Bryn Freedman : Vous parlez de leadership
comme une vraie crise de conformité.
Pouvez-vous nous expliquer
ce que vous voulez dire ?
Que voyez-vous comme étant
une crise de conformité ?
Halla Tómasdóttir :
C'est une crise de conformité
quand nous continuons
de faire des affaires et de diriger
comme auparavant
alors que nous avons
des preuves accablantes
que le monde a besoin
que nous changions nos façons de faire.
Considérons un peu ces preuves.
La science nous a dit
que nous faisions face
à une crise climatique,
pourtant 40% de nos administrateurs
ne pensent pas que le climat
a sa place en conseil d'administration.
Nous avons des enfants
qui manifestent dans les rues,
nous demandons de prendre
la responsabilité de leur avenir.
Nous avons une crise des inégalités.
Nous avons des Gilets jaunes
pas seulement en France,
mais à travers le monde,
et pourtant nous continuons
de voir des exemples
d'entreprises et d'autres leaders
qui alimentent cette colère.
BF : Pensez-vous
qu'une révolution se prépare ?
HT : Je crois que cela ne peut pas durer.
La raison pour laquelle
il est si difficile
pour nous de gérer ces crises complexes
qui sont interdépendantes
est que la confiance en nous est
au niveau le plus bas jamais observé.
Au Royaume-Uni, 3% des gens
croient que leur gouvernement
résoudra la crise du Brexit,
et c'était en décembre.
Je pense que cela a dû baisser depuis.
BF : A quoi pensez-vous
que le nouveau leadership ressemble ?
HT : Nous avons besoin
de leaders courageux
et pourtant humbles.
Ils doivent être guidés
par une conscience morale
et la conscience morale est la combinaison
d'une vocation sociale --
vous n'avez plus le droit d'opérer
sans un but qui contribue à la société,
mais ce qui, à mon avis,
manque dans le dialogue
est un ensemble de principes.
Nous ne pouvons pas que définir
pourquoi nous existons,
nous devons définir comment
nous allons faire des affaires et diriger.
A nos yeux, cela doit être dans l'objectif
de résoudre des crises imminentes :
la crise climatique,
la crise des inégalités
et la crise de la confiance.
Chez The B Team,
nous avons fait de la durabilité,
l'égalité et la responsabilité
nos principes.
BF : Pensez-vous que cette question
de mission est de la poudre aux yeux --
ils disent ce qu'ils pensent
que les gens veulent entendre
mais ne procèdent pas
aux changements fondamentaux
quand ils sont nécessaires ?
HT : Beaucoup de gens le pensent
et je pense que cette idée
connaît un essor croissant.
Je crois que le monde appelle
à un leadership responsable
et tout leader voulant
être présent au XXIe siècle
doit commencer à réfléchir
de façon courageuse et holistique
à comment faire partie de la solution
au lieu de maquiller les choses.
Il faut le faire pour de vrai.
BF : Voyez-vous quelqu'un
qui fait les choses
d'une façon qui est, à votre avis,
vraiment efficace
et a une vraie portée à long terme ?
HT : Heureusement, il y a
quelques leaders formidables.
Pour vous donner un exemple,
Emmanuel Faber, qui est l'un
des derniers membres de The B Team,
il est le PDG de Danone,
producteur de yaourt
et entreprise alimentaire majeure --
une entreprise mondiale.
Il est si engagé pour la durabilité
qu'il ne change pas seulement
les méthodes de son entreprise,
mais de la chaîne d'approvisionnement.
Il est si engagé pour l'égalité
qu'à son arrivée au poste de PDG,
il a dit que la parité était importante,
il a créé une équipe exécutive paritaire
et a donné aux hommes et aux femmes
le même congé parental.
Il est si engagé pour la responsabilité
qu'il a fait de ses opérations américaines
une B Corporation.
