Comment la technologie a changé ce que c'est que d'être sourd

« Le silence complet est très addictif, » dit Rebecca Knill, écrivaine qui a des implants cochléaires qui lui permettent d'entendre. Dans ce discours amusant et perspicace, elle explore l'évolution de la technologie d'écoute assistée, la façon dépassée dont les gens réagissent encore à la surdité et comment nous pouvons changer notre compréhension culturelle de la capacité à construire un monde plus inclusif. « La technologie est arrivée si loin, » dit-elle, « notre état d'esprit a juste besoin de la rattraper. »

Je m’appelle Rebecca, et je suis cyborg.

(Rires)

Précisément, j'ai 32
puces informatiques dans ma tête,

ce qui reconstruit mon sens de l'audition.

Ce qu'on appelle un implant cochléaire.

Vous vous souvenez des Borgs de Star Trek,

ces extraterrestres qui ont conquis
et absorbé tout ?

Eh bien, c'est moi.

(Rires)

La bonne nouvelle est que
je viens pour votre technologie

et non pour vos formes de vie humaines.

(Rires)

En fait, je n'ai jamais vu
d'épisode de Star Trek.

(Rires)

Mais il y a une raison à cela :

la télévision n'était pas sous-titrée
quand j'étais enfant.

J'ai grandi profondément sourde.

Je suis allée dans des écoles ordinaires,
je lisais sur les lèvres.

J'ai rencontré un autre
sourd pour la première fois à 20 ans.

L'électronique était principalement
audio à l'époque.

Mon réveil était ma sœur Barbara,

qui allait régler son réveil
et me lancer un truc pour me réveiller.

(Rires)

Mes aides auditives étaient très fortes
avec un volume de marteau-piqueur,

mais elles m'ont aidée plus
que la plupart des gens.

Elles me permettaient d'entendre
la musique et le son de ma propre voix.

J'ai aimé l'idée que la technologie
peut aider à rendre le monde plus humain.

Je regardais la couleur du flash stéréo
lorsque la musique changeait.

Ce n'était qu'une question de temps avant
que ma montre puisse me montrer le son.

Saviez-vous que l'ouïe
se produit dans le cerveau ?

Dans votre oreille se trouve
un petit organe appelé cochlée,

et la cochlée est tapissée de milliers
de récepteurs appelés cellules ciliées.

Lorsque le son entre dans votre oreille,

ces cellules ciliées envoient
des signaux électriques à votre cerveau,

et votre cerveau interprète ensuite
cela comme du son.

Les dommages aux cellules ciliées
sont courants :

exposition au bruit,
vieillissement ordinaire, et maladie.

Mes cellules ciliées étaient endommagées
avant ma naissance.

Maman a été exposée à la rougeole
quand elle était enceinte de moi.

Environ 5% des gens
ont une perte auditive importante.

En 2050, cela devrait doubler
et dépasser 900 millions de personnes,

soit une personne sur 10.

Pour les personnes âgées,
c'est déjà une sur trois.

Avec un implant cochléaire,

les puces remplacent
les cellules ciliées endommagées.

Imaginez une boîte de 16 crayons,

et ces 16 crayons, en combinaison,

doivent faire toutes les couleurs
de l'univers.

De même avec l'implant cochléaire.

J'ai 16 électrodes
dans chacune de mes cochlées.

Ces 16 électrodes, combinées,
envoient des signaux à mon cerveau,

représentant tous les sons de l'univers.

J'ai des appareils électroniques dedans
et dehors de ma tête

pour y arriver,

y compris un petit processeur,
des aimants à l'intérieur de mon crâne

et une source d'alimentation rechargeable.

Les ondes radio transmettent le son
à travers les aimants.

La première question qu'on me pose
à propos de l'implant cochléaire

quand les gens entendent
parler des aimants

est de savoir si ma tête colle au frigo.

(Rires)

Non.

(Rires)

(Applaudissements)

Merci, Merci.

(Applaudissements)

Je le sais parce que j'ai essayé.

(Rires)

Les personnes entendantes
présument que les sourds

vivent dans un état perpétuel
de vouloir entendre,

car ils ne peuvent pas imaginer autrement.

Mais je n'ai jamais voulu entendre.

Je voulais juste faire partie
d'une communauté comme moi.

Je voulais que tout le monde soit sourd.

Je pense que ce sentiment d'appartenance
est ce qui relie finalement nos histoires,

et la mienne semblait incomplète.

