Ne jamais se résigner - Est-ce la limite ? | Isabelle Lasserre | TEDxAlsace
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0:09 - 0:10Bonjour,
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0:12 - 0:16j'ai mis les pieds dans ma première guerre
avec une énorme boule au ventre. -
0:18 - 0:22Me plonger dans le cœur
le plus noble de ce métier, -
0:22 - 0:27couvrir les crises les plus violentes,
celles dans lesquelles on ne va jamais, -
0:27 - 0:29ça avait toujours été mon rêve.
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0:30 - 0:34Depuis le début de la Guerre du Golfe,
je trépignais à Courrier International, -
0:35 - 0:38mais j'ai mis plusieurs mois à trouver
le courage de démissionner -
0:38 - 0:42pour devenir pigiste,
ou plutôt pour devenir moi. -
0:42 - 0:45J'avais 29 ans, pas un sou en poche,
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0:45 - 0:47j'étais un peu bohème
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0:47 - 0:52et j'ai décidé de suivre une organisation
humanitaire qui partait pour la Bosnie, -
0:52 - 0:54un peu à reculons à vrai dire
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0:54 - 0:57avec l'envie de toucher ce métier au cœur,
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0:58 - 1:01mais avec la peur de ne pas
réussir à supporter. -
1:03 - 1:06Le voyage en Bosnie devait durer dix jours
je suis restée deux ans et demi. -
1:06 - 1:08J'ai été happée par l'Histoire.
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1:08 - 1:11J'ai été contaminée
par le virus de la guerre -
1:12 - 1:13dès le premier jour.
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1:15 - 1:20J'ai commencé à travailler pour le Figaro
et très vite ce fut l'engrenage. -
1:20 - 1:22J'allais de village en village,
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1:22 - 1:23de front en front.
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1:23 - 1:26J'assistais aux opérations
de purification ethnique. -
1:27 - 1:28Je ne pouvais plus m'arrêter.
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1:29 - 1:31Je prenais des risques
de plus en plus grands. -
1:32 - 1:34Je n'arrivais plus à m'arrêter.
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1:36 - 1:38Eh bien là, je n'arrive plus à continuer.
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1:38 - 1:40Voyez l'effet que ça me fait...
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1:40 - 1:43(Applaudissements)
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1:47 - 1:50Ça va revenir, je suis désolée.
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1:52 - 1:54Je redoutais ce blanc en fait
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1:55 - 1:57et c'est le blanc qui est venu.
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2:00 - 2:01Les risques ?
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2:02 - 2:03Voilà, pardon.
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2:03 - 2:05(Rires)
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2:06 - 2:07Je n'arrivais plus à m'arrêter.
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2:07 - 2:10Je prenais des risques
de plus en plus grands. -
2:10 - 2:12J'allais sous les bombardements.
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2:12 - 2:13sans gilet pare-balles.
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2:13 - 2:16Les Anglais m'appelaient
« Trompe la mort ». -
2:16 - 2:20Mais pourtant dans mon métier,
couvrir des guerres, -
2:20 - 2:23c'était la chose
la plus excitante au monde. -
2:23 - 2:28Quand on couvre une guerre, on voit
l'Histoire en train de se faire en direct. -
2:28 - 2:30Elle jaillit littéralement de terre.
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2:30 - 2:34Et quand on est journaliste,
c'est vraiment le top. -
2:35 - 2:37Mais il y avait autre chose :
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2:37 - 2:40c'était le meilleur moyen
d'accéder au Graal. -
2:41 - 2:44Le Graal, c'était le service international
d'un grand quotidien national. -
2:46 - 2:50Dans ce milieu exclusivement masculin,
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2:50 - 2:52je savais que pour acheter ma place,
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2:52 - 2:56il fallait que je fasse plus
et mieux que les hommes, -
2:56 - 2:58et donc que je fasse
exploser toutes les limites. -
2:59 - 3:03Je ne réalisais pas à l'époque
quels dégâts ça pouvait provoquer. -
3:03 - 3:05Mais il y avait autre chose en fait aussi.
