Q : Bonjour, nous sommes ce soir en compagnie d'Etienne Chouard, Etienne Chouard qui est un citoyen engagé depuis de nombreuses années, mais qui est connu du public depuis 2005. Bonsoir Etienne Chouard. E.C : Bonsoir. Q : Pouvez-vous nous expliquer l'origine un petit peu de votre combat au niveau médiatique, c'est à dire en 2005, comment vous vous êtes fait connaître et pour quelle cause? E.C : Alors, pour aller vite, en 2005, les médias ne défendaient, ("les médias" : les grands médias) ne défendaient que le « oui », et maltraitaient l'option « non » à la réponse sur le référendum... et dans la vie normale, les gens parlaient du « non », parlaient des arguments du « non », surtout à partir du moment où Fabius a défendu cette idée publiquement. Les gens se sont mis à parler du "non", et beaucoup, et avec beaucoup d'arguments et ce n'était pas du tout relayé. De fil en aiguille, pour des raisons sans importance, finalement, si je dois résumer, j'en suis venu à écrire un texte qui a beaucoup circulé sur internet, je ne savais pas du tout que ça allait se passer comme ça, mais... pour des... d'abord, pour... c'est marrant, pour convaincre mon père qui était un « ouiste» acharné, puis ensuite pour convaincre mes collègues professeurs, j'ai produit une espèce de synthèse de ce que j'avais à reprocher de plus grave dans l'ensemble de ce qu'il y avait à dire sur l'Union Européenne : il y avait beaucoup à dire. J'ai retenu 5 points qui me paraissaient gravissimes, et en les argumentant, solidement, en tous cas de mon point de vue, et j'ai fait un document d'une dizaine de pages, avec une dizaine de pages de notes qui étayaient ce que je disais, et puis que j'ai mis sur mon site, en appelant les gens à... (ce n'était pas un blog, ce n'était pas un forum, ce n'était pas interactif...) en les appelant à... à m'aider, à affiner le texte, en me disant, si je me trompais, à quel endroit. Et ce... probablement ce ton, cette recherche d'une vérité que je ne connaissais pas, (probablement, je vois ça comme une partie de l'explication), ont fait que les gens se sont, (en manque dans les médias, d'arguments correctement développés à propos du « non »), se sont emparés de ce texte-là et l'on fait circuler de façon étonnante... Ça s'est répandu comme une trainée de poudre, pas seulement en France, d'ailleurs : dans beaucoup d'autres pays francophones. J'ai reçu des mails du Pôle Nord, d'Amérique du Sud, d'un peu partout dans le monde en fait, bon, bien sûr surtout de France. J'ai reçu 12 000 mails en 2 mois, ce qui est proprement inhumain, et c'est à ce moment-là qu'il y a un ressort qui s'est tendu en moi, parce que, en fait, quand les gens comptent sur vous, ça, ça vous donne des forces pour faire des choses que vous n'auriez pas faites sans ça. Et, à l'inverse, quand des gens vous maltraitent, vous calomnient, disent du mal de vous, ça tend encore le ressort (par une mécanique à double sens, ça le tend aussi), pour montrer que, vous n'êtes pas nul. Et, si j'en parle, ce nest pas du tout pour mon cas personnel qui ne présente pas d'intérêt, mais c'est parce que c'est un exemple de ce que les institutions athéniennes savaient bien faire : elles... de bonnes institutions... joueraient avec cette appétence que nous avons au regard des autres. Nous avons besoin du regard des autres pour nous donner du mal, et la plupart d'entre nous n'avons pas besoin d'argent pour ça ; c'est-à-dire qu'il suffit que les gens soient contents de ce qu'on ait fait pour être... remercié et satisfait de ce qu'on a fait, et de bonnes institutions devraient compter là-dessus, compter sur le déshonneur de ceux qui ont mal fait et sur l'honneur pour ceux qui ont bien fait, parce que ça marche très bien et ça donne beaucoup d'énergie ; et moi je vois bien que ce qui me donne de la force, ce qui fait que je me donne du mal depuis 6 ans, c'est bien le regard des autres : le regard des autres qui comptent sur moi, et le regard des autres qui me considèrent comme un diable. Alors donc, depuis, depuis... je travaille comme une brute, je travaille comme un fou, je lis énormément... j'ai l'impression