Return to Video

Comment survivre au trauma ? | Jean-Paul Mari | TEDxCannes

  • 0:19 - 0:21
    Bonjour.
  • 0:23 - 0:27
    Ce jour-là, c'était le 8 avril 2003,
  • 0:28 - 0:32
    et j'étais à Bagdad pour
    couvrir la guerre d'Irak.
  • 0:32 - 0:37
    Et c'était le moment où les Américains
    entraient avec leurs tanks dans Bagdad,
  • 0:38 - 0:44
    et nous étions quelques journalistes
    dans l'hôtel Palestine,
  • 0:44 - 0:49
    et, hasard de la guerre,
    la guerre venait vers nous,
  • 0:49 - 0:51
    sous nous, devant nos fenêtres.
  • 0:52 - 0:56
    Bagdad était emplie
    de fumée noire, de pétrole,
  • 0:57 - 1:00
    ça puait, on n'y voyait rien,
    mais on voyait ce qu'il se passait.
  • 1:00 - 1:02
    Et moi, je devais écrire
    un article, évidemment,
  • 1:02 - 1:06
    c'est toujours le jour où ça se passe
    que vous devez écrire l'article.
  • 1:06 - 1:09
    Donc, j'étais à la fois
    dans ma chambre au 16e étage,
  • 1:09 - 1:12
    en train d'écrire, et de temps en temps,
    j'allais à la fenêtre
  • 1:12 - 1:14
    pour voir ce qu'il se passait.
  • 1:15 - 1:18
    Et puis, à moment donné,
    il y a eu un choc plus violent.
  • 1:18 - 1:20
    Ça faisait trois semaines
    qu'on se faisait bombarder
  • 1:20 - 1:23
    par des missiles et des bombes
    d'une demi tonne,
  • 1:23 - 1:29
    mais là, le choc,
    je l'ai senti en moi, quoi.
  • 1:29 - 1:33
    Donc je me suis dit, c'est très près !
    Très, très près !
  • 1:33 - 1:36
    Et donc je suis descendu pour
    aller voir ce qu'il se passait,
  • 1:36 - 1:41
    je suis descendu
    au 15e étage, pour voir,
  • 1:41 - 1:44
    et j'ai vu des gens qui hurlaient
    dans les couloirs, des journalistes,
  • 1:44 - 1:46
    et je suis entré dans une chambre
  • 1:46 - 1:51
    et j'ai compris que cette chambre
    avait été touchée par un projectile.
  • 1:51 - 1:54
    Il y avait quelqu'un de blessé,
  • 1:55 - 1:57
    puis près de la fenêtre,
    il y avait un homme
  • 1:57 - 2:01
    qui était un caméraman,
    il s'appelait Taras Protsuyk,
  • 2:02 - 2:04
    qui était couché sur le ventre.
  • 2:08 - 2:12
    Il fut un temps où j'ai travaillé dans
    un hôpital, donc on va porter secours.
  • 2:12 - 2:16
    Donc je l'ai retourné ;
    et quand je l'ai retourné,
  • 2:18 - 2:24
    il était ouvert du sternum au pubis,
    mais je n'ai rien vu, rien du tout.
  • 2:24 - 2:31
    Je voyais une tache blanche,
    nacrée, brillante, qui m'aveuglait
  • 2:31 - 2:33
    et je ne comprenais pas.
  • 2:33 - 2:37
    Et puis la tache s'est dissipée et
    j'ai vu la blessure, qui était très grave,
  • 2:37 - 2:40
    on l'a mis dans un drap avec les copains,
  • 2:40 - 2:44
    on l'a descendu dans un ascenseur qui
    s'arrêtait à chaque étage, 15 étages,
  • 2:44 - 2:47
    on l'a mis dans une voiture
    qui l'a amené à l'hôpital ;
  • 2:47 - 2:51
    il est mort sur le chemin de l'hôpital,
    et le cameraman espagnol, José Couso,
  • 2:51 - 2:54
    qui était, lui, au 14e étage et
    qui avait été touché aussi
  • 2:54 - 2:56
    -- parce que l'obus avait touché
    entre les deux étages --
  • 2:56 - 3:00
    est mort sur la table d'opération.
    Quand je suis revenu,
  • 3:00 - 3:04
    une fois que la voiture est partie,
    moi j'avais un article à écrire,
  • 3:04 - 3:09
    que je devais écrire. Et donc,
    je me suis présenté...
