,
n'importe qui montant sur ce rocher,
fût-il gendarme ou pas,
découvre le corps avec
la plus grande facilité ?
Il suffisait de l'abandonner
en mer, à dix mètres de là.
On n'arrivait pas à croire qu'eux-mêmes
auraient pu souhaiter que le corps soit là.
>> Le procès est prévu pour
septembre 2005 à Nouméa.
En épluchant le dossier, la défense
fait une découverte sidérante :
des scellés jamais expertisés
et stockés dans deux sacs-poubelle.
Avant le procès, les avocats demandent
au président de la cour d'assises
d'ouvrir ces sacs.
>> Dans l'un de ces sacs-poubelle, on
trouve les objets qui ont été récupérés
par les enquêteurs sur le
rocher, cachés dans un trou,
dans une faille du rocher, camouflés
avec des branches, de la terre;
et, dans le deuxième sac-poubelle,
tout ce qui se trouvait
dans la chambre de la victime
Kusama au gîte Kuberka.
>> Dans le premier sac, un
échantillon de terre
prélevé sous le cadavre de Mika
et deux cigarettes consumées qui se
trouvaient juste à côté.
>> Est-ce qu'elle n'a pas
partagé une cigarette
avec son agresseur ou
son futur agresseur ?
Ensuite, on va également
trouver un appareil photo jetable
qui est intact et donc avec, à l'époque,
une pellicule qui n'a pas été exploitée.
>> Dans le second sac-poubelle,
deux cigarettes de la même marque,
un téléphone portable,
l'agenda dans lequel
Mika notait tout.
>> Les scellés sont intacts. On va décider
avec les avocats des frères Kohnu
et de la famille de la victime,
et le parquet général,
de faire un complément
d'information
et donc de renoncer à l'audience
qui était prévue
pour le mois d'août ou
pour le mois de septembre,
en estimant qu'on ne pouvait
pas juger cette affaire,
qu'elle n'était pas en état.
>> Le procès est ajourné.
Le président de la cour d'assises
reprend lui-même
cette instruction bancale.
>> Le fait de s'être
concentré, un peu comme
on met des œillères à
un cheval, eh ben, voilà,
après, toutes les autres hypothèses,
on ne s'y intéresse même pas,
donc c'est pas la peine de faire
l'analyse des cigarettes,
chercher s'il y a de l'ADN.
De toute façon, voilà,
on sait tout, on a tout
compris dès le départ.
Ah oui, mais c'est pas aussi simple
que ça dans une affaire criminelle.
>> Les avocats de la défense
profitent des failles de l'instruction
pour déposer une 7ème demande
de remise en liberté d'Antoine.
>> Le premier travail c'est d'essayer
de faire remettre en liberté
Antoine Kohnu qui est
en détention depuis 3 ans,
et ça a été un travail qui a été
extrêmement difficile, extrêmement dur,
et d'ailleurs il a fallu
mettre en œuvre une campagne de presse
pour démontrer qu'il n'était pas possible
de maintenir quelqu'un en détention
dans ces conditions-là,
avec ce type de dossier.
Toutes ces investigations
aboutissent à la même chose :
tous les prélèvements, analyses
d'ADN qui ont été faites, démontrent
qu'il n'y a strictement rien qui
mette en cause les deux frères Kohnu.
>> Le clan Kohnu crée un comité de soutien.
La Ligue des droits de l'homme de Nouméa
dénonce le maintien d'Antoine
en détention préventive, 27 mois :
Plus de deux ans sans jugement,
c'est au-delà du délai préconisé
par la Convention européenne
des droits de l'homme.
>> Faut faire savoir
qu'il y a des aberrations
dans cette affaire,
si vous voulez.
Ça a été à la fois le Comité de soutien,
la Ligue des droits de l'homme,
tout le monde en même temps,
a souhaité mettre en évidence
les aberrations de ces enquêtes et le
maintien en détention encore d'Antoine.
>> Le 8 septembre 2005, après
3 ans et 4 mois sous les verrous,
Antoine Kohnu est libéré.
>> Dominique, le président
de la cour d'assises
a donc ouvert les scellés,
il a ordonné leur analyse.
Ça donne quoi ?
>> Les rapports vont revenir, hein.
Alors, l'appareil photo, d'abord,
l'appareil photo retrouvé
dans les scellés.
On va tout simplement
développer la pellicule, et dessus...
>> Ce qui n'avait pas été fait ?
>> Non, ça n'avait
jamais été fait.
On découvre des photos de touriste :
des cocotiers, des plages.
En fait, c'est l'itinéraire qu'emprunte
n'importe quel touriste
qui va venir faire un tour à
l'Île des Pins.
Donc, on montre ces photos
développées aux parents
de la jeune Japonaise qui vont
dire : « c'est bizarre parce que
ça ne ressemble pas au type de
photos qu'elle prend d'habitude ».
