- Je voulais prendre la parole pour... Parce que j'ai le même sentiment qu'Alexandre qui a parlé auparavant ; c'est vrai qu'on est quelques personnes à s'intéresser à la démocratie et à ce dont vous parlez, et c'est vrai que la masse, 90 %, qui en a vraiment rien a faire. Est-ce que la solution, finalement, c'est que tout le monde soit citoyen, ou qu'on fasse une distinction entre les citoyens et les civils ? Parce qu'être citoyen ça impose des devoirs, et donc en contrepartie on reçoit des droits. En même temps, être citoyen, comme vous l'avez dit, ça impose d'être volontaire ; donc il faut faire le premier pas. Moi je pense qu'il faut avoir une distinction entre les citoyens et les civils, mais par contre qu'il y ait un principe fondamental, c'est que tout civil puisse devenir citoyen, tout civil puisse devenir citoyen. Et ce principe ne pourra jamais être remis en cause par n'importe qui, aucun religieux, c'est un principe fondamental. Par contre il pourrait y avoir 10 % de citoyens et 90 % de civils, 90 % de citoyens et 10 % de civils. Mais à mon avis il faut faire une distinction... - C'est très très très attrayant ça. - ... et je dirais que cette distinction elle serait utile pour donner envie aux civils, aux autres gens, aux consommateurs, d'être citoyens. Parce que si on fait une distinction... En gros, le désir vient aussi de la distinction... - Absolument. Absolument. Je suis tout à fait d'accord, je trouve ça très... ... excusez-moi, j'utilise tout le temps le mot, mais c'est très... - ... sexy ! - Absolument. Et pourtant c'est politiquement pas correct, hein, parce que ça ressemble drôlement aux citoyens actifs-passifs, ça ressemble au suffrage censitaire... Alors j'imagine que c'est pas à ça que vous pensez, c'est-à-dire que le critérium ça va pas être l'argent... - Non, alors par contre il y aurait un État de droit, les civils seraient soumis aux mêmes lois que les citoyens. Par contre, vu que les civils, en gros... - Il faudrait que vous preniez un micro pour que ce soit enregistré parce que c'est très intéressant ça. - Vu que les civils ne porteraient pas les armes et donc n'auraient aucune responsabilité, en contrepartie ils n'auraient pas le pouvoir de décider, c'est-à-dire qu'ils n'auraient pas le pouvoir. C'est la seule distinction. - Pas d'armes, l'obligation d'obéir, des droits protecteurs pour être sûrs que la majorité ne va pas les écrabouiller... - Oui, bien sûr. - ... et la possibilité - c'est super important - la possibilité à tout moment de passer dans le camp des citoyens, à condition d'être prêts... ... d'avoir appris peut-être, s'il y a un permis... avoir appris un minimum des institutions et des valeurs de la démocratie, et puis ensuite être capables... Mais moi... Enfin, ça me paraît pas... si c'est vraiment open et qu'il n'y a pas une marche d'entrée insurmontable, c'est-à-dire que vraiment quelqu'un de bonne volonté, même modeste y arrive, je trouve ça très attrayant. C'est-à-dire que... Il me semble que ça permet à ceux... ça permet d'avoir un régime dans lequel on a... Mais là on progresse, on fait un truc très important ce soir, parce que... Ça permet d'avoir un système dans lequel les 90 % qui s'en foutent ont une place protégée contre les injustices et... Parce que c'est des gens qui, en fait, ne veulent pas de chef. C'est des gens qui... enfin, pardon : les citoyens ne veulent pas de chef, mais eux c'est des gens qui veulent un bon chef. Ils veulent un bon maître. Et il veulent pas du tout être libres. Y a plein de gens comme ça. Et ceux-là... Comment on fait société ? Probablement avec deux vitesses, mais deux vitesses qui permettent de changer, ça me paraît pas choquant, ça me paraît pas injuste si... Quand on se met à avoir envie de faire de la politique, on peut changer de camp et on devient citoyen avec des droits et des devoirs... - Je rebondis un peu sur son idée... - Ce qu'il y a c'est qu'il y en a qui ne parlent jamais, alors peut-être on peut... Mais moi aussi il faudrait que je me taise, hein. - 90 % ou 20 % ou même 50 %, est-ce que le 1 %, est-ce que les Versaillais ils vont nous laisser faire ? - Ah ça c'est sûr que les Versaillais vont pas nous laisser faire. Ça c'est une des objections. - Le système en place, quoi. - Oui mais ça c'est une des objections, mais peut-être qu'on peut la garder pour la fin, parce qu'il me semble que ma façon de prendre les choses permet de... ... enfin ça me paraît être une possibilité... la façon virale. Donc je vous en dis un mot parce que comme ça vous voyez où je veux en venir. J'imagine... j'imagine pas qu'on s'insurge aujourd'hui. Parce qu'aujourd'hui on va perdre. On n'est pas assez nombreux, ils sont tellement forts, et le rapport de force on le gagnera jamais. Ce que je dis c'est que si nous arrivons à avoir une idée simple, puissante, parce qu'elle prend toutes les injustices à la racine. Toutes ou presque, Alain. Il en restera, je sais. Mais, déjà, imaginez qu'on en règle plein en nous rendant suffisamment puissants pour résister aux injustices. Et que... Imaginez que nous nous passions le mot entre nous, c'est-à-dire qu'à chaque fois on se