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3:06 - 3:10Dans les guerres, les relations humaines
sont complètement démultipliées. -
3:10 - 3:11Les masques tombent,
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3:12 - 3:14les couvertures sociales glissent,
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3:14 - 3:16les futilités disparaissent.
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3:16 - 3:18En fait, les gens sont vraiment eux-mêmes.
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3:19 - 3:21Certains qu'on pensait courageux
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3:21 - 3:23s'avèrent être des lâches,
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3:23 - 3:26d'autres qu'on imaginait couards
se transforment en héros. -
3:28 - 3:30Contrairement à ce qu'on pense,
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3:30 - 3:32les guerres ne sont pas
faites que d'atrocités. -
3:33 - 3:36Les guerres charrient aussi
des histoires d'amour et d'amitié -
3:36 - 3:38absolument extraordinaires.
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3:40 - 3:43Une guerre, ça extrait
le pire de l'être humain -
3:44 - 3:45mais aussi le meilleur.
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3:47 - 3:49Je dois le reconnaître,
il y avait aussi autre chose. -
3:49 - 3:52Couvrir la guerre, pour moi,
c'était un mode de vie : -
3:53 - 3:58un mode de vie fait de liberté,
d'adrénaline, d'éclats de rire, -
3:58 - 4:02de nuits entières à refaire le monde
autour d'une bouteille d'alcool local, -
4:02 - 4:07de folles chevauchées en 4x4
en train de relier les fronts. -
4:08 - 4:10C'était ça aussi, ce mode de vie.
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4:15 - 4:19En fait, l'histoire est tellement
forte, celle qui vient, -
4:19 - 4:23que j'ai quelque chose
en moi qui me fait arrêter. -
4:27 - 4:29Je suis originaire de Chamonix,
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4:30 - 4:31la ville des sports extrêmes.
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4:32 - 4:35J'ai arpenté la montagne
depuis mon plus jeune âge. -
4:35 - 4:41J'ai été élevée dans la nature
et dans la neige, au pas de charge. -
4:41 - 4:44J'ai perdu beaucoup de proches
dans cette montagne qui tue. -
4:45 - 4:48Je ne m'imaginais pas
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4:49 - 4:51faire ce métier
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4:52 - 4:54en restant dans un bureau
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4:54 - 4:57avec des horaires, avec une hiérarchie.
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4:58 - 5:00Pour moi, c'était impossible.
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5:06 - 5:08Là, c'est raté en fait.
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5:14 - 5:17Voilà, je vais rentrer dans l'histoire.
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5:19 - 5:20Celle qui me...
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5:21 - 5:23En 1992,
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5:24 - 5:25un jour d'automne,
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5:25 - 5:27l'Histoire s'est retournée contre moi.
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5:28 - 5:30J'habitais Zagreb,
la capitale de la Croatie. -
5:30 - 5:33Je partageais un appartement avec
une amie journaliste américaine. -
5:38 - 5:42Et un matin, je me suis réveillée avec
l'impression d'avoir bien dormi -
5:42 - 5:44et d'avoir, pour une fois,
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5:46 - 5:49échappé aux insomnies
qui ponctuaient mon sommeil -
5:49 - 5:51depuis que je couvrais cette guerre.
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5:51 - 5:55J'ai bondi de mon lit, appuyé sur
l'interrupteur, mais tout est resté noir. -
5:55 - 5:58Je me suis dirigée à tâtons
jusqu'au salon. -
5:59 - 6:01J'étais étonnée qu'il fasse
toujours aussi sombre. -
6:02 - 6:04Et là, mon amie Laura a hurlé :
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6:04 - 6:08« Isabelle, what happened ?
What happened to your face ? » -
6:08 - 6:10Alors, j'ai mis mes mains sur mon visage.
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6:11 - 6:14J'ai senti ma peau brûlante,
tuméfiée, gonflée. -
6:15 - 6:17Je m'étais transformée.
