On m'a toujours dit que faire de longues études permettait d'assurer son avenir, d'avoir un métier et d'exister dans la société. Alors moi, petite, je me suis dit que j'avais vraiment tout intérêt à bien travailler à l'école. Et c'est ce que j'ai fait. J'étais comme on dirait une bonne élève. Au collège, j'ai obtenu mon brevet avant même de passer l'examen. Au lycée, il y a le baccalauréat. Et tout le monde le sait, le bac, c'est sacré. C'est le diplôme tant redouté par les élèves mais aussi, et surtout, les parents. Dans toutes les familles réunionnaises, on peut entendre : « Pourvu que nos enfants gagnent le bac ! » La preuve : le nombre de prières à Saint Expédit en cette période. Impressionnant ! Pour ma part, je me suis orientée vers la filière scientifique, le bac S. Puisque les maths, la physique et la chimie étaient mes matières préférées. A force de révisions, et peut-être aidée par Saint Expédit, j'ai obtenu ce baccalauréat avec mention bien. Mais par la suite, je ne savais pas quoi faire. Je me suis dit : « Je n'ai qu'à poursuivre, faire de longues études, j'aurais plus facilement un travail par la suite. » C'est ce que j'ai fait. Direction l'Université de la Réunion pour trois années de licence en chimie. Au cours de ces trois années universitaires, je me suis rendu compte que la chimie était devenue pour moi une évidence. C'était dans ce domaine que je voulais persévérer. Ces trois années, je les ai obtenues du premier coup, sans passer par les rattrapages, mais par la suite, je ne savais pas quoi faire en termes de métier. J'ai demandé donc conseil à un ami enseignant qui m'a dit : « Sophie, ne te cloisonne pas à ce qu'il y a à la Réunion. Pars, va voir ce qu'il se fait ailleurs. Et tu verras, tu reviendras avec une expérience très enrichissante. » Et c'est ce que j'ai fait et il avait raison. Alors bien sûr, ça n'a pas été facile. Moi, Sophie Técher, petite Réunionnaise, quitter ma famille, mes amis, la langue créole, la cuisine, le climat, tout ça pour l'inconnu, cela donnait à réfléchir. Mais je l'ai fait. Je l'ai fait, toujours soutenue par mes parents. Alors mes parents sont des personnes qui ne m'ont jamais contrainte ou forcée à faire de longues études. Mais ils m'ont toujours soutenue dans les choix que je faisais. Direction donc le plus au sud de la France, Montpellier, pour deux années de master en cosmétologie. Là-bas, j'ai appris beaucoup de choses. La première : composter un billet de train. Ça, je ne savais pas faire. J'ai aussi appris à acquérir plus sérieusement une plus grande autonomie, une plus grande confiance en moi et une plus grande ouverture d'esprit. Je me suis rendu compte aussi en métropole, de la richesse que pouvait représenter la Réunion, et notamment les plantes réunionnaises dans des domaines de valorisation comme la cosmétique. Master en poche, je suis donc retournée sur l'ile de la Réunion, en sachant enfin ce que je voulais faire. Mettre à profit mes compétences dans un domaine qui me plaisait : la chimie, oui, mais la chimie des plantes à la recherche de principes actifs. Il faut savoir qu'à la Réunion, beaucoup de personne utilisent les plantes pour se soigner. Et je trouvais ça intéressant d'identifier les composés responsables de ces activités thérapeutiques. Me voilà donc accueillie de nouveau à l'Université de la Réunion pour cette fois-ci, trois années de doctorat. pour ceux qui ne connaissent pas le doctorat, il s'agit en réalité de trois années de recherche sur un sujet précis. Pendant ces trois années, on s'enferme dans une bulle, on est coupé du monde. On lit des publications en anglais et on expérimente. Le plus souvent, cela ne fonctionne pas. Du coup, on s'énerve, on crise, on déprime, on pleure. Et puis un jour, eurêka, on fait la découverte. Et là, c'est tout le processus inverse qui se met en place. On explose de joie, on rit bêtement, on repleure mais de joie cette fois. Je me souviens de ma première molécule isolée. Alors j'étais accueillie dans un grand laboratoire de substances naturelles sur Paris. Et eux bien sûr, ils ont l'habitude d'isoler des molécules. Les moyens ne sont pas les mêmes qu'à la Réunion. Toujours est-il que moi, je m'émerveillais devant leurs appareils et eux, ils étaient tous amusés de me voir heureuse, mais heureuse à ma première molécule. Donc vous l'aurez compris, le doctorat, c'est un concentré d'émotions différentes qui vous traversent, vous et votre famille pendant trois ans. Le plus souvent, les proches ne comprennent pas. « Mais c'est quoi un doctorat ? Tu ne sors plus, on ne te voit plus. » Et je dirais que le plus difficile, c'est la fin d'une thèse. Et je sais que beaucoup se reconnaitront dans ce que je vais dire. Il me reste quelques semaines pour rédiger un manuscrit qui doit résumer les trois années de recherche. Là, je ne dors plus, je ne mange plus, je ne sors plus, je ne vois plus mes parents, je suis dans une bulle. Jusqu'à la soutenance finale devant des experts du domaine. Là, c'est