Vous ignorez peut-être ce que c'est,
mais c'est une entreprise
qui prend ses responsabilités
pas que pour ses profits,
mais pour ses effets
sur les gens et la planète
et rend un rapport transparent
sur ses performances sur ces sujets.
C'est la plus grande B Corp au monde.
Pour moi, c'est un leadership
courageux et holistique
et c'est vraiment la vision
que nous devons avoir.
BF : Est-ce « Retour vers le futur » ?
Quand je pense à des entreprises --
Anheuser-Busch vient à l'esprit
aux États-Unis --
une entreprise centenaire
qui a investi dans sa communauté,
qui offrait un salaire décent,
avant de finir par perdre
et par être vendue.
Sommes-nous à la recherche d'entreprises
qui sont des citoyennes
mondiales et communautaires
ou cela n'est-il plus utile ?
HT : Vous pouvez le faire,
car il est risqué
de continuer sans faire ce qu'il faut.
Vous ne pouvez pas attirer
les bons talents, des clients
et, de plus en plus, de capitaux.
Vous pourriez le faire
du fait des risques,
pour l'opportunité commerciale,
car c'est là qu'est la croissance,
c'est pourquoi de nombreux leaders
font ce qu'il faut.
Mais en fin de compte,
nous devons nous demander :
« Pour qui prenons-nous
nos responsabilités ? »
Si c'est la génération suivante,
je ne sais pas qui.
Je veux juste être très claire,
car nous avons tendance
à voir le leadership
comme seulement ceux
dans des positions de pouvoir.
Pour moi, le leadership,
ce n'est pas du tout cela.
Il y a un leader en chacun d'entre nous
et notre travail le plus important
dans la vie est de libérer ce leader.
Je crois que l'un des meilleurs
exemples que nous avons
de quelqu'un qui n'a pas --
personne ne lui a donné de pouvoir --
est une fille de 16 ans
appelée Greta Thunberg.
Elle vient de Suède
et, il y a quelques années,
elle est devenue --
elle a le syndrome d'Asperger
et s'est prise de passion
pour la crise climatique --
elle a tout appris à ce sujet.
Face aux preuves,
elle a été si déçue par ses dirigeants
qu'elle a commencé à manifester
devant le parlement suédois.
Elle a maintenant lancé
un mouvement mondial
et des centaines et milliers
d'élèves sont dans les rues
à demander que nous soyons tenus
pour responsables de leur avenir.
Personne ne lui a donné cette autorité-là.
Elle parle maintenant
aux leaders mondiaux, aux chefs d’État,
et a une vraie influence sur le monde.
Quand nous pensons au leadership,
je pense vraiment
qu'il ne peut pas être défini
par ces positions de pouvoir
même si elles ont des responsabilités
disproportionnellement importantes.
Mais nous devons tous nous demander :
« Que fais-je ? »
« Quelle est ma contribution ? »
Nous devons libérer ce leader en nous
et commencer à avoir l'influence positive
à laquelle le monde nous appelle.
BF : Mais nous avons
un leadership si hiérarchique.
Je comprends ce que vous dites --
c'est bien de libérer le leader en nous --
mais dans ces entreprises,
c'est en vérité extrêmement hiérarchique.
Que peuvent faire les entreprises
pour créer des relations
moins verticales et plus horizontales ?
HT : Je crois fermement
et je suis passionnée
par la réduction
des différences entre les genres
et je crois qu'un leadership paritaire
est la voie à suivre
afin d'accueillir un style de leadership
que l'on a démontré être plus efficace :
lorsque les hommes
et les femmes embrassent
des valeurs masculines et féminines.
C'est prouvé dans le recherche
que c'est le style de leadership
le plus efficace.
Mais je pense de plus en plus
à la réduction du fossé générationnel,
car regardez ces jeunes enfants
dans les rues à travers le monde --
ils nous demandent de diriger.