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6:17 - 6:20Mon visage était devenu
un énorme ballon tout suppurant. -
6:20 - 6:22Je ne pouvais plus ouvrir les paupières.
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6:23 - 6:25J'avais des balles de ping pong
à la place des yeux. -
6:27 - 6:28C'était la panique.
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6:28 - 6:30J'étais devenue Elephant Woman.
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6:31 - 6:34Que s'était-il passé pendant la nuit
pour que je puisse me transformer ainsi ? -
6:35 - 6:38Qu'avais-je fait ? Étais-je
allergique à quelque chose ? -
6:38 - 6:40Est-ce que j'allais étouffer ?
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6:41 - 6:43Les médecins croates ont exclu
l’œdème de Quinck. -
6:43 - 6:45Ils m'ont fait une ou deux piqûres
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6:45 - 6:46mais je n'ai pas dégonflé.
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6:46 - 6:49Je suis restée deux jours
dans l'appartement -
6:50 - 6:51sans pouvoir sortir,
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6:52 - 6:54en étant extrêmement angoissée.
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6:55 - 6:57Mon visage brûlait.
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6:58 - 7:00Je m'étais transformée en un monstre
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7:01 - 7:03et je ne comprenais pas pourquoi.
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7:04 - 7:06Mais en 6 mois, je n'avais pas arrêté.
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7:06 - 7:10J'avais enchaîné des enquêtes et des
reportages sans doute trop durs pour moi. -
7:11 - 7:15J'avais passé deux jours
sur un charnier à Mostar, -
7:15 - 7:19une ville moitié croate, moitié musulmane
qui était bombardée par les forces serbes -
7:19 - 7:20depuis les collines.
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7:21 - 7:24J'avais assisté à l'exhumation
des cadavres -
7:24 - 7:25environ 300,
-
7:26 - 7:31un gros bulldozer sortait de terre
des corps en putréfaction. -
7:33 - 7:35Certains avaient les mains liées
dans le dos. -
7:35 - 7:38Beaucoup avaient été assassinés
d'une balle dans la tête. -
7:38 - 7:41Il y avait beaucoup de femmes
et beaucoup d'enfants. -
7:42 - 7:45Quand je suis rentrée dans mon hôtel
de Split sur la côte adriatique, -
7:47 - 7:51j'ai dû jeter tous mes vêtements
et aussi mes chaussures. -
7:51 - 7:54J'avais pris plusieurs douches d'affilée
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7:54 - 7:58mais l'odeur obsédante
de la mort ne partait pas. -
7:59 - 8:02Elle était dans mes cheveux,
dans mes ongles, absolument partout. -
8:02 - 8:04Elle ne voulait pas s'en aller.
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8:04 - 8:07J'en ai gardé le souvenir olfactif
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8:07 - 8:11comme j'ai gardé d'ailleurs
le souvenir auditif des bombardements. -
8:12 - 8:14Je déteste les feux d'artifice.
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8:15 - 8:17Et puis j'avais aussi travaillé
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8:17 - 8:21sur la dégradation des relations
entre les Croates et les Musulmans. -
8:21 - 8:24C'est une 2e guerre qui s'était
rajoutée à la première, plus connue, -
8:24 - 8:25entre Serbes et Croates.
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8:25 - 8:28Bien sûr, quand on cherche la mouise,
on finit par la trouver. -
8:28 - 8:30Je la trouvais toujours.
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8:30 - 8:33Je me suis retrouvée
prise au piège au fond d'une vallée, -
8:33 - 8:34au bord d'un ravin,
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8:34 - 8:37quand Croates et Musulmans
ont commencé à se tirer dessus -
8:37 - 8:40depuis les collines
qui dominaient l'endroit où j'étais. -
8:40 - 8:43J'ai rampé pendant des heures
mon passeport dans la main droite, -
8:43 - 8:46dans la main gauche,
un mouchoir blanc que j'agitais. -
8:46 - 8:48Tout ça pour m'extraire de cet enfer.
