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Quand les ânes se mettent en route | Josiane Martini | TEDxGeneva

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    La vie, comme vous le savez,
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    est certainement le plus beau présent
    que l'on puisse recevoir.
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    Mais ce n'est pas toujours un cadeau.
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    Et très vite,
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    j'ai dû m'en rendre compte
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    pour avoir beaucoup de
    problèmes d'allocution.
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    Je ne pouvais pas parler
    comme tout le monde.
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    je parlais plutôt avec un charabia,
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    et ce n'était guère facile.
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    Une anecdote.
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    Alors j'étais toute petite,
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    Je réclamais à cor et à cri,
    comme font les enfants à cet âge-là,
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    qui tiennent à recevoir quelque chose :
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    un cayon.
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    Un cayon.
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    Ma pauvre mère a essayé
    de faire preuve d'imagination,
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    pensant à un crayon, cherchant
    ce que je pouvais bien vouloir.
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    Et chaque fois, je finissais
    par faire comme ceci
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    et par pleurnicher
    parce qu'on ne me comprenais pas
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    et je voulais toujours un cayon.
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    La voisine,
    ayant peut-être plus d'expérience,
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    interpellée par mes pleurnicheries,
    finit par venir en disant :
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    « Mais qu'est-ce qu'il
    arrive à Josiane ? »
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    Et maman de répondre, les bras au ciel :
    « Je ne sais pas.
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    J'ai tout essayé,
    je ne vois pas ce qu'elle veut.
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    Elle veut un cayon et,
    à part ça, rien d'autre.
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    Et je ne sais pas quoi lui donner,
    je ne la comprends pas. »
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    Et cette dame, par expérience, dit :
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    « Demande-lui d'aller le chercher ! »
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    Alors, puisque je n'étais pas très grande,
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    j'ai poussé un tabouret,
    je me suis hissée dessus,
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    et, sur la pointe des pieds,
    j'ai pu prendre une orange.
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    Vous vous rendez compte,
    une orange sur le buffet.
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    Ce qui pour maman était effarant -
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    je crois qu'elle aurait
    pu me la faire avaler
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    tellement elle était impatiente de dire :
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    « Qu'est-ce qu'elle veut ? »
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    Rendez-vous compte,
    un cayon pour une orange
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    à quel point j'étais en difficulté.
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    Mais le pire devait arriver
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    car la première année scolaire,
    qu'à l'époque on faisait à six ans,
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    dès que j'ouvrais la bouche,
    tout le monde se moquait de moi.
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    Vous savez que les enfants ne sont pas
    toujours très tendres entre eux.
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    Ils ne sont pas tendres, ils vous
    ridiculisent et se moquent de vous.
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    Alors du coup, je me suis retrouvée,
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    à chaque récréation,
    à porter un bonnet d'âne
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    parce que c'était comme ça -
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    on ne pouvait pas faire
    autrement à l'époque.
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    Je n'ai aucun regret sur ce point,
    la preuve, je suis là.
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    Mais ce qui est certain,
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    c'est que cela désespérait mes parents.
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    Et ce fut l'instant où mon père décida
    de se mettre en route.
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    Et chaque soir, dans cette cuisine
    que je n'oublierai jamais,
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    il me prenait à part,
    car j'ai deux frères,
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    et il était sur ma droite -
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    il y avait encore la lampe
    à pétrole à l'époque pour nous -
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    et cette lampe à pétrole chantait,
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    elle faisait des histoires
    un petit peu jaunes
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    et elle venait courir
    sur ce livre de lecture
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    qui était toujours du charabia.
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    Mais il me disait :
    « Tu dois voir une solution.
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    Il doit y avoir quelque chose
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    pour connecter ton cerveau
    avec ton langage ! »
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    Il refusait.
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    Son amour était plus grand que tout
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    et il refusait,
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    il voulait que je parle
    comme tout le monde
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    même si je ne pouvais pas aller plus loin.
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    Alors il m'obligeait, tout
    simplement, à lire à haute voix,
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    en me disant que je devais
    utiliser trois de mes sens,
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    la vue, le toucher et l'ouïe,
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    et qu'il y avait bien un des trois
    qui resterait en moi,
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    qui trouverait quelque part
    le moyen de se fixer.
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    Et voilà comment, avec mon index,
    il m'a appris à lire, chaque soir.
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    Je peux vous dire que
    des fois j'étais épuisée.
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    Je disais : « Papa, je veux dormir. »
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    Il faisait :
    « Non, Josiane, il faut que tu parles.
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    Il faut que tu parles correctement.
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    Moi aussi je me lève demain à 5 heures
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    mais je veux que tu parles. »
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    Et dans ses yeux, il y avait tout l'amour,
    puis peut-être du désespoir.
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    Alors, je relisais.
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    Et vous voyez, ce n'était pas difficile.
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    Un doigt pour me montrer
    le chemin de la lecture.
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    J'aimerais que
    vous le mémorisiez parce que
  • 3:46 - 3:48
    vous pourrez aider
    d'autres personnes ou enfants
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    avec la même difficulté que moi
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    car mon pauvre père,
    s'il avait su que la pathologie
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    qui me tenait, malheureusement,
    au cœur et au corps et au langage
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    était la dyslexie,
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    peut-être qu'il aurait été
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    plus rassuré.
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    Son enfant avait un problème.
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    Il y avait des mots à mettre dessus.
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    Alors je devais lire avec le doigt
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    et je me permets de vous lire une citation
    qui n'est pas de moi, je vous rassure,
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    pour que vous puissiez voir
