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Entretien avec Jérémie Zimmermann - la Parisienne Libérée

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    [La Parisienne Libérée]
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    [Jérémie Zimmermann - entretien de documentation pour le projet Datalove]
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    [Le Net neutre]
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    (Jérémie Zimmermann) On utilise souvent ce terme de neutralité du Net
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    qui est en fait un mauvais terme,
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    parce que 'neutralité', dans nos sociétés, ça n'a pas une connotation vraiment positive.
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    Ça a une connotation neutre.
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    Personne ne va aller mourir pour la neutralité, même pas en Suisse.
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    En réalité, la neutralité du Net, c'est l'universalité du Net.
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    C'est cette caractéristique absolument unique
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    qui est liée à des événements historiques, mais de l'histoire de la technologie.
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    C'est qu'il y a quelques années, on ne savait pas faire un internet autre que neutre,
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    autre qu'universel.
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    Et c'est comme ça qu'internet s'est développé,
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    c'est le modèle de croissance d'internet qui est basé là-dessus.
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    Ça veut dire que tout le monde connecté à internet a accès à tout internet
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    et peut participer à tout internet.
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    Tout le monde peut accéder à tous les contenus, tous les services, toutes les applications
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    et tout le monde peut publier des nouveaux contenus
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    et expérimenter, publier des nouveaux services et de nouvelles applications.
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    C'est ça, la neutralité du Net, c'est ça, le Net neutre.
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    En réalité, ça -- c'est presque plus explicite de parler d'universalité,
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    parce que ça donne bien l'image d'un petit gamin au Gabon, d'un autre en Afghanistan,
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    d'un autre aux US ou d'un autre en Europe,
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    qui vont avoir exactement le même potentiel d'accès et de participation.
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    Alors il y a évidemment d'autres barrières à l'accès et à la participation:
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    le fait qu'énormément de ressources soient en anglais et pas dans d'autres langues,
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    le fait qu'au Gabon ou en Afghanistan, les débits sont sans doute très inférieurs
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    à ce qu'on peut avoir aux Etats-Unis ou en Europe.
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    Mais, dans les faits, avoir un accès à plus bas débit, ça reste un accès internet.
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    Il faudra peut-être plus longtemps pour afficher la page Web,
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    mais on y arrivera.
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    On a été les pionniers du Web
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    quand on avait des modems à 9600 ou à 14'400 caractères par seconde,
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    là où aujourd'hui, ça se compte en millions.
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    Cette universalité, elle est clé, parce qu'elle est,
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    elle est de fait, elle n'a pas été choisie
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    mais c'est un état de fait,
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    et elle est le reflet de ce que pourrait être
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    une société hyperconnectée,
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    dans laquelle, sans barrières de langue,
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    sans barrières de religion,
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    sans barrières géographiques,
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    les uns pourraient participer avec les autres,
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    les uns et les autres pourraient s'entraider,
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    pourraient inventer ensemble,
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    pourraient -- à l'image des logiciels libres
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    qui sont fabriqués, inventés collectivement
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    par des gens aux quatre coins de la planète.
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    C'est cet idéal humaniste qu'est l'universalité d'internet.
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    Le problème, aujourd'hui,
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    c'est que des intérêts industriels, d'une part,
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    et politiques, d'autre part,
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    rêvent de porter atteinte à cette universalité.
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    L'exemple le plus flagrant, c'est le gouvernement chinois,
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    qui, afin de préserver l'intégrité du régime politique,
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    choisit que tout ce qui a trait à Tien An Men ou à Falung Gong
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    ne soit pas accessible de ses citoyens.
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    C'est un choix politique qui se transforme en des réglages techniques
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    et en application massive de solutions technologiques de censure
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    pour choisir que la Chine n'ait plus accès à tout internet
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    mais à la version d'internet approuvée par le gouvernement chinois,
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    ou à, en somme, Chineternet.
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    On voit cette tendance de censure internet à des fins politiques se développer.
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    Même ici, en France, pays des Droits de l'Homme,
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    on voit la censure du Net se développer au nom de la lutte, ô combien légitime,
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    contre la diffusion de contenus à caractère pédopornographique,
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    contre les jeux en ligne qui ne paient pas leur TVA,
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    bientôt, au nom de l'égalité hommes-femmes, etc. etc.
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    Donc ça, c'est la vision politique d'un morcèlement d'internet
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    qui porte évidemment atteinte
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    à ce concept de neutralité, ou d'universalité, du Net,
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    mais on voit aussi des intérêts économiques,
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    chez les opérateurs Télécom principalement,
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    se dire: "Mais pourquoi tout le monde aurait accès à tout?
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    Nous, on a bien des choses à leur vendre, à ces utilisateurs.
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    On leur vend par exemple des minutes de communication internationale
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    hors de prix, pourquoi est-ce qu'on les laisserait
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    utiliser des logiciels de Voix sur IP,
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    qui leur permet de communiquer pas cher?
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    On essaie de leur vendre des vidéos
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    quand on essaie de faire des deals avec Universal ou Machin,
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    pourquoi on les laisserait aller regarder YouTube?"
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    Etcaetera.
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    Et donc, on a vu se développer des politiques économiques
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    qui d'abord visaient à directement restreindre les flux de données chez les utilisateurs.
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    Alors il y a eu un certain nombres de levées de boucliers, de bronca (check)
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    donc ça fait des années qu'on est sur ce dossier-là
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    et les opérateurs semblent avoir mis de l'eau dans leur vin de côté-là.
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    Mais maintenant, il y a une tendance lourde pour eux à essayer d'aller faire des deals
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    directement avec les plate-formes de services en ligne,
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    type YouTube, Daily Motion et autres
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    pour prioriser certains flux.
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    Et évidemment, quand on en priorise certains,
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    on dépriorise tous les autres.
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    Donc, c'est quelque chose qui appelle à notre vigilance, en tant que citoyens,
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    parce qu'on est peut-être en train déjà de perdre
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    ce qui est l'essence de cette universalité, de cet humanisme
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    qui se niche au cœur du réseau internet,
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    pour des raisons bassement politiques,
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    pour des raisons bassement économiques.
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    Et c'est pour cela qu'il faut imposer la neutralité du Net dans la loi,
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    c'est pour cela qu'il faut sanctionner les comportements des opérateurs
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    qui violent la neutralité du Net
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    et c'est pour cela qu'on se bat, entre autres, avec la Quadrature du Net.
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    Parce que, lorsqu'un acteur, qu'il soit institutionnel ou économique,
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    va faire le choix de restreindre tel bout de notre accès internet,
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    que ce soit en fonction de qui on est,
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    d'avec qui on communique,
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    ou de la nature même des données que l'on échange,
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    cela va, d'une part, porter atteinte à notre liberté de communication,
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    parce que notre expression est directement liée à internet aujourd'hui,
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    mais aussi, ça va potentiellement créer des distorsions de concurrence
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    ou des barrières à l'innovation.
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    Donc, c'est un vrai enjeu de politique publique,
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    c'est un enjeu de politique industrielle.
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    Pour un meilleur développement d'internet et de tout ce qui s'y rattache,
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    tout ce que l'on en tire comme bénéfices sociaux, économiques, culturels,
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    il faut un Net neutre, il faut un Net universel.
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    Cette neutralité du Net, dont nous affirmons qu'elle est essentielle
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    pour protéger la liberté d'expression, la libre concurrence et l'innovation sur internet,
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    doit être codifiée dans la loi.
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    C'est un débat en cours depuis de longues années aux Etats-Unis,
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    que l'on a initié au niveau européen et qui est en train de faire son chemin.
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    Il y a déjà un certain nombre de pays au monde
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    qui ont fait le choix d'imposer cette neutralité du Net.
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    C'est le cas des Pays-Bas, c'est le cas de la Slovénie,
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    du Chili et du Pérou.
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    (La maîtrise des technologies)
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    C'était un point commun entre tous les dossiers
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    sur lesquels on agit et on évolue,
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    qui est qu'il y a une incompréhension massive des réalités technologiques,
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    déjà par les pouvoirs publics, donc par les lobbyistes,
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    souvent par les journalistes qui racontent tout ça.
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    Mais nous, on fait un petit peu le pont entre ces réalités technologiques
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    et les aspects politiques publics, purement politiques ou sociaux.
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    Et je suis convaincu d'une chose,
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    c'est que c'est cette maîtrise de la connaissance de la technologie
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    qui est le point de bascule entre le contrôle et la surveillance d'une part,
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    et la liberté de l'autre.
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    On voit ça avec les logiciels libres, par exemple.
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    Lorsque quelqu'un a toute sa vie utilisé Microsoft Windows ou Apple Mac OS,
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    la seule perspective de voir un autre système va les faire flipper.
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    Mais pas parce qu'ils ne connaissent pas,
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    plus parce qu'ils sont habitués
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    et que sortir de ses habitudes est quelque chose de très difficile.
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    Mais à chaque fois, on va voir que prendre en main ce nouvel outil implique
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    ben, de faire œuvre d'un peu d'humilité, déjà,
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    pour pouvoir s'ouvrir, pour pouvoir commencer à apprendre.
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    Mais c'est l'apprentissage, dans le cas du logiciel libre,
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    c'est quelque chose d'infiniment gratifiant,
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    déjà parce que ce que moi j'ai appris en 95, avec le --
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    en commençant à utiliser GNU Linux, je le connais encore aujourd'hui,
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    je l'utilise encore aujourd'hui.
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    C'est des technologies qui sont durables,
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    qui sont faites pour durer,
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    contrairement à l'obsolescence programmée d'une nouvelle version d'un gadget
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    qu'on va vous revendre tous les six mois,
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    parce qu'il faut bien faire tourner la machine.
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    Donc, il y a cet aspect de la connaissance gratifiante
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    qui fait qu'une fois que vous comprenez comment fonctionne la machine,
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    vous allez vous sentir plus en confiance,
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    peut-être même plus en sécurité,
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    parce que vous allez pouvoir adopter des réflexes et des mécanismes.
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    Mais dans tout ce que l'on voit
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    et dans toutes les technologies pour lesquelles on prêche, si j'ose dire,
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    donc, que ce soit le logiciel libre ou les services décentralisés,
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    par opposition aux Google et aux Facebook
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    qui sont des montagnes gigantesques, des Mordor de données personnelles,
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    ou le chiffrement point à point
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    dans lequel les utilisateurs gèrent leurs clés pour communiquer entre eux
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    et s'assurer que la communication ne soit pas, en théorie, surveillable,
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    ce qui implique donc de gérer ces clés, de créer de nouvelles clés,
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    de jeter ses clés à la poubelle quand elles sont trop vieilles, etc.
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    Toutes ces technologies impliquent une prise en main par l'utilisateur.
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    Certains vont voir ça comme: "Ah, c'est beaucoup trop compliqué,
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    parce que moi, de toute façon, j'y comprends rien parce que je suis pas ingénieur."