>> On a pu identifier les gens
qu'il y a sur les photos ?
>> Il y a un couple de Japonais, ici,
qui n'a aucun rapport avec Mika Kusama.
Donc, on va se dire finalement que,
cet appareil photo,
il a peut-être été glissé par erreur
dans les scellés du dossier Kusama.
Peut-être que ce n'était pas
son appareil photo.
En tout cas, ça n'apporte rien.
>> Les mégots ?
>> Les mégots. Analyse du
laboratoire CODGEN qui dit
qu'on ne retrouve pas l'ADN d'Antoine
Kohnu ni celui de Didime.
L'ADN qu'on trouve
sur ces deux mégots,
c'est celui de la jeune Japonaise.
C'est elle qui a fumé
les deux cigarettes.
>> Il y avait son agenda, aussi.
>> L'agenda. En fait, c'est
un petit journal intime.
Là, on va faire traduire
l'ensemble de l'agenda.
Donc, il y a son emploi du temps
quand elle était au Japon,
dans les semaines qui
ont précédé son départ.
Elle note : paiement des impôts,
tout ce qu'elle dépense, tout est noté.
Et puis elle rencontre
des garçons,
comme une fille de son âge,
comme une fille de 29 ans,
et elle cherche
l'homme de sa vie.
Alors la police nippone va retrouver
ces garçons qu'elle a connus
et on va vérifier leur
emploi du temps :
ils n'ont rien à voir,
ils sont étrangers au meurtre.
Ils n'étaient pas, en tout cas,
à Nouméa à ce moment-là.
>> Et on avait prélevé de
la terre sur les lieux.
>> Ça, ça intéresse les gendarmes.
Pourquoi ?
Parce que dans cette terre,
on retrouve un produit,
un accélérant de feu,
c'est-à-dire un produit du genre
gel pour allumer les barbecues.
Et ça va relancer la piste des militaires,
parce qu'on se dit que dans leur paquetage,
souvent ils ont ces
accélérateurs de feu
pour allumer du feu quand
ils font un bivouac.
Donc, ça relance la piste militaire.
>> La piste des militaires
reprend donc de l'intérêt.
80 militaires se reposaient
au centre de l'IGESA
sur l'Île des Pins au moment
de la disparition de Mika,
et en 2002 cela avait déjà attiré
l'attention du juge d'instruction.
>> L'enquête va être menée a minima
et ce qui va sortir de l'enquête,
ça va être une phrase toute faite :
« Puisqu'ils étaient encadrés
par des officiers, donc il n'y a
pas eu de problème avec les militaires. »
Mais ça n'ira jamais au-delà.
Ils n'ont pas fait parler
d'eux lors de leur séjour.
À ma connaissance, dans
les affaires de Mourmelon,
le gradé n'avait pas fait parler de lui
et par la suite on a appris que,
voilà, il était criminel.
>> Là, le président de la cour d'assises
n'écarte plus cette hypothèse.
>> Un de ces militaires
aurait pu très bien
rencontrer cette jeune
femme et puis voilà...
je ne sais pas, essayer d'avoir
des relations intimes avec elle
et que ça tourne mal...
>> Le président fouille le
pedigree de ces hommes.
Depuis 3 ans, aucun d'eux n'a eu
de problèmes avec la Justice
aucun d'eux n'a été fiché pour une
quelconque agression sexuelle.
>> Moi je m'en suis tenu
là, si vous voulez,
mais c'est vrai qu'on
aurait pu continuer
à faire des investigations pendant un an et
faire entendre tous ces militaires.
C'est une des portes de la
procédure d'instruction
qui a été laissée
ouverte ou entrouverte
et qui n'a pas été totalement, ou
de manière satisfaisante, refermée.
>> L'hypothèse des militaires est écartée,
quand un témoignage anonyme vient offrir
une nouvelle piste aux gendarmes.
Le corbeau dénonce un homme de
Nouméa, un banquier.
>> C'est une personne qui
travaille dans une banque,
qui a pour habitude de se
rendre sur l'Île des Pins.
Elle y va soit en avion soit en bateau,
plus facilement en bateau,
parce que, d'après
ce qu'on nous dit,
il connaît le
commandant de bord,
il peut embarquer sans avoir
à être porté sur le manifeste,
ce qui lui permet de passer
quasiment incognito,
et c'est une personne qui
vient régulièrement
faire du surf, faire du bateau.
>> Et sur l'Île des Pins,
ce banquier a mauvaise réputation.
>> On a des rumeurs sur l'Île des Pins
disant que c'est un garçon
qui a déjà essayé
d'agresser quelques femmes,
qui a un comportement
envers les femmes assez bizarre,
qui va les voir assez facilement,
qui n'hésite pas même à les importuner.
>> Les gendarmes fouillent
la vie du banquier
avec deux obstacles d'importance :
le temps qui a passé
et le métier du suspect :
directeur d'agence bancaire.