    comment je devais m'y prendre.
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    C'était ainsi :
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    « Tout homme qui dirige,
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    qui fait quelque chose
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    a contre lui
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    ceux qui voudraient faire la même chose,
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    ceux qui font précisément le contraire
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    et surtout la grande armée des gens
    beaucoup plus sévères qui ne font rien. »
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    Et c'est signé Clarétie.
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    Les années sont passées et
    un jour pour mon travail,
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    je devais passer chez le médecin
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    pour faire un contrôle.
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    Voir un médecin.
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    Et voilà que ce médecin,
    quand je suis rentrée,
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    il va de soi qu'avec
    une telle difficulté de langage,
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    plus nul que moi en orthographe
    et tout ce qui va avec,
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    il n'y avait pas.
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    J'étais vraiment championne
    de ce côté-là.
  • 4:59 - 5:00
    Croyez-le ou pas,
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    lorsque je suis entrée chez lui,
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    je n'ai pas fait deux mètres,
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    il m'a montrée du doigt -
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    ce fameux index qui m'aidait -
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    « Vous, vous devez être nulle
    en orthographe. »
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    Effectivement,
    j'étais nulle en ortographe.
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    Pourtant aujourd'hui je suis écrivain.
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    Comme quoi, tout peut arriver.
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    Mais moi je me suis demandé
    comment il a pu le voir.
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    J'ai même pensé qu'un de mes chefs avait
    dit que j'avais de grosses difficultés.
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    Je suis presque rentrée dans ma coquille.
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    Puis, non.
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    Il semblerait que nous ne marchions
    pas comme tout le monde.
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    Je m'observe souvent.
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    Je n'ai pas encore trouvé
    comment je marchais
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    et je pense que cela ne se voit pas.
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    Mais il avait une de ses filles
    qui était dyslexique
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    et il s'était vraiment posé ce problème.
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    M'entendant parler, j'expliquais
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    ce que mon père avait
    fait et pas fait.
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    Il m'a dit : « Il faudra le remercier
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    parce que j'en ai pas été capable. »
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    Je me suis précipitée,
    en partant du travail,
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    pour aller voir mes parents.
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    Ils étaient côte à côte
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    sur ce divan parce que papa était paralysé
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    et j'ai dit :
    « Papa je vais te remercier
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    au nom d'un médecin
    pour m'avoir appris à lire. »
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    Il m'a fait : « Ça ne va pas. »
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    Maman m'a regardée
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    comme si j'étais un extraterrestre.
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    « Papa n'a jamais pu t'apprendre à lire.
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    Il ne sait ni lire ni écrire
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    à peine lire et écrire. »
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    Je n'ai rien dit.
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    Je me suis éloignée,
    ne comprenant pas.
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    Et puis j'ai compris que l'amour
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    pouvait dépasser tout.
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    Exactement le soir en se couchant,
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    il était inquiet,
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    et à travers le songe
    qui peut tout ouvrir les portes
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    de l'irréel, du réel,
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    on ne sait pas où ça s'arrête,
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    il m'apprenait à lire
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    et c'est pour ça qu'il a eu des clés
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    et c'est pour ça
    que je suis là aujourd'hui.
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    Alors, vous savez,
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    si vous, aujourd'hui,
    vous avez un handicap,
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    quel qu'il soit mais surtout
    un handicap concernant la lecture
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    ou un de vos enfants, quelqu'un,
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    dites-lui de prendre son index,
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    de parler à haute voix.
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    Ne le laissez pas dans la difficulté
    de ne pas pouvoir lire
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    parce que c'est trop important.
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    Donc, allez-y.
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    Ouvrez les portes.
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    Je vous assure,
    c'est quelque chose d'extraordinaire.
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    Aujourd'hui, quoiqu'on fasse,
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    regardez autour de vous,
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    il vous faut toujours
    lire le mode d'emploi.
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    Comment le lire si on ne sait pas lire ?
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    Si on ne peut pas lire ?
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    Alors, permettez à tout le monde de lire.
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    Je peux vous dire qu'alors là,
    vous rendrez service à tout le monde.
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    Et peut-être
    qu'une aventure extraordinaire
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    s'ouvrira devant eux.
  • 7:07 - 7:09
    Vous savez, c'est important.
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    pour chacun d'entre nous.
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    Aujourd'hui je suis là.
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    Parfois quand je suis un peu trop émotive,
  • 7:14 - 7:16
    des mots partent dans tous les sens.
  • 7:16 - 7:17
    Mais quelle importance ?
  • 7:17 - 7:19
    J'arrive à faire ce que je veux
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    et c'est magnifique.
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    Alors peut-être que parmi vous,
    effectivement,
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    des gens ont un handicap,
    quel qui soit.
  • 7:24 - 7:26
    Alors je vais vous lire une citation
  • 7:26 - 7:27
    que j'aime beaucoup
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    qui est un peu comme des cannes
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    que je garde.
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    Et cette citation devrait vous aider.
  • 7:33 - 7:34
    Elle n'est toujours pas de moi.
  • 7:34 - 7:36
    Et cette fois je ne prends pas mon index.
  • 7:36 - 7:39
    « Ce n'est pas parce que
    les choses sont difficiles
  • 7:39 - 7:40
    que nous n'osons pas.
  • 7:40 - 7:41
    C'est parce que nous n'osons pas
  • 7:41 - 7:43
    qu'elles sont difficiles. »
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    Et c'est signé Sénèque.
  • 7:45 - 7:47
    Alors, si aujourd'hui,
    quel que soit votre handicap
  • 7:47 - 7:49
    parce qu'il n'y a pas que la dyslexie,
  • 7:49 - 7:51
    et on ne les voit pas tous,
  • 7:51 - 7:52
    eh bien,
  • 7:52 - 7:53
    osez.
  • 7:53 - 7:55
    Et, s'il vous plaît, mettez-vous en route.
  • 7:55 - 7:58
    C'est le plus cadeau
    que vous puissiez vous faire.
  • 8:00 - 8:01
    Merci.
  • 8:01 - 8:05
    (Applaudissements)
Title:
Quand les ânes se mettent en route | Josiane Martini | TEDxGeneva
Description:

Qui parmi vous n'a jamais été jugé, condamné ? Rappelez-vous ces mots : « Mon pauvre enfant, tu n'arriveras jamais à rien, tu es vraiment un âne » et j'en passe ! Si oui, alors rejoignez-moi dans ce talk TEDx, et si tout comme moi, vous êtes entre autres dyslexique, en écoutant mon histoire, qui sait si elle ne vous donnera pas des clés pour oser aller jusqu'au bout de vos rêves.

Je suis une femme toute simple, née dans une modeste famille en 1946 au Maroc. Un départ de vie douloureux ayant bien de la peine à m'exprimer correctement. Ce qui devait entraîner au tout début de ma scolarité, à mon actif, railleries et bonnet d'âne. Ce fut beaucoup plus tard que je devais découvrir que mon handicap n'était pas dû à une tare, mais un problème de dyslexie. Certes, méconnu à l'époque, d'autant plus compliqué pour moi pusique vivant dans un quartier où toutes les langues se pratiquaient. Mais, un événement inatendu, merveilleux, voire extraordinaire à 19 ans à la naissance de mon fils, devait m'ouvrir à l'écoute du monde, me donnant ainsi la plume qui court, s'émerveille et fait d'un roman une page de vie ressemblant, peut-être, à celle de tout le monde.

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus : http://ted.com/tedx

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Video Language:
French
Team:
closed TED
Project:
TEDxTalks
Duration:
08:08

French subtitles

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