Donc, ma présentation s'intitule « Libre arbitre et neurosciences ». Je vais commencer en bonne philosophe par vous définir les termes, comme si j'allais faire une dissertation, mais ça ne sera pas le cas, rassurez-vous. Le libre arbitre, c'est la capacité à choisir librement, la capacité qu'on a de déterminer notre propre volonté. Et c'est une notion qui a été initiée par Saint Augustin au IVe siècle après Jésus-Christ. Et à l'origine, c'était pour justifier l’existence du mal. C'est-à-dire que, pour Saint Augustin, Dieu ne peut vouloir le mal, or, le mal existe, c'est un fait, donc, c'est l'homme qui doit être responsable du mal et donc, l'homme doit être libre de ses actions, de ses choix. Il se trouve qu'aujourd'hui les avancées des neurosciences - donc, les neurosciences, ce sont toutes ces sciences qui étudient le cerveau, le système nerveux et qui regroupent à la fois, l'anatomie, la physiologie, mais aussi la psychologie, l'informatique et les mathématiques. Donc toutes ces différentes disciplines se sont regroupées dans les années 60 - 70 et ont mis en commun leurs données et leurs méthodologies pour étudier le cerveau. Il se trouve que ces neurosciences nous disent aujourd'hui que nous n'avons pas de libre arbitre. Alors, je voudrais en quelques minutes, vous exposer si ces données sont vraiment alarmantes et qu'effectivement, nous n'avons aucune capacité à choisir librement, ou s'il reste un petit peu d'espoir et que peut-être, nous avons cette capacité, et dans quelle mesure nous avons cette capacité ? Vous pouvez me répondre : « Oui, mais ce n'est pas nouveau, les sciences depuis déjà le XVIIIème siècle, nous disent que dans l'univers, tout est déterminé et qu'à partir du moment où je sais ce qui se passe à un instant T, je peux prédire ce qui va se passer demain, ou je peux inférer ce qui s'est passé dans le passé. » C'était notamment l'idée de Laplace au début du XIXème siècle, qui formule cette idée, en disant qu'une intelligence suprême, une intelligence omnisciente, qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs, cette intelligence était assez vaste pour soumettre toutes ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux. Donc ça, c'est l'idée qui a lancé la physique classique, qui est encore présente aujourd'hui, puisque les scientifiques essayent de dégager des régularités, des lois de fonctionnement de la nature. Or, l'homme est situé dans la nature. Est-ce que l'homme répond également à ses régularités, à ses lois, ou est-ce qu'on se situe en dehors de cet univers ? Si on adopte une position matérialiste qui est la plus commune d'aujourd'hui, l'homme est situé dans la nature et son comportement, ses choix, ses actions devraient s'expliquer en termes déterministes. Mais les neurosciences ajoutent quand même quelques données à cette position fondamentale, puisque des expériences faites par Benjamin Libet dans les années 80 ont montré qu'un potentiel électrique s'active dans notre cerveau, quelques centaines de millisecondes avant qu'on prenne conscience de notre décision d'agir. Alors, comment il a montré ça ? Il a demandé à des participants qui étaient équipés avec un électroencéphalogramme autour du crâne, un électromyogramme qui enregistrait l'activité musculaire au niveau de la main. Donc, déjà, ça aide à se sentir très libre, n'est-ce pas ? Il leur a demandé de fixer ce cadran et de laisser advenir une envie spontanée de lever l'index. Tout simplement. Donc, pour lui, c'était ce qui représente par excellence notre libre arbitre. Bon, ça peut se discuter. Mais pendant que le sujet fixait ce cadran et laissait advenir cette envie de fléchir l'index, sans déterminer à l'avance le moment auquel il allait fléchir l'index mais néanmoins en rapportant l'endroit où le point lumineux était autour du cadran au moment où il prenait cette décision - donc tout ça, c'était un peu compliqué - mais en tout cas, ils ont demandé au sujet de rapporter le moment où ils prennent leur décision et, en même temps, ils enregistraient leur activité cérébrale, et ils ont montré -- Benjamin Libet et son équipe -- qu'un potentiel électrique s'active dans le cerveau 500 millisecondes avant l'action, mais 300 millisecondes avant que le sujet ne décide consciemment de lever l'index. Ce qui semble montrer que notre cerveau, d'une certaine façon, initie, déclenche l'action, avant même que nous n'ayons conscience de vouloir fléchir l'index. Donc, effectivement, ça remet en question l'idée qui est présente dans la notion de libre arbitre, selon laquelle nous sommes la source ultime de nos actes, de nos choix, Il n'y a pas de source ultime, puisque tout est prédéterminé par des événements inconscients, cérébraux qui sont complètement hors de notre conscience. Peut-être, on peut passer à l'image suivante. Oui. Ou celle-ci d'ailleurs. Ça, c'était simplement le déroulé temporel. Donc là, vous avez le potentiel électrique dans le cerveau - inconscient donc - là, la décision consciente, et ici l'acte moteur. Donc, c'est dans cet ordre-là que ça se déroule. J'ai essayé moi dans mon livre intitulé « Un nouveau libre arbitre », d'inclure ces données, de les prendre en compte et de voir si ces expériences pouvaient néanmoins laisser la place à une certaine capacité de libre arbitre. Et la redéfinition que je propose