La musique est un art visuel | Hunter Ewen | TEDxBoulder

Si vous fermez les yeux et écoutez de la musique, est-ce que des images apparaissent dans votre esprit ? Hunter Ewen utilise des visuels pour mieux codifier et décrire la musique qu'il compose.

Hunter Ewen est un compositeur de musique dramatique, un éducateur ainsi qu'un designer multimédia. Le jour, le Dr Ewen enseigne des stratégies pour la créativité numérique à l'Université du Colorado, au centre collaboratif d'art pour enfants Reel Kids et à la ville de Longmont, en tant qu'éducateur indépendant. La nuit, il compose, soude, met en scène et dirige des projets interdisciplinaires autour du monde.

Des performances expérimentales et des notations inhabituelles sont en bonne place au sein des travaux d'Ewen. Convaincu que les compositions devraient être à la fois vues et écoutées, sa musique a l'air aussi étrange qu'elle ne sonne. Des courbes, des gribouillis, des flèches et des crocs remplacent souvent les notes et les silences traditionnels. Sa préférence en terme d'esthétique gravite vers les miaulements et les jappements, les gémissements et les cris perçants, vers les hurlements qui se font passer pour de l'art, vers les clameurs et la déviance.

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus : http://ted.com/tedx

Je voudrais vous parler
de mon éclair de lucidité.

Je suis compositeur, et je travaille
beaucoup avec des partitions graphiques,

mais ça n'a pas toujours été le cas.

Pendant longtemps,
j'ai eu du mal avec ma musique.

J'avais une idée très précise en tête

de la façon dont je voulais
que ma musique sonne,

mais j'avais toujours l'impression
de ne pas arriver à la retranscrire.

Enfin, j'aimais la musique mais...

elle ne me correspondait pas tout à fait.

Et ce problème en particulier

a atteint un seuil critique
lors d'une répétition, il y a dix ans.

J'avais écrit une œuvre de musique
de chambre très complexe,

et j'avais un effet spécial bien précis
en tête pour ma corniste.

Je voulais qu'elle chante
dans son instrument.

Ma notation ressemblait à ça.

(Rires)

Bon, elle jouait parfaitement,
exactement comme je l'avais écrit,

mais c'était loin d'être
ce à quoi j'avais pensé.

Donc j'ai changé quelques notes,
quelques rythmes,

en pensant que peut-être qu'en ajustant
un peu la notation,

elle comprendrait d'un coup
ce qu'il se passait dans ma tête.

Ça n'a pas marché.

« Tu peux essayer comme ça ? »

Elle a essayé, mais non.

« Et comme ça ? »

Non plus.

Et à force on était tous les deux
un peu agacés,

elle a fini par dire :

« Bon Hunter, comment tu veux
que ça sonne, à la fin ? »

J'y ai pensé pendant un instant,

et j'ai dit : (imite un loup).

(Rires)

Et ça a été le déclic.

Pendant tout ce temps,
je voulais un hurlement de loup.

(Rires)

Mais personne ne pouvait le comprendre,

pas même moi,

en se basant sur cette notation ridicule.

Alors à la répétition suivante,
j'ai changé ma partition comme ça.

[Hurlement de loup]
(Rires)

(Applaudissements)

Et c'est une chose magique.

Ce loup a résolu un grand nombre
de problèmes à la fois.

Il a aidé les musiciens
à mieux me comprendre,

à jouer exactement comme je le voulais,

il a ajouté une sorte d'intrigue visuelle

à la partition,

(Rires)

et, peut-être encore plus encore,

il m'a enfin permis de me concentrer
sur ce que je voulais vraiment dire.

Après ce jour,
j'ai commencé à me rendre compte

que les notes, les silences,
les articulations, les nuances,

le langage que l'on utilise
lorsque l'on parle de musique

tout cela n'est pas aussi important
que l'image visuelle

que l'on se fait de notre musique.