réunit, on est quarante, cinquante, soixante, une centaine. Même si on est vingt ! Imaginez, même si on est dix ! Si vous arrivez avec un facteur dix à chaque fois que vous vous occupez de fabriquer des nouveaux globules blancs. Vous les convainquez, mais vous savez, il faut pas une fois, il faut les revoir deux fois, trois fois... Ça se travaille, en fait, parce que y a une désintoxication... Ça fait quarante ans qu'on est dressés à comprendre le contraire de ce qu'on est en train de découvrir tout seul, et ça va pas venir en une soirée avec les gens. Il va falloir discuter, revenir, trouver des trucs pour que la controverse ait du goût, qu'ils aient envie... que les gens avec qui on s'est un peu pris le bec, là, ils aient envie de revenir ; trouver des trucs. Mais imaginez que ce soit même un facteur dix, ça va faire une exponentielle. Et une exponentielle ça va très vite. Et il me semble que l'idée virale qui est rendue possible par Internet - tant qu'on a Internet mais faut se magner -, c'est... Ça peut marcher parce que si on est des milliards à le vouloir - ce qui n'est pas le cas en ce moment -, mais si on est des milliards à le vouloir, on l'aura sans effusion de sang. Parce que les Versaillais, ils y arrivent quand on est quelques dizaines de milliers... C'est fou, des dizaines de milliers c'est beaucoup de monde, hein, faut voir les photos de la Commune, les photos de la Commune de Paris, ils devaient se dire « on est invulnérables », les Parisiens. Les rues étaient pleines de gens qui fraternisaient. Ils craignaient plus personne, quoi. - Ils étaient plus de 500 000 en Grèce, ça a pas changé grand-chose. - Et ça a pas changé grand-chose. Donc quand je parle de millions, il faut vraiment qu'on soit... Non mais attends. Ils sont 500 000 en Grèce, mais on est prêts à se disperser ! Si vous voulez, il nous manque le liant. Il nous manque l'idée commune, et l'idée commune, dont on sait qu'elle est commune et on sait qu'il faut pas se disperser. C'est-à-dire que on peut parler du reste, évidemment, mais on sait qu'il y a un truc sur lequel il faut pas qu'on transige : on veut pas de professionnels dans l'Assemblée constituante. On peut discutailler, mais ça on discutaillera pas. Et si ça c'est notre liant, je trouve que c'est quelque chose... Je lis, Marx, hein, et je trouve des tas de choses très intéressantes dans Marx. Mais je trouve qu'il a... il a complètement... mais bon voilà, il a raté... il a rien dit du processus constituant. Pour lui, la Constitution c'était le résultat. C'était une conséquence du rapport de force. Il a raison, d'une certaine façon. Mais il a tort aussi parce que ça pourrait être l'outil qui change le rapport de force. Parce que... Hé ! Il y a un truc qui devrait vous tirer le neurone, c'est que les banques écrivent la Constitution. Et pourquoi ils écrivent la Constitution ? Ils sont moins bêtes que nous, quoi. Nous on est là à dire : « Non, c'est le résultat d'un rapport de force, c'est pas la peine de s'occuper de ça, ça viendra une fois qu'on aura changé le rapport de force. » Les banquiers sont moins bêtes, ils écrivent la Constitution européenne, elle a été écrite par les banquiers. Ils ont compris que c'est là que ça se jouait. La gendarmerie elle obéit à la Constitution. L'armée elle obéit à la Constitution. Les policiers ils sont très... légalistes. Ils obéissent à la Constitution. « C'est trop long votre truc. » Vous vous embêtez pas ? Vous êtes gentils. Vous pouvez m'écrire, hein, sur le site on continue à... - Les banquiers... - Oui. Les banquiers écrivent la Constitution, les policiers obéissent à la Constitution, et si nous trouvons le moyen, non pas d'écrire une Constitution parfaite, je sais qu'elle sera pas parfaite. Mais je sais... ce dont je suis sûr, et... c'est ça dont j'essaie de faire partager la conviction avec d'autres pour que ça finisse par marcher parce qu'on va être nombreux. Je suis sûr que puisque c'est le conflit d'intérêt avec des gens qui ont un intérêt à notre impuissance, qui écrivent les règles dans lesquelles peuvent être programmées, soit notre impuissance, soit notre puissance. Dans la Constitution, vous pourriez programmer soit notre puissance, soit notre impuissance. Et si cette Constitution elle est écrite partout dans le monde, à toutes les époques par des gens qui ont un intérêt personnel à... notre impuissance ; on a là un truc... Marx il en a pas parlé, je sais. Je ne suis pas anti-marxiste, c'est complémentaire. Je pense que la classe des 99 % va avoir enfin les moyens de résister quand elle va, au lieu d'abandonner le pouvoir... Ce pouvoir-là, au lieu de l'abandonner, parce qu'elle a abandonné le super pouvoir qui dit comment vont être écrites les règles et comment on va pouvoir résister quand on se fait enfumer. Ce pouvoir-là il faut pas qu'on l'abandonne. Même si vous faites pas de politique... Et si vous êtes là c'est que vous en faites un peu. Mais ce qu'il faut qu'on dise à ceux qui font pas de politique... Alors, vous êtes pas concernés parce que vous venez, là. Mais je reçois tous les jours des mails de gens qui sont tombés par hasard, sur le Net, ils