Bonjour,
Je pense que l’exemple de la fin de la vidéo
précédente avec les ensembles où j’alternais
formes et images illustre assez bien ma philosophie:
j’aime ce qui ne se voit pas. Personne n’a
jamais fait sur Youtube la moindre remarque
sur ma manière d’utiliser Powerpoint, et
je crois que peu de gens réalisent que ce
que je fais en amphi ou en séminaire c’est
exactement la même chose – d’ailleurs,
des extraits de mes cours ou séminaires se
retrouvent sur Youtube et réciproquement.
Quand il s’agit de donner un peu de vie
à ses présentations, la clef est de considérer
le mouvement comme une partie intégrale du
narratif, et pas comme un “truc” pour
essayer d’insuffler un peu de vie là où
il n’y en a pas. La manière de le démontrer
est peut-être par un contre-exemple.
J’ai assisté il y a longtemps en Californie
à une présentation informatique par un conférencier
jeune et enthousiaste, qui avait de l’humour,
et connaissait très bien son sujet. Il a
juste commis une faute, mais majeure: il avait
choisi d’enchaîner ses slides avec des
transitions aléatoires, et cela a donné
à peu près ceci. Lui-même semblait surpris.
Cela aurait dû être une des bonnes présentations
de la conférence, et tout ce que j’ai retenu
c’est cette erreur des transitions aléatoires.
On ne voyait que cela. En fait j’en suis
resté traumatisé, au point que par la suite,
pendant de nombreuses années, je n’ai jamais
employé une transition.
Mon point de vue a changé un jour où je
voulais parler réseaux, et expliquer que
dans un réseau informatique, au moins avec
le protocole TCP/IP, tout est envoyé par
petits paquets, à peu près deux par page
de texte, et quand on veut envoyer quelque
chose de gros, c’est découpé à un bout
et réassemblé à l’autre.
Pour représenter le réseau, une forme de
cylindre, que j’ai basculée et colorée
avec un dégradé pour avoir davantage le
côté “tuyau”. Quelque chose de gros?
N’ayons pas peur des clichés, j’ai trouvé
un clipart sympa d’éléphant, cela fait
l’affaire. Mon but, c’était donc de remettre
l’éléphant à l’autre bout, et d’avoir
une animation “sortie” pour l’éléphant
de gauche et une animation “entrée” simultanée
de même type pour l’éléphant de droite,
qui ferait passer l’idée démontage/remontage.
Et là je me suis retrouvé sec. Le fondu?
Cela ne fonctionne pas, le message ne part
pas en vapeur.
La dissolution, cela ne fonctionne pas non
plus, cela fait poudre de perlimpinpin. L’échiquier
était un peu mieux, mais cela n’a pas le
côté un peu aléatoire que je cherchais,
comme les paquets n’arrivent pas forcément
dans le bon ordre.
Je ne me rappelle pas pourquoi j’ai fait
des essais avec des transitions, mais je vais
vous montrer avec deux autoportraits de Rembrandt,
réalisés à 40 ans d’intervalle, ce sur
quoi je suis tombé: la transition “dissolution”
n’avait rien à voir avec l’animation
“dissolution”.
Et je me suis dit: “mais qu’est-ce que
ça donne si au lieu de mettre mes deux éléphants
sur la même slide je les mets sur deux slides
différentes avec la deuxième slide arrivant
en dissolution?”.
Et bien je vais vous le montrer. Voilà ce
que cela donne, et c’est exactement l’effet
que je cherchais.
Ce qui m’a sur le moment surpris, c’est
que le tuyau ne semble absolument pas affecté.
En fait, la transition n’est visible que
sur ce qui n’est pas commun aux deux slides.
Cela n’a rien d’étonnant avec l’absence
de transition ou le fondu; mais j’ai brusquement
compris qu’il y avait d’autres transitions
qui pouvaient ne pas se voir comme le passage
d’une slide à l’autre, mais comme une
animation particulière. Leur caractéristique,
c’est que si j’ai deux slides qui se suivent
avec des éléments communs et si je définis
cette transition pour la deuxième slide,
l’enchaînement n’affectera pas ce qui
est commun. En fait, si j’avais deux slides
successives strictement identiques, je ne
verrais rien.
Je ne savais pas comment nommer ces transitions,
et ce que je vous propose c’est d’employer
un adjectif emprunté aux mathématiques et
de les appeler des transitions idempotentes.