Je pourrais écrire
toutes les notes du monde,

mais si le musicien n'a pas
cette image mentale,

ça ne sert à rien.

Donc j'ai commencé à m'éloigner
de plus en plus

de ce modèle traditionnel de notations,

et à essayer de montrer ma musique,
au lieu de l'expliquer.

D'un coup,
je pouvais faire crier ma musique.

Ou la rendre accablante.

Ou la faire accuser.

Ou pincer.

Et les gens ont commencé à comprendre.

En leur donnant cette métaphore visuelle,

il était soudain plus facile
de communiquer.

J'avais l'impression d'avoir
un super-pouvoir.

Je pouvais enfin exprimer
la bizarrerie de ma musique.

(Rires)

Ou sa répétitivité.

Ou son esprit optimiste,
avec des mains levées vers le ciel.

Cela peut paraître contre-intuitif,
mais plus je masquais les silences,

plus je rendais les notes obscures

et plus je me libérais de cette structure
traditionnelle de notation,

mieux fonctionnait l'ensemble.

Les musiciens pensaient
de manière plus poussée,

plus artistique,

plus créative.

Ils apportaient leur propre personnalité
et leur expérience à la performance.

Et je ne dis pas que
c'est un système parfait

ou que toute la musique marche comme ça,

mais je dis juste que
considérer la musique en ces termes

m'a donné une sorte de base très solide

sur laquelle je peux construire
de la musique qui a plus de sens,

et qui, je pense, transmet plus de choses.

J'avais enfin séparé le code de la musique

et la musique de la musique.

Et une fois que j'ai fait ça,
les résultats étaient grisants.

Des spectateurs venaient
me voir après des spectacles

avec des histoires entières

qu'ils avaient imaginées
pendant la représentation.

Des musiciens venaient pendant
les répétitions avec des idées créatives

et des manières d'améliorer le morceau

parce qu'ils avaient enfin l'impression
de pouvoir y contribuer,

ils avaient l'impression de comprendre.

Soudain, la musique n'était plus
un mode d'emploi,

mais une vision partagée.

Tout le monde avait l'impression
d'y avoir un intérêt,

voire de pouvoir se l'approprier.

Je me rappelle la première fois que
j'ai vu cette pensée mise en œuvre.

J'avais écrit ça :
(« LÂCHEZ VOUS »)

le dénouement d'un morceau puissant
pour un ensemble d'instruments à vent.

J'étais dans le public pour la première,

et j'ai été témoin
de quelque chose d'incroyable.

À l'arrière des percussions,

une paire de baguettes lancée en l'air,

a volé au-dessus de tout l'ensemble

et a atterri avec fracas quelque part
au milieu des cuivres graves.

(Rires)

Je ne l'avais pas mis dans la musique,
je ne savais pas que quelqu'un ferait ça.

On n'en avait pas parlé.

C'était une vraie surprise.

Mais dès que j'ai vu ces baguettes
voler majestueusement au-dessus des bois,

j'ai su que c'était exactement
la bonne chose au bon moment.

Donc je suis allé voir le musicien
après le spectacle,

et je lui ai demandé pourquoi
il avait fait ça.

Il a dit : « Eh bien, je pensais
que ça ne te dérangerait pas. »

(Rires)

Et il avait raison.

La perfection, enfin !

Un moment de vraie honnêteté musicale.

Penchons-nous sur un morceau connu
par la plupart d'entre nous.

C'est « La danse de la fée dragée »,

extrait du Casse-Noisette de Tchaïkovski.

Je veux qu'on fasse tous
une petite expérience.

Je veux que l'on dirige tous
cette musique.

Mais je ne veux pas que l'on dirige
le code de la musique,

je veux conduire ma vision de ce à quoi
je pense que la musique ressemble,

comme ça.

Donc si vous voulez bien,

levez vos doigts, pointez l'écran

et suivez pendant qu'on écoute
les premières mesures.