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8:49 - 8:52Et puis, j'avais aussi travaillé
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8:53 - 8:55sur les viols de femmes musulmanes
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8:56 - 8:57par les Serbes de Bosnie.
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8:58 - 9:02Pendant des mois, j'avais arpenté
tous les camps de réfugiés de la région. -
9:02 - 9:04J'avais recueilli
des dizaines de témoignages. -
9:04 - 9:06J'avais toutes les preuves.
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9:06 - 9:08J'avais même, ce qui était incroyable,
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9:08 - 9:10réussi à parler à des bourreaux.
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9:10 - 9:13Eh bien, je n'ai jamais pu
écrire le papier. -
9:13 - 9:15C'était absolument impossible.
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9:16 - 9:21En fait, j'avais l'impression d'être
arrivée au bout de ce qui était racontable -
9:21 - 9:23pour les lecteurs,
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9:23 - 9:25mais aussi pour moi.
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9:25 - 9:27C'était ma première guerre.
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9:27 - 9:29Je ne connaissais pas mes limites,
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9:30 - 9:33et la guerre,c'est une drogue,
une addiction, -
9:33 - 9:37dont j'allais mettre
longtemps à me guérir. -
9:39 - 9:42Quand mon visage est devenu celui
d'un monstre, genre Elephant Woman, -
9:42 - 9:43je suis rentrée à Paris.
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9:43 - 9:46Un copain venait me chercher à l'aéroport
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9:46 - 9:47mais on ne s'est jamais trouvés.
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9:48 - 9:50En fait, il ne m'a pas reconnue.
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9:51 - 9:55Je suis allée à l'hôpital Saint-Louis
dans le service de dermatologie -
9:55 - 9:58et là on m'a fait
tous les tests possibles et imaginables. -
9:58 - 10:01On n'a jamais rien trouvé.
Les tests d'allergie étaient négatifs. -
10:01 - 10:03En fait, je n'avais rien.
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10:03 - 10:07On a même envoyé les photos de mon visage
à des spécialistes étrangers, -
10:08 - 10:09en vain.
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10:09 - 10:12Ces séjours à Saint-Louis,
je n'y allais que le matin, -
10:13 - 10:15je les entrecoupais de séjours en Bosnie
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10:15 - 10:18parce qu'en fait, je ne pouvais pas
m'empêcher de retourner à Sarajevo. -
10:18 - 10:21L'appel de la guerre était trop fort.
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10:21 - 10:24Je partais avec de la cortisone, je
restais 15 jours et quand je l'arrêtais, -
10:24 - 10:26que mon visage se remettait à gonfler,
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10:26 - 10:28je rentrais à Saint-Louis.
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10:31 - 10:32Assez vite quand même,
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10:32 - 10:34j'avais suggéré aux médecins
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10:35 - 10:38qui, visiblement, étaient impuissants
face à ma maladie, -
10:38 - 10:41qu'elle avait des origines
psychosomatiques. -
10:41 - 10:44Je leur ai expliqué mon métier,
la manière dont je le pratiquais, -
10:44 - 10:47ce que j'avais vécu ces derniers mois.
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10:47 - 10:51Chaque fois, je me heurtais à un mur :
« Impossible, disaient-ils, on n'a jamais, -
10:51 - 10:54jamais, jamais vu
une telle réaction dermatologique -
10:54 - 10:56suite à un choc affectif ou émotionnel.
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10:56 - 10:58C'est impossible. »
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10:59 - 11:00J'étais désespérée
-
11:00 - 11:04parce que je commençais à être sure que je
ne pourrais pas vivre longtemps comme ça. -
11:04 - 11:06Ce n'était pas possible.
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11:06 - 11:09C'était trop dur, je ne pouvais pas
sortir dans la rue -
11:09 - 11:10pour acheter une baguette.
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11:11 - 11:13Ça ne marchait pas, je n'y arrivais pas.