>> On ne peut pas travailler
sur les téléphones,
puisque la loi nous impose de
travailler que sur un an en arrière.
Pour ce qui est des comptes
bancaires, comme il est directeur
d'une agence, on ne peut pas se
permettre de faire des réquisitions
sur ses comptes bancaires
pour les exploiter.
>> Les gendarmes craignent que le banquier
ne truque ses relevés de comptes.
Alors, ils travaillent en toute
discrétion sur son entourage,
qui est très clair : après la mort
de Mika, cet homme était étrange.
>> Il a eu un comportement
assez particulier :
qu'il ne voulait plus entendre
parler de Japonaise...
Il disait : « On n'a pas entendu parler
d'un chat qui s'appelait Mika ».
Donc, indiscutablement
c'est intéressant :
il a le profil, il a le comportement,
donc il faut qu'on aille jusqu'au bout.
>> Le banquier est arrêté
et placé en garde à vue.
L'homme se défend : il n'est pour
rien dans cette affaire !
On lui veut du mal, en plein divorce !
Sa femme cherche à récupérer
la garde des enfants par tous mes moyens.
Les gendarmes réquisitionnent et
épluchent ses relevés de carte bleue,
ses chèques, ses retraits bancaires :
Aucune opération n'a été effectuée sur
l'Île des Pins au moment des faits.
3 années ont passé les gendarmes n'ont
aucun témoignage précis à exploiter.
Rien de plus qu'une rumeur et
un homme qui nie.
Après quatre heures de
garde à vue, le banquier est libéré.
Avant de clore son
complément d'information,
le président de la cour d'assises
organise un transport sur les lieux
à la demande de l'avocat
de la famille Kusama.
Un transport que le juge d'instruction
n'avait jamais organisé.
L'occasion pour la défense d'appuyer encore
un peu plus sur les lacunes du dossier.
L'enquête et l'instruction
ont toujours soutenu
que le crime avait été commis
sur le rocher de Kanuméra.
>> Il est incontestable que Mika
a été tuée sur ce rocher.
J'ai moi-même descendu le
corps de Mika,
accompagné d'un camarade
qui est particulièrement bâti
puisqu'il faisait pas loin
de 100 kilos pour 1m90,
et nous avons éprouvé toutes les
difficultés du monde à descendre ce corps.
Alors j'imagine que pour le monter,
c'est encore plus difficile.
Les escaliers qui sont construit au pied de
ce rocher tiennent en équilibre.
Même un individu marchant sur le
dessus doit se tenir, sinon il tombe.
>> Sur place, l'avocat de la défense pointe
encore les incohérences du dossier.
>> Monter un corps du gabarit
d'une jeune Japonaise,
c'est effectivement
tout à fait possible.
Elle pèse je crois une
petite soixantaine de kilos,
donc ça ne posait aucune difficulté
avec un escalier en bon état.
Ça veut dire qu'à l'époque, en 2002,
l'escalier est en parfait état,
c'est-à-dire qu'il est dans l'état
où l'on voit les trois marches
et qu'il allait jusqu'au bas.
Ce qui démontre que, contrairement
à leur argumentation,
il était tout à fait possible de
monter un corps sur le rocher,
et que c'était pas nécessairement
la jeune Japonaise
qui était montée seule sur
le rocher avec quelqu'un.
Une autre incohérence majeure, c'est que
la jeune Japonaise va être trouvée
à cet endroit, avec la tête qui était
positionnée à peu près comme ça.
Or, la veille de la découverte du corps,
on va avoir deux gendarmes
qui vont faire le tour du rocher,
qui vont donc passer par où je passe, et
qui ne vont rien remarquer, ne rien voir.
Il faut savoir que c'est,
d'après le légiste,
un corps qui a déjà au moins deux jours
ou trois jours de décomposition
et voyez, à cette distance-là,
si le corps est là,
il est impossible que les gendarmes
ne l'aient pas vu, ne l'aient pas senti,
même si ce corps était légèrement
recouvert par des branchages.
En plus, il s'agit d'un corps
qui est partiellement brûlé.
>> Je me pose forcément
la question, je me dis :
« attends, je suis monté sur ce rocher.
Pourquoi moi je ne l'ai pas trouvé ? »
Maintenant, je peux l'expliquer
assez facilement.
Dimanche, il y avait eu
de fortes précipitations,
donc tout était humide,
il y avait de l'eau partout,
il avait plu le matin, donc
pas de mouches, pas d'odeur.
>> Pour la défense, si les
gendarmes n'ont pas
trouvé le corps de Mika
lors de leur premier passage,
c'est parce qu'il n'y
était pas, tout simplement.
>> Le légiste vient dire qu'elle a reçu des
projections de pierres, donc très lourdes,
des pierres coralliennes
au niveau du thorax.