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    Mais en réalité, tout ce que ça veut dire, c'est: il faut apprendre.
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    Il faut apprendre pour comprendre, pour se l'approprier.
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    Et je suis convaincu d'une chose,
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    c'est que ça n'est qu'en s'appropriant la technologie
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    que l'on va pouvoir la maîtriser, et donc être libre.
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    Parce que l'inverse, ça veut dire se faire maîtriser par la technologie,
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    et donc se faire contrôler.
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    Et ça, c'est le modèle d'Apple,
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    dans lequel tous les appareils sont liés avec les logiciels,
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    avec les produits, avec les machins,
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    où vous ne pouvez pas sortir:
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    une fois que vous avez mis le pied dedans,
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    vous ne pouvez pas en sortir -
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    et où on verra, avec les prochaines révélations,
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    à quel point ils savent tout de vous,
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    vos numéros de carte de crédit, vos déplacements,
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    votre historique de navigation, etc. etc.
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    Et ce sera peut-être un nouveau scandale.
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    Et donc, cette notion d'apprendre la technologie pour se l'approprier,
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    je pense, est au cœur de toutes ces problématiques
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    à la fois politiques, sociales et culturelles,
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    dans lesquelles on a l'impression qu'on est sur un point de bascule,
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    on est à un embranchement entre deux scénarios:
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    d'un côté, une société techno-totalitaire
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    dans laquelle les machines seraient toutes utilisées ensemble contre nous
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    pour mieux nous contrôler;
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    et dans l'autre, l'utopie des logiciels libres,
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    dans laquelle on a tous notre avenir en main,
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    on a tous les moyens de devenir un entrepreneur, un startupeux (check)
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    ou un politicien, ou un chanteur ou quoi que ce soit,
  • 11:51 - 11:56
    parce que l'on a la maîtrise des outils, la maîtrise des technologies,
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    donc, en somme, la maîtrise de nos destins dans l'environnement numérique.
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    (Défendre nos libertés)
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    Je pense clairement à cette histoire de la grenouille dans la casserole,
  • 12:09 - 12:12
    où, quand tu vas jeter une grenouille dans une casserole d'eau chaude,
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    elle rebondit avec ses pattes arrières et se barre tranquillette,
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    ou quand tu mets la grenouille dans une casserole d'eau froide,
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    que tu montes petit à petit la température,
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    elle va pas s'en apercevoir, et elle va cuire.
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    C'est cette image bien connue qu'on utilise souvent
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    pour décrire le glissement de nos démocraties vers quelque chose d'autre, de post-démocratique,
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    et c'est cela que l'on documente tous les jours avec la Quadrature du Net,
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    quand on fait juste un petit peu attention au contexte politique ambiant,
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    surtout dans un monde post 11 septembre 2001,
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    et donc, cette idée que l'on peut à la fois mesurer
  • 12:47 - 12:50
    combien se détricotent les libertés,
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    et en même temps, retricoter derrière,
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    utiliser le pouvoir que l'on a à l'échelle individuelle,
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    utiliser évidemment internet tant qu'on l'a encore entre les mains,
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    pour démultiplier cette capacité de veille, d'analyse,
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    de réaction, d'organisation, de coordination
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    et, de là, reprendre en main ces libertés,
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    reconceptualiser ce qu'impliquent ces libertés fondamentales,
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    que ce ne soit pas le vieux texte poussiéreux de Déclaration des Droits de l'Homme
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    qu'on a oublié de lire depuis la classe de quatrième,
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    mais se reposer la question de pourquoi
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    tout homme peut lire, écrire, parler, imprimer librement,
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    pourquoi il faut une protection de la vie privée,
  • 13:41 - 13:43
    qu'est-ce que le droit à un procès équitable,
  • 13:43 - 13:44
    qu'est-ce que ça implique,
  • 13:44 - 13:46
    pourquoi la justice?
  • 13:47 - 13:49
    Pourquoi on a fait ces investissements,
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    pourquoi on a conquis ça par le passé,
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    et tout simplement, s'en servir.
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    Nous, ce que l'on dit, c'est que, voilà,
  • 13:56 - 13:58
    la liberté ne s'use que si on ne s'en sert pas
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    et qu'il faut utiliser sa liberté d'expression,
  • 14:01 - 14:04
    il faut utiliser sa vie privée,
  • 14:04 - 14:06
    dans laquelle on va se développer,
  • 14:06 - 14:07
    dans laquelle on va expérimenter,
  • 14:07 - 14:11
    dans laquelle on va inventer de nouveaux processus créatifs,
  • 14:11 - 14:13
    de nouvelles idées, de nouveaux concepts,
  • 14:14 - 14:15
    de nouveaux modes d'action politique.
  • 14:15 - 14:19
    Il faut utiliser tout ça ensemble, pour faire la démonstration
  • 14:20 - 14:25
    que c'est en utilisant ces libertés que l'on arrive à améliorer la société,
  • 14:25 - 14:27
    que l'on arrive à s'améliorer soi-même
  • 14:27 - 14:30
    et, en quelque sorte, redécouvrir la liberté,
  • 14:30 - 14:32
    redécouvrir le sens des libertés,
  • 14:32 - 14:36
    pour mieux agir, pour mieux participer, au sens large --
  • 14:36 - 14:40
    à fois la participation démocratique dans les activités politiques,
  • 14:40 - 14:44
    mais la participation au sens large, à la vie sociale, à la vie de quartier,
  • 14:44 - 14:46
    à la vie communautaire, à la vie associative etc.
  • 14:47 - 14:51
    Moi, j'ai l'impression que l'antithèse du courage,
  • 14:52 - 14:53
    non, l'antagoniste,
  • 14:53 - 14:56
    j'ai l'impression que l'antagoniste du courage, c'est la peur,
  • 14:56 - 15:00
    que la peur est instrumentalisée, que la peur est manipulée
  • 15:00 - 15:03
    et que, avec la peur, on maintient les individus sous contrôle.
  • 15:03 - 15:08
    Donc, déconstruire cette peur et les raisons de cette peur,
  • 15:08 - 15:10
    déconstruire peut-être le jeu médiatique,
  • 15:10 - 15:13
    la rhétorique politique,
  • 15:13 - 15:14
    pour expliquer aux individus
  • 15:14 - 15:18
    que cette peur est trop souvent fabriquée, instrumentalisée,
  • 15:18 - 15:25
    est peut-être une des parties de la solution pour donner aux gens le courage d'agir.
  • 15:25 - 15:28
    Ensuite, inventer des formes de militantisme
  • 15:29 - 15:30
    qui ne soient pas les trucs à la papa,
  • 15:30 - 15:33
    CGT poing levé, avec des banderoles,
  • 15:34 - 15:37
    parce que, voilà, ça marche quand il y a 100'000 personnes dans la rue,
  • 15:38 - 15:44
    mais dix personnes motivées, ou cent personnes motivées peuvent déplacer des montagnes,
  • 15:44 - 15:47
    alors qu'en termes de manifs dans la rue, ça ne rime à rien.
  • 15:47 - 15:51
    Donc inventer, réinventer des modes d'action qui permettent à des petits groupes,
  • 15:51 - 15:52
    voire à des individus seuls,
  • 15:52 - 15:55
    de participer à quelque chose de plus grand,
  • 15:55 - 15:58
    ça, c'est tout ce que l'on a à faire avec internet,
  • 15:58 - 16:00
    c'est ce que l'on essaie de pratiquer tous le jours.
  • 16:00 - 16:03
    Ensuite, mener par l'exemple.
  • 16:03 - 16:07
    Pas dire "Ah, vous devriez faire ceci ou cela, vous pourriez faire ceci ou cela."
  • 16:07 - 16:07
    Juste le faire.
  • 16:08 - 16:11
    Et dire: "Si vous voulez faire quelque chose de potentiellement utile,
  • 16:11 - 16:14
    hé bien rejoignez-nous et aidez-nous à le faire."
  • 16:14 - 16:18
    Et là aussi, c'est quelque chose que permet internet, c'est le concept de "do-ocracy"
  • 16:18 - 16:21
    tel qu'on le voit dans le logiciel libre
  • 16:21 - 16:23
    où c'est, si tu as une très bonne idée,
  • 16:23 - 16:29
    mais que tu n'est pas à même soit de commenter précisément ce qui se passe,
  • 16:29 - 16:33
    soit de fournir du code pour corriger le comportement du logiciel,
  • 16:33 - 16:35
    ben tu ne seras pas aussi écouté que si tu dis:
  • 16:35 - 16:37
    "Ben regardez, il y a un bug, voilà comment le réparer".
  • 16:39 - 16:45
    Ensuite, sur l'impression d'un flux constant d'attaques sur nos libertés,
  • 16:46 - 16:48
    c'est quelque chose qui pourrait être assez décourageant,
  • 16:49 - 16:51
    et c'est pour cela, et d'une, que l'on s'affaire
  • 16:51 - 16:55
    à essayer de faire le lien entre tous ces dossiers-là,
  • 16:55 - 16:57
    pour voir qu'une fois que l'on a gagné sur l'ACTA,
  • 16:57 - 16:59
    ça ne veut pas dire que tout reste à reconstruire:
  • 16:59 - 17:03
    au contraire, la suite de l'ACTA, c'est le TAFTA, l'accord transatlantique.
  • 17:03 - 17:06
    Et à partir du moment où l'on arrive à coudre, comme ça,
  • 17:06 - 17:08
    les uns avec les autres, les dossiers,
  • 17:08 - 17:13
    on arrive à construire cette "big picture", cette perspective sur les choses,
  • 17:13 - 17:15
    dans laquelle on s'aperçoit que voilà, on n'est pas,
  • 17:15 - 17:18
    on n'a pas tout à recommencer, mais au contraire, c'est un chemin.
  • 17:18 - 17:20
    Je crois que c'est Nelson Mandela qui disait:
  • 17:20 - 17:25
    "Voilà, j'ai escaladé une montagne immense, mais après avoir fini de l'escalader,
  • 17:25 - 17:29
    c'est seulement pour s'apercevoir qu'il reste d'autres montagnes à escalader."
  • 17:29 - 17:31
    Et ce sera toujours comme cela.
  • 17:31 - 17:34
    On a commencé la Quadrature du Net du constat
  • 17:34 - 17:39
    que ce flot d'attaques contre nos libertés était incessant.
  • 17:39 - 17:41
    Pourtant, on peut y faire quelque chose.
  • 17:41 - 17:44
    Ce que l'on a démontré avec ACTA, c'est une gifle politique
  • 17:44 - 17:47
    qui résonne encore dans les couloirs de la Commission Européenne.
  • 17:47 - 17:49
    Lorsqu'ils parlent de toucher à internet aujourd'hui,
  • 17:49 - 17:52
    ce qui circule en interne, dans la Commission,
  • 17:52 - 17:55
    c'est: "On ne veut pas d'un autre ACTA,"
  • 17:55 - 17:57
    tellement on leur a fait peur.
