Chez les fourmis, c'est le nombre qui compte ! | Audrey Dussutour | TEDxToulouse

Chez les fourmis, c'est la reine qui décide : FAUX. Chez les fourmis, tout le monde travaille dur : FAUX. Chez les fourmis, l'ordre règne en maître : FAUX.

Les fourmis sont des sociétés constituées en majorité de femelles qui sont capables de résoudre des défis incroyables (passage d'obstacle, architecture, agriculture, médecine, chasse) sans leader et sans plan pré-établi. Le succès des fourmis se résume en quelque mots : Sacrifice, Résilience, Altruisme, Coopération & Auto-organisation. Audrey Dussutour, chercheure au CNRS spécialiste de l’étude de comportement des fourmis et des blobs. Elle est l’auteur d’une cinquantaine d’articles scientifiques et d’un livre. Elle obtenu plusieurs prix pour ces travaux sur les fourmis dont le prix « Le monde » de la recherche et le prix Wetrems de l’Académie des Sciences de Belgique.

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus : http://ted.com/tedx

Je fais un métier saugrenu.
Je suis mirmécologue.

C'est-à-dire spécialiste des fourmis.

Lorsqu'on travaille sur les fourmis,

on fait face à deux questions récurrentes.

La première, comment on s'en débarrasse ?

Je reçois énormément d'e-mails qui
commencent par « Bonjour docteur,

j'ai des fourmis plein ma cuisine.
Je ne sais plus quoi faire.

J'ai mis de la javel, du poison,
des remèdes de grand-mères.

Rien à faire, elles reviennent. »

Moi je leur réponds que moi,
si j'ai des fourmis dans ma cuisine,

je les aspire, je les mets dans
des petites boites et je les étudie.

Je ne sais pas du tout
comment on s'en débarrasse.

La deuxième question
que l'on me pose : « C'est quoi ? »

On m'envoie des photos
et souvent, il y a deux pixels et demi.

Et on me dit : « J'ai trouvé ça
dans mon jardin, c'est quoi ? »

Là, ma première réponse,
mon premier réflexe : « C'est flou... »

Là, une petite mise au point s'impose,

autant au niveau littéral que figuré.

Dans le groupe des hominidés,
il y a huit espèces différentes,

c'est notre groupe.

S'il est facile de faire la différence
entre un gorille et un humain -

la plupart du temps -

chez les fourmis,
c'est une autre histoire.

Chez les fourmis, il existe 13 000
espèces identifiées, 25 000 estimées.

Pour vous donner un ordre d'idée,
5 500 espèces de mammifères,

du hamster à la baleine.

Des fourmis, il en existe de toutes
les couleurs, de toutes les formes,

des poilues, des qui piquent,
des qui mordent.

Il en existe aussi de toutes les tailles.

Certaines fourmis font 40 fois
la taille d'autres fourmis.

Si parfois il est facile
de les différencier

parce que certaines ressemblent
à des bisounours,

et d'autres sont mi-scorpion,
mi-fourmi et re mi-scorpion derrière,

(Rires)

des fois, c'est bien plus difficile.

Il vous faudra parfois compter le nombre
de poils autour de l'anus de la fourmi

(Rires)

pour différencier deux espèces.

Véridique.

(Rires)

Les fourmis sont sur la Terre
depuis 170 millions d'années.

Elles ont foulé les mêmes prairies
que les dinosaures

mais elles n'ont pas subi
la crise du crétacé.

Elles sont toujours là, et bien là.

Des fourmis, il y en a partout.

Sur tous les continents.

Sauf en Antarctique,

mais il faut les comprendre,
le climat n'est pas super hospitalier.

(Rires)

On est sept milliards d'humains.

Il y a des millions
de milliards de fourmis.

Des quadrillions.

C'est simple, prenez tous les humains,
mettez-les sur une balance,

de l'autre côté,
vous mettez toutes les fourmis,

vous aurez approximativement
la même biomasse.

Bien qu'on soit en train
de gagner cette compétition,

pas parce qu'on est plus nombreux,

mais parce qu'individuellement,
on a un petit peu grossi.

(Rires)(Applaudissements)

Les fourmis, elles vivent en société.

Souvent on les compare
aux sociétés humaines.

Mais en réalité, les fourmis
ne vivent pas en société.

Elles vivent en famille.

