Comment nous ressentons l'émerveillement - et pourquoi c'est important

Le neuroscientifique Beau Lotto a mené une étude ambitieuse avec le Cirque du Soleil sur l'émotion de crainte et ses avantages psychologiques et comportementaux. Dans cet entretien et dans une performance live, il partage certaines de leurs découvertes - et se tient à l’écart alors que les danseurs du Cirque du Soleil créent leur propre spectacle grandiose.

Avant de commencer :

je suis heureux d'être ici,

ne serait-ce que pour voir d'ici
ce qu'il va se passer.

Après avoir dit ça,
je voudrais commencer ainsi :

quel est le besoin le plus fondamental

pour votre cerveau ?

Au lieu de donner la réponse,
je vais la montrer.

Je veux que vous la ressentiez,

que vous ressentiez beaucoup
de choses pendant ce talk.

D'abord, je voudrais que vous vous leviez.

Nous allons tous ensemble diriger
un œuvre de Strauss.

D'accord ? Vous la connaissez tous.

D'accord ? Êtes-vous prêts ?

Public : Oui !

Beau Lotto: Très bien.
Prêts ? Un, deux, trois !

C'est juste la fin.

(Musique : Richard Strauss -
« Ainsi parlait Zarathoustra »)

Ok ?

Vous savez ce qu'il va se passer.

(Musique)

Ça arrive !

(La musique s'arrête brutalement.)

Oh !

(Rires)

Ok ?

C'est un coitus interruptus collectif.
Vous pouvez vous asseoir.

(Rires)

Vous avez un droit fondamental
à une conclusion.

(Rires)

On aime que les choses
soient conclues.

(Applaudissements)

On m'a raconté que Mozart,
juste avant d'aller se coucher,

se mettait au piano :

da-da-da-da-da.

Son père, qui était déjà couché :
se disait : « Ahhhh. »

Il devait se lever et jouer la note finale

avant de pouvoir se recoucher.

(Rires)

Le besoin de dénouement
nous conduit à nous demander :

quelle est notre plus grande peur ?

Interrogez-vous : quelle est votre
plus grande peur, encore aujourd'hui ?

C'est la peur du noir.

On déteste l'incertitude.

On déteste ne pas savoir.

On déteste ça.

Pensez aux films d'horreur.

Les films d'horreur sont
toujours tournés dans le noir,

dans une forêt,

la nuit,

dans les abysses,

dans l'obscurité de l'espace.

Tout ça parce que mourir
était facile pendant l'évolution.

Si vous n'étiez pas sûr que c'était
un prédateur, c'était trop tard.

Votre cerveau a évolué pour prédire.

Et si vous n'y arriviez pas, vous mouriez.

Le cerveau prédit en utilisant
les biais et les hypothèses

qui étaient utiles dans le passé.

Mais ces hypothèses ne sont
pas cantonnées à votre cerveau.

Vous les projetez dans le monde.

Ceci n'est pas un oiseau.

Vous projetez le sens sur l'écran.

Tout ce que je suis en train de vous dire
là ne veut strictement rien dire.

(Rires)

Vous créez le sens
et le projettez sur moi.

C'est vrai pour les objets,
c'est vrai pour les autres.

Vous arriverez à mesurer
leur « quoi » et leur « quand »,

mais jamais le « pourquoi ».

Donc on colorie les gens.

On projète du sens sur eux
d'après nos préjugés et notre expérience.

C'est pourquoi le meilleur design
est celui qui diminue l'incertitude.

Quand on est dans un état d'incertitude,

nos corps réagissent
physiologiquement et mentalement.

Votre système immunitaire
va commencer à se déteriorer.

Vos neurones vont se flétrir puis mourir.

Votre créativité et votre intelligence
vont décroître.

On passe souvent de la peur à la colère,
presque trop souvent.

Pourquoi ? Parce que la peur
est un état de certitude.

On se met à porter des jugements.

On devient
une version extrême de soi-même.

Si vous êtes conservateur,
vous le devenez encore plus.

Si vous êtes libéral, plus libéral.

Parce que vous vous placez
dans une zone connue.

Mais le monde change.

On doit s'adapter ou mourir.

Si vous voulez passer de A à B,

la première étape n'est pas B.

La première étape est
de passer de A à non A -

afin de lâcher
vos préjugés et vos hypothèses,

afin d'aller à l'endroit précis
que notre cerveau a appris à éviter,

afin d'entrer dans l'inconnu.

Mais il est tellement essentiel
que nous y allions

que notre cerveau trouve une solution.

L'évolution nous a donné une solution.

Et c'est sans doute l'une des expériences
les plus profondes.

C'est l'expérience de l'émerveillement.

(Musique)

(Applaudissements)

(Musique)

(Applaudissements)

(Musique)

(Applaudissements)

(Musique)

(Applaudissements)

(Acclamations)

(Applaudissements)

Ah, c'est magnifique, non ?

Là, vous ressentez probablement tous
l'émerveillement, à un niveau ou un autre.

Non ?

Et que se passe-t-il dans votre cerveau ?

Depuis des milliers d'années,

nous avons pensé à l'émerveillement,
écrit dessus, l'avons ressenti,

mais nous en savons pourtant
très peu sur lui.

Et pour essayer de comprendre
ce que c'est et ce que ça provoque,

mon laboratoire a eu l'opportunité
merveilleuse et le plaisir

de travailler avec les plus grands
créateurs d'émerveillement :

les écrivains, les créateurs,
les réalisateurs, les comptables,

les personnes qui constituent
le Cirque du Soleil.