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11:16 - 11:20Et puis un jour, au bout
d'à peu près trois mois, -
11:20 - 11:23les médecins m'ont conseillé
d'aller voir ailleurs. -
11:23 - 11:24Ils m'ont dit :
-
11:24 - 11:27« Ailleurs, d'autres médecins
auront peut-être d'autres idées, -
11:27 - 11:28mais nous, on cale.
-
11:29 - 11:33Si vous tenez vraiment
à vos histoires de psychosomatique, -
11:33 - 11:36vous pouvez toujours voir
dans le couloir d'à côté. -
11:36 - 11:38Frappez à la porte de madame Untel,
-
11:38 - 11:39elle se prétend psychodermato
-
11:39 - 11:42mais on ne la prend pas au sérieux. »
-
11:42 - 11:45J'étais absolument furieuse
-
11:45 - 11:47qu'ils m'aient caché l'existence
de cette femme si longtemps. -
11:47 - 11:50Furax, virée du service,
j'ai claqué la porte, -
11:50 - 11:52je suis allée au bureau
qu'on m'avait indiqué. -
11:52 - 11:55J'ai résumé mon histoire
en quelques phrases -
11:55 - 11:59et la spécialiste très naturellement
m'a donné rendez-vous -
11:59 - 12:01le lendemain dans son cabinet privé.
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12:01 - 12:05Elle m'a juste dit trois mots :
« Ne cherchez plus, vous êtes pour moi. » -
12:06 - 12:07(Rires)
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12:10 - 12:12La thérapie a duré moins de deux mois,
-
12:12 - 12:14quatre ou cinq séances,
-
12:14 - 12:17au cours desquelles
elle analysait mes rêves. -
12:18 - 12:20Et un jour, ou plutôt une nuit,
-
12:22 - 12:24la maladie est partie.
-
12:25 - 12:27Alors, je vais vous dire
comment je l'ai su. -
12:28 - 12:31J'ai rêvé que j'accouchais
d'une araignée géante. -
12:31 - 12:32(Rires)
-
12:33 - 12:35Ça vous fait rire, vous ! (Rires)
-
12:35 - 12:37Un monstre aux pattes velues,
-
12:38 - 12:41une espèce de mygale gigantesque
est sortie de mon corps. -
12:42 - 12:46Je me suis réveillée en nage, haletante,
-
12:46 - 12:49avec le cœur qui battait à 150 à l'heure,
-
12:49 - 12:52absolument persuadée que j'allais
mourir sous les piqûres -
12:52 - 12:54de cette espèce de bête imaginaire.
-
12:55 - 12:57Mais quand j'ai repris mes esprits,
-
12:58 - 12:59j'ai compris.
-
13:00 - 13:01J'ai compris qu'en fait la maladie,
-
13:01 - 13:04le mal était sorti de moi.
-
13:05 - 13:09Alors la dermato a confirmé
mon diagnostic. -
13:09 - 13:12Elle m'a dit : « Vous êtes guérie,
plus besoin de revenir. » -
13:12 - 13:15Elle avait l'air un peu étonnée
et elle m'a dit : -
13:15 - 13:18« Quand je vous ai vue
avec votre allergie à la guerre, -
13:18 - 13:20j'ai bien cru
qu'on en avait pour dix ans. » -
13:20 - 13:21(Rires)
-
13:22 - 13:25Après cette histoire,
j'ai fait beaucoup plus attention. -
13:25 - 13:27J'ai évité de passer
deux jours sur un charnier. -
13:28 - 13:32J'ai essayé de prendre mes distances
avec les populations locales. -
13:32 - 13:36Je me disais : « Ce n'est pas ta guerre,
ce n'est pas ton Histoire. » -
13:37 - 13:38Mais,
-
13:40 - 13:41j'ai commencé
-
13:42 - 13:44un petit peu à me stabiliser.
-
13:44 - 13:46En fait, j'ai commencé à avoir peur.
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13:47 - 13:49La guerre devenait pesante.
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13:50 - 13:52J'ai rencontré mon futur mari.
