Vous savez ce que je rêvais d'être, quand j'étais petite fille ? Je rêvais de travailler dans la police. Et mon rêve s'est réalisé ! J'ai passé les 14 premières années de ma carrière professionnelle comme officière de police. Et vous le savez, ce sont les policiers qui ont les meilleures histoires ! Mais avant de vous raconter mes histoires, je veux vous avertir que l'une d'elle contient un gros mot. Alors, quand j'arrive au passage avec le gros mot, je vais m'arrêter comme ceci. [Posture] Et vous allez tous vous choisir un gros mot de votre choix. Mais vous le gardez dans votre tête, OK ? On est d'accord ? Bon... Donc me voici, réalisant mon rêve de gosse de travailler dans la police. Je venais d'obtenir mon diplôme de l'école de police et j'étais tellement impatiente d'en sortir pour sauver le monde ! Alors, bien sûr, ma première mission a consisté à m'habiller en prostituée et à aller me faire solliciter par des hommes. Ce n'était pas vraiment là ma conception de « sauver le monde » ! Bref, je suis là au coin de la rue, supposant que tout le monde a eu la même vie que moi, vous savez, avoir son poney, être membre d'une sororité à la fac, avoir un diplôme universitaire... la vie normale, non ? Affirmer que j'étais naïve est un euphémisme. Me voici donc à faire le trottoir, et ce mec arrive dans une camionnette, et il me fait un signe. Je prends un air détaché et m'approche, et lui me dit : « Combien pour te... ? » [Posture] Et moi, j'étais là : « Oh, mon Dieu ! » (Rires) Alors il me regarde, et il dit : « Vous êtes de la police ! » Et il repart. J'ai dit : « Comment a-t-il su que j'étais de la police ? » Et mon sergent répond : « Peut-être à cause de ta réaction ! » (Rires) J'ai essayé de me défendre : « Non, mais vous avez entendu ce qu'il m'a dit ? Il ne faut pas parler comme ça ! » Et donc, une autre fois, dehors à nouveau, un homme s'approche de moi dans sa voiture, et il est complètement nu. Il n'a pas de vêtements, nulle part, pas même dans sa voiture. C'est alors un peu débile de dire : « Puis-je vous aider, Monsieur ? » Pendant qu'on l'emmenait en garde à vue, j'avais un seul truc en tête : « Pourvu que le gars ait un garage à lui pour monter dans sa voiture ! » (Rires) Au fil de mes années passées dans la police, j'ai compris que la prostitution est vraiment tout sauf drôle. J'ai vu dix cadavres durant ma carrière d'officière de police. Quatre appartenaient à des prostituées assassinées. Et c'était chaque fois un meurtre très violent : poignardage très sanglant, suite de blessure par balle, un crâne fracassé. Et celle étranglée à mort ne fut retrouvée que des jours après, quand les voisins ont commencé à se plaindre de la puanteur qui se dégageait d'une voiture abandonnée. J'ai aussi constaté de visu que les femmes impliquées dans la prostitution sont celles, démographiquement, qui sont le plus exposées à être battues, blessées par arme blanche ou arme à feu, violées, ou assassinées. Et quand elles survivent à ces attaques, elles appellent rarement la police car, disent-elles, elles ont peur que la police refuse de les croire, elles ont peur de se faire arrêter, mais surtout elles disent qu'elles n'appellent pas car elles pensent que personne ne s'intéresse à leur agression. Il existe un grand mythe selon lequel les femmes veulent être des prostituées, que ça leur plaît. J'appelle volontiers ce phénomène « le syndrome Pretty Woman de la pute heureuse ». Au cours des 20 dernières années, j'ai appris à connaître des centaines de femmes impliquées dans la prostitution, et l'image de la pute heureuse est aux antipodes de la réalité. Aucune petite fille ne rêve de devenir prostituée. La réalité est que plus de 90% des femmes impliquées dans la prostitution ont été victimes d'abus sexuels durant leur enfance, ou elles ont été violées avant l'âge de 18 ans. Un enfant qui est prostitué commence en moyenne à l'âge de 13 ans. Et les enfants qui entrent en prostitution sont souvent prostitués par leurs proches. On les échange contre le loyer, de la drogue ou un peu d'argent. Une femme que j'ai rencontrée, et qui était une prostituée, a dit que sa mère a commencé à la prostituer quand elle n'avait que six ans. Toute leur vie, on dit à ces femmes que leur seule valeur, c'est combien quelqu'un d'autre paiera pour leur corps. Un autre mythe est que ces femmes ont choisi, qu'elles sont volontaires : elles sont des adultes consentantes. Ne soyez pas dupe de la femme qui vous sourit en entrant avec vous dans la chambre d'hôtel, qui vous accueille pour un massage, ou qui monte dans votre voiture. C'est