d'avoir débusqué une idée majeure... pour nous protéger tous contre les injustices sociales ; ce n'est pas rien, c'est très immodeste de dire ça, mais... c'est [justement] pour ça que je me donne du mal : j'ai l'impression d'avoir trouvé quelque chose de formidable. Et donc je... voilà, j'essaie de résister aux abus de pouvoir et d'y résister non pas en comptant sur un homme providentiel ou sur la vertu de certains acteurs ou en nous protégeant des vices supposés d'autres acteurs, je ne compte pas du tout là-dessus : je compte sur de bonnes institutions, qui me paraissent être un angle d'attaque de la vertu en politique qui est complétement négligé. Mais je pense que ça vient de nous, c'est parce que nous, les citoyens... — enfin non, pas "les citoyens", Il n'y a PAS de citoyens, il y a très peu de citoyens, nous sommes ÉLECTEURS : c'est à dire que nous sommes hétéronomes : nous subissons la loi écrite par d'autres. Un citoyen écrit lui-même sa loi, un citoyen vote lui-même les lois auxquelles il consent à obéir. Et donc nous ne pas citoyens, nous ne sommes que des électeurs. Et [donc] je pense que ça vient [de nous]... c'est de notre faute. C'est parce que nous, électeurs, nous avons renoncé à nous occuper, à exiger, et à protéger un processus constituant digne de ce nom, honnête, sans conflit d'intérêts, sans aucun professionnel de la politique. C'est parce que nous avons renoncé à ça, que toutes les Constitutions du monde, et dans tous les pays, programment notre impuissance politique. Q : comme disait Einstein, le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui regardent et qui ne font rien. E.C : Absolument. Q : Je voudrais aussi parler du fait que... avant cet engagement citoyen que vous avez eu, vous étiez également professeur d'économie, et donc vous avez fait, vous avez fait une sorte de travail, on peut dire, d'expertise, sur la dette publique. Alors je reviens également sur votre travail par rapport à la constitution européenne... je pense qu'une des raisons pour lesquelles vous avez été autant écouté c'est que vous ne représentez aucune association, aucun parti, vous... vous n'avez rien à vendre, en fait. Et donc c'est pour ça aussi que les gens ont été aussi intéressés par vos expertises, et donc je souhaiterais que vous développiez très rapidement pour les internautes, votre avis sur la dette publique. Parce que on vit une crise, non seulement en France, mais quasiment tous les pays du monde, et les gens ne comprennent pas forcément pourquoi on en est arrivé là. E.C : Développer rapidement c'est un oxymore, donc il va falloir choisir. :-) Pour aller vite, le capitalisme, pour démarrer, 19ème siècle, a eu besoin de la dette publique ; et le capitalisme, pour suvivre, a [encore] besoin de la dette publique. Je vous recommande la lecture d'un livre qui vient de sortir, [titre = «LA DETTE OU LA VIE» éditions Aden 2011] qui a été écrit par Eric Toussaint et Damien Millet, qui sont des, d'héroïques résistants du CADTM, donc du Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde, qui sont des spécialistes donc des dettes odieuses, des dettes illégitimes qui sont imposées aux pays du Tiers Monde depuis 20 ans... Enfin : ils résistent depuis 20 ans, les gens du CADTM. Ils ont écrit une synthèse, dans un gros livre, mais absolument passionnant, dans lequel il y a, et c'est pour ça que je vous en parle... un extrait du captital de Marx, qui traite de la dette publique, et qui pourrait être écrit aujourd'hui, pour comprendre ce qui se passe. Donc je vous recommande, je vous recommande chaleureusement la lecture de cet extrait qui est tout à fait édifiant. La dette publique est une vieille affaire, une vieille escroquerie de riches pour voler l'argent à travers l'Etat, pour se servir de l'Etat pour voler les pauvres, c'est une vieille affaire qui continue. Et... finalement, nous regardions les pays du Tiers Monde en disant : "c'est pas de chance pour eux, mais finalement ça ne nous concerne pas"... Aujourd'hui, ça commence à nous concerner, et d'une certaine façon, je dirais que c'est quand même bien fait pour nous, parce que notre