s'articule en deux parties. D'une part, il a été montré que certains processus inconscients peuvent néanmoins faire l'objet d'une prise de conscience. Donc, je vais repartir au départ : il y a des expériences très célèbres en psychologie qui ont montré que quand on effectue un choix, une décision, la plupart du temps, on n'a pas conscience des causes qui déterminent notre choix. Par exemple, une équipe suédoise a montré que quand on demande à un participant de choisir entre deux visages lequel il préfère, et que par un tour de magie, on lui représente la photo qu'il n'a pas choisie mais qu'on lui demande « Pourquoi tu as choisi cette photo ? » - c'est très mesquin - mais la personne effectivement effectivement va rationaliser ce choix qu'elle n'a pas fait. Donc, elle va dire : « La personne avait un plus joli sourire, » etc. Cependant, ce protocole a été reproduit avec une méthode d’entretien qui amène le participant à rediriger son attention sur les processus cognitifs qui l'ont mené à effectuer ce choix. C'est-à-dire qu'en fait, quand on demande pourquoi on a choisi ce visage, la plupart du temps, on va automatiquement aller aux raisons les plus probables. On ne va pas prendre le temps de se remettre dans la position du moment où on a choisi cette image et qu'est-ce qui a guidé notre choix exactement, concrètement, qu'est-ce qu'on a vu et senti, qu'a-t-on émotionnellement ressenti par rapport à ce visage, par exemple ? Et en l’occurrence, cette technique d'entretien permet d'inverser les données de l'équipe suédoise. C'est-à-dire que quand les participants sont guidés de cette façon, ils détectent la manipulation dans 80 % des cas. Alors que là, ils étaient manipulés et ne s'en rendaient pas compte et rationalisaient un choix qu'ils n'avaient pas fait dans 80 % des cas. Donc, tout ça pour dire qu'il est possible d’étendre notre conscience. Des processus inconscients peuvent devenir conscients, moyennant une redirection de l'attention. Et c'est une partie de la définition que je veux amener aujourd'hui, c'est-à-dire que le libre arbitre ne serait pas une capacité d'être la source ultime de nos actes - il y a bien sûr des tas de choses qui nous déterminent - mais on peut dans une certaine mesure développer cette capacité, donc c'est un apprentissage, ce n'est pas quelque chose qu'on peut présupposer d'office, moyennant un entraînement de nos capacités attentionnelles. Et la deuxième partie de ma redéfinition - là, on peut peut-être passer à l'image suivante - il y a également des expériences en neurosciences qui ont été menées sur l'effet Stroop. L'effet Stroop, c'est un effet très connu en psychologie, c'est l'effet qui fait qu'ici, si je vous demande la couleur de l'encre de ce mot, c'est plus facile et plus rapide pour vous de répondre que si je vous demande la couleur de l'encre de ce mot-là. Plus encore si vous êtes anglophone, puisque là les mots sont en anglais. Tout simplement parce qu'en haut, la couleur de l'encre correspond à la signification du mot, alors qu'en bas, la couleur de l'encre ne correspond pas à la signification du mot. Cet effet, c'est un effet très automatique, c'est quelque chose qu'on ne peut pas contrôler. Mais un chercheur à l'université McGill de Montréal qui s'appelle Amir Raz, a montré qu'en réalité, cet effet pouvait être désautomatisé. Donc un effet très automatique, tel que celui-ci, peut être désautomatisé avec une suggestion hypnotique d’interpréter cette chaîne de lettres comme une chaîne sans signification. Donc, si on met un participant à une étude sous hypnose, qu'on lui dit que cette chaîne de lettres n'a aucune signification, l'effet automatique va être désautomatisé et réduit. Ça veut dire que même des processus inconscients, très automatisés, peuvent être modifiés. Et ça montre que des comportements que nous avons au quotidien qui sont très automatiques - et parfois c'est très utile : en voiture, mieux vaut ne pas se poser de questions sur ce qu'il faut faire au niveau des pédales, de la boîte de vitesses, etc., à un moment, ça devient très automatique et tant mieux -- d'autres comportements, parfois, on aimerait bien s'en passer, par exemple, fumer 30 cigarettes par jour ou avaler une boîte de gâteaux quand on en a envie parce qu'on ne peut pas se retenir, par exemple, toutes sortes de compulsions de ce genre, ça montre en fait que ces comportements qui ont été automatisés avec le temps peuvent être désautomatisés et nous faire retrouver une forme de flexibilité et élargir le répertoire d'actions disponibles. Voilà. Donc en gros, l'idée, c'est que les neurosciences nous ont montré au départ que le libre arbitre pouvait être compromis, car effectivement, on a des précurseurs inconscients de nos décisions sur lesquels on n'a pas forcément de contrôle ; on semble être déterminé par ces précurseurs inconscients. Mais, la clé se trouverait dans les neurosciences elles-mêmes que l'attention constitue une capacité essentielle qui module ce qui va entrer dans le champ de la conscience, ou non. Et donc, je voulais simplement vous montrer que le libre arbitre existe encore, mais qu'il est peut-être un peu plus difficile d’accès, que ça nécessite un entrainement de nos capacités attentionnelles sur le long terme. Et je vous remercie de votre attention. (Applaudissements)