sont tombés sur une conférence - et eux ils faisaient pas de politique, ils avaient renoncé -, ils m'écrivent en disant : « J'ai trouvé un truc, je me remets à faire de la politique. » Parce que cette idée de reprendre le contrôle du constituant, du processus constituant, pas de toute la politique. Si vous prenez le contrôle du constituant en disant : « Je fais attention à ce que ceux qui écrivent les règles, là-haut, soient pas en conflit d'intérêt. » Là vous allez avoir plein de contre-pouvoirs... des contre-pouvoirs qui vont faire qu'ils se surveillent entre eux et que vous, vous allez pouvoir les surveiller, qui font que vous aurez beaucoup moins à craindre. Vous n'aurez plus besoin, si ça vous intéresse pas, vous n'aurez plus besoin de faire de la politique, vous serez mieux protégés parce que vous vous êtes occupés... non pas de toutes ces conséquences, il y en a trop, qui nous divisent, qui nous dispersent, mais vous vous serez occupés de la racine, du seul truc qui devrait nous réunir qui est... ce terreau d'où poussent toutes les injustices, qui est notre impuissance politique. Et là vous êtes remontés... Mais pourquoi est-ce qu'il y a cette impuissance politique par la Constitution ? Mais pourquoi il y a une mauvaise Constitution ? Parce que ceux qui l'écrivent sont en conflit d'intérêt. Mais comment on fait pour qu'il n'y ait pas de conflits d'intérêt ? Eh ben on évite - là vous êtes remontés à la cause des causes - on évite... Je fais l'image des racines où je remonte à la cause des causes, à la racine qui déclenche tout. Le fait qu'il y ait des professionnels de la politique qui ont un intérêt à la Constitution. La Constitution, il va falloir qu'ils la craignent. Non mais faut pas que ce soit eux qui l'écrivent ! Ça c'est chouardesque. - Vous pensez pas qu'en plus du contrôle de la Constitution, il faudrait aussi reprendre le contrôle du logos, du champ des mots ? - Du conseil constitutionnel ? Vous voulez dire de ceux qui appliquent la Constitution ? - Non mais même de nous-mêmes. C'est-à-dire que comme vous disiez tout au début, au début de votre conférence, le fait que maintenant les mots ont un sens inverse : le mot « démocratie » quand même... - Ah bah oui, ça c'est sûr. - On devrait aussi se réapproprier le champ lexical, le logos, et j'ai l'impression que de toute façon, de plus en plus, on se dirige en plus vers un monde à la George Orwell avec la « novlangue ». C'est-à-dire que les termes sont complètement galvaudés, ils sont transformés, ils veulent plus rien dire... - Bien sûr, bien sûr, bien sûr. D'accord. On se dit vingt minutes, et après y a un pot derrière. Vingt minutes, c'est affreusement court. À Grenoble, fin décembre à Grenoble, on a fini à une heure et demie et, avec les yeux comme ça, hein, on s'est pas endormis, hein. On a fini à une heure et demie parce qu'il fallait absolument arrêter. - Je rebondis sur l'idée de... Boris... Je vais dans le même sens : on est tous d'accord que comment c'est actuellement, c'est pas bien ; mais moi je pars plus de l'idée qu'il faut, non pas séparer, mais fusionner la politique et l'économiste et l'historien, que ce soit un même métier. Mais par contre, que les électeurs ce soient des gens techniciens. C'est-à-dire que n'ont le droit d'élire que ceux qui participent à des discussions et qui deviennent techniciens. Et donc du coup, je pense que le discours va changer. C'est-à-dire que ceux qui vont se présenter, ils vont pas avoir un discours passionné comme « la France au travail », ils vont avoir un discours très technique, parce qu'ils vont savoir que leur audience, que ceux qui les élisent, sont techniques aussi et qu'ils vont faire les comptes, et qu'eux sont moins dupes que les gens qui en ont, finalement, rien à faire et qui sont plus influencés par le marketing actuel. - Y a un argument là, y a un argument mais... - Pas nous... en entrant... N'importe qui peut être technicien en entrant... - Ils se forment à être techniciens du coup ? - Voilà. - Alors y a quelque chose d'attirant et de très repoussant en même temps, je trouve dans cette idée. Elle est attirante, parce que c'est vrai que les techniciens vont probablement avoir moins de passion. Mais finalement, je crois que ça c'est un leurre, hein, parce que les techniciens... On y est, là, dans le gouvernement des techniciens. Et c'est épouvantable. - Non mais je veux dire le peuple de techniciens, c'est des gens... - C'est pas le bon terme. - ... qui s'intéressent au moins à quelque chose... - Non mais on revient sur l'idée de Boris, là. - Ça va dans son sens... - Oui, mais c'est pas forcément technicien, quoi. Parce que je trouve que le pari des Athéniens qui dit que y a pas de compétence politique, qu'il n'y a pas de technique politique. Nous sommes tous capables de goûter ce poulet et de dire : « Il est bon, il est mauvais », et pourtant on n'est pas foutus de le faire bon ou mauvais. C'est une image d'Alain dans les « Propos sur les pouvoirs ». Je crois que c'est le meilleur livre que j'aie jamais lu - pourtant j'en lis un paquet -, mais je crois vraiment le meilleur livre du monde. J'exagère un petit peu parce