  • 17:57 - 17:59
    Et donc, c'est plutôt ça, plutôt que de se dire:
  • 17:59 - 18:03
    "Ah la la, on a gagné une fois, mais il va falloir recommencer," c'est se dire:
  • 18:03 - 18:08
    "Voilà, on sait comment gagner, on a déjà gagné. Donc celle-là, on va la gagner encore mieux."
  • 18:09 - 18:14
    Sur ACTA, il n'y avait pas que les hackers et les geeks de l'internet,
  • 18:14 - 18:16
    il y avait les gens de l'Accès aux Médicaments,
  • 18:17 - 18:20
    il y avait les gens de la réutilisation des graines,
  • 18:20 - 18:22
    il y avait des bibliothécaires,
  • 18:22 - 18:26
    il y avait des business, un peu, qui étaient là aussi.
  • 18:26 - 18:32
    Et donc, élargir sans cesse le cercle des gens qui sont concernés par ces dossiers-là.
  • 18:32 - 18:34
    Et pour le coup, avec l'Accord Transatlantique,
  • 18:34 - 18:35
    ils sont en train de nous faire un cadeau,
  • 18:35 - 18:41
    parce que ce truc-là est tellement vaste et concerne tellement d'aspects de nos sociétés,
  • 18:41 - 18:51
    de la sécurité alimentaire, la finance, l'environnement, internet, Accès aux médicaments, etc. etc.,
  • 18:51 - 18:59
    que l'on voit déjà se profiler les signaux avant-coureurs d'un raz-de-marée contre cet accord,
  • 18:59 - 19:02
    alors que l'on en est au troisième round de négociations.
  • 19:03 - 19:06
    Aujourd'hui, n'importe qui prend un appareil qu'il a déjà dans sa poche,
  • 19:06 - 19:08
    et qui vaut trente euros si-non,
  • 19:08 - 19:12
    et se filme, et met cette vidéo sur internet.
  • 19:12 - 19:15
    Ça, il y a 5 ans ou il y a 10 ans, c'était pas vraiment pensable.
  • 19:16 - 19:20
    Aujourd'hui, on peut faire des chats avec des gens aux quatre coins du monde
  • 19:20 - 19:22
    avec la voix, avec la vidéo, etc.,
  • 19:22 - 19:25
    on peut envisager des modes de participation
  • 19:26 - 19:29
    et des modes de coordination, des modes d'organisation qui étaient impensables.
  • 19:29 - 19:35
    Donc quelque part, j'ai l'impression que plus les pouvoirs publics ont peur d'internet,
  • 19:35 - 19:38
    ou commencent à percevoir de plus en plus internet comme un contre-pouvoir,
  • 19:38 - 19:44
    au plus, ils vont peut-être accélérer le pas de ces attaques contre nos libertés.
  • 19:44 - 19:47
    Et donc, c'est une espèce de tension, évidemment permanente,
  • 19:47 - 19:54
    mais qui est bien le reflet de l'impact d'internet sur nos sociétés
  • 19:54 - 20:01
    et du potentiel qu'il offre pour la participation, et donc pour améliorer nos sociétés
  • 20:01 - 20:02
    et pour changer le monde.
  • 20:03 - 20:09
    Donc il est très important que l'on soit les gardiens de cette tension,
  • 20:09 - 20:11
    que l'on ne lâche jamais rien,
  • 20:11 - 20:15
    que l'on documente tous ces épisodes
  • 20:15 - 20:20
    pour que, quand on perd un centimètre, on puisse tous savoir qu'on l'a perdu,
  • 20:20 - 20:23
    mais aussi, quand on gagne un centimètre, on puisse tous savoir qu'on l'a gagné,
  • 20:23 - 20:28
    que l'on puisse vraiment tracer cette ligne le plus précisément possible.
  • 20:28 - 20:29
    Et quelque chose qui est très important aussi,
  • 20:29 - 20:33
    et ce à quoi on s'attache énormément avec la Quadrature du Net,
  • 20:33 - 20:36
    c'est le volet propositionnel.
  • 20:36 - 20:39
    C'est dire "OK, on est en opposition" quand il y a des mauvaises choses qui arrivent
  • 20:39 - 20:40
    au niveau des parlements,
  • 20:40 - 20:45
    mais on va aussi dessiner notre agenda, notre agenda positif,
  • 20:45 - 20:47
    par exemple, pour réformer le droit d'auteur,
  • 20:47 - 20:50
    ou alors pour défendre la neutralité du Net et garantir la neutralité du Net
  • 20:51 - 20:56
    ou encore, pour repenser le cadre de la liberté d'expression en d'autres termes que,
  • 20:56 - 21:00
    d'un côté l'expression anonyme qui est celle des terroristes
  • 21:00 - 21:03
    et qui permet tous les propos de haine
  • 21:03 - 21:08
    et de l'autre, Google et Facebook qui demandent son vrai nom et où donc, on se sent en sécurité.
  • 21:08 - 21:12
    Donc, replacer les bases du débat,
  • 21:13 - 21:17
    replacer le débat public sur nos bases à nous, sur nos termes;
  • 21:17 - 21:21
    faire venir les pouvoirs politiques et les pouvoirs industriels sur notre terrain
  • 21:22 - 21:24
    autant que nous allons combattre sur le leur,
  • 21:24 - 21:28
    quand ils nous proposent des HADOPI, des LOPSI, des ACTA, des TAFTA
  • 21:28 - 21:29
    et des machins comme ça.
  • 21:29 - 21:32
    Donc ça, c'est la partie un petit peu enthousiasmante,
  • 21:32 - 21:34
    c'est celle qui est extrêmement difficile,
  • 21:34 - 21:39
    parce qu'il est beaucoup plus difficile de fédérer autour d'un programme en 14 points
  • 21:39 - 21:42
    sur la réforme du droit d'auteur et les politiques culturelles associées,
  • 21:42 - 21:45
    que sur un message en dix caractères, comme "Non à ACTA!"
  • 21:47 - 21:51
    Mais c'est, je pense, ce qu'il y a peut-être de plus structurant sur le long terme,
  • 21:51 - 21:58
    de plus utile pour, et d'une, partager une vision de ce que serait
  • 21:58 - 22:01
    une défense efficace de nos libertés sur internet
  • 22:01 - 22:06
    et se donner des objectifs et, petit à petit, faire plier les pouvoirs politiques
  • 22:06 - 22:10
    pour imposer cette défense sans compromis des libertés sur internet.
  • 22:10 - 22:14
    En réalité, il y a une définition stricte des libertés:
  • 22:14 - 22:18
    c'est la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen,
  • 22:18 - 22:21
    c'est la Charte des droits fondamentaux au niveau européen,
  • 22:21 - 22:24
    la charte de l'ONU, etc.
  • 22:24 - 22:27
    Et en pratique, c'est beaucoup plus compliqué que ça.
  • 22:27 - 22:30
    En pratique, nos libertés sont une espèce de cocktail
  • 22:31 - 22:35
    dans lequel les composants sont un petit peu de pouvoir politique,
  • 22:35 - 22:39
    un petit peu de pouvoir judiciaire et de jurisprudence,
  • 22:39 - 22:40
    un petit peu de pouvoir administratif
  • 22:40 - 22:45
    et surtout, beaucoup de pouvoir citoyen, beaucoup de nos usages,
  • 22:46 - 22:52
    car on le voit tous les jours, et c'était flagrant dans les Etats-Unis après le 11 septembre 2001,
  • 22:52 - 22:55
    combien les individus, dans toutes les sphères et à tous les niveaux,
  • 22:55 - 22:57
    ont cette capacité à s'auto-censurer.
  • 22:58 - 23:01
    Quand le Patriot Act est parti en octobre 2001,
  • 23:01 - 23:03
    a été voté comme ça, comme une lettre à la poste,
  • 23:03 - 23:08
    cette espèce de pavé qui était évidemment déjà rédigé lors des attentats du 11 septembre,
  • 23:08 - 23:10
    personne aux Etats-Unis n'a osé broncher,
  • 23:11 - 23:12
    parce que la rhétorique ambiante, c'était:
  • 23:12 - 23:16
    soit vous êtes avec les terroristes, soit vous êtes avec les patriotes.
  • 23:16 - 23:18
    Et cette loi, elle s'appelle le Patriot Act.
  • 23:18 - 23:22
    Une chose est sûre, c'est qu'Internet, c'est un formidable laboratoire,
  • 23:22 - 23:24
    c'est un terrain de jeu, internet,
  • 23:24 - 23:28
    dans lequel un coup avec un masque de Guy Fawkes,
  • 23:28 - 23:30
    un coup derrière pseudonyme,
  • 23:30 - 23:31
    un coup avec son vrai nom,
  • 23:31 - 23:35
    un coup sur un blog, un coup sur un tweet, un coup sur un canal IRC etc.,
  • 23:35 - 23:40
    on va pouvoir expérimenter avec de nouvelles formes d'expression,
  • 23:40 - 23:41
    de nouvelles formes de langages,
  • 23:41 - 23:44
    avec de nouvelles formes de participation.
  • 23:44 - 23:48
    Et c'est ce côté-là qui est tellement précieux, je pense,
  • 23:48 - 23:51
    parce qu'il est dynamique comme notre société devrait l'être
  • 23:51 - 23:54
    et comme elle devrait l'être à plus forte mesure
  • 23:54 - 23:58
    si elle devait s'adapter à des changements assez radicaux,
  • 23:59 - 24:03
    comme des attaques en règle sur notre vie privée, sur notre liberté d'expression,
  • 24:03 - 24:06
    voire sur notre droit à un procès équitable, liberté de mouvement, etc.
  • 24:06 - 24:09
    (Rien à cacher)
  • 24:09 - 24:11
    Si tu n’as rien à cacher,
  • 24:11 - 24:15
    alors on pourrait mettre une caméra dans ta chambre à coucher et dans ta salle de bains,
  • 24:15 - 24:17
    et en publier les images sur internet.
  • 24:17 - 24:18
    - Ah non!
  • 24:18 - 24:20
    Ou alors si tu n’as rien à cacher,
  • 24:20 - 24:23
    on peut prendre ton login et ton mot de passe sur facebook ou sous google,
  • 24:23 - 24:26
    les publier et que chacun puisse aller fouiller dedans.
  • 24:27 - 24:29
    Non. On se rend bien compte, là, qu'il y a un problème.
  • 24:31 - 24:34
    On se rend bien compte que ça -- qu'il y a un conflit avec cette notion de: "Mais j'ai rien à cacher".
  • 24:35 - 24:37
    Ah, mais mine rien, il y a quand même des choses que j'ai envie de garder pour moi.