indifférence par rapport au sort des pays du Tiers Monde... (qui est le sort qui nous attend) nous fait mériter, d'une certaine façon, ce qui nous attend. Mais ce qui nous attend, c'est la Grèce, hein, ne croyez pas que la Grèce [ne nous concerne pas]... alors... Q : Est-ce que vous pourriez nous parler vite fait de deux exemples : l'Argentine et l'Equateur ? E.C : Je ne peux pas vous en parler beaucoup, mais... Q : L'annulation de la dette inique... E.C : Il est tout à fait possible [de répudier une partie de la dette publique]... alors c'est justement pour ça que moi je ne parle plus de crise, parce que c'est un coup d'état, ce n'est pas du tout une crise. Une crise c'est un accident. Là ce n'est pas du tout un acccident : tout se passe comme prévu... Je pèse mes mots. Donc, nous sommes fous d'accepter de parler de crise, dans ce qui est, objectivement, un coup d'état bancaire, privé, antirépublicain, anti démocratique. Nous devrions être en insurrection. Alors insurrection pacifique, non violente, on fait comme on veut, mais on devrait s'insurger contre ce qui est un coup d'état. [Il ne] faut pas parler de crise. Ce n'est absolument pas une crise, ce n'est pas du tout accidentel. C'est prévu, c'est prévu depuis longtemps. Et je peux vous dire qu'à l'occasion de ce... de cette convulsion programmée, déclenchée par les banques, et leurs agences qui sont leurs complices, à l'occasion de cette convulsion, on va perdre, on va tout perdre. C'est-à-dire qu'on va perdre tout le programme du Conseil National de la Résistance, qui était déjà malmené, qui était dans la ligne de mire, mais, le bouquin de Naomie Klein sur la Stratégie du choc est un bouquin important pour comprendre leur mode opératoire, et arrêter de parler de crise. Je veux dire, ce sont des électrochocs administrés par des canailles contre le corps social. [Il] faut utiliser d'autres mots que les leurs... Ils nous grugent avec les mots. Donc la dette publique, elle est [largement illégitime] ... A partir du moment où on refuse de la traiter comme... je vois des débats qui consistent à dire : « qui va payer la dette ? »... Mais on n'est pas du tout obligé de payer une dette odieuse, je veux dire, une dette illégitime, une dette qui a été fabriquée de toutes pièces par des complices des banques, élus grâce aux banquiers, et qui depuis 40 ans votent des budgets en déséquilibre. La dette publique, elle vient d'une boule de neige qui s'est constituée progressivement pendant 40 ans, et qui est l'addition de 40 ans, 40 budgets votés en déséquilibre. Et à chaque fois un peu plus en déséquilibre, à chaque fois un peu plus endettés... mais c'est le résultat de décisions politiques votées par vos soi-disant "représentants". Nos soi-disant "représentants". Donc... on nous présente aujourd'hui comme une catastrophe imprévue ce qui est construit sciemment par nos parlementaires depuis 40 ans, on se fout de qui ? Je veux dire on se moque de qui ? Donc... bah il faut résumer, s'il faut résumer le problème de la dette publique, moi je vois un... je vais utiliser un gros mot, parce que... le mot fascisme est un gros mot, c'est un... c'est un mot violent, qui décrit une période extrèmement brutale... de notre histoire, mais qui n'est pas du tout finie. Les méthodes ont changé, elles sont moins brutales en apparence, mais l'objectif du fascisme qui était de mettre l'Etat à la disposition des plus riches, lui permettant ensuite, leur permettant ensuite (à ces riches), de supprimer les syndicats, de se débarraser des résistances des salariés pour que, enfin !, les salaires puissent être aussi bas que possible, et sans plus... sans plus aucun contre pouvoir. Ce projet fasciste, il est absolument d'actualité. Les institutions européennes ont été écrites par les mêmes, ont été voulues, financées par les mêmes qui avaient voulu et financé Hitler et Mussolini. Donc ce n'est pas Hitler et Mussolini, [évidemment,] c'est autre chose. C'est plus malin, c'est plus soft... Maintenant ils ont compris que, contre un Hitler ou un Mussolini, les peuples sont capables de se révolter. => ça va être beaucoup plus difficile