que j'en mettrais peut-être deux ou trois quand même, mais les « Propos sur les pouvoirs », c'est une merveille, une merveille. Et lui il parle de l'objection de la compétence, il parle de... il dit : « C'est pas raisonnable de se faire enfumer par des... » Il utilise pas ces mots-là, mais c'est pas normal de se faire circonvenir par des parlementaires qui nous font croire qu'ils sont compétents et nous pas. Et il prend l'image du consommateur de politique que sont les citoyens qui disent... donc qui ont délégué les parlementaires pour rendre des services, et qui disent : « Je suis bien capable de savoir que ce que vous m'avez rendu c'est pas bon, et de vous punir, même si je suis pas technicien de dire : vous n'avez pas atteint le résultat. » Il a une autre image quand il parle de... ... de savoir qui est le maître du navire, et en fait il dit : « Oui, peut-être qu'il nous faut au parlement des techniciens qui sont le capitaine du navire, qui savent comment diriger le navire, mais c'est nous l'armateur. » C'est-à-dire que c'est nous qui disons où va le navire. C'est pas le capitaine qui dit où va le navire. Donc il y a des images qui permettent de... À mon avis le technicien... c'est Keynes qui disait : « Les économistes, sur la banquette arrière ! C'est pas eux qui tiennent le volant. » Et les techniciens, à mon avis, c'est pareil. Il faut pas qu'ils tiennent le volant. Sinon on va à Big Brother. En même temps je comprends votre argument... - Vous mélangez écnonomistes et banquiers, financiers... - Eh ben pour moi c'est pareil. - Non, un économiste c'est quelqu'un qui a travaillé, qui a des théories, y a des grands bouquins de mille pages, et le but c'est quand même l'enrichissement du peuple, la justice sociale... Les économistes travaillent dans ce sens-là. C'est pas forcément les financiers et les banquiers qui essaient de gratter le plus de sous possible. - Enfin, l'immense majorité des économistes ont été payés par les financiers et les commerçants pour légitimer la domination des plus riches, hein. Il y a des exceptions, mais globalement les économistes c'est des... - Je pense que la première chose à faire, c'est d'essayer de faire prendre conscience à des gens qui sont dans la consommation pure de la politique actuelle, que, peut-être, il y a une autre façon de voir la politique. Ce serait déjà ça. C'est-à-dire de prendre conscience que nous on peut agir à notre niveau, quoi. - Oui, mais il faut entendre Alexandre parce que moi je l'ai vécu aussi plein de fois ça, hein. C'est-à-dire que il y a plein de gens, quand vous leur parlez de politique, ils disent : « Attends, là tu m'as parlé de politique, je t'ai écouté parce qu'on est potes, hein. Mais là faut pas que tu me fasses ça une deuxième fois, sinon je viens plus jamais, quoi, hein. » Et donc ils veulent pas en entendre parler du tout. Ils veulent entendre parler de foot, de télé, de couillonnades... Et pourtant ils votent. Donc l'idée de Boris je la trouve très bonne. - Ils ont tout fait pour que ça soit comme ça... - Mais attention, faites gaffe. Non, s'il vous plaît, faites gaffe. Dans ce qu'a dit Boris, y a quelque chose de très important. Il y a plusieurs choses, hein, je crois. C'est de dire que les civils doivent être protégés... Enfin, ce qu'il appelle « civils », ça m'intéresse comme mot ; j'avais jamais utilisé ça comme ça. Pourquoi pas ? Mais ça pourrait être citoyens et électeurs, quoi. C'est-à-dire que les civils ce seraient des électeurs. Des gens qui sont... - Mais pourquoi vous faites des différenciations ? - Mais si, mais si, parce que les gens sont pas les mêmes, c'est vrai. - Est-ce qu'on est égaux en tant qu'êtres humains ? - Qu'est-ce que vous voulez dire ? Essayez de développer, peut-être, votre pensée, vous voulez dire quoi ? - On n'est pas égaux. - On n'est pas égaux dans la volonté qu'on peut avoir. - Si on a des citoyens et des civils d'un côté, alors y a plus d'égalité... - C'est quoi votre prénom ? - Monique. - Monique, est-ce qu'on peut pas dire que on est tous égaux dans le sens où on a tous le droit de devenir citoyen dès qu'on le veut. Monique, c'est pas une pirouette ça, hein. C'est pas un mensonge de politicien qui cache un non en disant oui ou le contraire. C'est vrai ça ce que je vous dis. Est-ce que c'est pas une vraie liberté, une vraie égalité que de dire : « Tant que tu veux pas, tu l'es pas, et dès que tu veux tu le seras. » Ça c'est une égalité, non ? Et après ça, on n'est pas obligés de faire tous la même chose, Monique. - C'est comme devenir Français, faut le choisir. Ben on va aller où là ? - Oui mais c'est pareil... - Moi, je suis pas du tout dans ce... - Pourquoi ça vous choque ça ? - Moi je trouve ça choquant. - Et y a pas que les Français. Je crois que tous les humains du monde disent ça. Ils disent... - On est tous des citoyens... - Faites des opérations, alors, sur des gens... le lendemain... Vous pouvez pas être docteur du jour au lendemain... Vous pouvez aussi parler de l'égalité des chances. Si vous voulez être docteur, lui est docteur... - Ah non, Alexandre, c'est pas ça l'objection. Non mais, Alexandre, c'est pas une