  • 24:37 - 24:40
    Et ces choses que l'on a envie de garder pour soi, c'est son intimité.
  • 24:40 - 24:43
    Alors, c'est évident quand on dit: "Voilà, déshabille-toi!."
  • 24:43 - 24:47
    Ben non, parce que mon corps nu, je choisis de le partager avec qui je veux.
  • 24:47 - 24:52
    Mais cette notion d'intimité, ce n'est pas seulement physique, c'est aussi intellectuel.
  • 24:52 - 24:56
    L'intimité, c'est un espace dans lequel personne ne te juge,
  • 24:56 - 25:01
    dans lequel tu choisis de te dévoiler parce que tu as confiance,
  • 25:01 - 25:03
    parce que tu es avec les gens que tu choisis.
  • 25:03 - 25:08
    Et c'est dans cette intimité que tu vas pouvoir dire un truc,
  • 25:08 - 25:09
    et puis après, dire: "Ah non, je déconne,"
  • 25:10 - 25:11
    comme tu ne pourrais pas le faire dans l'espace public:
  • 25:11 - 25:15
    là on dira "Ah! C'est noté, ça ne sortira plus de l'internet."
  • 25:16 - 25:20
    C’est là que tu peux expérimenter avec des théories, des hypothèses,
  • 25:20 - 25:25
    tu peux dire et si… oh et puis non, et puis l'abandonner.
  • 25:25 - 25:29
    Tu peux comme ça inventer de nouvelles idées, de nouveaux concepts.
  • 25:29 - 25:32
    Tu peux littéralement tester ton identité:
  • 25:32 - 25:34
    c'est là que tu formes ton identité,
  • 25:34 - 25:37
    c'est là que les individus se développent,
  • 25:37 - 25:40
    c’est là que se niche ce qu’on pourrait appeler la créativité.
  • 25:41 - 25:45
    c'est là qu'émerge de nos consciences
  • 25:46 - 25:51
    ce qui nous définit dans nos individualités, dans nos identités.
  • 25:51 - 25:55
    Et c’est ça qui est menacé lorsque l’on se sent surveillé.
  • 25:55 - 25:57
    Lorsque l’on est surveillé.
  • 25:57 - 26:03
    On le voit avec, historiquement, les exemples de l'Allemagne de l'Est sous la STASI
  • 26:03 - 26:07
    qui avait, je crois, un informateur pour deux cents habitants,
  • 26:07 - 26:09
    quelque chose de complètement dingue et disproportionné,
  • 26:09 - 26:12
    et où du coup, les individus, entre eux, ne parlaient plus,
  • 26:12 - 26:16
    les individus, entre eux, n'exprimaient plus leurs opinions politiques.
  • 26:16 - 26:23
    Et il était impossible qu'un changement politique se fasse dans ce contexte-là.
  • 26:23 - 26:28
    Mais sans remonter aussi loin, on voit bien que les comportements changent
  • 26:28 - 26:32
    quand on se sent espionnés, quand on se sent surveillés,
  • 26:32 - 26:37
    ou, par opposition, quand on ne peut plus bénéficier de cet anonymat
  • 26:37 - 26:40
    qui fait partie, directement, de la protection de notre vie privée
  • 26:40 - 26:42
    – comme il fait partie de la liberté d’expression.
  • 26:42 - 26:45
    Si l'on ne pouvait pas, par exemple, prendre de pseudonyme
  • 26:45 - 26:46
    pour aller parler sur un forum,
  • 26:46 - 26:51
    qui irait dire: "Ben voilà, je suis séropositif, j'en suis là,"
  • 26:52 - 26:53
    et échanger avec d'autres?
  • 26:53 - 26:58
    Qui irait sur un forum parler de sa crainte d'un avortement
  • 26:59 - 27:01
    ou d'une maladie quelque elle soit?
  • 27:02 - 27:05
    Qui irait révéler qu'il est gay
  • 27:06 - 27:11
    alors qu'il est dans un contexte politique, religieux, social,
  • 27:11 - 27:13
    où ça n'est pas admis?
  • 27:13 - 27:16
    Et qui irait chercher des conseils, parce qu'il se sentirait mal dans la peau,
  • 27:16 - 27:18
    menacé, etc.?
  • 27:19 - 27:22
    Qui irait, tout simplement, voilà, appeler son médecin
  • 27:22 - 27:24
    pour lui poser une question ou demander un avortement?
  • 27:26 - 27:30
    Qui irait parler de son patron ou de ses responsables politiques
  • 27:30 - 27:33
    pour dire ouvertement qu'il pense qu'ils sont malhonnêtes,
  • 27:33 - 27:34
    qu'ils commettent des crimes,
  • 27:34 - 27:36
    que leurs politiques vont conduire à des injustices?
  • 27:37 - 27:40
    Donc, c'est cet ensemble de facteurs
  • 27:40 - 27:44
    qui fait que l'on a tous besoin d'une protection forte de la vie privée.
  • 27:44 - 27:49
    C'est tout ça ensemble qui fait que la protection de la vie privée est une liberté fondamentale.
  • 27:50 - 27:54
    De plus, se dire: «oh ! j’ai rien à me reprocher donc je n’ai rien à cacher»
  • 27:54 - 28:00
    est un petit peu absurde dans un monde où la surveillance est généralisée
  • 28:00 - 28:03
    et où on a vu que c’est à trois niveaux de relations
  • 28:03 - 28:05
    que les individus sont surveillés par la NSA.
  • 28:05 - 28:09
    Donc si vous connaissez quelqu’un qui connaît quelqu’un
  • 28:09 - 28:12
    qui est le frère, peut-être perdu de vue,
  • 28:12 - 28:15
    d’un type barbu qui est soupçonné de commettre des actes de terrorisme,
  • 28:15 - 28:17
    si vous n'avez rien à voir avec cette personne,
  • 28:17 - 28:21
    alors c’est potentiellement tous vos emails, toute votre navigation,
  • 28:21 - 28:23
    tous vos coups de fil, tous vos sms,
  • 28:23 - 28:25
    qui sont espionnés par la NSA.
  • 28:25 - 28:27
    Si ça se trouve, croiser un individu
  • 28:28 - 28:31
    et faire un bout de chemin dans la même rame de métro que lui,
  • 28:31 - 28:36
    par les traces de géolocalisation, vous mettent à un niveau de proximité
  • 28:36 - 28:38
    et vous allez vous retrouver espionné.
  • 28:39 - 28:42
    Mais au-delà de ça, on a vu que l'espionnage généralisé de la NSA
  • 28:42 - 28:46
    servait, pas seulement à des fins de lutte contre le terrorisme -- la belle affaire --
  • 28:46 - 28:49
    mais aussi à des fins d'espionnage économique
  • 28:49 - 28:51
    et à des fins d'espionnage politique.
  • 28:51 - 28:55
    C'est les téléphones d'Angela Merkel, l'ordinateur personnel de Dilma Rousseff
  • 28:55 - 28:56
    qui ont été espionnés.
  • 28:56 - 29:00
    C'est le plus gros opérateur énergétique brésilien, Petrobras,
  • 29:00 - 29:02
    dont les employés ont été espionnés,
  • 29:02 - 29:07
    c'est Alcatel Lucent, en France, et Wanadoo, filiale d'Orange.
  • 29:07 - 29:10
    Donc, on voit que cet espionnage généralisé,
  • 29:10 - 29:15
    en créant un déséquilibre d'information, un différentiel d'information,
  • 29:15 - 29:17
    crée aussi un différentiel de pouvoir,
  • 29:18 - 29:21
    et que ce différentiel de pouvoir peut être utilisé, potentiellement,
  • 29:21 - 29:24
    pour déstabiliser des entreprises,
  • 29:24 - 29:25
    pour déstabiliser des gouvernements.
  • 29:27 - 29:31
    Et imaginez que les entreprises françaises se fassent déstabiliser
  • 29:31 - 29:32
    dans le cadre de la guerre économique:
  • 29:32 - 29:34
    c'est tout le monde qui en pâtira.
  • 29:34 - 29:36
    Même si vous n'avez rien à cacher,
  • 29:36 - 29:38
    vous aurez à subir la même inflation que tout le monde.
  • 29:38 - 29:40
    On a tous quelque chose à cacher,
  • 29:41 - 29:44
    quelque chose à cacher de son petit copain,
  • 29:44 - 29:46
    de sa femme, de son patron
  • 29:46 - 29:48
    de son collègue, de ses amis.
  • 29:48 - 29:52
    On a tous au moins un quelque chose à cacher de quelqu'un.
  • 29:52 - 29:58
    Et utiliser ce secret contre nous est un instrument hyperpuissant.
  • 29:58 - 30:01
    C'est un instrument de contrôle des individus.
  • 30:01 - 30:04
    Et on se souvient qu'un bonhomme comme le général Petraeus,
  • 30:04 - 30:06
    un général quatre étoiles de l'armée américaine
  • 30:06 - 30:08
    qui était -- excusez du peu -- le patron de la CIA,
  • 30:09 - 30:12
    s'est fait déstabiliser et ruiner sa carrière
  • 30:12 - 30:14
    pour l'histoire d'UNE relation extra-conjugale.
  • 30:16 - 30:18
    Et donc, c'est ça, la protection de la vie privée,
  • 30:18 - 30:20
    c'est ça, la protection des données personnelles:
  • 30:20 - 30:21
    c'est un pari sur l'avenir.
  • 30:22 - 30:25
    C'est pas aujourd'hui où vous avez cette relation extra-conjugale
  • 30:25 - 30:28
    que ça pourrait -- quelque chose à cacher, quelque chose --
  • 30:28 - 30:32
    mais ce qui dans un an, dans cinq ans, dans dix ans,
  • 30:32 - 30:33
    pourrait être fait contre vous,
  • 30:34 - 30:36
    si, d'ici là, peut-être, vous êtes entré en politique,
  • 30:36 - 30:38
    vous êtes devenu journaliste,
  • 30:38 - 30:40
    vous êtes devenu militant
  • 30:40 - 30:45
    ou, tout simplement, vous êtes dans votre entreprise à un poste convoité
  • 30:45 - 30:47
    avec, potentiellement, des adversaires.
  • 30:47 - 30:55
    Donc, ce déséquilibre dans la connaissance de l'information personnelle,
  • 30:55 - 30:59
    ce déséquilibre dans la connaissance de l'intimité des individus,
  • 30:59 - 31:02
    est un outil de contrôle hyperpuissant
  • 31:02 - 31:05
    et personne ne peut dire que dans cinq ans, dans dix ans,
  • 31:05 - 31:07
    il n'aura rien à cacher
  • 31:07 - 31:12
    et qu'il n'aura pas des adversaires qui tenteront de le déstabiliser.