Kofi Anna disait : « Vous n'êtes jamais
trop jeune pour diriger. »
Puis il ajoutait :
« Ou trop vieux pour apprendre. »
Nous sommes entrés dans cette ère
où nous avons besoin de la sagesse
de ceux ayant de l'expérience,
mais nous avons besoin
que les natifs du numérique
de la nouvelle génération
servent de co-mentors ou de mentors
tout autant que nous pouvons les aider
avec la sagesse des personnes plus âgées.
C'est une nouvelle réalité
et ces anciennes visions
hiérarchiques des choses
sont de plus en plus sous pression
dans cette réalité.
BF : Vous avez appelé cela
le syndrome de l'arrogance.
Pouvez-vous en parler ?
HT : Je pense que l'arrogance
est notre cancer dans le leadership.
C'est quand les leaders
pensent tout savoir,
pouvoir tout faire,
avoir toutes les réponses
et ne pensent pas
avoir besoin de s'entourer
de gens qui les rendront meilleurs,
ce qui, pour moi, dans certains cas,
serait plus de femmes, de jeunes,
de personnes différentes
ayant des opinions différentes.
Le syndrome de l'arrogance
est encore si présent dans le leadership
et nous en connaissons des exemples,
inutile de les nommer.
Le problème est que --
(Rires)
Nous les connaissons --
à travers le monde,
pas uniquement dans ce pays.
Mais ce genre de leadership
ne libère pas les leaders chez les autres.
Aucune personne seule
et aucun secteur n'a les solutions
que nous devons trouver --
la créativité
et la collaboration nécessaires.
Le leadership audacieux et courageux
nécessaire pour trouver des solutions
qui transcendent les gouvernements,
le secteur privé, la société civile,
les jeunes, les aînés,
les gens de tous les milieux
se réunissant, c'est la façon
de résoudre les problèmes
qui sont devant nous.
BF : Voyez-vous ce genre de leadership
comme étant ascendant
ou descendant
ou pensez-vous qu'une crise va nous forcer
à réexaminer tout cela ?
HT : Étant quelqu'un qui a connu
la crise financière la plus célèbre
dans mon pays, l'Islande,
j'espère que ce ne sera pas nécessaire
pour apprendre ou nous réveiller.
Mais je pense que nous ne pouvons pas
choisir une approche ou l'autre.
Nous devons transformer
notre façon de diriger --
depuis le haut, les conseils
d'administration, les PDG --
nous devons transformer cela,
mais de plus en plus,
nous transformerons cela,
car nous avons ces mouvements
sociaux venant du bas
et traversant la société.
Les solutions existent.
La seule chose qui manque,
c'est la volonté.
Si nous trouvons tous une façon
d'assumer notre conscience morale
pour découvrir pourquoi nous existons
et comment nous allons diriger,
si nous assumons tout autant
le courage et l'humilité,
chacun d'entre nous
peut faire partie de cette décennie
où nous pouvons considérablement
transformer le monde où nous vivons,
le rendre juste,
qu'il s'agisse de l'humanité
et pas seulement des marchés financiers.
BF : Je parie qu'il y a beaucoup de gens
qui ont des questions pour vous
et nous avons quelques minutes.
Y a-t-il quelqu'un qui aimerait
poser une question à Halla ?
Public : Bonjour, je m'appelle Cheryl.
J'aspire à être leader
et j'ai une question sur comment diriger
quand vous n'avez aucune influence.
Si je suis qu'une analyste
et que je veux parler à la direction
d'un changement qui, à mon avis,
affecterait toute l'entreprise,
comment est-ce que
je les fais changer d'avis
quand ils ont l'impression
que leurs relations sont établies,
que leur façon de faire
des affaires est établie ?
Comment changer les opinions
en n'ayant pas d'influence ?
HT : Merci beaucoup
pour cette question fantastique.
Parfois, les gens haut placés
n'écoutent pas,
mais il est intéressant
qu'avec le peu de confiance
que nous avons dans la société,
la plus grande confiance
est entre l'employé et l'employeur,
selon des recherches récentes.
