L'US Navy a toujours été confrontée à un problème frustrant avec leurs flottes. Un problème appelé « l'encrassement ». Pour ceux d'entre vous qui n'êtes pas experts en navigation, l'encrassement, c'est quand des algues, des bernacles ou d'autres matières marines restent accrochées à la coque des bateaux et des sous-marins. Avant, pour éviter cet encrassement, on enduisait les bateaux et sous-marins de produits toxiques, comme des métaux lourds mais ceux-ci ne sont plus aussi efficaces qu'avant pour garder les bateaux propres. Et on veut des bateaux propres, parce que de l'encrassement sur ces navires les rend moins efficaces sur l'eau et peut les rendre plus facile à repérer par d'éventuels ennemis. Ce n'est pas une bonne chose. Il y a plusieurs années, l'Office de la Recherche navale des États-Unis a appelé donc l'un de mes collègues, le Dr Anthony Brennan, ingénieur et scientifique, pour concevoir une solution contre l'encrassement qui n'utiliserait pas ces métaux lourds. Vous voyez, le Dr Brennan cherchait déjà à savoir comment des choses comme la rugosité des surfaces pouvait empêcher que des organismes, comme les algues, s'y attachent. Mais le Dr Brennan était en difficulté. Toutes les surfaces qu'il avait pu concevoir avaient été vaincues par les algues. Et un jour Brennan est allé à une conférence, qui plus est à Hawaii, et il a remarqué quelque chose d'assez curieux. Regardez ces trois animaux : un lamantin, une baleine et un requin. Que remarquez-vous ? Eh bien, la baleine et le lamantin sont sales, alors que le requin est parfaitement propre. Il s'agit d'une propriété unique de tous les requins. La prochaine fois que vous verrez « Les Dents de la Mer », vous remarquerez que chaque requin que vous voyez est immaculé. (Rires) Pourquoi ? C'est ce que Brennan a voulu découvrir. Alors avec l'aide de quelques courageux étudiants en master, ils sont partis à la recherche d'un requin. (Rires) Ils en ont trouvé un en eaux peu profondes et ont délicatement pris une empreinte de sa peau, avec du matériel d'impression dentaire. Ne vous inquiétez pas. Le requin n'a pas été blessé, même si je suis sûr qu'il n'a pas trop apprécié. (Rires) Donc les étudiants ont emmené l'empreinte au laboratoire et l'ont mise sous un microscope, voici à quoi elle ressemble. La peau de requin est composée de petites écailles dentelées, qui se superposent et créent un motif en forme de diamant sur la peau du requin. Après plus de recherches, Brennan et son équipe ont remarqué que la texture de ces écailles est en fait ce qui permet aux requins de rester propres. Je suis microbiologiste, ainsi qu'expert en maladies infectieuses, et je trouve ça fascinant. J'ai passé ma carrière à essayer de maintenir les surfaces propres, en particulier la surface des dispositifs médicaux. C'est un énorme problème dans les hôpitaux. Ce qu'il se passe, c'est que des bactéries qui sont normalement bonnes atterrissent dans des endroits où elles ne doivent pas être à l'issue d'une intervention médicale. Parfois pendant ou après une opération, des bactéries s'accrochent à la surface d'un dispositif médical, y restent, et causent une infection grave : il est donc impossible pour le corps de cicatriser. Regardez ces fils chirurgicaux, utilisés pour refermer le sternum d'un patient après une opération à cœur ouvert. Vous remarquez les petits amas de bactéries à la surface ? Ce patient a mis des mois à cicatriser, et pour cela il a fallu remplacer ces fils par des fils propres. Vous savez, à l'époque, on utilisait des antibiotiques pour traiter ce type d'infections. Les antibiotiques étaient des médicaments géniaux jusqu'à un certain point. Et avec le temps, les bactéries y ont été si souvent exposées qu'elles ont été forcées de s'adapter. Et survivre est le facteur déterminant de l'évolution, et c'est dont on parle actuellement : l'évolution bactérienne. Peut-être que vous en avez entendu parler aux infos. On l'appelle la « résistance antimicrobiennne ». Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies la considèrent comme l'un des plus grands défis de santé publique moderne. Des maladies qu'on pouvait facilement soigner avant sont devenues incurables. Chaque année rien qu'aux États-Unis, plus de 2 millions de personnes auront une infection résistante aux antibiotiques et plus de 23 000 personnes mourront de cette infection. L'industrie pharmaceutique fait son possible pour développer toujours plus d'antibiotiques, ils essaient désespérément de prendre de l'avance sur la résistance aux antibiotiques. Mais les bactéries et les germes évoluent tellement plus vite que nos découvertes pour les éliminer. Il est clair que l'ère des antibiotiques arrive à son terme, donc nous devons penser à ce problème d'une toute autre manière. Et si, au lieu d'essayer de tuer les bactéries qui ont causé une infection, on rendait plus difficile leur adhérence aux surfaces des dispositifs en premier lieu ? En d'autres termes, on empêche carrément ces infections d'avoir lieu. Ce qui m'amène à ce qu'on a appris sur les requins. C'est la texture de leur peau qui les rend résistants à l'encrassement. Et si on changeait la texture des dispositifs médicaux pour les rendre résistants contre les bactéries qui causent tant de problèmes ? Le Dr Brennan savait qu'il avait fait une découverte capitale pour la médecine. Il a appelé certains bons amis, ici à Denver, dans le Colorado, et ils ont créé une entreprise, appelée Sharklet Technologies. En 2013, j'ai rejoint l'équipe, et ensemble on a conçu des surfaces qui imitent la peau des requins pour éviter les bactéries et les autres complications médicales. Le premier dispositif mis en vente est un cathéter urologique, que les docteurs ont commencé à utiliser sur leurs patients l'année dernière. (Applaudissements) Regardez ces illustrations. La surface de gauche est lisse, et celle de droite a une texture similaire à la peau d'un requin. Vous avez vu combien il y a de bactéries sur la surface lisse comparé à la surface qui imite la peau de requin ? C'est parce que cette texture de peau de requin crée une surface qui empêche que les bactéries s'y accrochent et se propagent. Cela marche sur les requins, et ici aussi parce que la texture profite des principes de l'énergie surfacique. L'énergie surfacique décrit la propriété détaillée d'une surface. Elle inclut des choses comme l'interaction de l'eau, ou la rigidité matérielle. La texture rugueuse de la peau de requin crée une surface avec une plus grande énergie surfacique. On interagit avec des changements d'énergie surfacique tout le temps. Mais souvent, on ne le remarque pas. Par exemple, c'est bien quand les gouttes de pluie glissent de notre voiture, non ? Hé bien c'est encore mieux avec une bonne couche de cire. La cire a des caractéristiques d'énergie surfacique importantes. On ne peut pas couvrir des dispositifs médicaux de cire, mais on peut changer la texture de leur surface. Cette approche marche avec toutes sortes de dispositifs médicaux, des cathéters aux pacemakers, et c'est efficace contre tous les types de bactéries et de microbes. Et en fait, on peut faire bien plus que des dispositifs résistants aux bactéries. On peut empêcher d'autres complications médicales, en prenant en compte la puissance de l'énergie surfacique, comme des obstructions fréquentes, des caillots de sang excessifs, ou de mauvaises cicatrisations. La prochaine génération de surfaces de dispositifs médicaux inspirée par la peau des requins va en fait diversifier la façon dont les dispositifs sont créés. La vraie question, c'est qu'on a créé toutes sortes de dispositifs médicaux complexes, pour pomper des fluides dans notre sang, pour que notre cœur batte bien, ou même pour stimuler l'activité cérébrale. Mais de mauvaises choses ont lieu quand ces dispositifs interagissent mal avec les mécanismes naturels de notre corps. On a découvert que l'on peut améliorer la tolérance aux dispositifs médicaux en réglant de manière subtile les caractéristiques d'énergie surfacique. Par exemple, on peut empêcher la coagulation excessive qui a lieu, là, sur la surface lisse, comparé à la texture de peau de requin. Cela signifie que l'on peut en fait faire correspondre l'énergie surfacique requise et l'usage médical pour éviter des complications, tout cela grâce au pouvoir des requins. En fin de compte, alors qu'on va continuer à concevoir des surfaces intelligentes, on va avoir besoin de moins d'antibiotiques, de moins de produits chimiques, et de moins d'additifs, ce qui rendra la technologie médicale qui sert à sauver des vies bien plus sûre pour nous tous. C'est de l'innovation dans sa forme la plus pure, c'est certain. Mais c'est aussi un bon rappel d'à quel point il est important d'observer les signaux subtils que renferme le monde autour de nous. Merci. (Applaudissements)