  • 31:12 - 31:15
    Aussi, certains se disent, peut-être pas qu'ils n'ont rien à cacher,
  • 31:15 - 31:18
    mais que, au bout du compte, ils font une pas si mauvaise affaire que ça
  • 31:18 - 31:22
    en donnant toute leur vie à Google, Facebook, Apple,
  • 31:22 - 31:25
    vu qu'en retour, ils ont ces produits formidables,
  • 31:25 - 31:28
    qui brillent, tellement faciles, etc.
  • 31:28 - 31:31
    Hé bien, là, je pense qu'on peut affirmer qu'ils se trompent,
  • 31:32 - 31:36
    parce que la valeur de ces agrégats de données personnelles
  • 31:36 - 31:40
    est très largement supérieure à la valeur qu'ils tirent de ces produits.
  • 31:40 - 31:43
    On en veut pour preuve la capitalisation boursière
  • 31:43 - 31:46
    d'entreprises comme Google, Facebook ou Apple.
  • 31:46 - 31:49
    Si on prend la capitalisation boursière de Google
  • 31:49 - 31:51
    divisée par le nombre de ses utilisateurs,
  • 31:51 - 31:55
    un utilisateur de Google lui rapporte quelque chose comme $500 par an.
  • 31:55 - 31:56
    Donc, si on vous disait:
  • 31:56 - 32:01
    "Vous donnez $500 par an à Google et Google vous donne ses services gratuits,"
  • 32:01 - 32:03
    vous diriez "Ben non! C'est beaucoup trop cher!"
  • 32:03 - 32:09
    et on préférerait payer €3 par mois ou €5 par an, €10 par an Google
  • 32:09 - 32:11
    et faire ce choix-là.
  • 32:11 - 32:14
    Donc si on était sur un régime transactionnel,
  • 32:14 - 32:16
    on se ferait forcément avoir,
  • 32:16 - 32:20
    parce que la valeur de ces profils toujours plus précis
  • 32:20 - 32:22
    que ces entreprises dressent de nous
  • 32:22 - 32:25
    est insoupçonnable pour d'autres industries,
  • 32:25 - 32:27
    comme par exemple le secteur bancaire,
  • 32:27 - 32:32
    qui rêverait de savoir où vous êtes, quand vous êtes,
  • 32:32 - 32:35
    avec qui vous êtes, dans quel pays vous voyagez,
  • 32:35 - 32:37
    quand est-ce que vous buvez de l'alcool ou non,
  • 32:37 - 32:40
    pour savoir comment vous mettre un crédit.
  • 32:40 - 32:42
    Et pareil avec votre compagnie d'assurance.
  • 32:43 - 32:46
    Et vous imaginez à quel point, si toutes ces données,
  • 32:46 - 32:50
    collectées sous forme de profils de plus en plus précis,
  • 32:50 - 32:52
    tombaient aux mains de ces industries
  • 32:52 - 32:56
    ou de pouvoirs politiques qui voudraient s'en servir pour mieux nous contrôler,
  • 32:56 - 32:59
    seraient utiles, seraient puissantes.
  • 32:59 - 33:02
    Peut-être qu'on ferait fausse route
  • 33:03 - 33:07
    en pensant que l'on pourrait transactionnaliser ses données personnelles,
  • 33:07 - 33:11
    que l'on puisse vendre, à la découpe, nos libertés fondamentales,
  • 33:11 - 33:13
    qu'on puisse vendre un petit peu de notre vie privée,
  • 33:13 - 33:14
    sans y perdre.
  • 33:14 - 33:16
    Eben Moglen explique ça très bien
  • 33:17 - 33:19
    et lui, ce qu'il raconte, c'est que, au lieu d'un régime transactionnel,
  • 33:19 - 33:23
    on serait plutôt dans une question écologique.
  • 33:23 - 33:26
    Et dans une question écologique, on ne va pas faire du contrat,
  • 33:26 - 33:30
    rejet, déchet par (pas? check)rejet déchet pour dire:
  • 33:30 - 33:38
    "L'habitant près de la rivière Machin accepte que l'industrie Bidule rejette un truc dégueulasse,"
  • 33:38 - 33:41
    parce que c'est une norme sociale, l'écologie.
  • 33:41 - 33:45
    Donc on a des régulations qui vont être de portée globale
  • 33:45 - 33:50
    et qui vont mettre des seuils d'acceptabilité aux comportements
  • 33:50 - 33:50
    et pénaliser les comportements qui sont en dehors de ce seuil d'acceptabilité.
  • 33:55 - 33:59
    Hé bien, si ça se trouve, la protection de la vie privée, c'est la même chose.
  • 34:00 - 34:03
    Si ça se trouve, chaque individu n'est pas en mesure de faire ce choix de
  • 34:03 - 34:09
    "Oh, ben oui, je choisis de perdre les informations relatives à mes mouvements,
  • 34:10 - 34:13
    je choisis qu'une entreprise puisse savoir où je suis, tout le temps
  • 34:13 - 34:17
    et, au lieu de ça, je vais avoir un truc qui va me dire quand est-ce qu'il y a une pizzeria à deux pas."
  • 34:18 - 34:22
    En fait, si ça se trouve, on fait fausse route en allant sur ce régime là
  • 34:22 - 34:24
    et on devrait exiger des pouvoirs publics
  • 34:24 - 34:29
    qu'ils imposent des régulations strictes de la protection des données personnelles
  • 34:29 - 34:30
    et de la vie privée,
  • 34:30 - 34:33
    de la même façon qu'on devrait exiger un encadrement strict
  • 34:33 - 34:35
    des activités de renseignement.
  • 34:35 - 34:39
    Dans cette notion de la vie privée comme un environnement,
  • 34:39 - 34:40
    comme quelque chose d'écologique,
  • 34:41 - 34:42
    il y a le fait que
  • 34:44 - 34:46
    si toi, tu penses que tu n'as rien à cacher,
  • 34:47 - 34:48
    et que, du coup, tu t'en fous,
  • 34:48 - 34:50
    et que tu as envie de tout donner à Google et à Facebook,
  • 34:50 - 34:52
    hé bien tu ne te rends pas compte qu'en faisant ça,
  • 34:52 - 34:56
    tu vas aussi donner une partie des communications de tes correspondants,
  • 34:56 - 34:58
    de ta famille, de tes amis,
  • 34:59 - 35:00
    à Google et Facebook.
  • 35:00 - 35:03
    C'est que stocker ton mail chez Google,
  • 35:03 - 35:04
    tu fais peut-être ce choix pour toi,
  • 35:05 - 35:07
    mais chaque mail a deux correspondants.
  • 35:08 - 35:11
    Et donc, c'est toutes les conversations de quelqu'un
  • 35:11 - 35:13
    qui lui, peut-être, fait attention à sa vie privée,
  • 35:13 - 35:16
    que tu vas choisir de stocker aussi sur Google.
  • 35:16 - 35:19
    Et d'où Jake Appelbaum, qui a cette métaphore, en disant:
  • 35:19 - 35:21
    la protection de la vie privée, c'est comme le safe sex.
  • 35:21 - 35:24
    Tu mets un préservatif pas seulement pour te protéger toi,
  • 35:24 - 35:28
    mais aussi pour protéger la personne avec qui tu as un rapport.
  • 35:28 - 35:32
    Et c'est un petit peu la même chose sur internet.
  • 35:32 - 35:34
    On devrait penser pas seulement à sa vie privée
  • 35:34 - 35:37
    et à sa vie où on n'a, potentiellement, rien à cacher,
  • 35:37 - 35:38
    mais aussi à celles des autres.
  • 35:38 - 35:43
    Et que créer des comptes Facebook à ses gamins
  • 35:43 - 35:47
    pour mettre leurs photos tout nus en prenant leur bain etc.,
  • 35:47 - 35:49
    c'est peut-être mignon comme tout pour la famille et tout,
  • 35:49 - 35:52
    mais quand eux se verront comme ça, des années après,
  • 35:52 - 35:53
    peut-être qu'ils s'en mordront les doigts.
  • 35:54 - 35:57
    [Paranoïaque, moi?]
  • 35:58 - 35:59
    Paranoïaque, moi?
  • 36:00 - 36:01
    Qui t'a dit ça? C'est eux, encore!
  • 36:02 - 36:03
    Ils sont partout.
  • 36:04 - 36:07
    Non, il y a quelques années, on nous traitait de paranoïaques,
  • 36:07 - 36:09
    de complotistes, de doux dingues,
  • 36:09 - 36:14
    quand on évoquait la capacité technologique à surveiller toutes les communications,
  • 36:14 - 36:19
    quand on évoquait la capacité à agréger toutes les données personnelles ensemble
  • 36:19 - 36:23
    pour en faire des profils, pour prédire le comportement des individus.
  • 36:23 - 36:29
    Bon, les révélations de Snowden montrent que nos idées les plus extrêmes
  • 36:29 - 36:32
    sont en réalité encore loin de la réalité,
  • 36:33 - 36:36
    que c'est le gouvernement américain qui est complètement paranoïaque,
  • 36:36 - 36:42
    que c'est leurs pratiques qui sont le pire scénario que l'on pouvait imaginer.
  • 36:43 - 36:45
    Et ça, Julia Assange explique ça très bien en 2006,
  • 36:45 - 36:47
    au moment de fonder Wikileaks,
  • 36:47 - 36:52
    où il dit: "Lorsqu'un Etat abuse du secret,
  • 36:53 - 36:57
    utilise le secret pour camoufler des mensonges ou des crimes d'Etat,
  • 36:58 - 37:04
    alors la gestion de ce secret augmente,
  • 37:05 - 37:08
    le coût de la gestion de ce secret augmente et devient une paranoïa d'Etat."
  • 37:09 - 37:13
    Et à faire fuiter des documents, à exposer la vérité,
  • 37:13 - 37:17
    on va encore augmenter le coût de la gestion de ce secret,
  • 37:17 - 37:19
    on va encore augmenter la paranoïa d'Etat
  • 37:19 - 37:28
    jusqu'à, éventuellement, ajouter tellement d'inertie que l'on va la faire s'arrêter.
  • 37:28 - 37:32
    Et c'est ce que l'on voit déjà depuis l'affaire Manning.
  • 37:33 - 37:41
    On s'est aperçu qu'un private, un seconde classe, a pu accéder à tous ces documents
  • 37:41 - 37:42
    qui n'étaient pas top secret,
  • 37:42 - 37:47
    mais qui étaient quand même à un niveau de secret relatif.
  • 37:48 - 37:53
    L'armée américaine s'est mise en branle pour essayer de tout cloisonner,
  • 37:53 - 37:54
    de tout compartimenter
  • 37:54 - 37:56
    et d'éviter d'avoir un prochain Manning.
  • 37:56 - 37:58
    Or, on savait qu'à l'époque de Manning,
  • 37:58 - 38:03
    il y avait au moins trois ou quatre millions d'individus aux Etats-Unis
  • 38:03 - 38:05
    qui avaient un niveau d'accès comparable.