de se révolter, de s'insurger contre le résultat des élections, contre les résultats de ce que nous avons nous-mêmes voté. C'est beaucoup plus malin, quoi, ils progressent. Et nous, on dirait qu'on régresse : on est de plus en plus incultes, on accepte leur langage, leur vocabulaire, on continue à parler de "démocratie", on défend le "suffrage universel" comme si c'était une vache sacrée, alors que c'est, le [faux] "suffrage universel" qui depuis 200 ans permet aux riches d'acheter le pouvoir politique et de concentrer les pouvoirs, donc ce sont les mêmes personnes, qui, désormais, depuis 200 ans arrivent à avoir, à la fois le pouvoir économique et le pouvoir politique, ce qui s'était jamais vu dans l'histoire des hommes... et ça, c'est le "suffrage universel" qui permet d'acheter [les élus], c'est cette procédure juridique qui permet aux riches d'acheter le pouvoir politique : 100% ! Et nous défendons ça comme si c'était l'alpha et l'oméga de notre liberté, mais on est plus cons que la moyenne, hein, je veux dire... on est idiots. On se fait berner, quoi, on est... on est très vulnérables aux bobards... Q : Il y a également le rôle des médias qui sont un petit peu une courroie de transmission entre les différents pouvoirs, pour, un petit peu influer notre pensée... Alors, c'est vrai que c'est un petit peu pessimiste ce que vous venez de dire, mais c'est tout à fait réaliste, c'est pas pessimiste, enfin c'est un peu noir, je précise... Il y a quand même des raisons d'espérer, parce c'est vrai que quand on touche le fond, et je pense qu'on est en train de toucher le fond, il n'y a plus qu'à donner un bon coup de talon et on remonte. Alors,c'est peut être un peu caricatural de dire ça... E.C : "le fond", c'est le camp de travail, hein... "Le fond", c'est Auschwitz ou le goulag... On n'est pas du tout au fond, là ; c'est pour ça qu'on ne réagit pas... Q : je parle de l'année 2012, dans le sens où nous sommes... enfin, d'après certaines analyses, nous sommes au bord d'une 3ème guerre mondiale, et pour le coup, là ce serait vraiment toucher le fond. E.C : Voilà, mais on n'y est pas encore. Mais ça va être ça, "le fond", ça va être la guerre civile. Q : Donc... parmi les maigres espoirs qui nous restent, on a l'espoir, certains ont l'espoir de mettre en place une constituante en France. Beaucoup de gens ne savent pas tout simplement ce que c'est qu' une constituante, est-ce que vous pourriez expliquer ce que c'est ? Et également, dans un 2ème temps, parler du tirage au sort de nos représentants. E.C : Là, j'ai quoi ? 1 minute ? :-) Alors : tout citoyen, c'est-à-dire quelqu'un qui aspire à être autonome, à produire lui-même, à participer lui-même directement aux lois auxquelles il consent, tout citoyen devrait savoir, et protéger, savoir ce que c'est qu'une Constitution, savoir à quoi ça sert, pourquoi c'est très important pour lui ; et il devrait [la] protéger les armes à la main. À Athènes, le athéniens étaient des soldats, armés, donc armés et entraînés, sachant se servir de leurs armes, et qui défendaient leur démocratie. Et ce nest pas du tout anodin : c'est [probablement] pour ça que ça a marché 200 ans, c'est parce qu'il y avait des citoyens [, des vrais]... des gens armés. Alors, je ne suis pas du tout militariste, je suis complètement anti-militariste, desarmé, j'ai vécu 50 ans dans cette croyance qu'il fallait désarmer le monde. Et je suis en train de découvrir le détail de l'histoire de nos massacres... massacres des peuples précisément désarmés, et je commence à me demander si je ne me suis pas fait enfumer à me laisser désarmer, alors que Robespierre m'annonçait déjà que, c'était folie de garder... au sein d'un corps social... désarmé, de garder une fraction armée du peuple. C'était pour lui, la garantie d'une tyrannie. Et je crois bien qu'il avait raison. Donc une Constitution, il faut vraiment comprendre ce que c'est : pour vivre en société, on a besoin du droit, qui nous pacifie, en nous soumettant à une règle commune. Ce droit va être produit, va être écrit, probablement, par des représentants. Des représentants qui, étant au-dessus