Ce week-end,
des millions de personnes aux États-Unis
et des millions d'autres dans le monde,
à Columbus en Géorgie,
à Cardiff au Pays de Galles,
à Chongqing en Chine, à Chennai en Inde,
quitteront leur maison,
monteront dans leurs voitures,
prendront les transports en commun
ou marcheront,
s'installeront dans une salle
et s’assiéront à côté de quelqu'un
qu'ils ne connaissent pas
ou quelqu'un qu'ils connaissent,
les lumières s'éteindront
et ils regarderont un film.
Ils regarderont un film
sur des aliens ou des robots,
sur des robots aliens
ou sur des gens normaux.
Mais ce seront tous des films
sur ce que c'est qu'être humain.
Des millions de personnes
seront émerveillées ou effrayées,
des millions riront
et des millions pleureront.
Et puis les lumières se rallumeront
et ils retrouveront le monde
qu’ils avaient quitté
quelques heures plus tôt.
Et des millions de personnes
verront le monde
un peu différemment
que lorsqu'elles sont entrées.
Tout comme aller dans un temple,
une mosquée, une église
ou toute autre institution religieuse,
aller au cinéma est, à bien des égards,
un rituel sacré.
Répété semaine après semaine.
J'y serai ce week-end,
comme pendant la plupart des week-ends
entre les années 1986 et 1990,
au multiplex, près du centre commercial
à environ 8 km de ma maison
d'enfance à Columbus, en Géorgie.
Ce qui est amusant,
c'est qu'entre hier et aujourd'hui,
j'ai accidentellement changé
une partie de la conversation
sur la manière de créer les films.
En fait, l'histoire commence
réellement en 2005,
dans un bureau au-dessus
du Sunset Boulevard,
où j'étais jeune cadre pour la société
de production de Leonardo DiCaprio,
Appian Way,
Et pour ceux qui ne sont pas familiers
avec l'industrie du cinéma,
cela voulait dire que j'étais
l'une des personnes derrière celle
qui produit le film pour ceux
derrière et devant la caméra,
dont vous reconnaissez le nom
bien mieux que le mien.
Vous êtes donc un producteur de film
adjoint, qui faites le travail ingrat
qui entre dans l’aspect créatif
de la production d’un film.
Vous listez les écrivains,
réalisateurs et acteurs
qui pourraient convenir
pour les films que vous voulez créer ;
vous en rencontrez beaucoup,
ainsi que leurs représentants,
dans l’espoir d'obtenir
de futurs rendez-vous.
Et vous lisez, beaucoup.
Vous lisez des romans
qui pourraient devenir des films,
des BD qui pourraient devenir des films,
des articles qui pourraient
devenir des films,
des scripts qui pourraient
devenir des films.
Et vous lisez des scripts d'auteurs
qui pourraient écrire des adaptations
de romans, de bandes dessinées, d'articles
et qui pourraient réécrire les scripts
sur lesquels vous travaillez déjà.
Tout dans l'espoir de trouver
le prochain succès
ou le scénariste capable
d'écrire quelque chose
qui pourrait faire de vous
et de votre entreprise
une superstar.
En 2005, j'étais chargé de développement
dans la société de Leonardo.
J'ai reçu un appel
du représentant d'un scénariste,
qui commença à peu près
comme toutes ces conversations :
« J'ai le prochain film de Leo. »
Dans ce film, que son client avait écrit,
Leo joue un lobbyiste
de l'industrie pétrolière
dont la petite amie,
une météorologue locale,
menace de le quitter parce que son travail
contribue au réchauffement climatique.
Et cette situation est bouleversée
par un ouragan se formant
dans l’Atlantique
et pouvant causer des dégâts
semblables à Maria sur Myrtle Beach.
Leo, attristé par cette rupture imminente,
fait quelques recherches sur l'ouragan
et découvre que sur sa trajectoire
à travers l'Atlantique,
il passera au-dessus d'un volcan
depuis longtemps endormi,
mais à présent actif
qui crachera des cendres
toxiques dans ses yeux
qui seront probablement récupérées
dans une sorte d’arme chimique
qui détruira le monde.
(Rires)
C'est à ce moment que je lui ai demandé :
« Donc vous êtes en train de me vendre
Leo contre le super ouragan toxique
qui détruira l'humanité ? »
Et il répondit en disant :
« Dit comme ça, ça a l'air ridicule. »
Et je suis gêné d'admettre que je lui ai
demandé de m'envoyer le script
et que j'en ai lu 30 pages
avant d’être sûr
que c’était aussi mauvais
que ce que je pensais.
« Superstorm » est certainement
un exemple extrême,
mais ce n'est pas non plus un cas isolé.