Et que, vous voyez la façon
dont le terrain est fait,
c'est-à-dire que si vous avez un
corps qui est allongé sur le dos
et que vous projetez des pierres
coralliennes d'une vingtaine de kilos
sur ce corps, vous allez
avoir nécessairement
le dos déchiré, vous allez
trouver des blessures,
des plaies au niveau du dos.
Or, là, il apparaît des photographies
qu'il n'y a strictement aucune trace
dans le dos de cette jeune femme.
Ce qui veut donc dire
qu'il n'est pas possible
qu'elle ait reçu ces
pierres à cet endroit-là.
Et pour l'accusation,
le corps de Mika Kusama
aurait été mis là et brûlé pour
faire disparaître le corps.
C'est une incohérence absolue,
puisque pour faire brûler un corps,
il faut au moins deux stères de bois.
Or sur cet îlot, il n'y a pas de bois.
Donc cet endroit n'est pas
l'endroit du crime.
Ça, ça change tout puisque toute la théorie
qui était que les frères Kohnu
ou l'un des frères Kohnu, avait
accompagné la jeune Japonaise
pour lui faire visiter le rocher,
que ça se serait mal passé et
qu'il l'aurait tuée à ce moment-là,
A partir du moment où l'on démontre
que le corps n'a pas été tué sur place,
il a pu être tué n'importe où
par n'importe qui,
et importé sur le rocher
pour s'en débarrasser
et accessoirement mettre
en cause les frères Kohnu.
>> L'avocat de la famille de Mika ironise
sur la théorie de la défense : le complot.
>> Des personnes non identifiées
auraient tué une touriste japonaise
pour ensuite aller porter le
corps de cette touriste japonaise
sur le rocher de Kanuméra,
de façon à pouvoir faire accuser
les frères Kohnu de ce meurtre.
Enfin, si on voulait se débarrasser des
frères Kohnu, il suffisait de les tuer eux,
et puis c'était tout aussi simple,
ou en tout cas Didime.
S'ils étaient prêts
à tuer quelqu'un,
autant aller tuer Didime,
et puis c'était terminé.
>> Un complot, pas forcément,
personne ne peut le savoir.
Il a très bien pu
se passer quelque chose
avec la jeune Japonaise qui a été
découverte ou qui a été tuée ailleurs
et qui a été découverte morte et que,
d'une façon ou d'une autre,
il fallait se débarrasser du corps,
et mettre le corps ici et
faire une mise en scène,
c'était aussi éventuellement
l'occasion de pouvoir
se débarrasser du clan Kohnu
qui était particulièrement
enquiquinant.
>> Pour la défense, certaines pistes
n'ont pas été sérieusement fouillées.
Face à un dossier qu'il juge si incomplet,
l'avocat mène sa propre enquête.
>> En venant sur l'Île des Pins
- Nous sommes venus de nombreuses fois -
nous allons simplement rencontrer
des gens qui viennent nous dire :
« Ben voilà, par exemple, on a vu
Antoine, tel jour à telle heure. »
« On s'en souvient parce qu'on
allait reconduire notre fille à l'aéroport,
donc on est sûrs de la date. »
- Et pourquoi vous en
avez jamais parlé ?
- Ben, on ne nous a
jamais posé la question !
>> La défense recueille une
dizaine de témoignages.
Antoine n'a pas pu
croiser Mika Kusama.
Au moment de sa disparition, il était tout
bonnement à l'autre bout de l'île.
>> On leur disait, ben voilà,
ce que vous venez de nous dire,
est-ce que vous seriez d'accord pour
venir le dire devant la cour d'assises ?
Puisque vous nous
le dites à nous...
Nous, on n'est jamais que les avocats mais
par contre il faut le dire devant les juges
si ce que vous dites
correspond à la vérité.
>> À quelques semaines du procès,
les avocats réservent ces témoignages
pour les jurés de la
cour d'assises de Nouméa.
Le complément d'information
du président Mésière se termine.
Il aura duré près de deux ans.
>> Il y a moins de courants d'air
que quand les avocats l'ont récupéré
et que moi je l'ai récupéré,
mais toutes les portes
n'ont pas été fermées.
Donc, c'est du pain béni
pour les avocats,
et pour la Justice, est-ce
qu'on peut juger quelqu'un,
le déclarer coupable
d'un crime horrible,
l'envoyer pendant X années en prison
sur un dossier bancal ?
Voilà, c'est toute la question aussi.
>> 5 ans après le meurtre
de Mika Kusama,
le procès des frères Kohnu s'ouvre
devant la cour d'assises de Nouméa.
Antoine et Didime comparaissent libres.
>> Procès événement
en Nouvelle-Calédonie :
Une centaine de témoins, huit experts,
au moins quinze jours d'audience.
>> Entourés de leurs avocats,
les parents de Mika Kusama
sont arrivés du Japon
pour assister au procès.
Antoine et Didime, quant à eux, peuvent
compter sur de nombreux soutiens.