À l'époque des premiers
implants cochléaires

dans les années 80,

l'opération était aussi effrayante
que le monstre Frankenstein.

En 2001, la procédure
avait considérablement évolué,

mais elle effaçait toujours le peu
d'audition naturelle que vous aviez.

Le taux de réussite à la compréhension
de la parole était alors faible,

peut-être 50%.

Si cela ne réussissait pas,
vous ne pouviez pas revenir en arrière.

À l'époque, les implants étaient aussi
controversés dans la culture des sourds.

Au fond, cela a été considéré
comme l'équivalent

de changer la couleur de votre peau.

Je me suis abstenue un moment,

mais mon ouïe baissait rapidement,

et les aides auditives ne m'aidaient plus.

En 2003, j'ai pris la décision difficile
d'avoir l'implant cochléaire.

J'avais juste besoin d'arrêter
ce cycle infernal de perte de l'ouïe

que l'opération réussisse ou non,

et je ne pensais vraiment pas
que ce serait le cas.

Je l'ai vu comme
une dernière case à cocher

avant de faire la transition
vers la surdité totale,

ce qu'une partie de moi voulait.

Le silence complet est très addictif.

Peut-être avez-vous passé du temps dans
un réservoir de privation sensorielle,

et vous savez ce que je veux dire.

Le silence a la capacité
de libérer l'esprit.

En silence, je vois du son.

Lorsque je regarde un clip vidéo sans son,

je peux entendre de la musique.

En l'absence de son,

mon cerveau comble les lacunes
en fonction du mouvement que je vois.

Mon esprit ne rivalise plus
avec la distraction du son.

Il est libre de penser
de manière plus créative.

Il y a aussi des avantages
à avoir des parties du corps bioniques.

Il est indéniablement pratique
de pouvoir entendre,

et je peux le désactiver à tout moment.

(Rires)

J'entends quand je dois le faire,
et le reste du temps, je n'entends pas.

L'ouïe bionique ne vieillit pas,

bien que les pièces externes
doivent parfois être remplacées.

Ce serait tellement cool

de régénérer automatiquement une partie
endommagée comme un vrai cyborg,

mais je reçois le mien d'Advanced Bionics
par la Poste.

(Rires)

Oh, je reçois des mises à jour

téléchargées dans mon crâne.

(Rires)

Ce n'est pas tout à fait AirDrop
- mais proche.

(Rires)

Avec l'implant cochléaire,

je peux diffuser de la musique
de mon iPod dans ma tête sans écouteurs.

Récemment, je suis allée au long concert
ennuyeux d'un ami...

(Rires)

et personne ne le sait,

j'ai écouté les Beatles
pendant trois heures à la place.

(Rires)

(Applaudissements)

La technologie a tant évolué si vite.

L'obstacle auquel je suis confrontée
en tant que personne sourde

n'est plus une barrière physique.

C'est la façon dont les gens réagissent
à ma surdité,

la façon obsolète
dont les gens réagissent à ma surdité -

pitié, condescendance, voire colère -

parce que cela annule simplement
le lien humain

que la technologie établit.

J'ai eu une fois une colocataire qui
m'a fait une crise de colère monumentale,

car je ne l'avais pas entendue
frapper à la porte

alors que sa clé ne fonctionnait pas.

Si je n'avais pas été présente,
elle aurait pu obtenir une autre clé,

mais quand elle a vu que j'étais là,
sa colère a explosé.

Il ne s'agissait plus d'une clé.

Il s'agissait de la surdité
n'étant pas une raison suffisante

pour son désagrément.

Ou la publicité qui met en scène
un homme sourd

surpris par son environnement contenant
des messages en langue des signes

émis par les gens dans la rue.

Tous ceux qui m'ont envoyé la vidéo
m'ont dit qu'ils avaient pleuré,

alors je leur ai demandé :

« Et s'il n'était pas sourd ?

Et si sa première langue était l'espagnol,

et que tout le monde apprenait
l'espagnol à la place,

auriez-vous pleuré ? »

Et ils ont tous dit non.

Ils ne pleuraient pas à cause
de la barrière de communication,

ils pleuraient parce que
l'homme était sourd.

Mais j'ai un autre avis.

Et si les Borgs apparaissaient
dans cette vidéo,

et que les Borgs disaient :
« La surdité n'est pas pertinente. »

Car c'est ce qu'ils disent, non ?

Tout est « hors de propos ».

