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La faute de l'orthographe | Arnaud Hoedt et Jérôme Piron | TEDxRennes

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    AH : Bonsoir !
    JP : Bonsoir !
  • 0:22 - 0:24
    AH : Je m'appelle Arnaud Hoedt
  • 0:24 - 0:27
    et je suis professeur de français
    à l'Institut Don Bosco en Belgique.
  • 0:28 - 0:29
    JP : Je m'appelle Jérome Piron.
  • 0:29 - 0:32
    Je suis professeur de philosophie
    dans la même école.
  • 0:32 - 0:35
    AH : On a tous les deux fait
    des études de linguistique
  • 0:35 - 0:38
    et un jour, au cours de ces études,
    on est tombé sur une citation.
  • 0:38 - 0:41
    [L'orthographe de la plupart
    des livres français est ridicule.]
  • 0:41 - 0:44
    [L'habitude seule peut
    en supporter l'incongruité.]
  • 0:44 - 0:46
    JP : Est-ce que vous surveillez
    votre orthographe ?
  • 0:46 - 0:48
    Public : Oui.
  • 0:48 - 0:51
    Est-ce que vous surveillez
    l'orthographe des autres ?
  • 0:51 - 0:52
    Public : Oui.
  • 0:54 - 0:56
    AH : Alors il faut quand même bien
    reconnaître une chose :
  • 0:57 - 0:58
    c'est qu'en français,
  • 0:58 - 1:02
    on est particulièrement peu exigeant
    avec l'orthographe.
  • 1:03 - 1:05
    JP : On ne parle pas de votre orthographe.
  • 1:05 - 1:06
    Ni de la nôtre d'ailleurs.
  • 1:06 - 1:08
    AH : Ni même celle de Kévin,
    notre régisseur,
  • 1:08 - 1:11
    qui a une orthographe bien à lui.
  • 1:11 - 1:13
    (Rires)
  • 1:13 - 1:18
    En français, on est particulièrement
    peu exigeant avec l'orthographe elle-même.
  • 1:19 - 1:22
    JP : Oui, s'il arrive qu'on juge
    votre orthographe,
  • 1:22 - 1:25
    on ne juge pratiquement
    jamais l'orthographe elle-même.
  • 1:25 - 1:28
    AH : Attention, il ne s'agit
    pas ici de juger la langue
  • 1:28 - 1:29
    mais bien son orthographe.
  • 1:30 - 1:33
    Souvent, on a tendance à confondre
    l'orthographe et la langue elle-même.
  • 1:33 - 1:35
    Mais l'orthographe,
    ce n'est pas la langue.
  • 1:35 - 1:38
    L'orthographe,
    c'est l'écriture de la langue.
  • 1:38 - 1:42
    Et c'est même pas l'écriture en termes
    de style ou de qualité de phrase.
  • 1:42 - 1:45
    En fait c'est le code graphique
    qui permet de transmettre,
  • 1:45 - 1:48
    de retranscrire la langue orale.
  • 1:48 - 1:50
    JP : C'est un petit peu
    comme les partitions
  • 1:50 - 1:52
    qui sont au service de la musique.
  • 1:52 - 1:56
    AH : L'orthographe n'est qu'un outil
    au service de la langue.
  • 1:56 - 1:58
    JP : Si l'orthographe est un outil,
  • 1:58 - 2:01
    on s'est simplement posé
    une question avec Arnaud :
  • 2:02 - 2:04
    est-ce que c'est un bon outil ?
  • 2:05 - 2:07
    Prenons par exemple le son /s/.
  • 2:07 - 2:09
    AH : Comme dans « régisseur ».
  • 2:10 - 2:13
    JP : Comment peut-on écrire
    ce son en français ?
  • 2:14 - 2:17
    On peut l'écrire : « s »,
  • 2:17 - 2:18
    « ss »,
  • 2:18 - 2:19
    « c »,
  • 2:19 - 2:21
    « ç »,
  • 2:21 - 2:24
    « sc » comme dans « science »,
  • 2:24 - 2:27
    « t », les finales en « tion »,
  • 2:28 - 2:32
    on peut l'écrire « x »,
    dans « dix » ou « six »...
  • 2:32 - 2:33
    AH : « Bruxelles » !
  • 2:33 - 2:35
    (Rires)
  • 2:35 - 2:41
    JP: On peut l'écrire « z »,
    dans « quartz ».
  • 2:41 - 2:43
    AH : « Aztèque » !
  • 2:42 - 2:47
    JP : On peut l'écrire « th »,
    dans « forsythia ».
  • 2:47 - 2:49
    (Rires)
  • 2:49 - 2:55
    On peut l'écrire « sth »,
    dans « isthme » ou « asthme ».
