J'ai un ami qui s'appelle Baudouin.
Et Baudouin, il a
la conviction que je suis fou.
Il pense que je suis fou,
parce que je passe mes journées
dans un laboratoire à étudier des gènes.
La génétique.
Baudouin ne comprend pas qu'on puisse
passer ses journées à étudier des gènes.
Si vous allez au café du commerce,
et que vous demandez
ce que les gens pensent de la science,
et des scientifiques,
qu'allez-vous récolter comme image ?
Des choses que l'on trouve
dans les bandes dessinées,
Tournesol,
dans les films,
le docteur Folamour.
On va avoir affaire à des génies fous,
des gens incompréhensibles,
des gens à mauvais dessein.
Tout ça, ce n'est pas vrai.
J'ai la conviction que la science
et les scientifiques sont mythifiés.
La science est mythifiée parce qu'elle
est fondamentalement méconnue.
Elle est méconnue
parce que, dans son langage,
dans les concepts qu'elle utilise,
souvent elle nous paraît incompréhensible.
En tout cas, on a l'impression
qu'elle nous échappe.
Qu'est-ce que c'est qu'un gène ?
Qu'est-ce que c'est qu'un boson ?
Qu'est-ce que sont
les interactions entre les particules ?
Et de cette méconnaissance,
va résulter ensuite une certaine méfiance.
Parce qu'on n'aime pas que les choses
nous échappent, on s'en méfie.
Cette méfiance va également être alimentée
par les développements technologiques
que la science va amener.
Et ces développements technologiques,
on ne sait jamais s'ils sont bons
pour nous, l'humanité,
ou s'ils servent certains intérêts privés,
des grands groupes financiers.
Méfiance aussi parce
qu'on a parfois l'impression
que la science ne remplit pas
ses promesses.
Mais quelles promesses ?
Quelles promesses fait la science ?
De manière bizarre, à la fois
on méconnaît la science,
et en même temps on a l'impression
qu'elle est super puissante,
qu'on va guérir toutes les maladies.
Mais ça aussi, c'est une fausse idée.
Parce que la science
qui aborde la réalité,
eh bien, la réalité est incommensurable.
Le travail de la science
n'est jamais fini.
La vérité scientifique
n'est jamais ultime.
Bref, aujourd'hui,
ce que je vais faire avec vous,
c'est essayer de démythifier la science.
Je vais essayer de briser
certaines idées reçues,
vous montrer ce que
c'est qu'un scientifique,
c'est quoi le travail du scientifique,
et j'aimerais partager avec vous
la vision que j'ai,
que la science est
un bienfait pour l'humanité.
Alors, le chercheur,
c'est d'abord un découvreur.
Vous connaissez tous cet adage,
qu'on aime ou qu'on n'aime pas,
selon lequel :
« Des chercheurs qui cherchent,
on en trouve,
et des chercheurs qui trouvent,
on en cherche. »
Ça vous amuse peut-être,
moi, pas tellement.
Pas tellement, parce qu'en fait,
et ça, je pense que
très souvent on l'ignore,
tous les chercheurs découvrent.
Bien évidemment, pas des choses
que l'on va entendre à la télé,
à la radio, trop souvent,
plein de petites choses.
Et je vais prendre un exemple.
J'ai lu il n'y a pas très longtemps
que le gène Hoxb1 contrôle
la différenciation
et la prolifération cellulaire
au niveau des progéniteurs
du second champ cardiaque,
au sein du mésoderme pharyngien,
et que ce gène est
en interaction avec le gène Hoxa1.
Waouh !
Super.
Je tombe exactement
dans le travers que je dénonçais.
Qu'est-ce que c'est cette histoire ?
Ça a l'air abscons,
mais ça ne l'est pas du tout.
Ce sont des petites
découvertes de ce genre-là,
qui s'accumulent les unes aux autres,
que l'on réalise
dans tous nos laboratoires.
Et qui finalement permettent,
à un moment donné,
de comprendre les choses.
C'est en faisant ce genre de recherches
que l'on comprend comment
des molécules interagissent entre elles,
comment elles interagissent
au sein de cellules,
comment ces cellules se mettent ensemble
pour, au cours du développement
de l'embryon, former un cœur,
un cœur qui marche.
Ça permet aussi de comprendre
comment parfois ça ne marche pas.
Comment des maladies
cardio-vasculaires apparaissent, etc.
Mais chacune de ces petites découvertes
qui ont l'air absconses,
chacune correspond à un pas
vers le monde de l'inconnu.
Chacun des chercheurs, au quotidien,
transgresse la frontière qui sépare
le monde connu du monde inconnu.
Le chercheur qui se trouve
devant cette découverte,
est le premier à mettre ses pieds là.
Il est le premier à porter
le regard sur cette chose.
Les chercheurs de mon laboratoire
font tous les jours des découvertes.
Ils voient des choses
que personne n'avait vues avant.
Transgresser les frontières de l'inconnu,
c'est un des premiers objectifs
de la science.