Et comme toujours, les
accusés sont scrutés.
>> Il y a eu un effort de
présentation indéniable.
Ils sont propres sur eux, bien sûr.
À l'époque, c'étaient
quand même deux voyous,
avec une bonne tête
un peu inquiétante.
Mais là, ils ont fait vraiment un effort,
ils sont bien présentables.
>> La défense arrive, très sereine.
Confiants, confiants.
Ça nous semble tellement énorme
que, nécessairement, cela ne peut
aboutir qu'à une constatation par les jurés
que les frères Kohnu sont innocents
de ce qu'on leur reproche.
>> Ils ont confiance, mais on découvre
qu'il y a deux mondes qui
se confrontent, quoi.
Il y a le monde kanak et la
pensée occidentale, quoi.
>> Très vite, la parole est confisquée.
Alors il faut savoir que,
dans la culture kanake,
la parole, c'est pas
quelque chose de facile,
c'est-à-dire que les gens ne sont
pas habitués à parler en public
et donc, il faut laisser du temps pour
que les choses puissent être dites.
Or, là, on va être confronté à un président
qui va mener le dossier à la hussarde,
qui ne va pas laisser aux gens la
possibilité de s'exprimer,
qui vont être immédiatement
interrompus, donc ils ne vont plus parler.
>> C'est toujours orienté, les questions.
Ils savent déjà, ils nous orientent à dire
ça, ça, ça c'est OK, ils nous conduisent à
dire ce qu'ils veulent bien écouter.
C'est pas dans leur habitude
d'écouter des histoires
de culture, des histoires de...
Voilà quoi.
>> La défense assène ses arguments
à la cour et aux jurés :
le dossier d'instruction n'est
que rumeurs et incohérences.
Il a été mené uniquement à charge.
>> C'est un désastre. C'est-à-dire,
ce n'est pas une vraie enquête :
il fallait impérativement pour des
raisons touristiques ou économiques,
immédiatement identifier des
coupables pour venir dire
qu'il n'y avait plus aucun danger
sur l'Île des Pins,
et puisqu'on avait arrêté
deux hommes,
il n'était pas besoin de chercher
quoi que ce soit.
C'était les coupables idéaux :
ils avaient une mauvaise réputation,
on avait trouvé le cadavre
sur leur rocher :
la messe était dite.
>> L'avocat général et le défenseur de la
famille Kusama le répètent :
il existe un faisceau d'éléments contre
les deux frères. Et ils en profitent.
Face aux jurés, trois experts confirment
le diagnostic du premier psychiatre :
Ambroise et Antoine
sont des psychopathes.
Un psychologue qui a rencontré Antoine
en prison en a été le témoin :
>> Antoine va prendre la
feuille de papier
avec les questions que
lui posait l'expert,
la chiffonner, la jeter
sur l'expert, se lever,
à tel point que l'expert sera obligé
de faire intervenir les gardiens
pour maîtriser Antoine Kohnu
qui ensuite va s'excuser,
demander à repasser le test.
>> La défense interroge à son
tour l'expert psychologue.
>> Il y a un moment où nous
le mettons un petit peu en cause,
et il se met à cogner
sur la barre en disant :
« Mais vous ne comprenez rien,
mais vraiment vous ne comprenez... »
Il commence à piquer une
colère et à taper sur la barre,
et nous disons :
« Mais attendez, Monsieur
vous dites qu'Antoine c'est
quelqu'un qui est psychopathe
parce qu'il ne sait pas
maîtriser ses émotions.
Qu'êtes-vous en train
de nous faire là ? ».
Et à ce moment-là,
éclat de rire de la salle.
Il est sorti sous les rires de la salle.
>> Ils ont mis en place la
défense à trois, là...
C'est une espèce de technique
qu'on pourrait appeler le nid de guêpes.
On se jette sur une personne à trois,
et on l'accable.
Et là, c'est ce qui s'est passé
à plusieurs reprises
avec les gendarmes,
avec le psychologue,
avec le psychiatre, etc.
Ils les assaillaient de questions,
non pas chacun leur tour,
mais en même temps,
en tournant autour du témoin
qui était complètement
déstabilisé à force, quoi.
>> Ah on était au-delà du théâtre, parce
que, à plusieurs reprises, le président
a dû rétablir l'ordre, à plusieurs reprises
le ton est monté.
Oui, ça été pénible, ça a été très pénible.
>> Et moi, j'ai dû intervenir
aussi plusieurs fois
auprès du président
de la cour d'assises,
pour qu'on arrête de harceler les témoins,
qu'on arrête de les traiter comme ça,
et qu'on les... voilà. C'était même... Si
vous voulez, il y a une espèce de distance,
une distance de sécurité si j'ose dire, à
respecter vis-à-vis des témoins.
On ne vient pas se coller à eux
pour leur hurler à l'oreille :
« Vous témoignez devant
une cour d'assises ! »
ce qui était le cas
à chaque fois !