  • 3:10 - 3:14
    je suis revenu vers le hall de l'hôtel,
    j'avais les bras plein de sang,
  • 3:14 - 3:17
    et là, il y a un sbire irakien
    qui m'a arrêté
  • 3:17 - 3:21
    pour demander de lui payer les dix jours
    de taxes que j'avais en retard
  • 3:21 - 3:23
    alors je l'a envoyé paître.
    Et je me suis dit :
  • 3:23 - 3:27
    « Surtout, mets ça de côté.
    Mets ça de côté !
  • 3:29 - 3:31
    Si tu veux écrire,
    il faut mettre ça de côté. »
  • 3:31 - 3:34
    C'est ce que j'ai fait, je suis monté,
    j'ai écrit mon article,
  • 3:34 - 3:35
    que j'ai envoyé. Mais après,
  • 3:37 - 3:41
    en dehors de l'affect,
    du fait d'avoir perdu des confrères,
  • 3:42 - 3:44
    il y avait quelque chose
    qui me dérangeait :
  • 3:44 - 3:48
    je revoyais cette tache,
    brillante, nacrée,
  • 3:50 - 3:53
    et je ne comprenais pas
    ce qu'elle voulait dire.
  • 3:53 - 3:56
    Et là, la guerre passée...
  • 3:58 - 4:00
    Plus tard, je me suis dit,
    c'est pas possible.
  • 4:00 - 4:04
    Je ne peux pas ne pas savoir
    ce qui s'est passé.
  • 4:04 - 4:06
    Parce que c'était pas la première fois,
  • 4:06 - 4:08
    c'est pas simplement pour moi,
  • 4:08 - 4:11
    j'avais vu chez les autres
    des choses de ce genre
  • 4:11 - 4:14
    en 20 ou 35 ans de reportages.
  • 4:15 - 4:19
    J'ai vu des choses qui m'avaient
    affecté aussi, mais par exemple,
  • 4:19 - 4:22
    au Liban, j'avais connu un homme,
  • 4:22 - 4:24
    un vétéran, il avait 25 ans,
    5 ans de guerre,
  • 4:24 - 4:26
    donc c'était un vétéran,
    on le suivait partout !
  • 4:26 - 4:29
    C'était quelqu'un qui rampait
    la nuit, avec une sûreté,
  • 4:29 - 4:33
    c'était un grand militaire,
    un vrai soldat ! Donc on le suivait
  • 4:33 - 4:36
    parce qu'on savait qu'avec lui,
    on était en sécurité.
  • 4:36 - 4:39
    Un jour, on m'a dit,
    et je l'ai revu,
  • 4:39 - 4:42
    qu'il était en train de jouer
    aux cartes dans la caserne,
  • 4:42 - 4:48
    et que quelqu'un est entré, à côté,
    qu'il a déchargé son arme,
  • 4:48 - 4:53
    que le coup est parti et que
    la déflagration, le simple coup de feu,
  • 4:53 - 4:57
    l'a fait se projeter sous la table,
    comme un enfant !
  • 4:57 - 5:01
    Il tremblait, il paniquait !
    Et que depuis, il n'a jamais pu
  • 5:02 - 5:06
    se relever et combattre. Et il a terminé,
    je l'ai retrouvé d'ailleurs,
  • 5:06 - 5:09
    croupier au casino de Beirout
    parce qu'il ne dormait plus,
  • 5:09 - 5:11
    donc c'était un travail
    tout à fait adapté.
  • 5:12 - 5:17
    Donc je me suis dit, qu'est-ce
    que c'est que cette chose
  • 5:17 - 5:24
    qui peut vous tuer sans blessure
    apparente ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
  • 5:26 - 5:28
    Quelle est cette chose inconnue ?
  • 5:28 - 5:33
    Et c'était trop fréquent pour
    que ce soit quelque chose
  • 5:33 - 5:35
    qui soit du hasard. Donc,
    je me suis mis à enquêter,
  • 5:35 - 5:39
    c'est tout ce que je sais faire.
    Je me suis mis à enquêter
  • 5:39 - 5:47
    et à fouiller les livres, les psychiatres,
    les musées, les bibliothèques, etc.
  • 5:48 - 5:52
    Et là, j'ai découvert qu'il y
    avait des gens qui savaient,
  • 5:53 - 5:57
    souvent des psychiatres militaires,
    et que nous étions en face
  • 5:57 - 5:59
    de quelque chose de...
    on l'appelle un trauma,
  • 5:59 - 6:04
    les Américains l'appellent PTDS,
    trauma, névrose traumatique,
  • 6:04 - 6:11
    que c'était quelque chose qui existait,
    dont on ne parlait jamais.