L'histoire de famille des fourmis,

c'est plutôt un croisement entre
« Santa Barbara » et « Game of Thrones »

(Rires)

que « La petite maison dans la prairie ».

Laissez-moi vous raconter cette histoire.

Cela commence avec une reine.

Souvent elle est ailée -
vous appelez ça des fourmis volantes.

Elle sort au printemps,
et elle part à la recherche d'un mâle.

La plupart du temps,
le mâle est beaucoup plus petit,

il a des énormes yeux,
pour repérer la femelle en vol.

(Rires)

Lui, on le compare
plutôt à des moucherons.

Je vous ai dit 13 000 espèces,
donc forcément, on a des exceptions.

Il y a certaines femelles qui
préfèrent se passer de mâles.

Elles partent à pied et elles font
du clonage, elles s'auto-engendrent.

D'autres femelles par contre,
vont préférer avoir plusieurs mâles.

(Rires)

Et parfois, en même temps.

(Rires)

Sachez que la reine ne s'accouplera
qu'une seule fois dans sa vie.

Autant en profiter.

(Rires)

Là où il n'y a pas d'exception,
c'est sur le sort des mâles.

Ils meurent après l'accouplement.

Pour plusieurs raisons :

soit ils meurent de faim,
soit ils se font picorer par les oiseaux,

soit ils laissent leur pénis,

avec un petit bout d'intestin,
à l'intérieur de la femelle,

pour faire bouchon,

pour éviter que d'autres mâles
visitent cette même femelle.

Un petit peu possessif, le mâle fourmi.

(Rires)

La fourmi, une fois fécondée,

enlève ses ailes puisque,
de toute façon, elle ne sortira plus

et elle forme sa fourmillère :
elle commence à pondre des œufs.

Elle peut faire ça toute seule,
ou avec des copines, des sœurs.

Et des fois, l'entente est cordiale.

Parfois beaucoup moins.

Il y en a une qui prend la dominance
et elle assassine ses sœurs.

Les œufs des fourmis peuvent
donner différents types d'individus.

Ils peuvent donner des mâles à nouveau,
des reines à nouveau, et des ouvrières.

Ce sont des femelles, qui sont
la plupart du temps stériles,

soit morphologiquement -
elles n'ont pas d'ovaires -

soit fonctionnellement - on leur
tape dessus pour qu'elles ne pondent pas.

Au bout d'un moment,
on a une grande famille,

où on a un peu des mâles,
un peu des reines au printemps

mais on a surtout beaucoup d'ouvrières.

Ce sont des petites familles
de quelques millions d'individus.

Il y a une reine dont il faut parler,
c'est la reine des fourmis esclavagistes.

Elle a un petit problème,
elle a de très grandes mandibules

et donc, elle n'est pas très douée
pour s'occuper de ses œufs.

C'est l'Edward aux mains
d'argent des fourmis.

Elle a trouvé une solution :
elle part à la recherche d'un nid

déjà pré-établi, la plupart du temps
d'une autre espèce.

Elle rentre dans la colonie façon ninja,
elle masque son odeur,

elle va jusqu'à la chambre royale
et là, elle décapite la reine.

Elle se roule contre son cadavre
pour prendre son odeur.

Et les fourmis résidentes
n'y verront que du feu.

Elles vont élever la descendance de cette
reine, qui n'a rien à voir avec elles.

Les fourmis sont souvent
victimes d'anthropomorphisme

et cela donne lieu à des rumeurs.

La première rumeur :
« La reine, c'est la patronne. »

Faux.

La reine, ce n'est pas la reine
d'Angleterre, c'est une pondeuse.

Record de ponte chez la fourmi légionnaire
qui pond un œuf à la seconde.

Elle va engendrer dans toute une vie
300 millions de descendants.

C'est la population des États-Unis.

(Rires)

Une fourmi, comment fait-elle ?

Elle ne s'est accouplée qu'une seule fois.

Eh bien, elle a une petite poche à sperme

où elle garde le sperme à température
ambiante pendant 5 à 10 ans.

Elle l'utilise quand elle en a besoin,
pas besoin de cryostase chez les fourmis.

Deuxième rumeur, les soldats qui protègent
la colonie sont des femelles.

Faux.

Pardon, la rumeur, c'est que
ce sont les mâles. Ce sont des femelles !

