Vous êtes assis, et c'est incroyablement frustrant. C'est exaspérant. Vous êtes assis depuis des heures, à remplir ces petits cercles avec votre crayon HB, c'est un contrôle classique. Vous levez les yeux sur le tableau noir à moitié effacé, vous pouvez voir cet alphabet en cursives parfaitement calligraphié, les cartes qui se déroulent, vous pouvez entendre le tic-tac de l'horloge industrielle sur le mur. Mais plus important encore, vous sentez la lumière fluorescente oppressante, ce rayon mortel au-dessus de votre tête. Bzzzzzz. Et vous n'en pouvez plus, mais ce n'est pas grave, parce que Mlle Darling dit : « Les enfants, c'est terminé. » Alors vous vous levez... il n'y a plus de vous que de la vapeur. Vous bougez tellement vite, vous renversez cette petite chaise en plastique, et vous sprintez dans le couloir, vous passez l'odeur de javel et de sueur, et les casiers, et vous poussez la porte... (Inspire profondément) et enfin, vous êtes dehors. Vous pouvez sentir le vent sur votre visage, et le soleil sur votre peau, et, le plus important, le grand ciel bleu. C'est une révélation d'espace. Les révélations d'espace sont mon métier : je suis designer et directeur de création, et c'est comme ça que je gagne ma vie. Je le fais pour plein de gens et de plein de façons différentes, ça peut avoir l'air compliqué, mais ça ne l'est pas. Et dans les prochaines minutes, je vais vous donner trois façons de bouger à travers votre monde pour que vous aussi, vous puissiez faire des révélations d'espace. Étape une : la thérapie. Je sais, je sais, je sais : blablabla, New-yorkais blablabla thérapie. Sérieux, la thérapie : vous devez savoir pourquoi vous faites ces choses, non ? Quand on m'a demandé de designer « Hamilton », j'ai parlé avec Lin-Manuel Miranda, l'auteur, Tommy Kail, le directeur, et j'ai dit : « Pourquoi on raconte cette histoire vieille de 246 ans ? C'est quoi dans l'histoire que vous voulez raconter, qu'est-ce que vous voulez que les gens ressentent quand ils voient le show ? » C'est important. Quand on comprend ça, on passe à la deuxième étape : le design. Et je vais vous donner des petits trucs pour ça, mais la phase de design est importante parce qu'on fait tous ses jouets cools. Je me connecte au cerveau de Lin, lui au mien, ce monologue devient un dialogue. Et je fabrique ces jouets, et je dis : « Est-ce que ce monde ressemble à l'endroit où vous pensez que votre spectacle pourrait se passer ? » Si la réponse est oui, et quand la réponse est oui, on passe à la partie que je trouve la plus terrifiante, qui est la phase d’exécution. Cette phase, c'est quand on construit cette chose, et quand cette conversation passe de quelques personnes à quelques centaines, qui traduisent maintenant cette idée. On la met dans cette belle petite chose, dans cette machine de « Chérie, j'ai rétréci les gosses » et on la fait passer à taille réelle, et on ne sait pas si on est bons jusqu'à ce qu'on se pointe sur scène : « C'est bon ? » C'est ça, le truc : vous n'avez pas à être Lin, vous n'avez pas à avoir un livre que vous voulez transformer en show pour faire ça dans votre vraie vie. Au fait, vous êtes déjà dans un show. Il s'appelle votre vie. Félicitations. (Rires) Shakespeare l'a dit : « Le monde entier est un théâtre. » Il a raison là-dessus. Il avait tort quand il a dit : « Et nous n'en sommes que les acteurs. » C'est ridicule : on n'est pas que ça. On est la costumière, l'éclairagiste et le maquilleur de notre monde, et je veux que vous pensiez que vous êtes le scénographe de votre monde. Parce que je pense que si vous faites, en sortant d'ici, ces trois choses et quelques petites astuces que je vais vous donner, vous pouvez commencer à changer le monde comme vous le voulez. Vous voulez le faire ? Écrivez tous un spectacle. (Rires) Je plaisante. OK. Étape une : la thérapie. Ok ? Comment vous sentez-vous ? C'est ça que le psy dit : « Comment vous sentez-vous ? » C'est important de se souvenir de ça, parce que quand on designe son monde, la thérapie est importante. Elle vous dit que l'émotion va se transformer en couleur et en lumière. Un bon exemple de lumière et de couleur est un spectacle que j'ai designé, « Dear Evan Hansen ». Il existe... Oh mon dieu, il existe dans un monde fait presque uniquement de lumière et de couleur. Donc j'ai choisi une couleur : le noir profond. (Rires) Le noir profond est une couleur comme la tristesse est une émotion. Et ce spectacle transforme les gens, après les avoir brisés. Je suis sûr que vous vous demandez : « Combien une scène peut coûter pour vous transformer, si vous êtes assis pendant deux heures 20 dans le noir profond ? » La réponse est : pas grand-chose ! Le noir profond, allumez les lumières au bon moment. Pensez à quand vous sortez de la classe de Miss Darling. Le noir profond s'en va au bon moment, on fait s'envoler ce mur et on révèle un beau ciel bleu. Ça époustoufle les gens, et ça les transporte, et ça leur donne de l'espoir. On sait ça parce que la couleur est l'émotion, et quand vous peignez avec de la couleur, vous peignez avec vos sentiments. Pensez à l'émotion que vous avez mise de côté dans votre fichier mental. De quelle couleur est-elle ? Où, dans votre penderie et