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13:52 - 13:56Et alors quand un journal m'a proposé
d'aller en Russie et de changer d'air, -
13:56 - 13:58j'ai dit oui.
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13:58 - 14:02Plutôt, on a dit oui, parce que mon mari
s'était vu proposer la même chose. -
14:02 - 14:03On est parti.
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14:03 - 14:06Comme je l'ai dit, la guerre
est une drogue, une addiction : -
14:06 - 14:09je me suis replongée dedans
dès mon arrivée à Moscou -
14:09 - 14:12parce que la guerre
de Tchétchénie recommençait. -
14:12 - 14:14J'ai été happée, le truc a recommencé.
-
14:14 - 14:16J'allais de plus en plus loin,
-
14:16 - 14:18de plus en plus près des bombardements.
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14:18 - 14:22Je ne pouvais pas m'arrêter,
j'avais besoin de la guerre. -
14:22 - 14:23Pendant la chute de Grozny,
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14:23 - 14:26je me souviens avoir hésité
avec un ami de Libération. -
14:26 - 14:30La ville était en train de tomber,
je ne savais pas si je devais rester. -
14:30 - 14:31Tous les journalistes partaient.
-
14:31 - 14:32Je veux bien rester
-
14:32 - 14:35mais j'aimerais bien
que le journal me le demande. -
14:35 - 14:38Alors j'appelle le chef de desk,
Jean-Jacques et lui dis : -
14:38 - 14:40« Bon, Jean-Jacques, c'est Stalingrad.
-
14:40 - 14:41La ville va tomber.
-
14:42 - 14:45Je ne pourrai pas envoyer
de papier sans téléphone satellite. -
14:45 - 14:47Mais je peux rester si tu veux. »
-
14:48 - 14:49Et voilà ce qu'il m'a dit :
-
14:49 - 14:53« Isabelle, ce serait pas mal
que le Figaro soit le dernier journal -
14:53 - 14:56à rester à Grozny
pendant la chute de la ville. » -
14:56 - 15:01Au moment précis
où il prononce ces phrases, -
15:01 - 15:05une bombe larguée par un avion
tombe sur la pièce dans laquelle je suis. -
15:06 - 15:09Je me suis retrouvée sous la table,
-
15:09 - 15:11au milieu de la poussière,
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15:11 - 15:12au milieu des gravats,
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15:12 - 15:13au bord du vide.
-
15:14 - 15:18Le téléphone avait été arraché de
mes mains par le souffle de l'explosion. -
15:18 - 15:21Mais je pouvais entendre
Jean-Jacques qui hurlait : -
15:21 - 15:23« Isabelle, tu rentres immédiatement ! »
-
15:23 - 15:24(Rires)
-
15:25 - 15:29Entre les avions, les tanks,
les snipers, les hélicoptères, -
15:29 - 15:32la sortie de Grozny a été apocalyptique.
-
15:32 - 15:35Je m'en souviendrai toute ma vie.
-
15:37 - 15:40Pendant toutes ces années
en Bosnie et en Tchétchénie, -
15:40 - 15:42je n'ai pas renoncé à ma vie de femme.
-
15:43 - 15:46Sur le terrain, j'étais un peu un garçon,
-
15:47 - 15:48mais ça ne me dérangeait pas
-
15:48 - 15:51- j'avais été garçon manqué
quand j'étais petite. -
15:51 - 15:55Dans ma vie, j'étais une vraie fille ;
j'avais eu deux enfants magnifiques. -
15:55 - 15:58J'avais beaucoup d'énergie
et j'ai réussi à tout cumuler -
15:58 - 16:01même si je ne faisais pas vraiment
les choses de manière orthodoxe. -
16:02 - 16:03Jamais de congé maternité.