>> Nous étions les seuls
garants de l'accusation.
Pas de preuve...
C'était sur le fondement
de nos investigations
que les gens étaient
devant la cour d'assises.
Donc, nous étions les
hommes à abattre.
>> Je n'ai jamais connu
une ambiance comme ça.
Là, ce qu'il se passait
pendant la journée
avait des répercussions le reste du temps.
Quand le procès était terminé,
moi j'avais droit à des réflexions
de la part de la défense,
qui étaient épouvantables...
« Change de métier », etc.
C'était terrible.
>> D'un point de vue violence
d'audience sur les enjeux,
sur les rapports entre
les professionnels,
c'est le dossier le plus
violent que j'ai connu,
avec une volonté de faire en sorte
que, eh bien finalement,
s'il y a eu 5 ou 6 ans de procédure,
ça ne doit pas être pour rien.
Il faut au moins qu'il en
sorte une condamnation.
>> Après deux semaines de procès,
la tension est à son comble.
C'est ce moment que choisit
la défense pour tenter un coup.
Les avocats font témoigner
la dizaine de personnes
qu'ils avaient rencontrés sur
l'Île des Pins,
des témoins qui viennent donner
à Antoine l'alibi qui lui manquait :
Quand Mika a disparu,
il était à l'autre bout de l'île.
>> L'avocat, c'est pas un détective.
L'enquête, elle est faite par le magistrat,
elle est faite par les policiers
et par les enquêteurs.
C'est pas à l'avocat d'aller sur le terrain
faire ce travail.
La liste de ces témoins,
c'était donc le beau-frère,
la sœur, les employés du frère...
Et toutes ces personnes,
pour justifier le fait
de ne pas avoir parlé avant,
et innocenté Antoine Kohnu,
viennent nous dire :
« J'ai été impressionné,
j'avais peur d'aller
parler aux gendarmes. »
Pendant 5 ans, ils se sont abstenus
de trouver un alibi à leur frère
qui croupissait au Camp-Est
pendant ce temps-là.
Mais qui peut croire
une chose pareille ?
Qui peut croire qu'une sœur ne
va pas aller voir les enquêteurs
dont la porte était
ouverte et qui résidaient
à l'Île des Pins pour
leur dire :
« Mais Antoine, il ne
peut pas avoir faire ça,
puisqu'il était chez moi,
cet après-midi-là. »
Qui peut croire ce genre de chose ?
Ben c'est pourtant ce qu'ils ont
essayé de nous faire croire.
Et je dirais que ça a peut-être
encore alourdi leur dossier,
parce qu'on s'est rendu compte,
effectivement, qu'on était en face
d'une vraie manipulation.
On a vu la presse,
la Ligue des droits de l'homme,
et là on avait le défilé
des faux témoins.
>> Le procès se crispe,
les accusés semblent
avoir pris toute la place.
La violence des débats fait
oublier Mika, la victime.
Après 3 semaines
d'audiences agitées,
l'avocat général requiert
l'acquittement pour Didime.
Selon lui, si Didime est coupable,
ce n'est pas de meurtre,
mais de destruction de preuves.
En revanche, pour Antoine,
l'avocat général requiert 20 ans de prison.
Les jurés sont renvoyés à
leur intime conviction,
l'attente est longue :
plus de sept heures.
>> En Nouvelle-Calédonie,
15 ans de prison pour l'un,
l'acquittement pour l'autre :
après deux semaines et demie
de débats,
le verdict est tombé ce matin dans
le procès des frères Kohnu.
Seul Antoine a été reconnu
coupable du meurtre
de la touriste japonaise sur l'Île
des Pins en 2002.
>> 15 ans pour Antoine, le petit frère.
>> Au final, j'avais dit en
fixant bien le procureur
qui représente le Ministère public,
M. Gilles Brudy,
je l'ai fixé dans les yeux et je lui
ai dit : « Même si l'injustice existe,
la Justice existe. » Je voulais dire :
mais même si vous trichez,
mais un jour la justice va réapparaître.
>> J'étais bien conscient qu'il fallait
qu'il y ait une tête qui tombe, quoi.
Donc, je ne m'attendais pas
au miracle au jugement.
Je vois tous les jeunes
de la famille, les garçons...
Ils sont tous devant la salle
d'audience, là, comme ça.
Et ils pleurent, ils pleurent
quand ils entendent la sentence.
Et je sens que la colère
commence à bouillir,
et puis je me retourne vers eux et puis je
dis : « On va sortir mais on reste calmes,
il faut rester dignes, on reste
dignes, c'est pas fini quand même. »
>> Le Parquet fait appel de
l'acquittement d'Ambroise
qui reste libre. Quant à Antoine
qui fait appel de son côté,
ses avocats parviennent à le
faire libérer 5 mois plus tard,
à la faveur d'une
erreur de procédure.