votre maison, existe-elle ? Quand on conçoit le spectacle pour vous, on va utiliser cette couleur pour vous dire ce que vous ressentez. Vous savez que ça existe parce que vous mettez le héros en blanc, vous mettez le personnage principal en rouge, et le méchant en noir. C'est des stéréotypes, vous le savez. Donc réfléchissez-y. Mais il y a aussi autre chose qui se passe dans le monde qui nous aide à nous y déplacer en sécurité. Ce sont les standards architecturaux. Ils nous empêchent de tomber et de se blesser. Les poignées de portes sont toutes à la même hauteur, les interrupteurs aussi, la cuvette des toilettes, dieu merci, est toujours à la même hauteur, parce que personne ne la rate jamais. Mais sérieusement, qu'est-ce qu'il se passerait si on commençait à changer ces standards pour obtenir ce qu'on veut ? Ça me rappelle les escaliers que j'ai faits pour Pee-Wee Herman. Pee-Wee Herman est un enfant, et tout son monde est créé pour qu'on le perçoive comme un enfant. L’architecture, le mobilier, tout prend vie, mais rien n'est plus important que ces escaliers. Ces escaliers font 30 centimètres de haut, donc quand Pee-Wee court de haut en bas des escaliers, il interagit avec eux comme un enfant. On ne peut pas simuler ce genre d’interaction. Et c'est l'exact opposé de ce qu'on demande aux gens dans un opéra de faire. Dans un opéra, on rétrécit ces escaliers pour que nos personnages principaux puissent aller de haut en bas sans effort et sans casser leur voix. On ne pourrait jamais mettre un chanteur d'opéra dans la maison de Pee-Wee, (Chante avec la voix de Pee-Wee) ils ne pourraient pas faire leur boulot. (Rires) Il ne pourrait pas être sur une scène d'opéra. Il ne pourrait pas monter et descendre, ça ne serait pas lui. Il ressemblerait à James Bond. Ça ne marcherait pas. Pensez à votre scène, votre maison, ce dans quoi vous existez. Si vous êtes comme moi, la poubelle est juste trop petite pour tous les plats à emporter, non ? Et je me retrouve à enfoncer comme si je pétrissais de la pâte à pizza, j'appuie parce que je ne comprends pas. Ou peut-être que l'interrupteur chez vous est derrière trop de manteaux mal placés, et donc vous n'essayez même pas. Du coup, tous les jours, vous finissez par marcher à travers un puits d'obscurité. (Rires) C'est vrai. Que se passerait-il si l'espace révélait quelque chose sur vous que vous ne savez même pas ? Kanye ne m'a jamais vraiment dit qu'il voulait être Dieu. Mais... (Rires) quand on a commencé à travailler ensemble, on s'envoyait des images, et il m'a envoyé une photo de l'aurore boréale avec des éclairs dedans. Et il m'a envoyé des photos du haut d'une montagne avec une vue sur un canyon rempli de fumée ou avec de la fumée sous la surface de l'eau, des trucs épiques, quoi. La première scène que j'ai conçue : une énorme boite de lumière avec le nom de sa maison de disque. Il était triomphalement planté devant, il y avait comme des éclairs. C'était épique, mais genre débutant. On est passé à une grande bande de ciel déchirée au milieu, et à travers la déchirure, vous pouviez voir des parties profondes du cosmos. Ça se rapproche. On est passé à debout en haut d'un obélisque, debout sur un flanc de montagne, debout sur une pile de boites. Il évoluait en tant qu'artiste dans l'espace, et c'était mon boulot d'essayer de suivre. Quand on a fait Coachella, il se tenait debout devant un artefact ancien de 24 mètres d'épaisseur et 12 de hauteur, littéralement donné de Dieu à l'homme. Il était en train d'évoluer, et on en était tous témoins. Et dans son dernier show, que je n'ai pas conçu mais que j'ai vu, il s'était trouvé. Il était littéralement sur un pont flottant en plexiglas au-dessus de ses fans, qui n'avaient pas d'autre choix que de louer Yeezus au-dessus de tout. (Rires) Il s'était déifié. On ne peut pas devenir Yeezus dans notre salon. L'espace lui a dit qui il était, et il nous l'a montré. Quand j'avais 20 ans, je conduisais dans un parking, et j'ai vu une flaque. J'ai pensé : « Je vais passer à gauche. Non... Je vais passer dedans. » Et je suis passé dans la flaque : « pssh », toute l'eau sur ma voiture, et instantanément, j'ai eu une révélation. L'ampoule s'allume. Tout dans le monde a besoin d'être conçu. Bien sûr, j'ai pensé : « On a besoin de concevoir l'écoulement du parking. » Puis je me suis dit : « Tout dans le monde a besoin d'être conçu. » C'est vrai : si on la laissait faire, Mère Nature ne va pas vous aider et vous tracer un chemin intéressant. J'ai passé ma carrière à chercher dans l'esprit des gens et à en créer des mondes avec lesquels on peut tous interagir. Vous ne pourrez peut-être pas le faire avec des collaborateurs, mais je pense que si vous sortez d'ici, ces trois étapes faciles : la thérapie, qui je veux être, pourquoi je fais ce que je fais ; la conception, créer un plan et essayer de le finaliser, qu'est-ce que je peux faire ; l’exécution. Je pense que si vous y ajoutez un peu de la théorie de la couleur, (Rires) des idées de design cool et un non-respect général des standards architecturaux, vous pouvez sortir et créer le monde dans lequel vous voulez vivre, et je vais rentrer chez moi et m'acheter une nouvelle poubelle. Merci. (Applaudissements)