de nous, et produisant les règles qui vont... nous contraindre, ces gens sont à la fois très utiles, et très dangeureux. C'est comme ça depuis très longtemps, on le sait depuis des milliers d'années. Et on a inventé... (donc il s'agit pas de réinventer quelque chose de nouveau), on a inventé depuis des milliers d'années, une protection contre ce danger, qui est un texte supérieur, donc qui est AU-DESSUS des producteurs de droit, donc au-dessus des parlements, au-dessus des gouvernements, au-dessus des juges, au-dessus des policiers, au-dessus, normalement des banques et des médias, au-dessus de ceux qui ont un pouvoir => au-dessus des professionnels de la politique, Il y a un texte, supérieur, que tout le monde devrait connaître, qui s'appelle la Constitution. Mais il faut comprendre que cette Constitution, elle ne sert pas à organiser les pouvoirs, elle sert à... à affaiblir les pouvoirs, elle sert à les diviser, les séparer, pour nous protéger. Donc la Constitution, nos parlementaires devraient la craindre ! Une fois qu'on a compris ça, on a compris qu'il est complètement idiot d'accepter que cette Constitution soit écrite par ceux-là mêmes qui devraient la craindre ! Si ce sont les parlementaires qui écrivent la Constitution, un enfant comprend que le parlementaire, il ne va pas écrire les contre-pouvoirs dont nous avons besoin, nous en-dessous. Nous devrions être protégés par la Constitution, et nous laissons écrire ce texte protecteur par ceux dont elle devrait nous protéger !!! Ils vont [évidemment] tricher ! Et c'est [d'ailleurs] ce qu'ils font, partout dans le monde, à toutes les époques ! L'impuissance des peuples, partout dans le monde, ne vient pas de la corruption ou du vice de ceux qui écrivent la Constitution, pas du tout ! Ça ne vient pas des gens au pouvoir... l'impuissance des peuples, elle vient, de l'indifférence des peuples par rapport au processus de [rédaction de la] Constitution, et qui disent : "non, moi la Constitution, j'y connais rien, j'ai du travail, j'ai autre chose à faire, j'ai pas le temps", et qui disent, en général, "pour les affaires publiques, je laisse... je laisse des professionnels s'en occuper qui sont les parlementaires => eh bien, si ce parlementaire a envie d'écrire la Constitution, eh bien, qu'il l'écrive !" Et c'est à ce moment-là, que ça se joue. C'est à ce moment-là, où... [ce moment] où moi, électeur, je consens à ce qu'un parlementaire écrive la Constitution... un parlementaire, ou un ministre, ou un De Gaulle, hein, peu importe, ou un Lénine, [c'est à ce moment-là qu'on perd toute possibilité d'instituer une vraie démocratie] hein... Lénine a écrit la Constitution, c'est une catastrophe, De Gaulle a écrit la Constitution, et c'est une... De Gaulle et ses amis, hein, et c'est une catastrophe. Mais, ce n'est pas la faute de De Gaulle : c'est normal que De Gaulle ait envie d'écrire la Constitution, [mais] ce n'est pas normal qu'il l'écrive. Ce n'est pas normal que nous le laissions faire. Nous devrions... chacun d'entre nous, (vous êtes concernés individuellement), nous devrions empêcher, les hommes au pouvoir, les professionnels de la politique, d'écrire la Constitution. Tout le reste en découle. Je pense que là on atteint... quand je parle de notre indifférence au processus constituant, je pense que je suis sur "la cause des causes" : c'est la vraie source pure de notre impuissance politique, elle est là. Et il suffit (donc on a la solution en nous) il suffit de nous en occuper, il suffit d'arrêter de nous désintéresser... pas de la Constitution : du processus constituant, c'est-à-dire, QUI ÉCRIT ? Il ne suffit PAS de voter la Constitution, on va nous faire voter [n'importe quoi : par exemple,] ils ont réussi... la Constitution de 58, on l'a votée à 80%, alors que c'est une Constitution monarchique, qui institutionalise notre impuissance totale ! Totale ! Et on l'a votée à 80% ! Donc c'est [bien la preuve que] le vote ne suffit pas, c'est... une très mauvaise protection. Donc il nous faut... il nous faut une assemblée constituante, d'où les acteurs professionnels seraient exclus ! Il n'y faut