Nous sommes donc allés à Las Vegas

et nous avons enregistré
l'activité cérébrale des gens

quand ils regardent le spectacle,

pendant dix représentations de « O »,

le spectacle emblématique
du Cirque du Soleil.

Nous avons également mesuré
leur comportement pendant le spectacle,

ainsi qu'un autre groupe,
après le spectacle.

Ça fait plus de 200 personnes en tout.

Donc, qu'est-ce que l'émerveillement ?

Que se passe-t-il dans votre cerveau ?

C'est un état cérébral. D'accord ?

La partie antérieure du cerveau,
le cortex préfrontal,

qui est responsable
des fonctions exécutives,

le contrôle de l'attention,

est désormais régulé à la baisse.

La partie du cerveau appelée
MPD, le réseau du mode par défaut -

l'interaction entre les différentes
zones du cerveau -

qui s'active durant l'idéation,

la pensée créative en termes
de pensée divergente et du rêve éveillé,

est désormais régulé à la hausse.

Et là tout de suite,

l'activité du cortex préfrontal
est en train de changer.

Son activité devient asymétrique,

il penche vers la droite,

qui est hautement corrélée
quand les gens s'avancent dans le monde,

au lieu de reculer.

En fait, l'activité dans le cerveau
de tous ces gens était tellement corrélée

qu'on a pu entraîner
un réseau artificiel de neurones

pour prédire si les gens
avaient ressenti l'émerveillement

avec une précision moyenne de 75%,

avec un maximum de 83%.

Qu'est-ce que cet état engendre ?

Certains ont démontré,

par exemple, les professeurs
Haidt et Keltner,

que les gens se sentent petits
mais connectés au monde.

Leur comportement prosocial s'améliore,

parce qu'ils ressentent davantage
d'affinité pour les autres.

Nous avons également montré
dans cette étude

que les gens ont moins besoin
de contrôle cognitif.

Ils sont plus à l'aise avec l'incertitude
malgré l'absence de dénouement.

Et leur appétence au risque
augmente également.

Ils recherchent même le risque
et sont plus à même d'en prendre.

Nous avons constaté quelque chose
de vraiment profond

quand on a demandé aux gens :

« Avez-vous une propension
à ressentir de l'émerveillement ? »

Ils étaient plus nombreux
à donner une réponse positive

après le show qu'avant.

Il se redéfinissent littéralement,
eux, et leur histoire.

L'émerveillement est donc
une perception plus grande que nous.

Et pour citer Joseph Campbell,

« L'émerveillement est
ce qui nous permet d'avancer. »

Ou pour citer un vieil ami,

probablement un de nos plus
grands photographes contemporains,

Duane Michaels,

qui me disait l'autre jour :

« Peut-être que l'émerveillement
nous donne la curiosité

de dépasser notre lâcheté. »

Qui s'en soucie ? Pourquoi s'en soucier ?

Eh bien, prenez le conflit,

qui semble tellement omniprésent
dans notre société de nos jours.

Si vous et moi sommes en conflit,

c'est comme si nous étions
aux deux extrémités d'une même ligne.

Mon but est de prouver que vous avez
tort pour vous amener vers moi.

Le problème est que vous faites pareil.

Vous essayez de prouver que j'ai tort
et de m'amener vers vous.

Remarquez que le conflit permet
de gagner mais pas d'apprendre.

Votre cerveau n'apprend qu'en bougeant.

La vie est mouvement.

Et si nous pouvions
utiliser l'émerveillement,

pas pour arrêter les conflits -

le conflit est essentiel,
il permet au cerveau de grandir,

c'est comme ça qu'il apprend -

mais plutôt pour entrer en conflit
d'une manière différente ?

Et si l'émerveillement pouvait
nous permettre d'entrer en conflit

de deux manières différentes ?

La première, en nous donnant l'humilité
et le courage de ne pas savoir.

Compris ? D'entrer en conflit
avec une question plutôt qu'une réponse.

Que se passerait-il alors ?

On entrerait en conflit sans certitude.

La deuxième façon d'entrer en conflit

est de chercher à comprendre
plutôt qu'à convaincre.

Tout le monde se comprend soi-même, ok ?

Comprendre l'autre,

c'est comprendre les suppositions et les
biais qui expliquent son comportement.

Nous avons en fait lancé une étude pilote

pour voir si nous pouvions
utiliser un émerveillement par l'art

pour augmenter la tolérance.

Les résultats sont en fait
incroyablement positifs.

On peut diminuer la colère et la haine

grâce à l'expérience
de l'émerveillement créé par l'art.

Où pouvons-nous trouver l'émerveillement,

vu l'importance qu'il a ?

Et si…

Une idée :

que l'émerveillement ne soit pas juste
dans la grandeur.

Il est essentiel.

Souvent, c'est dû à l'ampleur :
les montagnes, les paysages.

Et si nous pouvions en fait
nous remettre à notre échelle

et trouver l'impossible
dans la simplicité ?

Et si c'est vrai,

si nos données sont justes,

que des réalisations comme la science,

l'aventure, l'art, les idées, l'amour,

une conférence TED, un spectacle,

ne soient pas seulement
inspirées par l'émerveillement,

mais soient en fait une échelle
vers l'incertitude

pour nous aider à grandir.

Merci beaucoup.

(Applaudissements)

Allez, venez sur scène !

(Applaudissements)

(Acclamations)

(Applaudissements)