le plus grand stress de toute ma vie. Mais paradoxalement, le plus beau jour également. Moi, Sophie Técher, j'obtiens le plus haut diplôme d'État. Je ne vous dis pas la fierté des parents à ce moment-là. Et c'est à partir de ce moment précis que les gens commencent à nous poser la question : « Et maintenant, que vas-tu faire ? Est-ce que tu as des projets pour la suite ? » Et même si on nous demande d'y réfléchir pendant notre doctorat, c'est vraiment à ce moment précis que l'on se pose cette question. Eh oui, c'est vrai, et maintenant ? Moi j'ai fait de longues études donc logiquement, à moi le monde du travail et la réussite. Pour beaucoup d'entre nous, c'est la douche froide. Personnellement, je pensais que toutes les portes allaient s'ouvrir. Il y en a une qui s'est ouverte : le Pôle Emploi. (Rires) (Applaudissements) Merci. Et quand j'y suis allée, ils m'ont dit : « Eh bien, écoutez mademoiselle, nous sommes désolés, mais vous ne rentrez pas dans les cases, donc on ne va pas pouvoir vous aider. Donc il va falloir user de vos relations et faire du lobbying. » Là débute ce que l'on appelle la déprime post-doctorale, en anglais « The PhD blues ». Avant, je ne dormais que quatre à six heures par nuit. Je ne voyais pas mes journées passer. Et brutalement, j'ai du temps. Trop de temps, le rythme s'est ralenti. Bien sûr, au début on apprécie, ce sont les vacances. Mais au bout de quelques semaines, cela devient tout simplement insupportable. Combien de mes amis ont dû se réorienter ou enchainer des CDD dans les quatre coins de la France. Au début, quand on fait de longues études, beaucoup d'entre nous sont dans l'incompréhension, voire la déception. Déçus de voir qu'après tout ça, après tous ces efforts, après tous ces sacrifices, trouver du travail n'est pas chose facile. Mais où est cette place dans la société que l'on nous avait promise ? Moi, j'ai fait le choix de rester. Alors oui, ça n'a pas été facile. La recherche dépend de financements et des financements il y en a de moins en moins. Mais je ne voulais pas me réorienter ou même quitter la Réunion. Puisque ce que je voulais faire, c'était améliorer les connaissances sur les plantes locales, les plantes de la Réunion. Le thème de cette année de TEDx est « Île et possibles ». Et oui, je vous le confirme, il est possible. Il est possible de trouver du travail quand on fait de longues études - heureusement d'ailleurs - mais aussi, il est surtout possible de trouver du travail dans son domaine et dans sa région. Je me suis rendu compte que c'est la passion de ce que nous faisons qui fait la différence. Je me souviens, au début de mon doctorat, par curiosité, j'ai adhéré à une association de plantes. Avec eux, j'ai fait des sorties sur le terrain pour reconnaitre les plantes, les plantes protégées, les plantes médicinales, les plantes d'intérêt. Ils avaient toujours une anecdote à me raconter sur ces plantes. Je buvais donc les paroles de ces personnes passionnées et passionnantes et j'avoue avoir été beaucoup émue et touchée de les voir présents à ma soutenance de thèse. Aujourd'hui, grâce à ce réseau de passionnés, je suis actuellement en post-doc au sein d'une autre association à but non lucratif. Bien sûr, ce n'est pas simple. Nous bénéficions d'une aide de l'État et il ne s'agit pas d'un financement à 100 %. Mais, ils ont fait le choix de croire en moi et qui veut, peut. Comme le disait Honoré de Balzac : « Les gens qui croient fortement en une chose, sont presque toujours toujours servis par le hasard. » Trois réflexions se posent à nous aujourd'hui. La première s'adresse aux parents. Qu'allez-vous dire à vos enfants pour qu'ils s'épanouissent dans leur vie ? Personnellement, je ferai comme mes parents l'ont fait pour moi. Je lui dirai : « Fais ce qu'il te plait. » Études longues, études courtes. Car c'est en faisant ce qui nous plaît, en étant passionné et motivé, que l'on atteint ses objectifs et que l'on s'épanouit. La deuxième réflexion s'adresse à mes amis doctorants. Rassurez-vous, vous n'avez pas fait toutes ces études pour rien. Les chiffres sont là pour le rappeler, faire de longues études permet en effet de trouver plus facilement du travail. Mais attention, il faut le savoir, le diplôme seul ne suffit pas. C'est à vous de jouer. Vous devez montrer vos capacités, votre enthousiasme, votre engouement. Vous devez vous engager dans la cité, partir si vous le pouvez. Car plus vous oserez les rencontres, plus vous favoriserez le sort. Enfin, la dernière réflexion s'adresse aux entrepreneurs et aux politiques. Vous avez devant vous une jeunesse pleine d'enthousiasme, pleine d'espoir et pleine de compétence, ne la laissez pas partir. Et quand ils ont des projets comme les miens, financez-les. (Applaudissements) Merci. Merci. Je terminerai par une phrase que j'aime beaucoup : « Vous devez chacun d'entre vous, semer des graines tout au long de votre parcours, pour voir un jour, un jour, éclore votre vie. » (Applaudissements) Merci.