  • 6:14 - 6:17
    Et ce trauma, qu'est-ce que c'est ?
  • 6:17 - 6:20
    Eh bien, c'est une rencontre avec la mort.
  • 6:21 - 6:24
    Je ne sais pas si vous avez vu la mort
    en face, je ne parle pas de cadavres,
  • 6:24 - 6:29
    je ne parle pas du corps
    du grand-père sur un lit d'hôpital, non !
  • 6:29 - 6:33
    Ou de quelqu'un qui s'est fait
    renverser sur la route.
  • 6:34 - 6:39
    Je parle de la rencontre
    avec le néant de la mort.
  • 6:40 - 6:46
    Et ça, nous n'avons pas
    le droit de la voir.
  • 6:46 - 6:51
    Les anciens disaient : ni le soleil ni
    la mort ne peut se regarder en face.
  • 6:51 - 6:56
    L'homme n'a pas le droit de voir
    le néant de la mort en face.
  • 6:56 - 7:03
    Et quand ça se passe, ça peut rester
    invisible pendant quelques temps,
  • 7:03 - 7:06
    des jours, des semaines,
    des mois, des années parfois.
  • 7:06 - 7:12
    Et puis tout d'un coup, ça explose,
    parce que c'est quelque chose
  • 7:12 - 7:16
    qui est rentré dans le cerveau.
    Une espèce de fenêtre comme ça,
  • 7:16 - 7:21
    entre une image et son cerveau,
    qui s'est logé à l'intérieur du cerveau,
  • 7:21 - 7:26
    qui est resté et qui va prendre
    tout l'espace de notre cerveau.
  • 7:27 - 7:30
    Et là, vous avez des gens,
    des hommes, des femmes,
  • 7:31 - 7:33
    qui tout d'un coup ne dorment plus,
  • 7:34 - 7:37
    font des crises d'angoisses
    et de panique épouvantables !
  • 7:37 - 7:39
    De panique ! Pas des petites frayeurs.
  • 7:39 - 7:43
    Qui tout d'un coup ne veulent plus dormir,
    parce que quand ils dorment,
  • 7:43 - 7:46
    ils ont chaque nuit, chaque nuit,
    le même cauchemar,
  • 7:46 - 7:50
    chaque nuit la même image. Qu'est-ce
    que c'est, l'image ? Eh bien l'image,
  • 7:50 - 7:51
    c'est par exemple pour un combattant
  • 7:51 - 7:53
    qui rentre dans un immeuble,
  • 7:53 - 7:55
    et qui se retrouve face à
    un autre combattant qui le vise,
  • 7:55 - 7:58
    il voit le canon, l’œil du canon.
  • 7:59 - 8:01
    Et ce canon tout d'un coup
    devient énorme, se déforme,
  • 8:02 - 8:06
    devient cotonneux, avale tout.
    Et là, il dit...
  • 8:08 - 8:13
    après il dira : « J'ai vu la mort,
    je me suis vu mort, je suis mort. »
  • 8:13 - 8:16
    Et à partir de ce moment-là,
    il sait qu'il est mort.
  • 8:17 - 8:22
    Ce n'est pas une perception,
    il est convaincu qu'il est mort.
  • 8:22 - 8:25
    Et ce canon, à ce moment-là,
    quelqu'un arrive, l'autre s'en va,
  • 8:25 - 8:29
    ne tire pas, peu importe,
    il est mort à ce moment-là.
  • 8:29 - 8:31
    Ça peut être aussi une odeur de charnier.
  • 8:31 - 8:33
    J'en ai vu beaucoup au Rwanda.
  • 8:33 - 8:36
    Ça peut être la voix
    d'un ami qui appelle,
  • 8:37 - 8:41
    qui est en train de se faire trucider,
    pour lequel on ne peut rien faire.
  • 8:41 - 8:44
    On entend cette voix. Et donc
    toutes les nuits, pendant des semaines,
  • 8:44 - 8:47
    des mois, l'homme va se réveiller.
  • 8:48 - 8:51
    En transe, paniqué, terrorisé
    comme un enfant.
  • 8:51 - 8:55
    J'ai vu des hommes pleurer,
    mais comme un enfant,
  • 8:56 - 9:00
    en voyant la même image.