En math, un élément idempotent est un élément
qui ne change rien pour une opération donnée,
comme 0 pour l’addition ou 1 pour la multiplication.
Une transition idempotente est une transition
invisible entre deux slides identiques.
Les transitions idempotentes permettent dans
un certain nombre de cas d’utiliser indifféremment
animation ou transition, et les implications
pratiques sont nombreuses.
Par exemple, supposons, une fois n’est pas
coutume, que l’on ait à mentionner trois
points. Cela peut-être l’annonce du plan
de la présentation, ou un rappel de ce que
l’on a vu d’important. Evidemment, principe
fondamental, on ne va pas balancer la slide
et laisser tout le monde lire avant que l’on
ait eu la chance d’en placer une. Le réflexe
normal, c’est d’utiliser les animations.
On va donc sélectionner le texte, et dans
le menu des animations aller choisir “apparaître”.
On pourrait aussi bien choisir le fondu. Sauf
que bien sûr tout voir apparaître en même
temps n’est pas ce que l’on veut. On va
donc aller sur ce qui s’appelle chez moi
“reorder”, sélectionner l’effet et,
dans les options d’animation de texte, dire
que l’on ne veut pas voir tout surgir d’un
coup mais par paragraphe. Cette fois, chaque
clic fera surgir un paragraphe que l’on
pourra commenter. Il y a une option qui est
encore mieux, qui permet de mettre l’accent
sur le paragraphe courant. Dans les options
d’effet, je vais dire d’atténuer après
l’animation, ce qui se dit “to dim”
en anglais. Je peux choisir une couleur, de
manière à ce que le texte passé soit toujours
là mais se fonde davantage dans la slide.
Voilà ce que cela donne, et il y a deux problèmes,
certes pas insolubles, mais qui compliquent
les choses: d’une part, par défaut l’option
d’atténuation s’applique à tout, et
je me sens un peu idiot quand tout est atténué.
Je ne veux pas atténuer le dernier paragraphe,
après lui je dois passer directement à la
slide suivante. Et l’autre problème, c’est
comment faire si par exemple on veut faire
apparaître une image différente à côté
du paragraphe dont on parle?
Tout ceci peut se résoudre beaucoup plus
facilement avec des animations idempotentes.
Comment vais-je faire?
Je prends ma slide, sans la moindre animation,
et je la copie autant de fois que j’ai de
paragraphes. Sur la dernière slide, je mets
tous les paragraphes sauf le dernier dans
la couleur d’atténuation, et sur les précédentes
je supprime ce qui suit le paragraphe courant,
et mets les précédents dans la couleur d’atténuation.
Pour enjoliver un peu, une image différente
chaque fois. A chaque slide sauf la première
j’associe une transition idempotente. Très
facile à faire, bien plus facile que l’animation,
et quand je mets en action le résultat est
irréprochable.
Pour toute la série de transitions qui sont
disponibles, oubliez les qualificatifs “subtile”,
“excitante” (personnellement il m’en
faut plus pour m’exciter) ou “dynamique”.
Le vrai qualificatif, c’est idempotente
ou pas – est-ce que la transition va se
fondre dans mon narratif et être dans la
continuité, ou va-t-elle marquer une rupture.
J’ai testé tout ce qui était disponible
dans ma version de Powerpoint; dans les logos,
B représente la slide courante et A la slide
qui la précède. J’ai marqué en vert tout
ce qui est idempotent, et en rouge tout ce
qui ne l’est pas. Mention spéciale pour
le “push”, qui n’est pas vraiment idempotent
mais qui est assez particulier et dont je
vais parler tout de suite. Aucune des dernières
transitions, que je n’emploie pour la plupart
jamais, n’est idempotente.
Il est évident que quand on regarde les transitions
sous cet angle, le concept de “slide”
n’a plus beaucoup de sens, et je préfère
le remplacer par un concept de séquence,
une suite de slides en nombre indéfini qui
s’enchaînent avec des transitions idempotentes.
J’avais déjà abordé le sujet dans la
3ème vidéo de cette série, grâce à l’idempotence
on peut maintenir une continuité et donc
rester dans le narratif. Pour moi, le fameux
concept “une slide, une idée” ne rime
à rien et je crois que ce qui est intéressant
c’est “une séquence, une idée”, sachant
que l’on peut avoir plusieurs illustrations
de l’idée, ou points de vue sur elle, dans
la séquence.