Je pense que cette relation
pourrait être la façon la plus efficace
de transformer notre façon
de faire les choses.
Je commencerais par créer
une coalition pour votre bonne idée.
Je ne connais pas un seul leader
qui n'écouterait pas les inquiétudes
que beaucoup de ses employés ont.
Je vais vous donner un exemple
d'un autre leader de B Team,
Marc Benioff, le PDG de Salesforce.
Il a parlé très ouvertement
du sans-abrisme à San Francisco,
des droits LGBTQI
et de toutes les choses qu'il défend,
il le fait car cela importe
à ses employés.
Ne pensez jamais ne pas avoir de pouvoir
en n'étant pas
dans une position de pouvoir.
Trouvez un moyen de le ou la convaincre.
Marc a été convaincu
d'éliminer l'inégalité des revenus
entre hommes et femmes
par deux femmes
qui travaillaient dans son organisation
et qui lui ont dit :
« Il y a une inégalité salariale. »
Il ne l'a pas cru,
a voulu voir les données.
Il a été assez intelligent pour savoir
qu'il devait y faire quelque chose
et il a été l'un des premiers leaders
de la tech à agir volontairement.
Ne pensez jamais ne pas avoir de pouvoir,
même si vous n'êtes pas
dans une position de pouvoir,
mais trouvez d'autres gens
qui vous soutiendront
et plaideront en la faveur de votre idée.
BF : Merci.
Quelqu'un d'autre ? Des questions ?
Public : Je suis submergée de fascination
par tout ce que vous dites, alors merci.
Je voulais demander comment
la diversité d'opinions, d'idées
et de milieux
a influencé votre compétence
de leadership.
A votre avis, quelle barricade
limite l'inondation de diversité
dans les entreprises
et qu'est-ce qui pourrait faire
changer les choses dans ce contexte,
mais aussi diminuer le trop-plein
de générations de gens
restant à un même endroit ?
A votre avis, quelle est
la prochaine étape
pour briser plusieurs
de ces plafonds de verre ?
BF : Nous allons faire un Salon
sur cette question seulement.
(Rires)
HT : Bien dit Bryn,
mais je vais essayer d'aborder cela.
Ma vision du genre, c'est un spectre --
les hommes également ont un genre.
Nous l'oublions parfois.
(Rires)
Nous l'oublions parfois.
J'ai joué une femme très masculine
au début de ma carrière,
car c'étaient les règles du jeu.
J'ai connu quelques succès,
mais heureusement,
je suis arrivée à un point
où j'ai également accepté
mon côté féminin.
Je dirais que les meilleurs leaders
acceptent les deux,
les femmes et les hommes.
Mais je vois également le genre
comme l'un des leviers les plus efficaces
pour changer les valeurs de notre culture.
Je suis passionnée
par les femmes dans le leadership
et je crois qu'un équilibre
est nécessaire,
car, actuellement, notre définition
du succès est incroyablement masculine.
Il s'agit uniquement de profit financier
ou de croissance économique
et nous avons besoin
de plus que de l'argent.
Nous avons besoin de bien-être :
le bien-être des gens
et il n'y a pas d'avenir au-delà
du bien-être de notre planète.
Je pense que le genre pourrait être
un des leviers les plus efficaces
pour nous aider à transformer
nos systèmes économiques et sociaux
et les rendre plus accueillants.
La réponse à la dernière partie --
c'est compliqué, mais je vais
essayer de donner une réponse courte.
Je crois que la façon dont le talent
et la consommation changent
vont de plus en plus faire
que les entreprises
vont chercher à ajouter
de la différence dans leur leadership,
car l'uniformité ne fonctionne pas --
BF : Et la différence
est un super-pouvoir.
HT : C'est un super-pouvoir.
BF : Merci beaucoup,
Halla, merci beaucoup, j'aurais aimé
passer la journée à vous parler.
(Applaudissements)
HT : Merci.
(Applaudissements)