    Donc dans son cerveau,
  • 9:00 - 9:03
    cette image de l'horreur,
  • 9:05 - 9:07
    celle du néant de la mort,
  • 9:07 - 9:09
    qui est celle qu'on appelle un analogon,
  • 9:09 - 9:11
    ça veut dire une image
    qui cache quelque chose,
  • 9:11 - 9:11
    va tout occuper.
  • 9:11 - 9:14
    Il ne peut plus rien faire.
    Plus rien du tout.
  • 9:14 - 9:16
    Il ne peut plus travailler,
    il ne peut plus aimer.
  • 9:16 - 9:20
    Il va chez lui, il ne reconnait
    plus personne. Il ne se reconnait pas.
  • 9:22 - 9:28
    Il se cache, il reste chez lui,
    il s'enferme ! J'en connais qui mettaient
  • 9:28 - 9:29
    des petites boites de conserves dehors
  • 9:29 - 9:33
    avec des pièces de monnaie
    au cas où quelqu'un passerait, arriverait.
  • 9:33 - 9:35
    Et tout d'un coup, il a envie de mourir,
    il a envie de tuer,
  • 9:35 - 9:37
    il a envie de se cacher,
    il a envie de fuir,
  • 9:37 - 9:40
    il a envie qu'on l'aime,
    il déteste les hommes,
  • 9:40 - 9:46
    et quelque chose l'envahit
    du matin au soir,
  • 9:46 - 9:51
    et il souffre le calvaire.
  • 9:51 - 9:53
    Et les autres ne comprennent pas !
  • 9:53 - 9:55
    Les autres lui disent :
    « Mais tu n'as rien ! Tu vas bien,
  • 9:55 - 9:58
    tu n'as pas de blessures, t'es allé
    à la guerre, tu reviens, tu n'as rien. »
  • 9:58 - 10:03
    Et ces personnes-là souffrent le martyre
    et certains se suicident :
  • 10:04 - 10:07
    après tout, se suicider,
    c'est mettre son agenda à jour,
  • 10:07 - 10:08
    puisque je suis déjà mort,
  • 10:08 - 10:11
    si je me suicide, bon.
    Et en plus, il n'y a plus de douleur.
  • 10:11 - 10:12
    Certains se suicident,
  • 10:12 - 10:13
    d'autres terminent sous les ponts,
  • 10:13 - 10:14
    se mettent à boire...
  • 10:14 - 10:19
    Vous avez tous dans vos mémoires
    l'histoire de ce grand-père, de cet oncle,
  • 10:19 - 10:21
    de ce voisin qui buvait,
    qui ne disait rien,
  • 10:21 - 10:23
    qui était acariâtre, qui battait sa femme
  • 10:23 - 10:27
    et qui a fini, soit par sombrer
    dans la boisson, soit par mourir.
  • 10:27 - 10:31
    Et ils n'en parlent pas, pourquoi ?
    On n'en parle pas, pourquoi ?
  • 10:31 - 10:35
    Parce que c'est tabou !
    On ne peut pas dire,
  • 10:35 - 10:38
    l'homme n'a pas les mots
    pour dire le néant de la mort.
  • 10:38 - 10:40
    Mais les autres
    ne peuvent pas l'entendre !
  • 10:40 - 10:41
    Moi, quand je rentrais de reportage,
  • 10:41 - 10:44
    la première fois, on m'a dit :
    « Ah ! Il rentre de reportage ! »
  • 10:44 - 10:45
    Il y avait un dîner,
    une belle nappe blanche,
  • 10:45 - 10:46
    des chandelles, des invités,
  • 10:46 - 10:49
    « Tiens, raconte !»
    J'ai raconté.
  • 10:49 - 10:52
    Au bout de 20 minutes, tout
    le monde me regardait de travers,
  • 10:52 - 10:54
    la maitresse de maison avait
    le nez dans le cendrier
  • 10:54 - 10:56
    enfin, c'était une horreur,
  • 10:56 - 10:57
    et j'ai compris que j'avais
    foutu la soirée en l'air.
  • 10:57 - 11:01
    Donc maintenant, je ne raconte plus,
    mais on n'est pas prêt à écouter ça,
  • 11:01 - 11:02
    on dit « Ah, arrête ! »
  • 11:02 - 11:07
    Est-ce que c'est quelques cas ? Non.
    C'est extrêmement fréquent !
  • 11:07 - 11:12
    Un tiers des soldats morts en Irak...
    euh, morts, pardon pour le lapsus.
  • 11:12 - 11:17
    Un tiers des soldats irakiens,
    américains en Irak, souffrent de PTSD.
