Le rôle des émotions humaines en sciences et en recherche

Les émotions humaines ont-elles un rôle à jouer en sciences et en recherche ? La chercheuse en matériaux Ilona Stengel suggère qu'au lieu de s'opposer, les émotions et la logique se complètent et se renforcent. Elle partage un cas d'étude sur la façon d'utiliser correctement les émotions (comme le sentiment dynamisant de se consacrer à quelque chose d'important) peut stimuler le travail en équipe, le développement personnel et servir de catalyseur à des avancées et innovations scientifiques.

Je suis une scientifique

et je suis une grande fan de Star Trek,

en particulier de Monsieur Spock.

Monsieur Spock est lui aussi
un scientifique

et, en même temps,
il est le premier officier

du vaisseau Enterprise

et au cours des aventures
de l'équipage de l'Enterprise,

ses collègues et lui
sont souvent confrontés

à la présence ou à l'absence
d'émotions chez Monsieur Spock.

Monsieur Spock est moitié humain
et moitié vulcain.

Les Vulcains sont une race extra-terrestre

ayant appris à contrôler
et supprimer leurs émotions

et à agir de façon purement logique.

Comme Monsieur Spock est
seulement à moitié vulcain,

il se trouve constamment en conflit
entre la logique et les émotions

et, faisant partie d'une équipe,

toute cette équipe a
des difficultés à comprendre,

analyse,

et se moque de ce conflit.

Les fans de Star Trek s'amusent également

de ce comportement qui
semble contradictoire.

Ils le trouvent assez fascinant.

Le sujet est un fil d'or

tout au long de la série Star Trek
et des films des années 60 à aujourd'hui.

Et c'est justement ce dont
je veux parler aujourd'hui :

le rôle des émotions en sciences.

On a tendance à penser que les sciences
ne sont que des faits et de la logique

et que les émotions humaines
sont souvent négligées

ou considérées comme un obstacle
dont il faut se débarrasser.

J'aimerais suggérer que les émotions
ont autant d'importante en sciences

qu'elles en ont
dans le reste de notre vie.

La science est faite par des êtres humains

et, en tant qu'êtres humains,

même si on essaye, on ne peut pas
se débarrasser de nos émotions.

Au lieu de les combattre,

je crois que même en sciences,
nous devrions utiliser nos sentiments

car, pour les avancées et l'innovation,

ils sont tout aussi importants
que les faits et la logique.

Je reviendrai à Monsieur Spock,

mais d'abord, laissez-moi partager

mon expérience du rôle
des émotions en sciences,

et une histoire en particulier
m'y a fait penser constamment

ces deux dernières années.

Je travaille dans la recherche

sur les diodes
électroluminescentes organiques,

appelées OLED.

Vous les connaissez peut-être ainsi,

une nouvelle génération d'affichage.

On les utilise de plus en plus

dans les affichages de téléphone,
les écrans de télévision.

Elles les font paraître lumineux,
plus colorés et flexibles.

Elles ressemblent à ça

dans le labo de recherche
de mes collègues physiciens.

Et c'est à ça que moi,
en tant que chimiste,

j'ai en tête quand je pense à elles.

Depuis que j'ai commencé
à travailler dessus, j'adore ça.

Et donc je n'ai pas trop
apprécié la nouvelle

quand l'entreprise
pour laquelle je travaillais,

mon ancien employeur,

a annoncé vouloir arrêter
la recherche sur les OLED.

A l'époque, la direction
avait des raisons pour cette décision

et l'entreprise l'a très bien géré.

Personne n'a perdu son poste

et tout le monde a été récompensé
pour le travail effectué.

Ce que je veux partager avec vous,

c'est ce qu'il s'est passé
pour mes collègues scientifiques et moi

durant la période entre l'annonce

et le dernier jour de travail
sur notre projet.

Voyez ça comme une petite étude de cas
sur les émotions en sciences.

En 2015, notre équipe de recherche
s'était élargie à plus de 80 personnes

et même après l'annonce
de la fin de notre projet,

nous ne pouvions pas arrêter
de travailler du jour au lendemain.

Il a fallu plusieurs mois
pour que l'activité arrive à sa fin

et qu'on trouve de nouvelles tâches
dans l'entreprise pour tous.

Voici ce qu'il s'est passé :

Même si on savait
qu'on travaillait sur un projet

qui allait être arrêté,

durant ces mois-là,
nos résultats ont battu tous les records.

On travaillait sur deux projets OLED :

le développement de matériaux
pour des OLED à lumière bleue,

qui avait démarré en 2001 ;

et d'autre part, des matériaux
pour OLED vertes, démarré en 2014.

Les résultats que je vous montre
concernent le projet des OLED vertes.

Sur le graphique, vous voyez
comment la durée de vie,

qui est une mesure cruciale
de la durabilité de nos appareils,

s'est développée au fil du temps.

En 2015, six mois après
le début du projet,

on nous a dit de réduire nos efforts,

d'arrêter de travailler sur le projet
dès que possible

et de démarrer de nouveaux travaux.

Néanmoins, à partir de ce moment-là,

nos résultats ont continué
à s'améliorer rapidement.

Comment est-ce arrivé ?