D'accord ? Tout le monde est prêt ?

(Musique : Tchaïkovski
« La danse de la fée dragée »)

(Rires)

Bien.

Très bien.

(Applaudissements et acclamations)

Donc en visualisant ce morceau de musique,

d'un coup, nous nous ouvrons
à beaucoup de choses

qu'on pourrait rater juste en l'écoutant.

On peut voir des motifs et des séquences
plus facilement.

On peut voir quels instruments jouent,
où, et quand.

Et on peut voir quand
l'harmonie devient mélodie,

et quand il n'y a qu'une seule note,
et quand il y en a beaucoup.

Visualiser nous permet de comprendre.

Et quand on visualise notre musique,

je ne dis pas que ça doit ressembler à ça,

ça peut ressembler à un bourdonnement,

à du pop-corn qui explose,

à une sépulture,

à des horloges, des œufs, des yeux,

à des gribouillis...

C'est à ce moment-là qu'on commence à
développer une compréhension visuelle,

un langage visuel pour parler
et décrire cette musique.

En ajoutant ce sens supplémentaire
à notre boîte à outils musicale,

d'un coup, on se sent plus connectés,
plus proches.

Les lignes de communication
sont enfin ouvertes,

quand on pense à la musique comme ça.

Et l'essence de la musique,
c'est la communication,

la mélodie, le rythme, la métrique,

la métaphore, l'histoire et l'émotion.

Mais qu'est-ce qu'il se passe quand
on ne pense pas à la musique comme ça,

quand les lignes de communication
sont coupées ?

C'est un problème auquel on est
tous confrontés de nos jours :

on vit dans un monde où l'on consomme
des media de façon passive,

pour le meilleur et pour le pire,

et quand on pense à la musique
passivement,

on n'utilise pas notre imagination,

et on rencontre des problèmes.

La métaphore, l'histoire,

la signification profonde de la musique
commencent à être perdues.

La musique a le pouvoir
de sublimer l'esprit humain.

Et quand on pense à notre musique
en termes visuels,

on commence à réouvrir
ces lignes de communication.

C'est quelque chose qu'on peut tous faire
aujourd'hui.

Rentrez chez vous, mettez votre morceau
préféré, votre album préféré,

votre disque préféré,
allumez votre chaîne,

et essayez de peindre une image mentale
de ce que vous voyez.

Est-ce que la musique est bizarre
et ondulée comme des spaghettis ?

Ou est-elle tranchante, avec des angles ?

Est-ce que la musique est ronde,
ou droite ?

Est-elle dense, ou fine ?

Est-elle grande, ou petite ?

Est-ce que votre musique est
en pointillés,

ou est-ce qu'elle bouge et glisse de façon
libre et organique, au fil du temps ?

Est-ce qu'elle glisse sur le sol
comme un fantôme,

ou est-ce qu'elle trébuche sur elle-même ?

Perdez-vous dans ces mondes fantastiques :

des explosions gigantesques,

des montagnes immenses,

des animaux terrifiants,

des fleurs,

des ondulations sur l'océan.

Écoutez votre musique.

Comment sonne-t-elle ?

À quoi ressemble-t-elle ?

Comment vous fait-elle vous sentir ?

Parlez de votre musique

et écoutez ce que les autres
ont à dire de leur musique

et parlez des visions que vous avez quand
vous écoutez de la musique.

Imaginez tout et n'importe quoi,

et sachez qu'il n'y a pas
de mauvaise façon d'écouter,

de vivre, d'interpréter la musique.

Pensez à la musique en termes d'images,
d'histoire, de récit,

pas en termes de noires et de croches.

Parce qu'au final,
la musique est un art visuel,

et tout ce qu'on a à faire pour l'aimer,
pour établir avec elle

une connexion émotionnelle profonde,
qui a du sens,

c'est de la visualiser.

Merci.

(Applaudissements)