objection ça parce qu'en politique, normalement, y a pas de compétences : on peut pas faire l'image du médecin. C'est pas ça la réponse. Parce que c'est pas une question de compétence, c'est une question de volonté. Le médecin il a une compétence. Et je trouve que la réponse du médecin elle convient pas pour répondre à Monique, parce que Monique dit : « Mais attends. Ou on est égaux ou on n'est pas égaux. Si on est égaux, on commence pas à faire des différences politiques. » Et vous dites : « Non mais il faut reconnaître qu'on n'est pas égaux. Le médecin il a une compétence qu'il faut lui reconnaître et... » Mais les démocrates, les Athéniens, ils disaient pas du tout que le médecin il fallait le tirer au sort, hein. - C'est pas l'égalité des connaissances... - C'est l'égalité politique que demande Monique, c'est pas l'égalité des connaissances. Mais, Monique... Non mais c'est super intéressant... C'est un sujet intéressant là, important. - Pour moi l'égalité, c'est pas l'égalité des chances ou l'égalité de [?] C'est l'égalité des volontés. C'est-à-dire qu'on n'est pas tous égaux envers la volonté qu'on peut avoir envers un objet. Voilà. Il faut vraiment le vouloir. - On est tous égaux, on est tous... - Non mais Monique... - Faut pas imposer l'égalité en fait, tout simplement. - Monique, ce que dit Boris, n'est pas une inégalité politique. Ce qu'il dit c'est pas une inégalité politique. Il dit qu'il y a une égalité politique, mais y a une inégalité des volontés. - Moi je suis pas compétente... Ça fait trois semaines que je vous connais, j'ai pas mon bac, je suis pas compétente, je suis peintre en bâtiment, j'y connais rien. J'y connais rien. Ce que je veux dire c'est que... Mais Boris y a des personnes comme moi qui sont pas compétentes. On est plusieurs. - Mais si t'es compétente puisque t'es là... - Non, je suis pas compétente. La politique je ne voulais pas m'y intéresser. Les 99 % j'en fais partie. - T'es pourtant là, t'es pourtant là... - Je suis contente parce que ça m'a intéressée. Il y a quelque chose qui m'a interpelée. - Parce qu'elle le veut, voilà. - Je suis motivée, et donc... - Puisque t'es là ton vote vaut plus que quelqu'un qui n'est pas là. C'est tout. C'est ce qu'on esssaie de dire. - Et donc c'est important de pas parler de compétences, Alexandre. - Je suis pas contre... ce que je veux dire. Je pense qu'il y a un problème de... - De mots. - Vous dites que ça fait six ans que vous le suivez, moi ça fait trois semaines. - Je choisis mal mes mots, mais je pense que quelqu'un comme vous est plus apte à voter que quelqu'un qui n'est jamais venu ici... - Parce qu'elle le veut. Parce qu'elle le veut. Mais c'est vrai ça, Monique ; non ça se défend quand même ? - Qu'est-ce qui vous choque, Monique ? - Et pour moi ça c'est pas inégal. Donc c'est pour ça que ça m'énerve quand on dit que c'est inégal. Parce que pour moi, le fait que vous êtes là, c'est la preuve que ça n'a rien à voir avec le social, c'est juste la volonté de vouloir. Et rien que ça, rien que l'avoir, eh ben ça suffit. Et si on l'a pas, on devrait pas pouvoir voter parce que c'est une arme de destuction massive pour quelqu'un qui n'en a rien à foutre de pouvoir voter. - Qu'est-ce qui vous choque, Monique ? - Moi, je dis l'extrême droite, à ce moment-là, ils ont la volonté, hein. - Pourquoi vous parlez de l'extrême droite ? Il y a l'extrême droite et l'extrême gauche et le centre... - Non mais on parle de la volonté d'être citoyen ou pas là. - Oui, voilà. - Ils sont dans le noir. Est-ce qu'on peut allumer un peu la lumière... ? - Comment on peut juger de l'aptitude... Comment peut-on juger de l'aptitude de quelqu'un à être un citoyen, à être apte ? Parce que là on est en train de parler de l'aptitude individuelle. - Non, on parle de volonté ! S'ils le veulent, s'ils le veulent. - Et une personne qui n'en a pas de volonté. C'est une question d'éducation là... Chacun en nous, qu'est-ce qui nous conditionne ? Comment on en arrive à s'y intéresser et comment on est capable de faire la distinction entre un civil et un citoyen ? - L'idée c'est d'essayer d'écarter le marketing, l'influence du marketing sur les gens qui n'en ont rien à faire. Qui à la fin arrivent, et qui sont pas décidés, qui votent oui ou non sur un feeling : « Ah ben lui il a l'air beau, machin, je vais voter oui ou non. » Alors qu'au final, il pourrait faire plus de mal que de bien. Et il suffit de s'intéresser... - Je trouve qu'il y a beaucoup de jugements de valeur... - Non mais c'est bien qu'elle réponde quand même. - Attendez, c'est super le ping-pong, là, mais il faudrait que les autres ne parlent pas en même temps. Vraiment, c'est super ce ping-pong, il est très intéressant. Mais ce qu'il faudrait c'est que quand... on est dans une une espèce de discipline, c'est que quand il y en a un qui parle, on parle pas en même temps parce que c'est... À chaque fois c'est intéressant, hein, et en fait, quand il y en a un qui a repondu, il faut que l'autre puisse répondre parce que c'est pas fini. Monique elle n'a pas fini, hein... Faut qu'elle arrive à défendre son point de vue aussi. Mais simplement il