Les deux frères doivent
donc être rejugés.
>> Nouveau rebondissement
judiciaire dans l'affaire
de la touriste japonaise
assassinée en mai 2002
sur l'île des Pins.
Le meurtrier présumé,
Antoine Kohnu, est sorti
de prison en attendant
son procès en appel.
>> Libres, Antoine et Didime
parcourent le pays
pour expliquer qu'ils sont innocents.
Le Comité de soutien crée un site
internet, un compte Facebook.
Un élan de soutien aux
deux frères se forme,
des intellectuels, des artistes,
rejoignent le mouvement.
>> C'est un plan média
qui a été mis en place.
Ce n'est pas de la médiatisation,
c'est un « plan média » systématique.
On a les médias qui sont
abreuvés par la défense,
abreuvés par la Ligue
des droits de l'homme,
de protestations d'innocence
d'Antoine et de Didime Kohnu
qui deviennent un peu des victimes
du système judiciaire colonial.
Et on est vraiment dans des schémas
complètement manichéens
où on essaye de faire vraiment passer
les frères Kohnu comme des victimes,
ce qui est quand même
assez paradoxal.
>> Le procès en appel des deux frères Kohnu
s'ouvre à Nouméa le 14 avril 2009,
7 ans après la mort de Mika.
Comme lors du premier procès,
Didime et Antoine comparaissent libres.
Mais l'audience débute
sur un tout autre ton.
>> On sent qu'Antoine Kohnu
est plus incisif dans ses réponses
et il répète, à peu près à longueur
d'audiences, qu'il est innocent.
>> Toute l'accusation elle était basée sur
des prétentions, et n'importe quel argument
pouvait servir pour renforcer
le caractère de la culpabilité.
Mais ce ne sont que des prétentions,
et la prétention n'a jamais
façonné ni la Justice,
ni rien du tout qui concerne la vérité.
>> Antoine attaque la rumeur
qui circule sur son frère et lui.
Didime, leader illuminé
de la bande du rocher ?
Faux : Il avait simplement
créé un village d'artistes
avec des jeunes de l'île.
>> L'idée du village d'artistes,
c'était dans l'intention
de promouvoir et surtout
de protéger la culture kanake.
Il n'y a rien d'autre qui nous
intéresse que la culture kanake
qui est la culture de notre
civilisation d'origine.
>> Mais ce projet était
mal vu du grand chef de l'île,
il l'a interdit. Et il a contesté
l'autorité de Didime sur le rocher,
ce qui a créé des tensions
entre les deux hommes,
et c'est de là que Didime
tiendrait sa mauvaise réputation.
À l'enquêteur de personnalité,
il a affirmé qu'au moment des faits,
il n'était pas le gourou débauché
que la rumeur avait assuré.
>> Ce sont ses expressions :
« Après, j'ai une vie, disons... dégradante,
c'est-à-dire : abus d'alcool,
abus d'argent, abus de femmes. »
Et il a déclaré : « C'est fini : l'argent,
l'alcool et les femmes, c'est terminé,
ça ne mène à rien, c'est un mauvais exemple
pour mes enfants,
j'abandonne tout ça, je fais un ermitage,
une espèce de retraite. »
Il avait donc au moment des faits, selon
lui, il s'était racheté une conduite.
>> Antoine explique qu'il a suivi
le même chemin que son aîné.
Alors, céder à une pulsion sexuelle, comme
l'affirme l'accusation, c'est impossible.
Ses ex-petites amies défilent
à la barre,
dont Estelle, qui l'a
connu à cette période.
>> C'était absolument
inconcevable pour moi.
Je ne pouvais pas imaginer
une seule seconde
que ce soit l'assassin
de cette jeune femme.
C'était pas envisageable
du tout, ça collait pas.
Ça collait pas. C'est quelqu'un
qui avait l'habitude,
depuis très jeune, de rencontrer
des tas de femmes de l'extérieur.
Il est vrai que c'était un charmeur,
il avait absolument pas besoin
de violer qui que ce soit,
il obtenait facilement
ce qu'il voulait des femmes.
C'était quelqu'un qui
avait beaucoup de charme.
>> Maître Moyart, une des
ex-petites amies d'Antoine
dit qu'il avait beaucoup de charme
et qu'il avait absolument pas besoin
de violence ou quoi que ce soit
pour persuader les filles
d'une aventure.
Et si, ce jour-là,
ça n'avait pas marché avec Mika ?
>> C'est une possibilité, mais le viol
n'a jamais été établi, jamais.
On ne sait pas ce qui
s'est passé et même...
>> Mais il y avait quand même cette
histoire de viol, dans son passé ?
Ce fait de viol qui est d'ailleurs l'unique
de son casier judiciaire
puisqu'on avait supposé qu'il y avait
des faits de violence, etc...
Il n'y a rien à part
cette histoire de viol.