Hélas, la plupart des scripts ne sont pas
aussi faciles à rejeter que celui-là.
Par exemple, une comédie sur une lycéenne,
qui, devant une grossesse non planifiée,
prend une décision inhabituelle
concernant son enfant à naître.
Il s'agit évidemment de « Juno ».
230 millions au box-office mondial,
quatre nominations
aux Oscars, une victoire.
Ou alors un adolescent de Mumbai
ayant grandi dans les bidonvilles
et qui veut participer
à la version indienne
de « Qui veut gagner des millions » ?
Celui-ci est facile -
« Slumdog Millionaire ».
377 millions dans le monde,
10 nominations aux Oscars et 8 victoires.
Un chimpanzé racontant son histoire
avec la légendaire pop star
Michael Jackson.
Personne ?
(Rires)
C'est une question piège.
Mais ce script s'appelle « Bubbles »
qui va être dirigé par Taika Waititi,
le réalisateur de « Thor : Ragnarok ».
Une grande partie du travail
d'un chargé de développement
consiste à séparer « Superstorm »
des « Slumdog Millionaire »
et plus généralement,
ceux qui écrivent « Superstorm »
de ceux qui peuvent écrire
« Slumdog Millionaire ».
Et le moyen le plus simple est
évidemment de lire tous les scripts
mais c'est, clairement, impossible.
En règle générale,
la Writers Guild of America
enregistre environ 50 000 nouveaux
documents chaque année
et la plupart sont des scénarios.
Parmi cela, on estime
que 5 000 d’entre eux
passent au travers de divers filtres,
agences, sociétés de gestion,
compositions de scénarios
et sont lus par une personne
de la société de production
ou d'un grand studio.
Et ils essaient de décider
s'il peut devenir
l’un des 300 films proposés
par les grands studios ou leurs filiales
chaque année.
Cela peut s'assimiler à entrer
dans une librairie
réservée aux membres,
où tout l'inventaire
est organisé au hasard
et chaque livre a la même
couverture quelconque.
Votre travail consiste à entrer
dans cette librairie
et ne pas en ressortir avant d'y avoir
trouvé les livres les plus rentables.
C'est anarchique et joyeusement opaque.
Et chacun a sa méthode
pour résoudre ces problèmes.
La plupart comptent
sur les grandes agences
et présument que s'il y a de grands
talents dans le monde,
ils ont déjà trouvé leur chemin
vers les agences,
indépendamment des barrières
structurelles qui existent
pour entrer dans les agences
en premier lieu.
D'autres comparent constamment leurs notes
sur ce qu'ils ont lu et ce qui est bon,
et espèrent que leur réseau
est le meilleur, le mieux câblé
et avec les meilleurs goûts.
Et d'autres essaient de tout lire,
mais encore une fois, c'est impossible.
Si vous lisez 500 scénarios en un an,
vous lisez beaucoup.
Et pourtant ce n'est qu'un petit
pourcentage de ce qui existe.
Le secret, c'est le triage.
Et en triant, on a tendance
à écouter la sagesse populaire
sur ce qui fonctionne
et ce qui ne fonctionne pas.
Une comédie sur une jeune femme
confrontée à la réalité de la procréation
ne se vendra pas.
L'histoire d'un adolescent indien
n'est pas viable sur le marché local
ou n'importe où dans le monde
en dehors de l'Inde.
La seule source de films viable vient
d'un groupe très restreint d'écrivains
qui ont déjà trouvé le moyen de vivre
et de travailler à Hollywood,
qui ont déjà une grande renommée
et qui écrivent une gamme
très étroite d'histoires.
Et je suis un peu gêné d'admettre,
que c'est là où j'en étais en 2005.
Assis à ce bureau au-dessus
de Sunset Boulevard,
regardant cette librairie
anonyme métaphorique
et n'ayant lu que des mauvais
scripts pendant des mois.
Et cela voulait dire deux choses :
soit je n'étais pas bon dans mon travail,
qui consistait, apparemment,
à trouver de bons scripts,
soit lire de mauvais scripts
était mon travail.
Dans ce cas, les appels répétés
de ma mère me demandant
si mes résultats aux examens de droit
étaient toujours valables
auraient dû me faire réagir.
Je savais aussi que j’étais
sur le point de partir en vacances
et aussi désagréable que ce soit de lire
de mauvais scripts pour votre travail,
ça l'est encore plus en vacances.
Je devais faire quelque chose.
Donc un soir à mon bureau,
j'ai fait une liste
de toutes les personnes avec lesquelles
j'avais mangé ou bu un verre,
occupant des emplois similaires au mien
et je leur ai envoyé un mail anonyme,
avec une demande très simple.
Envoyez-moi une liste
de vos 10 scénarios préférés
répondant à trois critères.