  • 38:05 - 38:08
    Donc c'est un Américain sur cinquante, c'est énorme.
  • 38:08 - 38:10
    On le voit avec Snowden.
  • 38:10 - 38:12
    Snowden était habilité top secret
  • 38:12 - 38:16
    et en fait, il était tellement brillant que ses collègues lui ont donné plus d'accès
  • 38:16 - 38:17
    que ce qu'il aurait dû avoir.
  • 38:18 - 38:22
    Mais des gens habilités top secret aux Etats-Unis, il y en a, je crois, 950'000.
  • 38:23 - 38:26
    C'est un Américain sur 300.
  • 38:26 - 38:32
    Là aussi, on voit que le coût de la gestion de ce secret est absolument phénoménal.
  • 38:33 - 38:37
    Et sur ces 950'000, il y aura forcément encore un Edward Snowden.
  • 38:37 - 38:43
    Donc, on s'aperçoit que les personnes qui comprennent un peu la technologie
  • 38:44 - 38:46
    et qui comprennent aussi la politique
  • 38:46 - 38:50
    élaborent des scénarios qui sont, un temps, qualifiés de paranoïaques,
  • 38:50 - 38:56
    mais lorsqu'on s'aperçoit que ces scénarios sont en réalité mesurés, voire doux,
  • 38:56 - 38:58
    par rapport à la réalité,
  • 38:58 - 39:03
    on réalise avec effroi que ce sont les gouvernements qui sont paranoïaques.
  • 39:04 - 39:05
    Et là, on a un problème:
  • 39:05 - 39:10
    on sait, historiquement, que la paranoïa est une des caractéristiques des régimes totalitaires,
  • 39:11 - 39:13
    des pouvoirs qui ne veulent pas lâcher le pouvoir,
  • 39:13 - 39:17
    des pouvoirs qui sont prêts à, massivement, violer les libertés fondamentales,
  • 39:17 - 39:19
    pour conserver ce pouvoir.
  • 39:19 - 39:21
    Et on ne peut pas s'empêcher de se dire
  • 39:21 - 39:24
    que l'on retrouve certaines de ces caractéristiques
  • 39:25 - 39:29
    dans le gouvernement américain et ses diverses administrations
  • 39:29 - 39:33
    et dans les gouvernements européens qui leur emboitent le pas
  • 39:33 - 39:37
    dans cette politique du choc et cette politique de la terreur
  • 39:38 - 39:40
    que l'on vit depuis le début du XXIème siècle.
  • 39:40 - 39:45
    Tout est justifié politiquement par cette guerre contre le terrorisme.
  • 39:45 - 39:49
    la détention arbitraire de Guantanamo Bay,
  • 39:50 - 39:54
    les meurtres robotisés des drones,
  • 39:54 - 39:58
    la surveillance généralisée de tous les citoyens de la planète,
  • 39:59 - 40:00
    etc.
  • 40:00 - 40:00
    Et c'est Thomas Jefferson, un des pères fondateurs des Etats-Unis,
  • 40:03 - 40:07
    qui dit qu'une nation prête à sacrifier un peu de liberté pour un peu plus de sécurité,
  • 40:07 - 40:10
    n'aura ni l'un ni l'autre, et ne mérite ni l'autre.
  • 40:10 - 40:18
    Mais surtout, cet argument a vécu, parce que le chef du renseignement américain,
  • 40:18 - 40:22
    le général Clapper (check) a été forcé d'admettre devant le Congrès
  • 40:22 - 40:29
    qu'il ne pouvait pas prouver que des attaques terroristes avaient été démantelées
  • 40:29 - 40:31
    grâce à cette surveillance de masse.
  • 40:31 - 40:38
    Alors, bien sûr, les services de renseignement préviennent, empêchent des attaques terroristes.
  • 40:38 - 40:40
    Mais ils les empêcheraient peut-être tout autant
  • 40:40 - 40:44
    s'ils n'avaient pas le super-joujou de la surveillance de masse.
  • 40:44 - 40:47
    Et c'est ça la question qu'il faut poser:
  • 40:47 - 40:51
    c'est, est-ce que l'on peut démontrer que des attaques terroristes n'auraient pas été empêchées
  • 40:51 - 40:53
    sans cette surveillance de masse?
  • 40:53 - 40:56
    Et ça, je ne suis pas sûr qu'on puisse y répondre par l'affirmative.
  • 40:56 - 40:58
    En revanche, ce que l'on peut démontrer,
  • 40:59 - 41:02
    c'est que cette surveillance de masse est d'ores et déjà utilisée
  • 41:02 - 41:06
    à des fins d'espionnage économique et à des fins d'espionnage politique,
  • 41:06 - 41:12
    que la NSA espionne PetroBraz (check), Alcatel, Merkel, Dinma (check).
  • 41:12 - 41:16
    Ça n'est pas justifiable par le terrorisme et ça démontre bien
  • 41:17 - 41:21
    que ces écoutes et cette surveillance généralisée des population
  • 41:21 - 41:24
    est absolument injustifiable et injustifiée.
  • 41:24 - 41:30
    Internet, c'est l'antidote contre la peur, déjà parce que le courage est contagieux:
  • 41:30 - 41:33
    c'est la devise de Wikileaks.
  • 41:33 - 41:38
    Mais surtout, parce que quand les citoyens peuvent, au lieu de consommer passivement
  • 41:38 - 41:42
    des images et des messages alarmants, des messages de peur,
  • 41:42 - 41:45
    lorsqu'ils peuvent s'exprimer, ils peuvent,
  • 41:45 - 41:50
    par la déconstruction, par la réflexion, par l'humour aussi,
  • 41:50 - 41:55
    questionner ces messages et essayer de construire d'autres narrations,
  • 41:55 - 41:58
    d'autres chemins de pensée,
  • 41:58 - 42:03
    et des alternatives à cette politique du choc, à cette politique de la terreur.
  • 42:03 - 42:07
    Et je pense que c'est en partie pour cela que les politiques ont peur d'internet
  • 42:07 - 42:11
    et voient internet comme un contre-pouvoir qu'il faudrait contrôler.
  • 42:11 - 42:13
    [La bulle bruxelloise]
  • 42:13 - 42:18
    La "Brussels bubble," c'est une sorte de vase clos,
  • 42:18 - 42:22
    c'est une sorte de milieu à la fois fascinant, parfois un petit peu repoussant,
  • 42:22 - 42:28
    dans laquelle les plus brillants cerveaux des 28 Etats membres se frottent les uns aux autres,
  • 42:28 - 42:34
    mélangeant orientations politiques, intérêts divers et variés,
  • 42:34 - 42:40
    c'est quelque part, la génération Erasmus et tous les cerveaux les plus brillants
  • 42:40 - 42:43
    qui ont eu l'occasion de voyager et d'échanger,
  • 42:43 - 42:48
    qui parlent tous plusieurs langues, qui se connaissent les uns les autres,
  • 42:48 - 42:51
    qui se fréquentent les uns les autres, qui couchent les uns avec les autres
  • 42:51 - 42:56
    et que l'on retrouve assistants parlementaires, wannabe députés,
  • 42:56 - 42:59
    fonctionnaires à la Commission Européenne,
  • 42:59 - 43:04
    et que l'on retrouve typiquement le soir Place du Luxembourg,
  • 43:04 - 43:09
    devant le Parlement Européen, dans les 6 ou 7 bars les plus fréquentés
  • 43:09 - 43:13
    où ça boit, ça chante, ça brasse de l'influence.
  • 43:13 - 43:17
    C'est là qu'on a négocié sur les coins de tables des morceaux d'amendements,
  • 43:17 - 43:19
    c'est là qu'on a fait pression sur des gars (check) en disant:
  • 43:19 - 43:24
    "Toi, si demain elle ne signe pas ton euro-député, elle sera une star sur internet," etc. etc.
  • 43:24 - 43:31
    Cette espèce de, vraiment, de vase clos qui est tellement hermétique pour le citoyen ordinaire.
  • 43:31 - 43:37
    Qui connaît l'ordre du jour du Parlement Européen? Qui connaît le nom de trois euro-députés?
  • 43:37 - 43:41
    Qui est capable de dire le nom de trois Commissaires européens?
  • 43:42 - 43:46
    C'est frappant de voir combien, d'un côté, il y a cet univers en vase clos,
  • 43:46 - 43:51
    avec ses codes, ses règles, ses personnalités, ses usages,
  • 43:51 - 43:55
    et de l'autre, combien tout le monde s'en fout,
  • 43:55 - 43:57
    combien tout le monde se fout de ce qui se passe à Bruxelles.
  • 43:57 - 43:59
    Il y a une vraie déconnexion.
  • 43:59 - 44:02
    Et ce qui s'engouffre dans cette déconnexion, c'est les lobbies.
  • 44:02 - 44:07
    C'est les représentants d'intérêts industriels qui vont aller faire copain-copain,
  • 44:07 - 44:11
    qui vont aller se montrer, qui vont organiser des événements, etc.,
  • 44:11 - 44:13
    et qui auront, du coup, toute marge de manoeuvre,
  • 44:13 - 44:16
    parce que des citoyens qui s'intéressent à cette bulle bruxelloise,
  • 44:16 - 44:18
    il n'y en a quasiment pas.
  • 44:18 - 44:24
    Et donc, ça laisse une marge de manoeuvre quasi totale aux lobbies industriels.
  • 44:24 - 44:28
    Et ce que l'on constate tous les jours, quand on agit au niveau du Parlement Européen,
  • 44:28 - 44:32
    au niveau d'institutions européennes en tentant de défendre les libertés sur internet,
  • 44:32 - 44:36
    et c'est pour cela qu'on essaie un petit peu, sinon de crever la bulle,
  • 44:36 - 44:40
    en tout cas de la rapprocher un petit peu du citoyen, documenter ce qui s'y passe,
  • 44:40 - 44:46
    pour que, voilà, pour essayer de faire des -- rendre star sur internet tel ou tel rapporteur
  • 44:46 - 44:50
    de telle ou telle directive qui est sur le point de faire quelque chose d'inacceptable,
  • 44:50 - 44:54
    et pour essayer de connecter les citoyens avec cette bulle.
  • 44:55 - 45:00
    Alors, la bulle de Bruxelles, à l'extérieur, elle est bleue avec des étoiles jaunes,
  • 45:00 - 45:03
    et l'intérieur, elle est de toutes les couleurs.
  • 45:03 - 45:08
    Elle est de toutes les couleurs parce que, déjà, il y a un grand nombre de sensibilités politiques
  • 45:08 - 45:11
    qui sont représentées au Parlement Européen: on n'est pas dans le bi-partisanisme.
  • 45:11 - 45:17
    Il y a le groupe SMD qui est rouge, qui est le gros groupe de gauche,
  • 45:17 - 45:22
    il y a le groupe PPE qui est bleu, qui est le groupe de droite, qui n'est pas majoritaire, mais presque.