Ce viol aurait été commis
alors qu'Antoine avait 16 ans
et la jeune fille 14 ans.
Antoine a toujours expliqué
ce que dira sa pseudo-victime
qui va venir le dire à la barre,
qui va expliquer deux choses :
d'abord qu'Antoine est
un excellent père qui
s'occupe bien du fils qu'ils
ont eu ensemble. Et ensuite...
>> Le fruit de ce viol ?
>> Absolument, ce viol
avec mille guillemets.
Et ensuite, et surtout que, à l'époque
cette jeune fille est tombée enceinte,
à l'époque ils étaient
mineurs tous les deux,
et à l'époque, la tradition peut-être
faisait que, soit ils s'épousaient,
soit la famille déposait
plainte à son encontre,
et que c'est la seule chose qui a motivé
en réalité les poursuites de l'époque,
ce qui explique sûrement que
la peine ait été très modérée
pour l'époque et pour ce
genre de fait puisque,
de mémoire, c'était 1 ou
2 ans d'emprisonnement, je crois.
>> Alors, quels éléments vous faites
ressortir pendant ce deuxième procès ?
>> On n'a pas voulu faire
le procès des gendarmes,
on a voulu faire le procès
de ce qui avait été fait,
ou de ce qui avait pu être fait
ou qui n'avait pas été fait.
On découvre à l'audience qu'un
tee-shirt qui avait beaucoup
fait parler de lui - je ne vais
pas rentrer dans les détails -
mais avait été ajouté postérieurement
à la fouille
dans un sac de scellés resté ouvert.
Je me souviens d'avoir
dit aux gendarmes :
« Mais si j'avais voulu
ajouter un Colt 45
dans ce sac, j'aurais pu
le faire en toute impunité ? »
Il l'a confirmé !
Et puis, il y a cette question qui
a été posée au médecin légiste :
« Est-il possible
que le sang ait ruisselé ? »
« Est-il possible que la chaleur
l'ait fait s'évaporer ? »
On a eu ces questions-là !
Et évidemment, l'expert
d'écarter ça en disant :
« Mais, c'est une marre de sang
qu'on aurait dû retrouver ».
Ce sont ses mots.
>> Cela ne veut pas dire qu'elle n'a
pas été tuée sur le rocher ?
Non, mais pas à cet endroit-là. Ça veut
donc dire qu'on l'a transportée,
ça veut donc dire que
plus rien n'est établi.
>> Épilogue du procès Kohnu avec
les plaidoiries des avocats.
Chaque camp vient défendre sa
conception du doute.
>> Même si on avait
effectivement le doute
qui doit profiter à l'accusé,
pas de preuve directe, etc. etc,
J'ai démontré que c'était Antoine
qui avait tué Mika Kusama.
Et condamner un innocent,
c'est épouvantable.
Libérer un assassin,
innocenter un assassin,
lui permettre de s'en sortir en ayant
commis un acte aussi épouvantable,
c'est quand même pas très
loin derrière en terme d'horreur.
Donc, pour éviter ça, les jurés
avaient un moyen très simple,
ça s'appelle l'intime conviction.
>> Nous, en tant qu'avocats,
on n'était pas en train de plaider
un doute dans un dossier.
On en arrivait à une gageure
absolue,
c'est-à-dire que nous, on démontrait
l'impossibilité que ce soient eux.
C'est-à-dire, on plaidait pour
simplement dire :
« Mais regardez, l'innocence est
évidente, sortez ces hommes de là. »
>> 20 ans de réclusion criminelle
requis contre Antoine Kohnu,
l'acquittement pour Ambroise,
l'avocat général a requis
les mêmes peines qu'en première
instance en décembre 2007.
>> La cour se retire... une heure et demie.
>> Il est 16h. Non pour
Ambroise, non pour Antoine :
les douze jurés, les trois
magistrats se sont prononcés.
Les frères Kohnu sont acquittés
du meurtre de Mika Kusama.
>> On pleure.
C'est huit ans d'enfer
pour eux qui s'arrêtent,
et c'est simplement à ce moment-là que
la Justice représente quelque chose.
>> Ils ont tous les deux été acquittés. Là,
c'est un cri de guerre que je lance.
Parce que je suis fier.
Mais c'est le combat
de David contre Goliath.
On a terrassé Goliath ce jour-là.
Et moi, je suis fier parce que
mes frères étaient libres.
On peut rentrer au pays.
>> Ça veut dire aussi que,
dans un dossier comme celui-là,
il y a une jeune femme,
Mika Kusama, qui est morte
sur ce rocher paradisiaque
de l'Île des Pins,
et dont le ou les assassins
n'ont pas été arrêtés.
>> Le clan Kohnu est à nouveau au
complet sur l'Île des Pins.
Le juge d'instruction, lui,
a été muté en métropole,
et les parents de Mika Kusama ne savent
toujours pas qui a tué leur fille.