Un : vous aimez le scénario,
deux : la version filmée de ce scénario
ne sera pas dans les salles
d'ici la fin de cette année,
et trois : vous avez découvert
le scénario cette année.
Ce n'était pas un appel pour des scripts
qui seraient le prochain blockbuster,
ni un appel pour des scripts
qui gagneraient un Oscar,
leurs supérieurs n'étaient pas
obligés de les aimer
ou leur studio prêt à les réaliser.
C’était tout simplement une occasion
pour que les gens disent ce qu’ils aiment,
ce qui, dans ce monde,
est de plus en plus rare.
La quasi-totalité des 75 personnes
contactées ont répondu de manière anonyme.
Et une vingtaine d'autres avait envoyé
un mail pour participer
à cette adresse mail anonyme,
et j'ai vérifié qu'ils occupaient bien
les emplois qu'ils prétendaient avoir.
J'ai ensuite compilé les votes
dans un tableur
et édité le tout dans un PowerPoint
et la veille de mon départ en vacances,
j'ai trouvé un nom un peu provocateur
et je l'ai envoyé
avec cette adresse mail anonyme
à tous ceux qui avaient voté.
« La Liste noire ».
Un hommage à ceux
qui ont perdu leur carrière
pendant l'hystérie anticommuniste
des années 40 et 50
et une inversion consciente de la notion
que le noir avait en quelque sorte
une connotation négative.
Après être arrivé au Mexique,
je me suis installé près de la piscine,
j'ai commencé à lire ces scripts
et à ma grande surprise,
la plupart d'entre eux étaient très bons.
Mission accomplie.
Ce à quoi je ne m'attendais pas,
c'est ce qui arriva ensuite.
Après une semaine de vacances,
je me suis arrêté au centre d'affaires
de l'hôtel pour consulter mes mails.
C'était le monde avant l'iPhone.
Et il se trouve que cette liste,
que j'avais créée anonymement,
m'avait été renvoyée
plusieurs dizaines de fois,
sur ma propre adresse mail.
Tout le monde partageait
cette liste de scripts qu'ils aimaient,
les lisaient et les appréciaient.
Et ma première réaction,
que je ne peux pas vraiment dire ici
mais que je décrirais comme de la peur,
sonder les gens sur leurs scripts
n'était certainement pas
une idée de génie.
Il y avait, à Hollywood,
une sorte de loi officieuse
qui avait dissuadé les gens
de faire ça auparavant
et que j'étais simplement trop naïf
pour comprendre
car je débutais ma carrière.
J'étais certain de me faire virer
et j'ai donc décidé ce jour-là
que je ne dirais jamais à personne
que j'avais fait ça
et que je ne le referais plus jamais.
Six mois plus tard, quelque chose
d'encore plus bizarre arriva.
J'étais à mon bureau, à Sunset,
et j'ai reçu l'appel de l'agent
d'un autre écrivain.
L'appel commença quasiment
de la même manière que « Superstorm » :
« J'ai le prochain film de Léo. »
Ce n'est pas la partie intéressante.
La partie intéressante est la façon
dont l'appel s'est terminé.
Parce que cet agent
me dit alors, et je cite :
« Ne le dites à personne,
mais je le sais de source sûre.
Ce scénario sera numéro un
de la Liste noire de l'année prochaine. »
(Rires)
Ouais.
Autant vous dire que j'étais abasourdi.
Cet agent, utilisant la Liste noire
que j'avais créée anonymement
et que j'avais juré
de ne plus jamais refaire,
pour me vendre son client.
Suggérant que ce script
en valait la peine,
basé uniquement sur la possibilité d'être
inclus dans cette liste de scénarios.
Après avoir raccroché, je me suis assis
à mon bureau, regardant par la fenêtre,
alternant entre le choc et le vertige.
Et puis, j'ai réalisé
que cette chose que j'avais créée
avait bien plus de valeur qu'une liste
de scénarios à lire pendant les vacances.
Et donc je l'ai refait l'année suivante -
et le « LA Times » m'a décrit
comme étant l'auteur -
et l'année suivante,
et l'année suivante - je le fais
chaque année depuis 2005.
Et les résultats ont été fascinants,
parce que, sans fausse modestie,
cet agent avait parfaitement raison.
Cette liste était la preuve,
pour beaucoup de gens,
de la valeur d'un script
et qu'un bon scénario avait plus de valeur
ce que, je pense, beaucoup
de gens avait déjà compris.
Très vite, les écrivains
dont les scripts étaient sur cette liste
ont commencé à avoir du travail,
ces scripts sont devenus des films,
et ces scripts étaient souvent ceux
qui déjouaient les certitudes
sur ce qui fonctionnait
et ce qui ne fonctionnait pas.