faudrait pas parler en même temps. Parce que là moi j'arrive à m'imposer parce que j'ai un micro, alors que là, vous n'avez pas de micro, donc il faut tendre l'oreille. Donc c'est important qu'on se taise tous quand vous faites votre ping-pong. Mais c'est intéressant parce qu'il y a... C'est juste une question de mot je pense. Parce que c'est tout à fait défendable l'idée d'avoir des régimes différents. Un peu comme comme on accepte que quelqu'un n'aille pas voter. On lui donne le droit de voter, et il n'exerce sa puissance que s'il vote. Mais, Monique, c'est exactement ça, hein ? Non ? Vous les obligez pas à voter ? - Pas du tout. - Eh ben ce serait pareil là. C'est-à-dire que celui qui n'est pas citoyen, il peut le devenir s'il le veut. - Pourquoi lui donner un nom particulier à ce non-votant ? - Bah parce qu'il y aurait un pouvoir pour ceux qui sont citoyens parce qu'ils le veulent... Mais ça peut se régler... Eux, ils sont en train d'imaginer un statut. Mais moi, à mon avis, quand il y a une grande assemblée et que viennent, donc comme à Athènes, et viennent ceux qui veulent sur les sujets, on a ça. - Voilà, tout à fait. - Et y a pas besoin d'avoir un statut, Boris. Tu comprends ce que je veux dire ? C'est-à-dire que si nous votons nos lois, c'est-à-dire si on arrête d'accepter d'avoir des représentants. On dit : « On veut plus de représentants, on veut voter nous-mêmes nos lois. » À ce moment-là, on s'assemble quartier par quartier, commune par commune, et on vote directement nos lois. Dans ce cas-là, on est bien à la fois dans ce que vous connaissez, à mon avis, ce que vous admettez, quand même, là. C'est-à-dire que viennent ceux qui veulent, vous allez pas les forcer à venir. Viennent ceux qui veulent, et donc ceux qui viennent, ceux qui veulent, c'est bien les citoyens, y a pas besoin de leur mettre une étiquette ou pas une étiquette. - Ce que vous préconisez, c'est le but ultime. Moi j'aimerais qu'on arrive jusque là... - Et y a pas besoin de statut, là. - ... mais entre-temps, il faudrait une politique, on va dire, d' « évangélisation » des citoyens. - C'est pas le bon mot ! - Ce que tu cherches, c'est un levier... - Prenez pas mal les trucs, c'est un mot... - Il faut une distinction, il faut deux statuts au départ pour motiver tout le monde pour devenir citoyen. Il faut motiver les civils pour qu'ils deviennent citoyens. - Bon, mais en même temps Boris, tu... enfin vous sentez que... je comprends votre aptitude... enfin, vous comptez sur le côté aristocratique, sur le côté... mais aristocratique dans le bon sens du terme. C'est-à-dire un peu comme une légion d'honneur, enfin comme un... - Voilà, oui. - ... une espèce de diplôme qui donnerait envie aux gens de s'en occuper parce qu'on leur met un... les gens sont très sensibles à l'insigne, hein. Et d'autres interprètent ça comme une discrimination en disant : « Attends, il va y avoir deux catégories de citoyens. » Il va y avoir, comme on disait pendant la Révolution française, c'était honteux, hein, y avait les citoyens actifs, ceux qui votaient, et puis les citoyens passifs qui valaient rien quoi, hein. Et ça c'était révoltant. Mais c'est pas à ça que vous pensez, et c'est pourtant ça que suggère - « c'est trop long votre truc » - c'est ça que suggère le statut, le diplôme, quoi, mais à mon avis on n'en a pas besoin. - La volonté est la chose du monde la mieux partagée, tout le monde a de la volonté, quelles que soient les classes sociales, quels que soient les... - C'est très intéressant, mais je trouve que avec ce que tu proposes, qui est intéressant à nouveau, on suppose le problème déjà résolu. Qu'est-ce qu'on va faire si le peuple a déjà repris le pouvoir politique et comment il va s'organiser ? Je trouve que ce qui est le plus intéressant, et dans ce cas-là on peut imaginer plein plein de choses positives, créatives, etc. ... tu comprends ce que je veux dire... juste pour dire que... En tout cas, moi, ce qui m'intéresse plus c'est comment on fait passer le message, comment on fait boule de neige, comment on arrive à se fédérer pour être des globules blancs et mettre des outils en place en commun pour travailler avec Internet, avec une gestion décentralisée ; ça ça m'intéresse beaucoup. Et aussi la forme, comment on va présenter les choses. Il me paraît... ... des critiques, mais elles sont pas vraiment sur le fond du tirage au sort ; c'est plus sur la présentation. Est-ce que le tirage au sort c'est vraiment ça qui est essentiel ? Ou est-ce que c'est le contrôle des élus ? Et à la fois... les mandats qui sont courts, non renouvelables, et l'épée de Damoclès qui pèse sur les élus. Donc, si on veut faire un mouvement où on veut faire passer des idées, est-ce qu'on parle de tirage au sort avant tout ? Ça apparaît être essentiel dans le processus constituant, mais ensuite je pense que c'est plutôt sur d'autres idées qui me paraissent presque plus importantes ; et comme c'est marqué « procédure centrale : tirage au sort », je demande à Étienne si tu penses pas qu'au final c'est pas moins central que d'autres choses. Et la deuxième chose, pour finir, c'est sur la cause des causes, je