une mauvaise farce. Les trafiquants et souteneurs de ces femmes savent comment faire mal à ces femmes. Ils les contrôlent par la peur. Ils disent des trucs comme : « T'as intérêt à sourire et le faire, sinon je vais te battre jusqu'à ce que tu y perdes la vie. » Un autre mythe est que toutes ces femmes sont étrangères, ou que ça se passe très loin d'ici. Toutes les femmes dont je vous parle ? Toutes sont des Américaines. Trafic sexuel et prostitution existent dans la plupart des villes américaines. Alors, à quoi ressemble une prostituée ? Elle peut ressembler à ceci, ou elle peut ressembler à ceci, ou à n'importe qui entre les deux. Celles que j'ai personnellement connues étaient des mères, des filles, des sœurs, des grand-mères. L'ethnie n'est pas déterminante. L'âge n'est pas déterminant. La plus vieille femme que j'ai rencontrée et qui se prostituait était une grand-mère de 64 ans. Certaines femmes se prostituent parce qu'elles ont une addiction grave à la drogue et elles le font pour financer leur addiction. Certaines femmes, violées dans l'enfance, le font car elles croient que leur seule valeur est là. D'autres se sont enfuies ou n'ont pas de toit, elles doivent se prostituer pour simplement pouvoir manger ou avoir un abri. Puis il y a les mères célibataires, qui sont terrorisées, qui se sentent piégées et désespérées. Mais elles savent qu'elles peuvent faire assez d'argent en un week-end pour subvenir le reste du mois aux besoins de leur famille. Ces femmes donnent l'air de vouloir se prostituer, selon vous ? Parlez-leur, et toutes vous diront la même chose : combien elles haïssent ce qu'elles font, combien elles ont perdu l'espoir, comment elles en sont à prendre une ligne de cocaïne rien que pour pouvoir sourire au client et le faire, comment chaque jour passé emporte un peu plus de leur âme, combien elles sont désespérées et se sentent privées de valeur. Ça vous donne l'impression de femmes consentantes ? Ou bien cela ressemble-t-il à des femmes sous la contrainte, celle de leur souteneur, leur trafiquant, leur addiction, leur fragilité mentale, ou leur volonté désespérée de survivre ? Il y a huit ans, j'ai quitté la police et je suis devenue procureure pour l'État du Tennessee. Et alors que je travaillais dans le système judiciaire, de nombreuses femmes commençaient à se faire arrêter pour prostitution. Les chiffres explosaient. C'était pendant cette période où des sites comme Backpage se mirent à publier des annonces de prostitution. Et j'ai compris que toutes ces femmes arrêtées pour prostitution, la plupart d'entre elles ignoraient quel opprobre collectif suivrait une condamnation pour prostitution. Plus encore, elles étaient nombreuses à ne pas voir qu'elles étaient en danger d'être violées, agressées brutalement, voire assassinées. Et j'ai aussi commencé à suspecter fortement que beaucoup de ces femmes arrêtées pour prostitution étaient en réalité des victimes de trafic sexuel. Ces victimes n'aiment pas raconter à la police ce qu'il se passe car un lavage de cerveau les a conduites à croire que la police ne les aidera pas, ou que, si elles parlent, leur mac ou leur trafiquant les retrouvera et le leur fera payer à jamais. Les conséquences d'une condamnation pour prostitution vous affecteront jusqu'à vos derniers jours. En tant que société, nous pensons qu'il est parfaitement légitime de mépriser une femme impliquée dans un trafic sexuel. On fait des blagues à leur sujet. Personne ne semble vraiment s'en soucier. Mais, en vérité, je crois, regardons-nous honnêtement, nous sommes trop prompts à juger. On peut dire : « Non, pas moi ! » Mais si nous découvrions que quelqu'un d'important pour nous, un membre de notre famille, une collègue ou une amie ont été condamnées pour prostitution ? Je crois que votre opinion sur elles en serait modifiée à jamais. Si on est condamné pour prostitution, on peut devenir inéligible pour cinq ans à la location d'un appartement. Personne ne veut employer quelqu'un avec des antécédents de crime sexuel. Alors, que reste-t-il à ces femmes ? Nulle part où vivre, nulle part où gagner sa vie, on les force ni plus ni moins à retourner dans la prostitution pour survivre. Mais comparons avec les hommes arrêtés comme clients de prostituées. C'est plus acceptable. Nous sommes prompts à leur pardonner. Vous savez, les hommes ont des besoins. Mais on ne leur en fait pas grief pour le restant de leur vie. Et pourquoi donc ? Car, après tout, c'est comme ça, un homme ? Et j'ai compris qu'il fallait faire quelque chose, qu'en tant que société, nous devions peser les