-
16:03 - 16:07J'ai couvert la guerre de Tchétchénie
enceinte - n'importe quoi. -
16:07 - 16:12Ce ne sont pas des choses
dont je suis très fière aujourd'hui. -
16:16 - 16:22Pendant la guerre de Tchétchénie,
je n'ai jamais refait d'allergie géante. -
16:22 - 16:25Mais à chaque fois
que je franchissais mes limites, -
16:25 - 16:27à chaque fois que j'allais trop loin,
-
16:27 - 16:28je devenais dépressive :
-
16:28 - 16:32je n'arrivais plus à dormir, je pleurais
tout le temps, j'étais fragile. -
16:32 - 16:35Je n'avais plus confiance en moi.
Bref, ça n'allait pas. -
16:36 - 16:38Rentrée à Paris,
j'ai fait une psychothérapie. -
16:38 - 16:41Je sentais que j'en avais
un énorme besoin. -
16:42 - 16:43Et c'est là que j'ai compris,
-
16:43 - 16:46c'est là que j'ai compris
après plusieurs mois de travail -
16:47 - 16:50d'où me venait cet attrait
que j'avais pour la guerre. -
16:53 - 16:55J'ai perdu ma mère quand j'avais 20 ans,
-
16:55 - 16:57dans une avalanche à Chamonix.
-
16:59 - 17:02Elle est morte en janvier
mais on a retrouvé son corps en juin, -
17:02 - 17:04après la fonte des neiges.
-
17:05 - 17:07Je ne suis pas allée à son enterrement.
-
17:08 - 17:10C'était trop dur.
-
17:10 - 17:13J'ai préféré vivre dans le déni.
-
17:14 - 17:15Je n'ai pas accompagné mon père
-
17:15 - 17:18qui, tous les week-ends,
avec des bâtons de ski, -
17:18 - 17:22allait fouiller la neige pour essayer
de retrouver le corps de ma mère. -
17:23 - 17:27Ce déni m'a accompagnée
pendant des années. -
17:27 - 17:29Il a hanté mes jours et mes nuits.
-
17:29 - 17:31Et je pense, avec le recul,
qu'il a en partie -
17:32 - 17:36façonné ce que je suis aujourd'hui,
mon caractère, ma personnalité. -
17:38 - 17:39J'ai compris en fait,
-
17:39 - 17:40j'ai compris
-
17:41 - 17:43que, en couvrant une guerre,
-
17:44 - 17:47je retrouvais ma mère parce que
je me mettais dans une situation -
17:49 - 17:54dans laquelle je risquais, moi
aussi, à mon tour une mort violente. -
17:55 - 17:57Dès que j'ai compris
cette chose fondamentale, -
17:57 - 18:00la guerre est devenue beaucoup
moins indispensable pour moi. -
18:02 - 18:05J'ai continué à couvrir des conflits,
Irak, Afghanistan, mais plus pareil. -
18:05 - 18:08Je franchissais beaucoup moins
mes limites parce qu'en fait, -
18:09 - 18:10je les connaissais maintenant.
-
18:12 - 18:14Puis après, j'ai divorcé,
-
18:14 - 18:17j'ai décidé d'arrêter
le reportage de guerre. -
18:17 - 18:19Ma vie familiale était devenue
trop compliquée -
18:19 - 18:23et ça ne collait pas avec la manière
dont je vivais ma vie professionnelle. -
18:23 - 18:25Mais il y avait aussi autre chose :
-
18:25 - 18:28il y avait un appel qui venait
de l'intérieur de moi. -
18:30 - 18:32Il fallait que je change de vie.
-
18:32 - 18:36Alors au début, je ne vous cache pas
que ça a été extrêmement difficile -
18:36 - 18:38puisque c'est une drogue, la guerre.
-
18:38 - 18:41Donc je trépignais à chaque fois
qu'un conflit commençait. -
18:42 - 18:47J'étais frustrée, je voulais y aller,
j'étais insupportable au journal, -
18:47 - 18:49mon chef m'appelait « nitroglycérine ».
-
18:50 - 18:53Et ça m'est resté,
en plus dans mon journal. -
18:53 - 18:57Alors j'ai trouvé d'autres expériences
extrêmes pour compenser, -
18:57 - 18:59comme courir un marathon par exemple.