Et les transitions qui ne sont pas idempotentes?
Beaucoup ne me semblent pas vraiment indispensables,
mais certaines ont leur place pour marquer
les grandes ruptures si plusieurs sujets assez
différents sont abordés, ou si vous faites
une parenthèse. Pour les plus petites ruptures,
une transition idempotente (et de préférence
l’absence de transition) fera parfaitement
l’affaire si les éléments sur la slide
changent tous.
La grande rupture typique c’est pour moi,
quand je donne un séminaire sur une demi-journée
ou plus, la pause que je dois ménager au
bout de 60 à 90 minutes. Si l’organisateur
du séminaire a bien préparé la chose, c’est
café et petits gâteaux, sinon c’est la
machine à café ...
En général, j’utilise les transitions
très visibles par paire, avec des mouvements
inversés.
J’ai mentionné précédemment que j’élaborerais
sur la transition “push”, qui est assez
spéciale. Nancy Duarte aime beaucoup le “push”,
et je vais essayer d’illustrer comment elle
l’utilise. Tout d’abord, commençons par
le drapeau suédois. Pourquoi le drapeau suédois?
A cause de la “croix nordique” que l’on
retrouve sur tous les drapeaux scandinaves
et qui va de bord à bord, vous allez tout
de suite voir ce qui m’a plu en elle, et
parce que contrairement à la Norvège ou
à l’Islande il n’y a que deux couleurs,
donc c’est plus simple, et ces deux couleurs
se prêtent mieux à une présentation Powerpoint
que celle de la Finlande ou du Danemark. Si
l’on est en Suède et que l’on va vers
le nord, loin, loin, on arrive au pôle. Redescendons
au sud, et poussons à l’ouest, et nous
tombons sur les vikings norvégiens. La Suède
a eu ses vikings, mais contrairement aux Danois
et aux Norvégiens ils poussaient davantage
vers la Russie et Byzance que vers la Grande-Bretagne
et la France.
Qu’avez vous eu l’impression de voir?
Quelque chose de beaucoup plus grand que le
champ de vision de la présentation, sur lequel
on a promené une fenêtre.
Qu’avez vous vu en réalité? Quatre slides
différentes, deux d’entre elles dupliquées,
pour lesquelles je suis passé de l’une
à l’autre avec des transitions de type
“push”, d’abord d’en haut, puis d’en
bas (qui est la valeur par défaut), et enfin
depuis la gauche. On a une grande impression
de continuité, renforcée par la continuité
graphique de la croix scandinave. L’effet
n’aurait pas été aussi bon avec le drapeau
suisse, par exemple.
Tant que je suis à parler de drapeaux, j’aimerais
souligner que si, au lieu d’avoir pour fond
le drapeau suédois, j’avais utilisé un
drapeau français, belge ou italien, pousser
vers le haut ou le bas serait devenu une transformation
idempotente. Et pousser vers la droite ou
la gauche aurait été une transformation
idempotente avec un drapeau allemand, néerlandais
ou polonais par exemple.
La méthode du “poussé” est une manière
très élégante de présenter une quantité
conséquente d’information par morceaux
cohérents tout en ayant quelque chose qui
reste lisible. Pour présenter du code informatique,
une démonstration mathématique ou un processus
industriel complexe, c’est une excellente
solution. D’ailleurs, je ne sais pas si
vous vous en êtes rendu compte, mais je viens
juste de l’utiliser pour expliquer la réalisation
de la séquence suédoise. J’avais une séquence
de 6 slides. La représentation des 6 slides
sur une seule slide, c’était trop petit,
et cela semblait trop tassé à gauche. J’ai
donc montré le début de la séquence sur
une slide, poussée vers le haut, et fin de
la séquence.
Un dernier point, juste pour vous rappeler
que tout se tient: si vous adoptez un fond
un peu fantaisie, pousser ne fonctionnera
pas. Et si votre fond est un dégradé linéaire,
pousser dans la direction du dégradé ne
fonctionnera pas; en revanche, l’effet sera
celui désiré si vous poussez perpendiculairement
au dégradé. Une raison de plus en faveur
des fonds unis, qui permettent tout.
La prochaine fois, je discuterai des animations
à proprement parler.