  • 2:57 - 3:01
    On peut l'écrire « cc », dans « succion »,
  • 3:02 - 3:09
    et on peut même l'écrire « sç »,
    dans « il acquiesça ».
  • 3:09 - 3:11
    (Rires)
  • 3:11 - 3:13
    (Applaudissements)
  • 3:17 - 3:20
    AH : Si vous voyez la lettre « s » écrite,
    comment se prononce-t-elle ?
  • 3:21 - 3:22
    Soit /s/,
  • 3:22 - 3:25
    soit /z/, entre deux voyelles,
  • 3:25 - 3:27
    soit pas : muette.
  • 3:29 - 3:32
    JP : Donc ça fait : un son,
    douze manières de l'écrire ;
  • 3:32 - 3:34
    une lettre, trois façons de la prononcer.
  • 3:34 - 3:36
    (Rires)
  • 3:36 - 3:38
    (Applaudissements)
  • 3:41 - 3:45
    AH : Alors en turc, l'orthographe
    est parfaitement phonétique.
  • 3:45 - 3:46
    Une lettre, un son.
  • 3:46 - 3:48
    Un son, une lettre.
  • 3:49 - 3:50
    « Mayonnaise »
  • 3:51 - 3:53
    (Rires)
  • 3:53 - 3:55
    « Saucisse »
  • 3:55 - 3:57
    (Rires)
  • 3:57 - 3:58
    Encore un !
  • 3:58 - 4:01
    [Ekler -- éclair]
  • 4:01 - 4:04
    JP : Donc en turc,
  • 4:04 - 4:08
    quand vous entendez un mot
    pour la première fois,
  • 4:08 - 4:11
    vous savez automatiquement
    comment il s'écrit.
  • 4:12 - 4:14
    C'est le cas dans beaucoup
    d'autres langues
  • 4:14 - 4:17
    comme le bulgare, le finnois,
    le serbe, le roumain
  • 4:17 - 4:21
    et c'est pratiquement le cas
    du néerlandais, de l'italien,
  • 4:21 - 4:24
    de l'espagnol, de l'allemand ou du russe.
  • 4:25 - 4:27
    AH : Comparons à présent avec le français.
  • 4:27 - 4:31
    En français, si on inventait
    un mot qui n'existe pas,
  • 4:32 - 4:34
    comme le mot /krɛfisjɔ̃/
  • 4:34 - 4:35
    qu'on a inventé avec Jérôme...
  • 4:35 - 4:37
    /krɛfisjɔ̃/ !
  • 4:37 - 4:40
    De combien de manières différentes
    pourrait-on écrire ce nouveau mot
  • 4:40 - 4:42
    /krɛfisjɔ̃/ en français ?
  • 4:43 - 4:48
    Alors pour répondre à cette question,
    Kévin a écrit un petit programme.
  • 4:48 - 4:52
    Un algorithme qui permet de calculer
    toutes les orthographes possibles
  • 4:52 - 4:55
    du mot /krɛfisjɔ̃/ en français.
  • 4:55 - 4:56
    Kévin ?
  • 5:04 - 5:06
    (Applaudissements)
  • 5:12 - 5:18
    JP : Au total, il existe 240 manières
    différentes d'écrire le mot /krɛfisjɔ̃/
  • 5:18 - 5:20
    en français.
  • 5:20 - 5:23
    AH : On se demande souvent
    comment respecter l'orthographe
  • 5:23 - 5:26
    mais l'orthographe elle-même
    est-elle respectable ?
  • 5:26 - 5:28
    (Rires)
  • 5:28 - 5:32
    En français, on écrit le mot « bruit »,
    le mot « édit » ou le mot « crédit »
  • 5:32 - 5:37
    avec un T pour faire « bruiter »,
    « éditer » ou « créditer » ;
  • 5:38 - 5:39
    mais pas « abri ».
  • 5:40 - 5:41
    (Rires)
  • 5:45 - 5:50
    JP : On écrit « dix » avec un X
    qu'on prononce /s/,
  • 5:50 - 5:53
    alors qu'on écrit
    une « dizaine » avec un Z
  • 5:53 - 5:57
    et un « dixième » avec un X
    mais qu'on prononce /z/.
  • 5:57 - 5:59
    (Rires)
  • 5:59 - 6:02
    (Applaudissements)
  • 6:06 - 6:08
    AH : Employé avec l'auxiliaire « avoir »,
  • 6:08 - 6:10
    le participe passé s'accorde
    en genre et en nombre
  • 6:10 - 6:12
    avec le complément d'objet direct
  • 6:13 - 6:14
    quand celui-ci le précède :
  • 6:14 - 6:16
    « Les crêpes que j'ai mangées (-es) ».