  • 45:22 - 45:25
    Au milieu, il y a l'.... (check) qui est jaune,
  • 45:25 - 45:28
    il y a le groupe des Verts qui est assez influent, quand même, pour un groupe de gauche,
  • 45:28 - 45:33
    il y a le groupe des Goués (check), l'extrême gauche,
  • 45:33 - 45:35
    qui est en rouge foncé,
  • 45:35 - 45:40
    il y a toute la masse brunâtre ou noire des non inscrits,
  • 45:40 - 45:44
    qui risque de grossir aux prochaines élections européennes,
  • 45:44 - 45:47
    il y a les EFD qui sont plus bleus que les bleus,
  • 45:47 - 45:50
    il y a les ECR, qui sont encore plus bleus que les bleus:
  • 45:50 - 45:55
    c'est assez particulier et en fait, à l'intérieur de chacun de ces groupes politiques,
  • 45:55 - 45:58
    il y a des sensibilités différentes qui sont représentées
  • 45:58 - 46:02
    C'est que les conservateurs français, par rapport aux conservateurs espagnols,
  • 46:02 - 46:04
    par rapport aux conservateurs polonais, par rapport aux conservateurs suédois,
  • 46:04 - 46:06
    ont tous des petites différences.
  • 46:06 - 46:10
    Donc même quand on voit le gros groupe bleu du PPE, en fait,
  • 46:10 - 46:13
    il y a des bleu clair, des bleu foncé, des bleu turquoise, des bleu moyens:
  • 46:13 - 46:14
    c'est pas très homogène.
  • 46:14 - 46:18
    Et, de la même façon, quand on voit les gens qui évoluent dans cette Brussels Bubble,
  • 46:18 - 46:25
    c'est des grandes brunes grecques, c'est des petits blonds suédois,
  • 46:25 - 46:29
    c'est des -- enfin il y a toutes les couleurs, toutes les physionomies,
  • 46:29 - 46:31
    tous les visages, toutes les cultures
  • 46:31 - 46:32
    qui sont représentés.
  • 46:32 - 46:36
    Une des choses qui me rendent optimiste dans cette mélasse
  • 46:36 - 46:38
    et dans l'Union Européenne en général,
  • 46:38 - 46:40
    c'est la devise de l'Union Européenne,
  • 46:40 - 46:43
    que je n'ai apprise qu'après avoir passé beaucoup de temps là-bas
  • 46:43 - 46:47
    et qu'en fait, on voit inscrite en bas de tous les documents officiels dans la langue du document,
  • 46:47 - 46:51
    c'est "Unis dans la diversité", "United in diversity."
  • 46:51 - 46:54
    C'est un petit peu ce que l'on fait, nous, avec les internets en face,
  • 46:54 - 46:57
    mais c'est aussi un petit peu ça, cette Brussels Bubble,
  • 46:57 - 47:02
    c'est une espèce de patch recomposé de cultures, d'orientations politiques, d'intérêts
  • 47:02 - 47:04
    et c'est, voilà, c'est tout ça à la fois, c'est le chaudron.
  • 47:04 - 47:07
    Je pense que le point de rencontre le plus,
  • 47:07 - 47:09
    peut-être le plus authentique,
  • 47:09 - 47:13
    c'est vraiment cette Place du Luxembourg, à partir de 18-19 heures le soir,
  • 47:13 - 47:16
    pour les voir sortir du Parlement Européen
  • 47:16 - 47:20
    et voir se mélanger lobbyistes, assistants parlementaires,
  • 47:20 - 47:21
    fonctionnaires de la Commission.
  • 47:21 - 47:26
    Et je vous cite une petite anecdote rigolote là dessus où, à un moment, bon,
  • 47:26 - 47:28
    on buvait beaucoup pendant le Paquet Telecom, avec notre ami assistant
  • 47:28 - 47:31
    et on était vraiment en mode guerre.
  • 47:31 - 47:35
    Et donc, on se retrouvait là, et on buvait des Chimays (check) bleus et des Chimays bleus et des Chimay bleus,
  • 47:35 - 47:41
    et moi, je posais la question sur un mode un peu, un peu ironique:
  • 47:41 - 47:43
    "Bon, et toi, t'es quoi? T'es assistant parlementaire,
  • 47:43 - 47:44
    t'es lobbyiste ou fonctionnaire?"
  • 47:44 - 47:47
    Et j'avais tout le temps une réponse qui tombait dans ces lignes-là.
  • 47:47 - 47:53
    Et un soir, on était avec mon ami Raphaël, et avec ses potes,
  • 47:53 - 47:56
    Il dit "Bon, on va au truc. là-bas. machin, ouais, on ira après, etc.
  • 47:56 - 47:58
    On commence à boire, on commence à avoir faim,
  • 47:58 - 47:59
    il dit "Non non, mais il y a un truc là-bas, après,
  • 47:59 - 48:02
    on va y aller, il y a de la nourriture et tout."
  • 48:02 - 48:04
    Je ne savais pas bien de quoi il parlait.
  • 48:04 - 48:06
    Puis on boit encore une tournée, puis encore une tournée,
  • 48:06 - 48:08
    puis comme on est pleins, c'est toujours dur de quitter un bar,
  • 48:08 - 48:13
    à la sixième ou septième Chimay Bleue, on va à deux pas d'ici,
  • 48:13 - 48:18
    dans un lieu dans lequel plein de gens de cette même bulle
  • 48:18 - 48:21
    étaient en train de boire, de rigoler, etc.
  • 48:21 - 48:23
    Tous les plateaux de nourriture étaient déjà vides,
  • 48:23 - 48:26
    mais il y avait apparemment Open Nourriture, il y a Open Bar.
  • 48:26 - 48:29
    On arrive, on attrape une bouteille, on commence à faire comme chez nous.
  • 48:29 - 48:33
    Et sur cette terrasse, je me trouve à côté d'une jolie nana, je lui demande:
  • 48:33 - 48:37
    "Alors, toi, t'es lobbyistes, t'es assistante parlementaire, ou t'es fonctionnaire?"
  • 48:37 - 48:38
    "Ah, moi je suis lobbyiste."
  • 48:38 - 48:39
    "Ah ouais, pour qui?"
  • 48:39 - 48:40
    "Pour l'industrie du tabac."
  • 48:40 - 48:43
    "Ah, l'industrie du tabac, j'adore le tabac, j'aime beaucoup ce que vous faites.
  • 48:43 - 48:45
    Vous avez complètement raison.
  • 48:45 - 48:47
    Non, mais, je veux dire, les enfants devraient pouvoir fumer comme,
  • 48:47 - 48:49
    enfin, je veux dire, tout le monde est libre de ses choix,
  • 48:49 - 48:52
    tout le monde comprend l'implication de ces 200 molécules sur le cerveau
  • 48:52 - 48:53
    et le reste du corps.
  • 48:53 - 48:55
    C'est absurde que de vouloir encadrer ça.
  • 48:55 - 48:58
    Et puis de toute façon, c'est comme la cocaine, ça devrait être légal.
  • 48:58 - 49:00
    Chacun peut faire ses choix et je suis à fond avec vous."
  • 49:00 - 49:03
    C'est que la nana ne savait pas sur quel pied danser,
  • 49:03 - 49:05
    je me suis dit "Ah ah ah" et puis je me suis barré
  • 49:05 - 49:06
    et je suis allé parler avec quelqu'un d'autre.
  • 49:06 - 49:09
    Et je lui fais: "Alors toi, lobbyiste, assistant ou fonctionnaire?"
  • 49:09 - 49:11
    "Ah, lobbyiste." "Ah bon, de quoi?" "L'industrie du tabac."
  • 49:13 - 49:17
    "Ah." Donc je lui tiens à peu près le même discours, puis je vais voir mes potes (check)
  • 49:17 - 49:18
    et puis on s'en va.
  • 49:18 - 49:19
    Je lui dis: "Mais attend, c'était quoi, ce truc?"
  • 49:19 - 49:22
    Mon pote me dit: "Ah, ben c'était l'industrie du tabac qui organisait."
  • 49:23 - 49:28
    "Mais pardon? Mais tu --- mais tu aurais dû me le dire avant, j'aurais bu, j'aurais vomi sur leurs pompes, je..."
  • 49:28 - 49:30
    "Ah, mais non, non, c'est tout le temps comme ça,
  • 49:30 - 49:32
    on reçoit tous un e-mail dans le Parlement Européen, qui dit:
  • 49:32 - 49:35
    'Ce soir, il y a nourriture gratuite chez le lobby du tabac.'"
  • 49:35 - 49:39
    Et pour eux, c'est naturel d'aller se rendre dans un événement comme ça.
  • 49:39 - 49:41
    Ils voient ça comme un open bar avec de la nourriture gratuite,
  • 49:41 - 49:43
    où ils vont retrouver leurs amis.
  • 49:43 - 49:49
    Et c'est vrai qu'évaluer l'impact de tels événements sur les politiques publiques,
  • 49:49 - 49:50
    c'est extrêmement difficile.
  • 49:50 - 49:53
    Ça veut dire que tel ou tel visage va devenir un petit peu familier,
  • 49:53 - 49:55
    qu'on va avoir parlé à telle ou telle personne
  • 49:55 - 49:57
    dans un contexte ou chacun aura deux ou trois verres dans le nez,
  • 49:57 - 50:00
    qu'éventuellement, les uns vont partir avec les autres, et ah ah.
  • 50:00 - 50:05
    et donc, ça crée une proximité qui, a mon avis, est tout à fait, tout à fait délétère.
  • 50:05 - 50:07
    Donc cette place du Luxembourg, c'est un bon point de départ.
  • 50:08 - 50:14
    Ensuite, l'intérieur du Parlement Européen, n'importe quel citoyen peut y aller,
  • 50:14 - 50:15
    invité par un eurodéputé:
  • 50:15 - 50:19
    il suffit d'appeler l'euro-député de votre cru et de demander à se faire inviter,
  • 50:19 - 50:20
    c'est vraiment très facile.
  • 50:20 - 50:24
    Et de là, se positionner à différents endroits stratégiques
  • 50:24 - 50:29
    sur la plateforme du 3ème étage, qui est entre les deux bâtiments,
  • 50:29 - 50:32
    la tour -- historiquement, la tour de la gauche et la tour de la droite.
  • 50:32 - 50:34
    Et donc, c'est là que tout le monde transite.
  • 50:35 - 50:37
    Ou au Mickey Mouse Bar: il s'appelle comme ça
  • 50:37 - 50:41
    parce que ses chaises font un petit peu penser à la tête de Mickey Mouse
  • 50:41 - 50:44
    et ça donne, là encore, une idée de l'impact psychologique
  • 50:44 - 50:47
    que peut avoir une entreprise comme Walt Disney
  • 50:47 - 50:52
    en renommant officieusement un bar au sein du Parlement Européen.