C'étaient des scripts comme
« Juno », « Little Miss Sunshine »,
« The Queen », « Le Discours d'un roi »
et « Spotlight ».
Et aussi « Slumdog Millionaire ».
Et même le prochain film
sur le chimpanzé de Michael Jackson.
Je pense qu'il est important
que je m'arrête quelques instants
car je ne peux m'attribuer le mérite
pour le succès de ces films.
Je ne les ai pas écrits, ni réalisés,
ni produits, ni promus.
Je n'ai pas fourni le catering
ni le service -
nous savons tous à quel point
c'est important.
Le mérite pour ces films, pour ces succès,
revient aux personnes
qui les ont réalisés.
J'ai juste changé la façon
dont les gens les regardaient.
J'ai accidentellement demandé
si la doxa était juste.
Et c'est certain qu'il y a des films
sur cette liste qui auraient été réalisés
sans la Liste noire mais beaucoup d'autres
ne l'auraient pas été.
Au moins, nous en avons catalysé
beaucoup en production
et je pense que c'est important.
Il y a eu environ
1 000 scénarios sur la Liste noire
depuis sa création en 2005.
Environ 325 ont été produits.
Ils ont été nominés pour 300 Oscars,
ils en ont gagné 50.
Quatre des neuf derniers meilleurs films
sont issus de scripts de la Liste noire
et 10 des 20 Oscars
pour le meilleur scénario
ont été attribués à des scripts
de la Liste noire.
Au total, ils ont rapporté
25 milliards de dollars
au box-office mondial,
ce qui signifie que des centaines
de millions de personnes
ont vu ces films en sortant de chez eux,
en s'asseyant à côté d'un inconnu
avec les lumières éteintes.
Sans parler des marchés secondaires,
comme les DVD, le streaming
et soyons honnêtes,
les téléchargements illégaux.
Il y a cinq ans aujourd'hui,
le 15 octobre,
mon collègue et moi-même
avons misé sur cette idée
que le talent de scénariste n'était pas
là où nous nous attendions à le trouver,
nous avons donc créé un site
qui permet à n'importe qui sur Terre
ayant écrit un scénario en anglais
de le publier, de le faire évaluer
et de le rendre disponible aux milliers
de professionnels du cinéma.
Et je suis heureux de dire que,
cinq ans après son lancement,
nous avons largement prouvé cette théorie.
Des centaines d’écrivains dans le monde
ont trouvé une représentation,
ont vu leur travail devenir rentable.
Sept ont même vu leurs films réalisés
ces trois dernières années,
dont le film « Nightingale »
l'histoire du déclin
psychologique d'un vétéran,
dans lequel seul le visage
de David Oyelowo est présent à l'écran
pendant les 90 minutes du film.
Il a été nominé pour un Golden Globe
et deux Emmy Awards.
C'est aussi cool que plus d'une dizaine
d'écrivains découverts sur le site
se soient retrouvés
sur cette liste annuelle,
dont deux des trois derniers
meilleurs auteurs.
Autrement dit, l'opinion commune
sur le mérite de l'écriture de scénario -
où il se trouve et où il peut être trouvé,
était erronée.
Et c'est notable, parce que,
comme je l'ai mentionné auparavant,
dans le tri pour trouver
des films à réaliser,
on accorde beaucoup de confiance
aux croyances populaires.
Et cette croyance populaire
pourrait peut-être
se tromper de façon profonde.
Les films sur des personnes de couleur
ne se vendent pas à l'étranger.
Les films d'action féminins
ne marchent pas
parce que les femmes s'identifieront
aux hommes, mais pas l'inverse.
Et personne ne veut voir des films
avec des femmes de plus de 40 ans.
Nos héros à l'écran doivent se conformer
à une idée très étroite de la beauté
que nous considérons conventionnelle.
Que signifient ces images
projetées à neuf mètres de haut
avec les lumières éteintes
pour un enfant comme moi
à Columbus, en Géorgie ?
Ou pour une fille musulmane
à Cardiff, au pays de Galles ?
Ou pour un enfant gay à Chennai ?
Que cela dit de la façon
dont nous nous voyons,
celle dont nous voyons le monde
et celle dont le monde nous voit ?
Nous vivons une période très étrange.
Et je pense que pour la plupart,
nous vivons tous
dans un état de triage constant.
Il y a trop d'informations,
trop de choses à affronter.
Nous avons donc tendance à nous référer
aux normes conventionnelles.
Et je pense qu'il est important
que nous nous demandions constamment
quelle part de cette sagesse
conventionnelle
est constituée de conventions
et non de sagesse ?
Et quel en est le prix ?
Merci.
(Applaudissements)