conséquences de ce processus de pensée, et réfléchir à comment briser le cycle de la prostitution, et repérer les victimes de trafic sexuel. Ces femmes avaient besoin d'une deuxième chance, ainsi que d'une expérience positive face au système judiciaire. Mais, plus que tout, elles avaient besoin de savoir qu’elles avaient de la valeur, qu'elles étaient dignes d'amour et de soutien. Puis Dieu a glissé quelque chose dans mon cœur, et j'ai eu l'idée du projet Hannah. Hannah, dans l'Ancien Testament, connaît la réprobation. Mais quand on lui dit enfin qu'elle avait de la valeur et qu'elle était digne d'amour et de respect, sa vie en fut transformée. Le projet Hannah est unique. Il est relié au système judiciaire. Les personnes arrêtées pour prostitution ont désormais la possibilité de participer au projet Hannah. Si elles y participent, le juge ordonne l'abandon des poursuites et leur casier judiciaire est effacé. C'est énorme pour ces femmes, comme un nouveau départ ! Que se passe-t-il au projet Hannah ? C'est un programme d'une journée ordonné par la cour. Les femmes ont un dépistage gratuit du SIDA et des MST et un cours sur les MST. On leur donne des informations sur la manière de se faire assister en cas d'agression sexuelle et de traumatisme. Un représentant de la justice vient leur parler de femmes impliquées dans la prostitution locale et qui ont été assassinées ou gravement blessées. Ce n'est pas pour les terroriser, mais c'est un rappel à la réalité : ça arrive ici même, peu importe la taille de la ville. Enfin, nous avons une intervenante qui est elle-même une ancienne victime du trafic sexuel et de la prostitution. Elle sait s'adresser à ces femmes à un niveau très personnel et leur expliquer qu'il est possible de s'échapper et de s'en sortir. Des organisations sont présentes à nos côtés, qui peuvent apporter une aide immédiate, que ce soit pour s'échapper, trouver un emploi, trouver un logement, aider face à la toxicomanie. Mais ce qui m'a le plus surprise avec le projet Hannah, ce qui avait le plus fort impact, c'était le traitement de ces femmes dans l'amour et le respect. À la fin de la journée, les femmes répondent à un questionnaire d'enquête avec une section pour les commentaires. Et une femme a écrit ce commentaire : « Dans cette formation, j'étais comme tout le monde, et traitée ainsi dès le départ. Rien n'était plus précieux pour moi ! » Il est très triste de voir que traiter quelqu'un comme une personne peut faire à ce point la différence. Comment leur témoigner amour et respect ? Par des paroles fortes et des services concrets. Sur chaque projet Hannah, nous avons des bénévoles qui ne font rien d'autre qu'aimer toutes ces femmes et les servir. On leur sert le petit déjeuner, on leur sert le déjeuner. En fin de journée, on leur donne de petits cadeaux. C'est si incroyable de voir un groupe de femmes arriver le matin, tristes, brisées, fortement sur la défensive. Mais au fil de la journée, vous apercevez l'espoir, elles commencent à comprendre que les gens se soucient d'elles, qu'elles sont dignes d'être aimées. En fin de journée, on se serre dans les bras, on pleure et on se donne de l'amour les uns aux autres. C'est incroyable. Et comment je sais que c'est l'amour et le respect qui font la vraie différence ? Parce qu'elles me le disent et qu'elles l'écrivent. Tant de femmes ont écrit la même chose que cette femme. « Merci pour votre bienveillance. » Le projet Hannah fonctionne-t-il ? Oui. Des femmes m'appellent, m'envoient un email, me rendent visite, pour me dire combien leur vie a changé depuis leur participation au projet. On lance de nouveaux projets Hannah dans différentes villes de l'État du Tennessee ainsi que dans l'État de Géorgie. Plus de 1 000 personnes ont participé au projet Hannah depuis 2011. Un tiers de ces personnes ont été repérées comme des victimes du trafic sexuel. Sans le projet Hannah, le système judiciaire aurait, par erreur, condamné des victimes. Dans notre culture, du fait d'attitudes culturelles, nous empêchons ces femmes de chercher de l'aide, et nous les marquons à jamais au fer rouge de la honte et du jugement. Il nous faut collectivement changer notre vision de la prostitution et éduquer les gens : la prostitution est un crime qui fait aussi des victimes. Quelle est la vérité derrière le sourire d'une travailleuse du sexe ? Le sourire est un masque qui cache la peur, la contrainte, les menaces, les abus sexuels d'enfants, le viol, la dépendance et la honte. Je me demande ce que ces filles, en grandissant, rêvaient d'être. Merci. (Applaudissements)