pas d'hommes de partis, ni parlementaires, ni ministres, ni juges, ni banquiers, aucun homme de pouvoir. Donc il faut quelle soit [désintéressée]... [ce qui compte, c'est QUI ÉCRIT la Constitution.] Alors, moi, il me semble que le tirage au sort me paraît, semble être justement ce qu'on cherche pour que ce soit n'importe qui, sauf ceux qui le veulent... si vous avez une meilleure idée que le tirage au sort, ça m'intéresse, je suis preneur... il me semble que ce que nous devrions viser, c'est une procédure, tirage au sort ou autre, qui mette à l'écart les gens qui sont en situation de conflit d'intérêts, [à l'écart] du processus constituant. Et, je pense que ce qu'on a dit sur la dette, ce qu'on a dit sur l'Union Européenne, c'est complètement lié à cette cause première. C'est notre faute. Et donc, je suggère qu'on en parle, et que nous soyons rapidement des... [non] pas des milliers, pas des millions => que nous soyons rapidement des milliards, parce qu'il faut que ce soit dans plein de pays, il faut que ce soit... Il faut qu'on traduise et qu'on [diffuse mondialement]... C'est une idée forte et simple, hein, elle peut se répandre comme une trainée de poudre. Par contre, quand vous rentrez chez vous, il ne faut pas que vous rentriez chez vous en disant : "tiens, c'est sympa, c'est intéressant ça", et puis que vous vous en teniez là, il faut que vous deveniez vous-même le vecteur de cette maladie antioligarchique... Le tirage au sort, en politique, ça peut être la maladie qui fera tomber le monstre oligarchique. Mais à condition qu'il y ait des globules blancs pour transmettre la maladie au monstre, hein. Donc... moi tout seul, je ne ferai rien du tout, il suffit de m'assassiner ou de... de me calomnier... et puis voilà, on se débarrasse de moi [et de l'idée-antidote du tirage au sort]. Si on est des milliards, ça va être plus compliqué de se débarrasser de nous. Q : Alors, j'ai une dernière question par rapport à une constituante : on entend parfois certaines voix, notamment chez les indignés, ou alors au niveau des médias, des personnes comme Jacques Attali, défendre l'idée d'une constituante européenne. Alors qu'est-ce que vous répondez à cela ? E.C : Je conseille aux citoyens, pour se forger une opinion et pour déterminer une conduite, de ne pas se fier à ce que va dire Monsieur Attali, qui est le roi des oligarques. Alors bon, il a ses intérêts, il défend ses intérêts, mais Attali... il ne défend pas l'intérêt général. Donc... on pourrait peut être même dire que ce que dit Attali, on a intérêt, comme premier... premier fil de conduite, à faire le contraire. :-) Donc, je ne sais pas ce que dit Attali... je sais qu'une assemblée constituante élue... élue, parmi qui ? Elue parmi les candidats imposés par les partis ? Donc des élus qui vont être les mêmes qu'il y a à l'assemblée, ou leurs copains ? Bon ben, [dans ce cas,] les mêmes causes produiront les mêmes effets, et si vous élisez une assemblée constituante, vous resterez dans la prison politique que vous avez bien méritée. Si vous défendez l'idée d'une élection d'une assemblée constituante, c'est que je pense que vous n'avez pas compris... Bon, mais c'est peut être moi qui me trompe, mais bon, je pense que [dans ce cas] vous n'avez pas compris la cause de notre impuissance : si on élit une assemblée constituante, on restera impuissants. Donc faut arrêter avec le faux "suffrage universel" qui consiste à désigner des gens [des MAÎTRES] parmi lesquels on n'a pas choisi... des gens qu'on n'a pas choisis... il faut défendre le vrai suffrage universel : alors, ça peut être une élection libre : Une élection parmi les gens qui sont pas candidats... chacun d'entre nous pourrait désigner autour de lui, des gens qui lui semblent bien pour écrire une Constitution, et qui sont pas des hommes politiques, qui sont pas des hommes médiatiques, qui sont pas des hommes connus, qui sont des gens normaux. Bien, normaux. bien à leur regard. Et... ces gens élus librement, eh bien parmi eux, on pourrait tirer au sort. Et ce ne serait donc pas n'importe qui. Ce serait des gens que nous avons librement considérés