pense qu'il n'y a pas de cause des causes, dans le sens où la causalité n'est pas linéaire, cartésienne, mais qu'elle est complexe, c'est-à-dire qu'il y a plusieurs choses qui vont co-construire la réalité. Et donc il y a plusieurs choses. Donc, est-ce que c'est le système monétaire ou est-ce que c'est le manque d'attention dans qui écrit la Constitution ? Ou est-ce que c'est, par exemple, simplement la rareté ? Le fait qu'avant... que quand il y a un pain disponible pour cent personnes, on va tous se battre pour l'avoir, et ça c'est mécanique. C'est comme ça que ça a toujours marché. Et on a effacé la rareté grâce à la technologie. Aujourd'hui on vit dans une société d'abondance, ou même d'opulence parfois, et on maintient, et ça c'est un appel à une réflexion sur le système économique et ses mécanismes et ses contingences, mais plutôt ses mécanismes dans ce cas-là, c'est qu'on maintient la rareté pour maintenir le système monétaire. C'est Thorstein Veblen qui disait ça au début du siècle, un économiste institutionnaliste, qui avait une vision d'ensemble de la société : sociologie, économie, politique, droit, etc., et qui montrait que y a un vrai paradoxe entre la valeur d'usage et la valeur marchande. Donc la valeur d'usage c'est ce que les ingénieurs... c'est l'utilité que vous avez de tel bien ou service. Les ingénieurs, donc, vont essayer de créer l'abondance, de créer les systèmes qui vont produire plus avec moins, etc., et la valeur marchande, en fait, c'est la loi de l'offre et de la demande. C'est plus un bien est abondant, moins il est cher. Plus une compétence est rare, plus elle est chère. Je sais pas si vous m'avez compris. Plus un bien est abondant, moins il est cher et moins il y a de profit. Donc on maintient les usines, les machines pour qu'elles produisent pas trop. Donc la rareté est maintenue par le système économique même, par la logique de profit. Ça c'est quelque chose qui est central... Bon, j'essaie de recentrer un peu le débat sur l'économie plutôt que sur : qu'est-ce qu'on fera quand le problème est déjà résolu ?, quoi. - Je vais commencer par la deuxième, sur le multifactoriel. C'est vrai que tout est multifactoriel et que quand on cherche la cause des causes, on va pas trouver une cause unique. C'est pas ça qu'on cherche : on cherche à soigner une maladie. Et la cause des causes, c'est parmi toutes les causes premières - et c'est vrai qu'il peut y en avoir plusieurs - on en cherche au moins une qui soit déterminante ; c'est-à-dire qu'elle détermine les autres. Ça veut dire que par définition si tu la changes, tu changes tout en aval. C'est ça qu'on cherche. Donc c'est peut-être, peut-être tu as raison : peut-être que on trouvera un autre moyen que celui que je suggère qui est de changer le droit du droit pour arrêter d'avoir un droit injuste et sortir de toutes les injustices parce que nous allons... Si tu veux quand je dis si nous rétablissons notre puissance politique, moi, je compte ensuite sur le hasard et la multiplicité, la biodiversité de nos exigences et de nos luttes, une fois que nous serons rendus puissants, nous serons capables de corriger toutes les injustices, ou en tout cas un grand nombre d'injustices, parce que nous avons réglé quelque chose qui est déterminant. Je sais bien que c'est pas tout, je sais bien que c'est multifactoriel, hein, notre prison politique, elle a été fabriquée par les plus riches, parce que les plus riches ont commencé grâce a cette richesse à corrompre les acteurs politiques du moment de façon à devenir encore plus riches que riches. C'est Bonaparte, il faut pas que je dise de gros mots, cet affreux jojo de Bonaparte, qui est poussé par les financiers qui veulent faire la Banque de France, qui gagne toutes ses guerres, parce qu'on lui paye ses guerres, parce que on l'aide partout, parce que à chaque fois qu'il y a des ennemis on l'en débarrasse, on lui fabrique sa chance ! Jusqu'à ce que... Il renvoie l'ascenseur et crée la banque dite de France, qui est en fait le début du grand racket qui fait que ces gens-là vont ensuite tout contrôler tout le temps. Je sais bien que au point de départ ça a été la richesse, mais ce qui a décuplé leurs richesses c'est le suffrage universel. C'est ça qui leur a permis, par les parlementaires, de prendre le contrôle de la production du droit. Moi ce que je dis, puisque c'est ça qui permet de booster... On ne va peut-être pas se débarrasser des riches ou de la cupidité, mais on va leur retirer le turbo au moteur, on va leur retirer... En leur retirant le suffrage universel qui, après 200 ans, a fait la preuve qu'il ne tient pas ses promesses, en retirant le turbo, en mettant à la place un tirage au sort avec tous les contrôles qui vont avec, on va se rendre une partie au moins de la puissance politique qui va nous permettre de régler les problémes. Mais je sais bien que ce n'est pas une panacée, hein, je ne m'attends pas à une perfection. Donc, bah j'ai répondu aux deux, je crois, hein. Parce que quand tu me dis « le tirage au sort n'est pas essentiel, il est pas central, c'est le contrôle des élus. » Le problème c'est que le contrôle