Et puis les Borgs ont assimilé le sourd -

pas par pitié, pas par colère,

mais parce qu'il avait
une particularité biologique

que les Borgs voulaient,

y compris des capacités
linguistiques uniques.

Je préfère de loin voir cette publicité.

(Rires)

Pourquoi penser à la capacité
rend-il les gens si mal à l’aise ?

Vous connaissez peut-être une pièce,
plus tard un film,

intitulé « Les Enfants du silence »,

de Mark Medoff.

Le titre anglais
[Enfants d'un dieu inférieur]

est en fait inspiré d'un poème
d'Alfred Tennyson,

et j'interprète à la fois
la pièce et le titre

pour dire que les humains
qui sont perçus comme défectueux

ont été créés par un dieu inférieur

et vivent une existence inférieure,

tandis que ceux créés par le vrai Dieu
sont une classe supérieure,

car Dieu ne fait pas d'erreurs.

Pendant la Seconde Guerre mondiale,

environ 275 000 personnes handicapées

ont été assassinées dans des camps
d'extermination spéciaux,

car elles ne convenaient pas à la vision
d'Hitler d'une race supérieure.

Hitler a dit qu'il était inspiré
par les États-Unis,

qui avaient promulgué des lois sur la
stérilisation obligatoire des « inaptes »

au début des années 1900.

Cette pratique s'est poursuivie
dans plus de 30 États jusqu'aux années 70,

la dernière loi ayant finalement
été abrogée en 2003.

Le monde n'est donc pas si éloigné
du poème de Tennyson.

Cette tendance à faire des hypothèses
sur les gens basées sur leurs capacités

ressort dans des phrases comme :

« Tu es si spéciale »,
« Je ne pourrais pas vivre comme ça »

ou « Dieu merci, ce n'est pas moi ».

Changer la façon dont les gens pensent,
c'est comme perdre une habitude.

Avant d'avoir mon implant, j'avais cessé
d'utiliser le téléphone vocal

et j'étais passée au courriel,
mais on m'envoyait des messages vocaux.

Ils étaient agacés
que je ne réponde pas au téléphone

et que je ne rappelle pas.

J'ai continué à leur expliquer
ma situation.

Il leur a fallu des mois pour s'adapter.

Avance rapide de 10 ans,

et vous savez qui d'autre détestait
la messagerie vocale ?

Millennials.

(Rires)

Vous savez ce qu'ils ont fait ?

Ils ont normalisé les SMS
pour la communication.

Maintenant, quand il s'agit d'ignorer
la messagerie vocale,

peu importe que vous soyez sourd
ou simplement absorbé.

(Rires)

(Applaudissements)

La génération Y a changé ce que
les gens pensent de la messagerie.

Ils ont réinitialisé la valeur par défaut.

Puis-je vous dire
combien j'aime envoyer des SMS ?

Oh, et des textes de groupe.

J'ai six frères et sœurs -

ils entendent tous,

mais je ne les méprise pas pour autant.

(Rires)

Et nous nous envoyons des SMS.

Savez-vous comment c'est excitant

d'avoir un moyen de communication visuel
que tout le monde utilise ?

Je suis donc en mission maintenant.

En tant que consommatrice de technologie,

je veux des options visuelles
chaque fois qu'il y a du son.

Peu importe que je sois sourde

ou que je ne veuille pas
réveiller le bébé.

Les deux sont également valables.

Les concepteurs intelligents

incluent plusieurs façons
d'accéder à la technologie,

mais la discrimination de cet accès
sous le label « accessibilité »

ne fait que la rendre inaccessible
aux utilisateurs traditionnels.

Pour changer la façon
dont les gens pensent,

nous devons être plus qu'accessibles,

nous devons être connectés.

Apple l'a fait récemment.

Sur mon iPhone, il affiche
automatiquement une transcription visuelle

de ma messagerie vocale,

juste à côté du bouton audio.

Je ne pourrais pas l'enlever
même si je le voulais.

Et vous savez quoi d'autre ?

Netflix, Hulu, Amazon Prime ne disent plus

« sous-titré pour les malentendants ».

Ils disent « sous-titres »,
« on » ou « off »,

avec une liste de langues
en dessous, y compris l'anglais.

La technologie a évolué jusqu'à ce point !

Notre état d'esprit a juste
besoin de le rattraper.

« La résistance est futile. »

(Rires)

Vous avez été assimilés.

(Rires)

Je vous remercie.

(Applaudissements)