comme des gens bien. Q : ... par rapport au tirage au sort, parce que, c'est vrai que c'est une idée qui peut paraître... à moi-même, ça m'avait paru saugrenu la première fois que je l'avais entendue, cela renvoie à tout votre travail de recherche et d'analyse, de la démocratie athénienne, et donc je conseille aux internautes de tout simplement de visionner toutes vos conférences, parce qu'il y a beaucoup de vos conférences qui sont publiques et qui sont accessibles gratuitement sur internet. Voilà, donc Etienne Chouard je vous remercie pour l'entretien, Jonathan, une dernière question ? E.C : Il y a un site [simplifié] que vous devriez aller voir puisque mon site [est très riche] : il suffit de taper Chouard sur google pour y aller, mais il est énorme... les gens m'écrivent souvent en me disant "on a le tournis, quoi, on arrive là-dedans, il y a trop de choses"... Et il y a un militant qui a fait sans m'en parler (et qui a vachement bien fait), qui a fait un truc incroyable... il s'appelle Paul et il a écrit, il a fait un site qui résume l'essentiel. Et le site s'appelle : le-message.org. C'est vachement bien ce qu'il a fait, c'est 0% de matières grasses, c'est tout léger, il y a ce qui compte, et puis il y a une approche progressive, c'est-à-dire : tu as 5 idées très brèves, qui s'enchaînent, bien, correctement, quand tu cliques sur une idée, tu as un paragraphe pas trop long qui développe le résumé de cette idée, et si tu veux en savoir plus, tu cliques sur un lien et là tu en vois un peu plus, et puis ensuite tu vois les vidéos, et ça permet de rentrer progressivement dans l'essentiel. C'est bien fait : le-message.org. le-message.org, c'est incroyable, c'est un virus, qui a fait ça, quoi, c'est gentil virus, qui a imaginé... une façon plus efficace de planter les graines => c'est malin. Vous devriez aller voir, c'est bien fait. C'était quoi votre question ? Q : C'était au niveau de l'échelle de la Constitution à écrire. Est-ce qu'on doit la... est-ce que vous la verriez plutôt au niveau national ou plutôt au niveau européen ? C'était ça le sens de la question. E.C : Européen c'est trop tôt. Peut-être que ça viendra, mais, moi je verrais plutôt ça au niveau communal, et une fédération de communes qui permettrait de [gérer les questions exigeant une plus grande population]... et tant qu'on n'a pas la possibilité de s'organiser au niveau communal, je tiens absolument au niveau national. Je suis nationaliste tant qu'il n'y a pas de communes à la place. Je suis nationaliste faute [de mieux]... parce que si je perds la Nation, je perds ce que Robespierre m'a donné comme outil pour résister à Monsanto [et aux multinationales]. Donc je ne tiens pas à quitter la proie pour l'ombre, Je suis nationaliste faute de mieux, parce que, pour l'instant, je n'ai que ça pour me défendre. Et donc une Constitution au niveau national, ça irait très bien, comme en 1791. La Constitution de 93, c'est une merveille... la Constitution montagnarde, elle est belle. Q : et l'article 35... E.C : de la déclaration des droits de l'homme de 93 elle est belle, hein ? Mais bon, il faut comprendre que ces gens-là étaient purs. Ils étaient... ils étaient ce qui nous manque aujourd'hui. Et je pense que nous devrions, aujourd'hui [chercher de tels dévouements]... A l'époque, y'avait beaucoup d'analphabètes en France. Aujourd'hui, il y en a beaucoup moins, et aujourd'hui on trouverait, je pense, facilement, dans le corps social du pays, on trouverait facilement des gens valeureux, des gens bien, des gens... pas du tout des professionnels de la politique, et qui nous écriraient une super [Constitution], peut-être pas parfaite, il y aurait des défauts, mais on s'en fout, ils nous écriraient une super Constitution. Et il faut arrêter de s'en remettre aux professionnels du droit constitutionnel, qui sont au service de ceux qui les convoquent, qui sont des professionnels de la politique, et qui en fait, ont un intérêt personnel contraire à l'intérêt général. Les professionnels de la politique ont intérêt à l'impuissance du plus grand nombre. Alors, on est fous de les laisser écrire la