des élus, il va falloir le programmer dans une Constitution, Frédéric. C'est Frédéric, hein ? - Sébastien. - Sébastien, pardon. Sébastien, il va y avoir le contrôle des élus, il va falloir l'écrire dans une Constitution. Donc, tu me dis : « Le plus important c'est le contrôle des élus. » Non mais le contrôle des élus, je l'ai bien vu, moi. Quand j'ai analysé, j'ai dit : mon impuissance politique, elle vient du fait que j'arrive pas a contrôler mes élus. Et pourquoi j'arrive pas à contrôler mes élus ? C'est parce que j'ai une mauvaise Constitution. Pourquoi j'ai une mauvaise Constitution ? C'est parce que c'est les élus qui l'ont écrite ! Donc, je sais bien ce que tu m'as dit, mais pour moi c'est en aval. C'est une des causes, et je suis déjà, moi, plus sur la cause des causes. Parce que si tu me dis : « Il suffit de contrôler les élus. » Bah, je te dis : « Bah, effectivement. » Mais comment tu vas faire ? Parce que si tu règles pas le problème de qui écrit la Constitution, si tu laisses les élus écrire la Constitution, tu vas attendre longtemps qu'ils écrivent le contrôle des élus ! Ils ne l'écriront jamais ! Tu comprends ce que je veux dire ? Dans la logique, c'est multifactoriel, mais t'en as qui sont déterminants. C'est parce que c'est des élus qui ont écrit la Constitution qu'il n' y a pas de contrôle des élus dans la Constitution, et pas le contraire ! - Mais pour moi, c'est parce qu'il y a rareté qu'on est obligés d'être organisés avec le principe du marché, puisqu'il n'y avait pas assez pour distribuer pour tout le monde, donc on était obligés de rentrer dans ce modèle de concurrence... - Quel rapport entre le marché et qui écrit la Constitution ? - La cause des causes de quoi ? La cause des causes de nos problèmes actuels ? - De notre impuissance politique ! - Ah, d'accord. - De notre impuissance politique à résister sur la monnaie, à résister sur la rareté, à résister sur le droit injuste dans l'entreprise, à résister sur... Notre impuissance politique elle a une cause puissante qui, à mon avis, est réglée par le tirage au sort. - Ce qu'il veut dire c'est qu'on aurait peut-être besoin, à un moment ponctuel, d'avoir une masse de tirés au sort qui écrivent une Constitution robuste et... - Et juste. - Suffisamment robuste pour qu'on n'ait plus besoin de tirer au sort. C'est peut-être ça qu'il voulait dire. - Absolument, mais absolument, je suis d'accord avec ça ! À mon avis, il en faudra un petit peu. On n'est pas obligés d'avoir une démocratie complète. Pas du tout. Moi, je m'en fais le... Je deviens, progressivement, sans le vouloir le défenseur de ce régime, apparemment, parce que, en l'expliquant ça aide à comprendre ce qui nous aiderait à sortir du pétrin ; parce que c'est des choses qui ont marché, qui ont été testées, rodées, améliorées pendant 200 ans, donc on pourrait vraiment s'en servir. Mais j'ai en même temps que cette réflexion sur une pure démocratie, une vraie démocratie, j'ai une réflexion très avancée, très variée, très documentée sur l'amélioration du gouvernement représentatif. C'est-à-dire on garderait les élus, on garderait des représentants, simplement, on les contrôlerait mieux. Mais j'ai toujours besoin du tirage au sort pour l'Assemblée constituante, sauf si vous trouvez une idée meilleure que le tirage au sort pour avoir une Assemblée constituante désintéressée. - Bah une dictature royaliste. - Pourquoi pas ? Mais il me faut des garanties, hein. Comment ? - Le problème du rapport Sauvé : les parlementaires se sont gentiment assis dessus. C'est ce que vous disiez : demander aux élus de créer les règles auxquelles ils seraient soumis, sur les conflits d'intérêts en particulier, on voit bien que ça ne fonctionne pas. Le rapport Sauvé [?] Les sénateurs ne veulent pas voter de loi, l'Assemblée nationale pas plus que ça non plus. Donc je rejoins votre position là-dessus. - Donc, est-ce qu'on est d'accord pour faire une priorité ? Peut-être pas la seule, mais une priorité c'est mieux quand elle est seule, quand même. De faire une priorité pour régler, peut-être pas tous, Alain. Il est parti Alain ? - Oui. - Mince. Peut-être pas pour régler tous nos problèmes, mais pour en régler une grande partie, est-ce qu'on est d'accord sur l'idée d'une priorité qui serait de... - Changer le système. - C'est-à-dire d'imposer, de mettre dans ce que nous voulons... Une Assemblée constituante sans professionnels de la politique. Des gens qui ne veulent pas du pouvoir. On veut que dans la Constituante ce soit des gens qui renoncent d'abord au pouvoir pour le futur, mais qui ne sont pas des professionnels, c'est-à-dire c'est des gens qui ont... Ou bien est-ce qu'il y a quelque chose qui vous chiffonne là-dedans ? - Là, ça va déjà trop loin et le Venezuela a démontré que même avec des professionnels de la politique on peut quand même avoir quelque chose qui est beaucoup mieux que ce qu'on a, nous, aujourd'hui en France. Même si ce n'est pas encore de la démocratie réelle, ils ont quand même via des professionnels qui ont écrit cette Constitution, même si elle a été votée... - Par le peuple, hein. C'est eux qui l'ont écrite, hein.