Si je prends l'accumulation
de ces recherches,
elles vont amener à revoir le monde,
à redéfinir, à représenter
différemment le monde.
La science est avant tout
une œuvre de représentation du monde.
Je vais prendre un deuxième exemple,
emprunté cette fois à la cosmologie.
Vous connaissez très certainement
la célébrissime équation d'Einstein :
E = mc², qui explicite
que la masse, c'est de l'énergie.
Vous connaissez peut-être aussi
l'équation de champ d'Einstein -
là, je m'aventure sur une terre
inconnue pour ma part -
qui va témoigner, de fait,
que la masse déforme l'espace-temps.
En partant de ces mathématiques,
qui représentent le monde,
je peux représenter des choses
virtuellement invisibles,
comme des trous noirs,
comme un trou noir super massif
au sein d'une galaxie.
Je peux aussi, en jouant
avec ce langage mathématique
avec cette représentation du monde,
je peux témoigner de « comment une étoile
interagirait avec un trou noir ».
Et bien ça, moi, ça me fascine.
C'est absolument remarquable de s'imaginer
ces étoiles rencontrant des trous noirs,
absolument remarquable de comprendre
comment ces gènes dialoguent les uns avec
les autres pour mettre un cœur en place.
Le scientifique qui travaille
à la représentation du monde,
fondamentalement, son action est créative.
Parce qu'il faut de l'imagination
pour écrire ces équations,
ces modèles qui expliquent la vie
ou les choses de l'univers.
Cette créativité-là,
le scientifique la partage avec l'artiste.
Évidemment la science,
ce n'est pas de l'art.
La science a pour but
d'avoir un discours objectif.
La science est contrainte par la logique.
La science souhaite être partagée.
Mais malgré tout,
le scientifique va avoir
ce travail d'équilibriste
entre l'imagination, la fantaisie,
et la rigueur scientifique.
Maintenant,
partir à la découverte.
Pourquoi ?
Pourquoi les chercheurs
partent à la découverte ?
Parce que les chercheurs ne veulent jamais
tenir comme acquise une certitude.
Le chercheur remet toujours en question.
Au laboratoire, sans cesse on doute.
On dit « Tiens, mais cette observation ne
colle pas avec ce qui a été publié... »
Remettre en question.
Remettre en question
pour transgresser cette frontière
qui sépare le monde connu
du monde inconnu.
Eh bien, il faut l'oser.
Il faut l'oser !
C'est inconfortable de ne pas s'asseoir
sur des certitudes immuables.
Et donc, le chercheur est un aventurier.
La science est une aventure humaine.
Cette aventure humaine
est une aventure collective.
Vous connaissez Einstein,
Darwin, Marie Curie,
tous ces grands chercheurs,
qui évidemment ont contribué
de manière majeure à la science,
ne seraient rien sans
une collectivité de scientifiques,
plus ou moins anonymes,
qui ont fait toutes ces petites
découvertes, qui portent les grandes.
La science est donc
une aventure humaine collective.
Mais plus que ça,
la science doit s'incarner
dans la société.
Et elle s'incarne dans la société.
Les grandes découvertes,
les changements de paradigmes,
ne sont possibles que si la société -
au sein de laquelle la science se joue -
est prête à ce changement de paradigme.
Et en ce sens, la science
devient une aventure de civilisation.
Révolution copernicienne.
Galilée.
Ce changement de paradigme
n'aurait pas pu trouver place ailleurs
que dans la période de la Renaissance.
Darwin, l'évolution des espèces,
incarnée dans une société en évolution,
la révolution industrielle
de l'Angleterre du 19e siècle.
La science est
une aventure de civilisation.
La société en retour
va investir la science.
Et là, le génie du découvreur
cède la place au génie de l'inventeur.
La science et les connaissances
sont utilisées pour créer des inventions.
Des inventions pour quoi ?
Pour le bien de l'Homme
et le bien de la Nature.
C'est peut-être là
que mon ami Baudoin revient.
C'est là où Baudoin va dire :
« Oui, le bien de l'Homme,
le bien de la Nature ...
En est-on certain ? »
La question est de savoir
comment la société investit la science.
Dans une certaine mesure,
la manière dont la société
investit la science,
en dit évidemment beaucoup plus
sur les valeurs de la société,
que sur la valeur de la science.
Et si le centre de gravité de la société
n'est plus l'être humain,
on imagine bien
que l'exploitation de la science
ne servira plus, non plus, l'humanité.
Ceci veut donc dire que,
quand on se méfie de la science,
- comme les amis du café du commerce,
et mon ami Baudoin
qui se méfient de la science -
ils se trompent.
Ce n'est pas la science
qui doit inquiéter.
Mais bien la société qui s'en investit.
Donc, n'oublions jamais ceci :
la science est une activité de découverte,
la science est une œuvre
de représentation du monde,
la science est une aventure humaine,
qui a pour objectif de générer
des connaissances.
Et mon credo, franchement,
c'est que la connaissance,
c'est le premier patrimoine de l'Humanité.
Et avec ceci, je vous remercie.
(Applaudissements)