  • 11:17 - 11:21
    En 1939, il y avait encore dans
    les hôpitaux psychiatriques anglais
  • 11:21 - 11:27
    200 000 soldats
    de la première guerre mondiale.
  • 11:27 - 11:31
    Au Vietnam, il y a eu 54 000 morts.
    Américains.
  • 11:31 - 11:36
    En 87, le gouvernement américain
    a recensé 102 000 -- deux fois plus --
  • 11:36 - 11:39
    102 000 suicides réussis de vétérans.
  • 11:39 - 11:41
    Deux fois plus de morts au combat
    qu'au Vietnam.
  • 11:41 - 11:45
    Donc vous comprenez que c'est
    quelque chose qui couvre tout !
  • 11:45 - 11:47
    Pas seulement les guerres modernes,
    les guerres anciennes,
  • 11:47 - 11:50
    on les retrouve dans les textes anciens !
    C'est raconté, c'est dit,
  • 11:50 - 11:52
    Pourquoi est-ce qu'on en parle pas ?
  • 11:52 - 11:56
    Pourquoi est-ce qu'on en parlait pas ?
    Parce que le problème,
  • 11:56 - 12:02
    c'est que si cet homme ne parle pas,
    il va à la catastrophe.
  • 12:02 - 12:07
    Or, la seule façon de soigner,
  • 12:07 - 12:10
    parce que la bonne nouvelle dans
    cette chose là, c'est que ça se soigne :
  • 12:11 - 12:14
    le cri de Munch, Goya, etc,
    oui, ça se soigne !
  • 12:14 - 12:18
    la seule façon de soigner ce trauma,
  • 12:19 - 12:24
    cette rencontre avec la mort, qui
    vous sidère, qui vous glace, qui vous tue,
  • 12:24 - 12:28
    c'est d'arriver à en parler.
  • 12:28 - 12:30
    Quelqu'un a dit, les anciens disaient :
  • 12:30 - 12:34
    « Nous ne tenons entre nous,
    les hommes, que par le langage. »
  • 12:34 - 12:36
    S'il n'y a pas de langage,
    on n'est plus rien.
  • 12:36 - 12:39
    Nous ne sommes humains que grâce à cela.
  • 12:39 - 12:41
    Et face à cette image de l'horreur,
  • 12:41 - 12:43
    qui n'a pas de mots,
  • 12:43 - 12:47
    parce que ce n'est qu'une image
    du néant, qui nous obsède,
  • 12:47 - 12:49
    la seule façon de nous en sortir,
  • 12:50 - 12:52
    c'est de mettre des mots de l'humain.
  • 12:52 - 12:56
    Parce que ces gens se sentent exclus
    de l'humanité : on ne veut plus les voir
  • 12:56 - 12:58
    et eux, ils ne veulent plus voir personne.
  • 12:58 - 13:00
    Ils se sentent sales, souillés, honteux.
  • 13:00 - 13:02
    Quelqu'un disait :
    « Moi, vous savez, docteur,
  • 13:02 - 13:04
    je ne vais plus dans le métro
  • 13:04 - 13:06
    parce que j'ai peur que les gens voient
    toute l'horreur que j'ai en moi
  • 13:06 - 13:07
    dans mes yeux. »
  • 13:07 - 13:08
    Un autre disait...--
  • 13:08 - 13:12
    il avait une maladie de peau épouvantable,
    il a passé 6 mois en dermato,
  • 13:12 - 13:14
    on se le passait d'un service à l'autre,
    et puis un jour, on a dit :
  • 13:14 - 13:16
    « Qu'il aille voir le psychiatre. »
  • 13:16 - 13:18
    Et il a dit au psychiatre
    à la deuxième séance
  • 13:18 - 13:20
    (il avait une maladie de peau
    épouvantable, d'ici jusqu'aux pieds)
  • 13:20 - 13:24
    il a dit : « Mais pourquoi est-ce que
    vous êtes dans cet état-là ? »
  • 13:24 - 13:27
    Et l'homme lui a dit : « Mais parce
    que je suis mort, donc je me décompose. »
  • 13:27 - 13:31
    Donc vous voyez que c'est quelque chose
    qui touche le plus profond des hommes.
  • 13:31 - 13:38
    Pour se soigner, il faut en parler.
    Il faut remettre des mots sur l'horreur,
  • 13:38 - 13:42
    les mots de l'humain, arriver
    à apprivoiser, à en reparler.
  • 13:42 - 13:46
    Il faut regarder la mort en face.