En réalité - je suis victime
d'anthropomorphisme aussi. (Rit)

En réalité, sur cette photo,
au centre, vous voyez un mâle.

C'est le petit organisme chétif ici,
entouré de ses sœurs.

(Rires)(Applaudissements)

Il faut savoir que le mâle
n'a qu'une fonction, se reproduire.

Il n'est pas capable d'obtenir
sa nourriture,

il n'est pas capable de se protéger,
il dépend de ses sœurs.

Ses sœurs, par contre,
peuvent avoir toutes les tailles.

Ici vous voyez des sœurs ; l'adage
« Mange ta soupe, tu grandiras »

est vrai chez les fourmis.

Ici, ce sont deux sœurs que vous voyez,
c'est un peu comme si ma sœur

faisait 15 mètres de haut
et le poids d'une baleine à bosses.

Pas sûr que je l'inviterais à dîner
tous les soirs.

Troisième rumeur et celle-là,
on la doit à La Fontaine,

la fourmi est travailleuse.

Faux.

Il y a des fourmis qui ne font rien
de Ia journée. Rien du tout.

(Rires)

10 à 30% de la colonie ;
elles sont là au cas où.

(Rires)

Le travail dans une colonie
de fourmis est organisé,

c'est la division du travail.

Il y a donc différentes fonctions
dans une colonie.

Chez les fourmis pot-de-miel, par exemple,
certaines fourmis sont frigos vivants.

Elles s'accrochent
au plafond de la colonie

et elles stockent la nourriture
pour les autres.

Elles vont régurgiter cette nourriture

dans un bouche à bouche
avec leurs congénères.

Cela peut paraître un petit peu dégoûtant.

Ayons une pensée pour les termites,

qui reçoivent leur nourriture
d'un orifice bien moins fréquentable.

(Rires)

Certaines autres fourmis,
les fourmis tortues,

ont une fonction essentielle à la colonie.

Elles sont portes.

(Rires)

Leur tête fait exactement le diamètre
de l'entrée de la colonie.

Elles se vissent là et ferment la colonie.

D'autres colonies couvrent
les nids de poule sur la route.

C'est une fonction comme une autre...

D'autres sont tapettes à mouche.

En fait, il y a des mouches
qui essaient de pondre des œufs

dans la tête des fourmis
qui ramènent la nourriture.

Donc leurs petites sœurs montent
en haut et chassent les mouches.

(Rires)

D'autres fourmis sont médecins

parce que sur les champs de bataille,
on peut se faire couper une jambe ou deux.

La fourmi médecin vient lécher les plaies
et met de l'antiseptique.

Une fourmi peut mourir d'une infection

mais peut très bien vivre
avec une jambe ou deux en moins.

Certaines fourmis ont un destin un petit
peu plus triste : ce sont les vigiles.

Chez la fourmi forégus, par exemple,

il est impossible
de fermer le nid de l'intérieur

parce que le sol est trop sablonneux.

Il va y avoir deux ou trois fourmis

qui, chaque soir, vont fermer
le nid et se sacrifier.

Ces fourmis ne passeront pas la nuit,

parce qu'elles vont se faire prédater.

Ce qui m'intéresse plus particulièrement,

c'est ce que font les fourmis en équipe.

Il faut savoir que les fourmis
sont capables de faire en groupe

ce qu'elles ne sont pas capables
de faire individuellement.

Comme ici, transporter une proie
qui fait 100 fois leur taille.

Certaines fourmis en groupe sont beaucoup
plus violentes.

C'est le cas des fourmis tortionnaires.

Celles-ci, elles construisent un piège,

une sorte de maillage avec un champignon.

Elles construisent
ce maillage sur les tiges,

et là, les insectes se posent,
parce que les fourmis sont cachées.

Quand l'insecte se pose,
elles sortent par les petits trous,

attrapent les pattes, coincent l'insecte,

et là sortent toutes
et le coupent façon sushi.

(Rires)

D'autres fourmis sont
un petit peu moins violentes.

Elles sont en quelque sorte des bergères.

Elles élèvent des pucerons.

C'est un peu dommage pour vos rosiers,

car elles protègent ces pucerons
contre les prédateurs,

et contre les intempéries,

car elles peuvent les rentrer
à la colonie le soir.