Constitution, mais c'est notre faute hein, voilà. Q : Je citais tout à l'heure Einstein, mais j'aurais pu citer Robespierre, : à qui devons-nous imputer tous ces maux ? À nous-mêmes... dans son fameux discours... Jonathan, tu peux m'aider ? C'est le discours... celui du 27 juillet 1794... E.C : Je ne les connais pas assez bien pour les connaître par leur date, hein... Q : C'était son dernier discours à l'assemblée... enfin, à l'assemblée... E.C : Avant qu'on lui casse la mâchoire pour qu'il ne puisse pas se défendre... Q : Exactement. E.C : Robespierre est un... Robespierre est une véritable référence. Il faut arrêter de lire ce qu'on dit de Robespierre, il faut lire Robespierre dans le texte, c'est... c'est lumineux, c'est exemplaire. C'est très très très intéressant. Q : J'avais écrit un article sur lui qui s'appelait « Robespierre, grand-père des 99% » E.C : Voilà. Exactement, c'est un des grands bonshommes qui a vraiment défendu le peuple, quoi... Et qui a été haï, sali, calomnié pour ça [par les plus riches]. Qui a été assassiné pour ça... Grand bonhomme, Robespierre. Q : Oui alors, une des racines de la corruption réside dans l'argent-dette. On entend parler des monnaies parallèles, des monnaies alternatives, est-ce que c'est une solution ? Est-ce que c'est possible de mettre en oeuvre ça de façon... je dirais presque étatique ? E.C : Eh bien non, c'est contradictoire : les monnaies libres ou les monnaies parallèles, elle n'ont de sens que parce que nous n'avons pas de monnaie étatique, de monnaie publique. Nous avons une toute petite monnaie publique, qui est moins de 10% de la monnaie, et nous avons 90% de la monnaie qui est une monnaie privée. Qui sont des monnaies privées, scandaleuses. Et les monnaies, les monnaies parallèles, les monnaies libres, sont un pis aller, un formidable pis aller... une solution de rechange tant que nous n'avons pas récupéré la monnaie publique... Elles sont un outil formidable, pédagogique, qui permet d'expliquer, et non pas [seulement] d'expliquer, de PROUVER la puissance libératrice qu'il y a dans la monnaie, de MONTRER que quand nous reprenons le contrôle de la monnaie, nous faisons disparaître la misère, et nous faisons apparaître la prospérité, l'autonomie ! Donc les monnaies parallèles permettent de le montrer, mais, si vous les rendez publiques, eh bien... on sort de ce qui était un acte de résistance, et on l'institutionalise, mais on ne parle plus de "monnaie parallèle", on parle de "monnaie publique. Je pense que la monnaie doit être publique, sous contrôle public... mais c'est [effectivement] le prolongement de ce que montrent les monnaies parallèles. Les monnaies parallèles montrent que c'est ça dont nous avons besoin. Nous sommes la proie, véritablement la proie, nous sommes les... travailleurs forcés de ceux qui ont volé la création monétaire à la puissance publique... Ce n'est pas une fatalité : le jour où nous... (et c'est indissociable, ça n'arrivera pas tant que nous ne récupérerons pas le contrôle de la Constitution... donc c'est complètement lié, hein), mais le jour où nous récupérerons le contrôle du processus constituant, ce jour-là, nous récupérerons aussi le contrôle des médias, le contrôle de la monnaie, le contrôle des juges... tout se tient. Mais à mon avis, il faut prendre le truc à la racine. Il faut prendre nos problèmes, qui sont infinis, hein, les injustices sociales elles sont infinies, mais elles ont une racine commune, qui est notre impuissance politique et qui ne tombe pas du ciel, qui est programmée dans un texte dont nous nous foutons. Je suggère que nous arrêtions de nous en foutre, et que nous parlions entre nous pour nous dire : voilà où est la racine, voilà ce qu'il faut couper, et ça c'est suffisamment simple pour réunir des gens "de droite" et "de gauche" et "du centre", et qu'on arrête de se disperser, et de... de s'engueuler sur des détails qui ne sont que des conséquences : concentrons-nous sur l'essentiel => on veut un processus constituant désintéressé. Tout le reste suivra, y compris la monnaie. Q : Bien Etienne Chouard, merci beaucoup pour cet entretien.