-
19:00 - 19:01Et puis,
-
19:03 - 19:06après quelques mois,
les choses se sont apaisées. -
19:07 - 19:09Ça allait de mieux en mieux.
-
19:09 - 19:12J'ai réussi à me sevrer de la guerre.
-
19:12 - 19:14C'est comme si j'avais fait
-
19:15 - 19:17une cure de désintoxication.
-
19:18 - 19:23Aujourd'hui, je m'occupe des questions
de diplomatie et de stratégie -
19:23 - 19:26et j'adore ça !
-
19:26 - 19:30Récemment, un de mes copains au journal
qui a fait aussi du reportage de guerre -
19:31 - 19:33m'a demandé : « Isabelle,
ça ne te manque pas -
19:33 - 19:36d'aller couvrir la guerre
qui commence à Mossoul, -
19:36 - 19:38contre les djihadistes en Irak ? »
-
19:39 - 19:42J'ai dit :
« Moi, absolument pas, et toi ? » -
19:42 - 19:44Il m'a dit : « Moi, oui. »
-
19:47 - 19:49Aujourd'hui, je connais mes limites.
-
19:49 - 19:52Je ne les franchis presque plus jamais.
-
19:52 - 19:54Je m'arrête toujours à temps,
-
19:56 - 19:58dans la plupart des domaines.
-
19:59 - 20:02J'ai mis du temps à acquérir
cette connaissance de moi -
20:02 - 20:04et cette distance vis-à-vis
du monde extérieur -
20:05 - 20:08qui avant m'envahissait complètement.
-
20:09 - 20:15Les lignes rouges sont rarement les mêmes,
il appartient à chacun de les trouver. -
20:15 - 20:17Moi, depuis que j'ai identifié
les miennes, -
20:18 - 20:20ça va beaucoup mieux.
-
20:21 - 20:24Aujourd'hui, je suis persuadée
d'une chose : -
20:24 - 20:27quand on noue une relation extrême,
-
20:28 - 20:29intime avec l'extrême,
-
20:30 - 20:32il y a toujours derrière
une raison profonde. -
20:33 - 20:35Elle remonte souvent à l'enfance.
-
20:36 - 20:38La découvrir est indispensable.
-
20:39 - 20:41Le processus est long,
-
20:41 - 20:43il est douloureux,
-
20:43 - 20:47mais il permet de transformer
ses faiblesses en force. -
20:48 - 20:51Il permet d'acquérir une expérience
qui sert tous les jours. -
20:51 - 20:53Et surtout, surtout,
-
20:53 - 20:55il permet de se libérer.
-
20:56 - 20:57Parce que les guerres
-
20:58 - 20:59sont aussi intérieures.
-
21:02 - 21:02Voilà.
-
21:02 - 21:05(Applaudissements)
- Title:
- Ne jamais se résigner - Est-ce la limite ? | Isabelle Lasserre | TEDxAlsace
- Description:
-
Pendant 15 ans, Isabelle Lasserre a couvert les conflits majeurs en Croatie, Bosnie, Kosovo et Tchétchénie en tant que reporter de guerre, un métier où frôler la mort fait partie du quotidien. Son divorce l'a contrainte du jour au lendemain à changer de mode de vie pour s'occuper de ses enfants. « Un mal pour un bien » déclare la jeune femme, aujourd'hui correspondante diplomatique. Se heurter à des limites, c'est quelquefois se réinventer, pour celle dont le mot d'ordre est « Never Resign ! »
Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus : http://ted.com/tedx
- Video Language:
- French
- Team:
- closed TED
- Project:
- TEDxTalks
- Duration:
- 21:43
eric vautier approved French subtitles for Ne jamais se résigner - Est-ce la limite ? | Isabelle Lasserre | TEDxAlsace | ||
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Elise LECAMP edited French subtitles for Ne jamais se résigner - Est-ce la limite ? | Isabelle Lasserre | TEDxAlsace |