En fait, elles traient ces pucerons
comme nous les vaches,

pour obtenir du miellat
extrêmement nutritif.

Et si parfois elles sont affamées,

elles peuvent en manger un ou deux aussi.

D'autres sont plutôt végétariennes,
c'est les coupeuses de feuilles.

Elles sont surtout agricultrices.

Ces fourmis ramassent du feuillage -

il faut savoir qu'elles peuvent décimer
un arbre en une seule journée,

une colonie.

Alors pourquoi ramener des feuilles ?
Elles ne les mangent pas.

En réalité, elles vivent en association
avec un champignon,

qui, lui, mange les feuilles.

Et en échange contre ces feuilles,

il donne des petites excroissances
très nutritives aux fourmis.

Le problème de ce champignon,
c'est qu'il attrape des maladies.

Mais la fourmi a pensé à tout.

Vous voyez sur son thorax ici,

elle a des taches blanches :
ce sont des bactéries.

Ces bactéries produisent des antibiotiques
que les fourmis vont utiliser et enduire

sur le champignon
pour le protéger des infections.

Ces fourmis-là découvrent l'agriculture
il y a 50 millions d'années,

l'humain, il y a 10 000 ans ;

l'antibiotique,
il y a des millions d'années,

et nous il y a à peu près
moins de 100 ans.

Les fourmis sont d'excellents
architectes en groupe.

Ici vous voyez un monticule mais
sous ce monticule se cache un nid

de la taille d'un appartement
de quatre pièces.

Il contient 8 000 chambres,
toutes reliées par des autoroutes.

Et ce nid est ventilé, grâce à des petites
cheminées qu'elles construisent

et qu'elles orientent
en fonction de la direction du vent

pour faire rentrer l'oxygène
dans la colonie

et faire sortir le dioxyde de carbone.

Elles vont pouvoir entièrement contrôler
l'hygrométrie du nid.

Les fourmis sont résilientes.

Elles savent se sauver
face à des intempéries.

Donc n'essayez pas avec un tuyau
d'arrosage de noyer vos fourmis,

ça ne sert à rien :
elles savent faire des radeaux.

(Rires)

Alors comment ça marche ?
Je veux dire, elle va bien se noyer !

En réalité, elles échangent de position,
comme un tapis roulant.

C'est un petit peu un coup à toi,
un coup à moi.

Avant de plonger, elles prennent
une bulle d'air entre la tête et le thorax

et elles plongent, elles passent
sous le radeau et elles remontent.

Elles peuvent vivre sur ces radeaux
plusieurs semaines.

Mais au bout d'un moment forcément,
la nourriture commence à manquer.

Et il faut se débarrasser
des choses qui ne servent à rien.

Donc les mâles sont jetés par-dessus bord.

(Rires)

C'est les premiers.

Là où les fourmis excellent,
c'est le trafic.

Il n'y a pas d'embouteillages
chez les fourmis.

Quel est leur secret ?
Ça fait 15 ans que je travaille dessus.

Alors je construis des autoroutes
à fourmis, dans mon laboratoire,

et je compte des fourmis.

J'essaie de comprendre comment elles,

quand elles sont 25 au cm², elles courent,
et nous, quand on est l'équivalent,

c'est-à-dire huit piétons dans
un petit mètre carré, on est comme ça.

Le secret est qu'elles n'ont pas
de règles pré-établies.

La fourmi réagit au niveau local,
à son plus proche voisin.

C'est comme si les feux de circulation,
le nombre de voies,

le sens de la circulation s'adaptaient
en temps réel à l'intensité du trafic.

Ça serait génial, non ?

Cela a inspiré la robotique en essaim.

Faire des petits robots peu coûteux
qui individuellement ne savent rien faire

mais qui en groupes peuvent résoudre
des problèmes extrêmement complexes.

Cette approche de la robotique est
complémentaire à une approche

différente et un peu plus traditionnelle
qui est d'investir dans un robot

extrêmement coûteux et qui sait
normalement faire plus de choses.

(Rires)

Le secret derrière le succès des fourmis,
en cinq mots :

coopération, altruisme, résilience,
auto-organisation, sacrifice.

Chez les fourmis, ce n'est pas
le plus fort, le plus puissant qui décide.

Chez les fourmis, ce n'est pas
la taille qui compte,

c'est le nombre.

Merci.

(Applaudissements)