  • 13:46 - 13:52
    et si on arrive à faire ça,
    si on parle de ces choses-là,
  • 13:52 - 13:55
    à ce moment-là, peu à peu,
    avec un travail de parole,
  • 13:55 - 13:59
    on arrive à récupérer
    notre part d'humanité.
  • 13:59 - 14:03
    Et c'est important ! Le silence nous tue !
  • 14:03 - 14:07
    Ça veut dire quoi ?
    Ça veut dire que si après,
  • 14:07 - 14:11
    ah, évidemment, on a perdu
    notre insoutenable légèreté de l'être,
  • 14:11 - 14:13
    on a perdu notre sentiment d'éternité
    qui fait que vous êtes là,
  • 14:13 - 14:15
    si vous êtes là, c'est bien
    que vous avez le sentiment
  • 14:15 - 14:18
    d'être persuadés d'être éternels !
    Vous ne l'êtes pas !
  • 14:18 - 14:21
    Sinon vous ne serez pas là,
    vous direz : « à quoi bon ? »
  • 14:21 - 14:23
    Et eux ont perdu
    ce sentiment d'éternité.
  • 14:23 - 14:27
    Ils ont perdu leur légèreté.
    Mais ils ont retrouvé autre chose !
  • 14:27 - 14:30
    Ça veut dire que si on arrive
    à regarder la mort en face,
  • 14:31 - 14:36
    et à l'affronter plutôt
    que se taire et se cacher,
  • 14:37 - 14:40
    on a des hommes ou des femmes,
    que je connais -- Michaël du Rwanda,
  • 14:40 - 14:47
    Carole d’Irak, Philippe du Congo,
    tous ces gens-là que j'ai connus,
  • 14:47 - 14:49
    Sorj Chalendon, qui est
    un grand écrivain maintenant
  • 14:49 - 14:51
    et qui a quitté le reportage
    après un trauma.
  • 14:51 - 14:53
    J'ai 4 ou 5 amis qui se sont suicidés,
  • 14:53 - 14:56
    qui eux n'ont pas survécu
    après des traumas.
  • 14:56 - 15:01
    Eh bien si on arrive à affronter
    la mort en face,
  • 15:01 - 15:04
    si nous les humains mortels,
    les mortels, humains,
  • 15:04 - 15:08
    nous savons où nous sommes humains
    et mortels, mortels et humains,
  • 15:08 - 15:13
    si nous arrivons à l'affronter et
    à remettre sur elle cette chose
  • 15:13 - 15:16
    qui est la terre la plus inconnue
    des terres inconnues,
  • 15:16 - 15:19
    puisque personne ne l'a vue.
  • 15:20 - 15:22
    Si nous arrivons à
    mettre des choses sur elle,
  • 15:22 - 15:31
    oui, nous pouvons mourir,
    survivre et revivre,
  • 15:31 - 15:36
    mais plus fort, plus fort qu'avant.
    Beaucoup plus fort.
  • 15:36 - 15:37
    Merci.
  • 15:37 - 15:39
    (Applaudissements)
Title:
Comment survivre au trauma ? | Jean-Paul Mari | TEDxCannes
Description:

DESCRIPTION
Parmi les militaires américains engagés au Vietnam, il y a eu 2 fois plus de morts après la guerre qu’au combat. Pourquoi ? Qu’est-ce qu'il se passe ? Qu’appelle-t-on le trouble de stress post-traumatique ? De quoi s’agit-il et comment s’en sort-on ? Jean-Paul Mari nous parle de ce sujet qui reste encore assez tabou à travers son expérience personnelle et professionnelle de Grand Reporter sur la plupart des terrains de conflits de ces dernières années.

BIO
Journaliste grand-reporter, psychologue et kinésithérapeute, Jean-Paul Mari a publié plusieurs centaines de reportages à l’étranger et plusieurs ouvrages. Il a réalisé un documentaire « Irak, quand les soldats meurent » et un film "Sans Blessures Apparentes" tiré de son livre du même nom. Il a reçu de très nombreux prix. Il est le créateur et l’animateur du site grands-reporters.com et vient de publier un roman, "La tentation d’Antoine" (Éd Robert Laffont).

This talk was given at a TEDx event using the TED conference format but independently organized by a local community. Learn more at http://ted.com/tedx

more » « less
Video Language:
French
Team:
closed TED
Project:
TEDxTalks
Duration:
15:51

French subtitles

Revisions Compare revisions