  • 50:52 - 50:57
    Et donc, le Mickey Mouse Bar, c'est là où tous les lobbyistes donnent rendez-vous aux euro-députés
  • 50:57 - 51:01
    et où les euro-députés se rencontrent entre eux pour discuter de stratégies, d'amendements, de choses etc.
  • 51:02 - 51:04
    Donc, c'est un lieu où j'aime bien me mettre avec mon laptop
  • 51:04 - 51:07
    pour faire ce que j'ai à faire et voir passer les gens, et les alpaguer,
  • 51:07 - 51:08
    quand j'ai un dossier en cours.
  • 51:09 - 51:14
    Un autre endroit, c'est peut-être se mettre en bas de l'immeuble du Bar Lemon,
  • 51:14 - 51:19
    qui est l'immeuble de la Commission Européenne: on peut marcher de là depuis le Parlement Européen,
  • 51:19 - 51:21
    c'est à une dizaine de minutes à pied.
  • 51:22 - 51:29
    Et voir entrer et sortir ces technocrates, tous engoncés dans leurs costards à peu près pareils,
  • 51:29 - 51:32
    voir arriver des délégations de lobbyistes,
  • 51:32 - 51:35
    des délégations de fonctionnaires de divers pays,
  • 51:35 - 51:41
    avoir une idée, comme ça, du flux continu qu'il peut y avoir à la Commission.
  • 51:42 - 51:49
    Après, peut-être aller faire le tour de la rue -- comment s'appelle-t-elle? -- rue de la Loi, je crois,
  • 51:50 - 51:53
    qui est la rue qui est entre la Commission et le Parlement Européen,
  • 51:53 - 51:54
    à peu de choses près,
  • 51:54 - 51:56
    et sur laquelle il y a les bureaux de tous les lobbies.
  • 51:58 - 52:01
    Ah, c'est très important, c'est très impressionnant de voir ça aussi,
  • 52:01 - 52:05
    parce qu'on voit tour à tour, voilà, après, il y a des noms de cabinets
  • 52:05 - 52:09
    qui ne diront rien à personne et qui sont des cabinets de mercenaires de lobbying,
  • 52:09 - 52:11
    et qui font ça pour le plus offrant.
  • 52:11 - 52:16
    Mais on voit, comme ça, l'Association des aveugles, l'Eglise de Scientologie,
  • 52:16 - 52:20
    machin pour l'environnement, fédération bidule des telecoms,
  • 52:20 - 52:24
    et on voit, comme ça, à chaque numéro, les plaques qui donnent une idée
  • 52:24 - 52:27
    des centaines de bureaux employant les milliers de personnes
  • 52:27 - 52:32
    dont l'activité est, au quotidien, d'aller influencer la Brussels Bubble.
  • 52:32 - 52:35
    [Datalove]
  • 52:36 - 52:42
    Datalove, ça a émergé d'une petite communauté internationale,
  • 52:42 - 52:48
    à forte dominante suédoise qui, à l'époque naissante, s'appelait "Telecomix".
  • 52:49 - 52:52
    On était une petite bande, on devait être une dix-quinzaine, à l'époque,
  • 52:53 - 52:58
    et on expérimentait avec des usages sociaux d'internet.
  • 52:58 - 53:03
    On expérimentait avec des, à la fois des modes d'interaction et des modes de communication:
  • 53:04 - 53:08
    quelque chose de très spontané, très impressionnant, en soi.
  • 53:09 - 53:13
    On était impressionnés du fait que sur leur cananl IRC, leur canal de discussion,
  • 53:13 - 53:16
    il y avait moitié de filles, ce qui est quelque chose d'assz peu fréquent
  • 53:16 - 53:21
    dans la communauté hacker où il y a en général une très forte composante masculine.
  • 53:22 - 53:27
    Et, en parlant de tout et de rien, a émergé cette notion de Datalove
  • 53:27 - 53:34
    comme, en quelque sorte, c'est une espèce de prolongation de ce qu'est l'amour
  • 53:35 - 53:36
    dans la sphère numérique.
  • 53:36 - 53:39
    J'essaie pas de le définir, parce que de la même façon que définir l'amour,
  • 53:39 - 53:41
    c'est un petit peu imbécile
  • 53:41 - 53:43
    et que chacun peut avoir sa définition, et puis --
  • 53:43 - 53:47
    que même si on sait bien, que l'amour est quelque chose d'universel,
  • 53:48 - 53:53
    on n'a pas, chacun, besoin de s'entendre sur une définition pour le ressentir.
  • 53:53 - 54:00
    Pour moi, le Datalove, c'est les émotions qui peuvent être suscitées
  • 54:00 - 54:03
    au travers des technologies numériques.
  • 54:04 - 54:08
    Un exemple tout bête: c'est se poser une question existentielle
  • 54:08 - 54:09
    que l'on s'est toujours posée
  • 54:09 - 54:13
    et un jour, se dire: "Hé, mais si j'allais tout simplement regarder sur Wikipédia
  • 54:13 - 54:17
    et là, trouver la réponse, formulée de dix façons différentes,
  • 54:17 - 54:19
    par cent personnes différentes, avec une discussion autour,
  • 54:19 - 54:22
    et juste trouver la solution.
  • 54:23 - 54:28
    C'est chercher une chanson de Fela Kuti et tomber sur l'intégrale,
  • 54:29 - 54:36
    en fichier BitTorrent, en format flac ou d'une qualité géniale, et -- et voilà.
  • 54:36 - 54:40
    Mourir d'émotion de trouver un amas, un amas de fichiers.
  • 54:41 - 54:46
    Et je vois ça comme une forme de projection de nos humanités
  • 54:47 - 54:50
    au travers du numérique et au travers d'internet.
  • 54:50 - 54:55
    Et trop souvent, on a tendance à laisser un petit peu tout ça aux techniciens,
  • 54:55 - 54:58
    ou alors, pire, aux commerciaux,
  • 54:58 - 55:04
    et oublier un petit peu que c'est avant tout des humains qui sont derrière leurs terminaux,
  • 55:04 - 55:07
    eux-mêmes interconnectés globalement en réseau
  • 55:07 - 55:12
    et que internet, c'est peut-être avant tout la somme de nos humanités,
  • 55:13 - 55:17
    avant d'être la somme de nos méga-octets, de nos mégabits par seconde,
  • 55:17 - 55:21
    de nos giga-herz de micro-processeurs.
  • 55:21 - 55:24
    C'est avant tout des humains interconnectés entre eux.
  • 55:24 - 55:30
    Peut-être que c'est ça, le Datalove: c'est faire le lien entre la machine universelle,
  • 55:30 - 55:34
    le réseau global et, tout bêtement,
  • 55:34 - 55:37
    les humains et les humanités qu'il y a au bout.
  • 55:37 - 55:40
    Par définition, le Datalove est quelque chose d'universel, comme l'amour,
  • 55:41 - 55:45
    que c'est, effectivement, le fait d'aimer internet.
  • 55:45 - 55:45
    On aime internet, et on a vu les gens descendre dans la rue par milliers contre ACTA,
  • 55:50 - 55:53
    l'Anti-Counterfeiting Trade Agreement, l'accord commercial anti-contrefaçons
  • 55:53 - 55:58
    où dans 300 villes d'Europe, le même jour, les centaines de milliers de gens
  • 55:58 - 56:02
    qui étaient dans la rue, pour s'opposer à un accord commercial, multilatéral,
  • 56:02 - 56:07
    négocié par la Commission et le Conseil de l'Union Européenne, avec du droit pénal.
  • 56:07 - 56:09
    Bref, un merdier incompréhensible.
  • 56:09 - 56:13
    Mais les gens étaient dans la rue parce qu'ils voulaient défendre leur internet,
  • 56:13 - 56:14
    parce qu'on aime internet.
  • 56:14 - 56:16
    Et qu'est-ce qui fait que l'on aime internet?
  • 56:16 - 56:19
    On n'aime pas les machines, on les aime pas d'amour.
  • 56:19 - 56:21
    On peut les trouver agréables, utiles,
  • 56:21 - 56:25
    elles peuvent renvoyer une jolie image de nous, ou quelque chose comme ça,
  • 56:25 - 56:31
    mais on aime internet, parce qu'on aime ce qu'ily a de l'autre côté de notre écran.
  • 56:31 - 56:34
    Et ce qu'il y a de l'autre côté de notre écran, c'est pas que des machines,
  • 56:34 - 56:36
    c'est l'humanité toute entière.
  • 56:36 - 56:40
    Internet, c'est une fenêtre sur le monde, c'est une fenêtre sur l'humanité.
  • 56:40 - 56:42
    Et c'est cela que l'on aime, j'ai l'impression,
  • 56:42 - 56:47
    c'est la somme de tout ce que ces autres investissent dedans.
  • 56:47 - 56:49
    En fait, ce que l'on aime, c'est l'humanité.
  • 56:50 - 56:55
    Et donc, je ne pense pas que ce soit fonction de combien de temps vous passez sur internet,
  • 56:55 - 57:00
    et puis tu as des gens qui vont rester toute la journée, toute la nuit,
  • 57:00 - 57:05
    connectés sur un seul truc, qui va être World of Warcraft, ou Facebook, ou machin:
  • 57:05 - 57:07
    c'est pas vraiment ça, internet.
  • 57:08 - 57:14
    Donc, je pense que c'est quelque chose qui vient assez vite quand on comprend
  • 57:14 - 57:17
    ou quand on pressent que internet, c'est pas seulement une machine,
  • 57:18 - 57:20
    c'est pas seulement juste une télévision en mieux,
  • 57:20 - 57:24
    c'est pas juste une console de jeux en mieux,
  • 57:25 - 57:29
    mais que c'est véritablement une fenêtre sur le monde.
  • 57:30 - 57:35
    C'est là que la dimension émotionnelle, parfois, chez certains, un petit peu mystique,
  • 57:35 - 57:39
    prend tout son sens, et c'est cela que l'on appelle le Datalove.
  • 57:40 - 57:56
    [La Parisienne Libérée & Jérémie Zimmermann
    Datalove 5 titres à découvrir su mediapart.fr entre le 6 février et le 12 juin 2014.]
Title:
Entretien avec Jérémie Zimmermann - la Parisienne Libérée
Description:

Entretien de documentation pour le projet Datalove / chroniques parlées-chantées à découvrir sur Mediapart à partir du 6 février 2014 - http://blogs.mediapart.fr/blog/la-parisienne-liberee/300114/chansons-avec-jeremie-zimmermann

NB: le lien donné dans la description ci-dessus, reprise de la page YouTube, est erronné. L'URL juste est: http://blogs.mediapart.fr/blog/la-parisienne-liberee/010214/chansons-avec-jeremie-zimmermann

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Video Language:
French
Team:
Captions Requested
Duration:
57:56

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