Après l'annonce, assez vite,
des collègues ont quitté l'équipe

et il ne resta bientôt qu'un petit groupe,

partageant tous la même mentalité :

« Je serai la dernière personne
à quitter le navire ».

Ce que je veux dire, c'est que,

alors que le nombre de scientifiques
travaillant sur le projet diminuait,

l'implication des gens restant
a considérablement augmenté.

Un nouvel esprit d'équipe
plus intense a pris forme.

Nous partagions tous
la même passion pour notre travail,

nous étions tous tristes
d'en voir venir la fin

et nous voulions tous montrer
que nous pouvions réaliser nos idées.

Nous avons ressenti que nous appartenions
à quelque chose de plus grand.

De plus,

la direction se préoccupait
de moins en moins de notre projet

parce qu'ils commençaient
à penser à de nouveaux projets,

à la restructuration et ainsi de suite.

Ça a eu pour conséquence
une plus grande liberté

et la possibilité de prendre
les choses en main.

Bien sûr, plus de liberté
signifie aussi plus de responsabilité,

que nous étions heureux d'assumer
car nous croyions en notre travail.

Nous nous sommes sentis
maîtres de la situation.

Ces trois piliers,

l'implication, l'appartenance
et la maîtrise de la situation,

ont fonctionné ensemble
dans un cycle vertueux

et plus nous approchions de la fin,

meilleurs étaient nos résultats.

Nous travaillions
avec un tel engagement personnel

sur un projet déjà condamné à mort

car nous nous sentions connectés
à quelque chose d'important.

Bien sûr, ce fut également une période
difficile et parfois frustrante,

mais nous étions assis ensemble au labo,

parfois dans un café,

et partagions notre tristesse
au sujet de la fin du projet

ainsi que la joie
trouvée dans notre travail.

Globalement, c'était une période
très intense et incroyablement excitante.

Et la durée de vie que nous avons
finalement obtenue pour nos matériaux

était à la hauteur de celle
des matériaux commercialisés

pour les OLED vertes de l'époque

et nous l'avons accompli
en seulement un an.

Ces résultats ont aidé notre employeur

à vendre les brevets
avec une vraie valeur ajoutée.

Maintenant, laissez-moi
vous raconter la même histoire

avec des personnages différents
et une opération légèrement différente.

L'histoire fait partie de Star Trek.

Désolée pour ceux
qui n'ont pas vu les films,

je vais être obligée
de révéler des informations.

Après que Monsieur Spock se soit sacrifié
pour sauver le vaisseau Enterprise

à la fin de Star Trek 2,

le capitaine Kirk et son équipe

étaient déterminés à chercher Spock
à travers tout l'univers,

même si les chances de le trouver vivant

étaient infimes.

Le commandement de Starfleet
ne leur a donné ni la permission

ni de vaisseau pour cette mission,

ils ont donc pris eux-même l'initiative
avec passion,

de partir à la recherche de Spock.

Après avoir affronté de grands défis,
ils ont fini par trouver Spock

et il a rejoint l'équipe
avec joie et reconnaissance.

Il a vu l'implication
et la cohésion de son équipe

pour leur projet, qui était de le sauver

et de maintenir l'équipe ensemble.

Au fil des années,
dans les épisodes de la saga,

Monsieur Spock a réalisé

que la combinaison
de la logique et des émotions

est cruciale pour faire face aux défis
et explorer de nouveaux mondes

et il n'y avait plus de contradiction.

Le fil conducteur pour à la fois
nos OLED et Star Trek

est en fait la configuration de base
pour beaucoup d'avancées humaines,

en sciences et ailleurs.

Les personnages principaux
font partie d'une bonne équipe.

Tous les membres font preuve
d'un fort engagement

pour l'accomplissement de leur objectif.

Ils aspirent à profiter
de toute la liberté possible

et assument les responsabilités
qu'ils doivent assumer.

Quand notre projet OLED
approchait de sa fin,

j'ai reçu un conseil plusieurs fois.

« Ne le prends pas trop à cœur.

Tu peux travailler sur autre chose. »

Si je l'avais suivi,

ça m'aurait évité
plusieurs soirées à déprimer

et bien des larmes,

mais en même temps,

je n'aurais pas autant gagné
en développement personnel et en bonheur.

Et il en va de même
pour mes collègues et tout notre projet,

nous n'aurions pas accompli autant.

Bien sûr, les sciences devraient
être basées sur les faits et la logique.

Quand je dis que nous devrions utiliser
nos émotions en sciences,

je ne suggère pas d'utiliser
des sentiments au lieu des faits.

Mais je pense que nous ne devrions pas
craindre d'utiliser nos sentiments

pour mettre en place et catalyser

une science et des innovations
basées sur des faits.

Les émotions et la logique
ne s'opposent pas.

Elles se complètent

et se renforcent.

Le sentiment de se consacrer
à quelque chose d'important,

d'appartenir à quelque chose de plus grand

et de se sentir autonome

est crucial à la créativité
et à l'innovation.

Peu importe ce sur quoi vous travaillez,

assurez-vous que ça compte

et prenez-le à cœur
autant que vous le souhaitez.

Merci.

(Applaudissements)