  • 6:16 - 6:21
    Par contre, quand le complément suit
    le participe, il reste invariable :
  • 6:21 - 6:23
    « J'ai mangé (-é) les crêpes ».
  • 6:25 - 6:26
    Alors pourquoi ?
  • 6:27 - 6:30
    Pourquoi avant mais pas après ?
  • 6:32 - 6:35
    Au Moyen-Âge, les moines ont
    des conditions de travail difficiles
  • 6:35 - 6:38
    et travaillent dans des monastères
    mal chauffés, mal éclairés,
  • 6:39 - 6:40
    avec des plumes d'animaux.
  • 6:42 - 6:45
    Souvent, sous la dictée,
    quand le moine écrivait, par exemple,
  • 6:45 - 6:48
    « Les pieds que Jésus a lavés »
  • 6:49 - 6:52
    un simple regard vers la gauche
    permet d'identifier ce que Jésus a lavé.
  • 6:52 - 6:57
    Il a lavé quoi ? Les pieds !
    Donc le moine accorde, pas de problème.
  • 6:57 - 6:59
    Mais quand le moine écrivait :
  • 6:59 - 7:01
    « Jésus a lavé... »
  • 7:02 - 7:06
    Il se dit : « Jésus a lavé quoi ?
    Je ne sais pas, je vais attendre,
  • 7:06 - 7:09
    ça va probablement venir
    dans la suite du texte ».
  • 7:09 - 7:11
    (Rires et applaudissements)
  • 7:15 - 7:22
    « ...avant la fête de Pâques,
    sachant que son heure était venue,
  • 7:22 - 7:29
    lorsque le diable avait déjà inspiré
    au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon,
  • 7:29 - 7:33
    le dessein de le livrer
    sur les bords du lac de Tibériade
  • 7:33 - 7:36
    et patati et patata...
  • 7:37 - 7:38
    les pieds ».
  • 7:38 - 7:40
    (Rires)
  • 7:40 - 7:42
    (Applaudissements)
  • 7:46 - 7:48
    AH : Quand le moine
    est arrivé à « les pieds »,
  • 7:48 - 7:51
    il a oublié qu'il avait
    un participe à accorder ;
  • 7:52 - 7:54
    ou il n'a plus de place
    pour écrire la lettre,
  • 7:54 - 7:55
    parce qu'au Moyen-Âge,
  • 7:55 - 7:58
    les mots sont souvent attachés
    les uns aux autres.
  • 7:58 - 8:00
    C'est de l'observation de cet oubli,
  • 8:00 - 8:04
    de cette erreur particulièrement fréquente
    dans les manuscrits du Moyen-Âge,
  • 8:04 - 8:06
    qu'on a tiré la règle.
  • 8:06 - 8:09
    Voilà pourquoi avant mais pas après.
  • 8:09 - 8:14
    JP : Alors, à l'école, les enfants
    se demandent pourquoi.
  • 8:15 - 8:18
    Pourquoi avant et pas après ?
    Pourquoi un X ?
  • 8:18 - 8:20
    AH : Pourquoi pas de T à « abri » ?
  • 8:20 - 8:23
    JP : Mais quand les enfants
    demandent pourquoi,
  • 8:23 - 8:25
    on leur explique comment :
  • 8:25 - 8:28
    comment on écrit, comment on accorde.
  • 8:28 - 8:32
    Pourquoi est-ce que l'esprit critique
    s'arrête au seuil de l'orthographe ?
  • 8:33 - 8:36
    Parce qu'on a tous appris
    à ne plus se demander pourquoi.
  • 8:37 - 8:40
    AH : Alors pourquoi l'orthographe
    du français est-elle si compliquée ?
  • 8:40 - 8:44
    Parce qu'en réalité, elle ne tombe pas
    du ciel, un jour, toute faite.
  • 8:45 - 8:46
    Elle a une histoire.
  • 8:47 - 8:51
    JP : Avant le XVIIe siècle,
    tout le monde écrit comme il veut.
  • 8:52 - 8:55
    Montaigne ou Rabelais avaient
    leur propre orthographe
  • 8:55 - 8:56
    qui variait d'ailleurs
  • 8:56 - 8:59
    d'un manuscrit à l'autre
    ou d'un imprimeur à l'autre.
  • 8:59 - 9:00
    AH : Molière, lui-même,
  • 9:00 - 9:03
    dans une des toutes premières
    éditions du Misanthrope,
  • 9:04 - 9:05
    écrivait « misanthrope » sans H.
  • 9:07 - 9:10
    D'ailleurs, Molière écrivait
    « orthographe » sans H.
  • 9:10 - 9:13
    Aujourd'hui, plus personne ne lit
    Molière dans l'orthographe de Molière.
  • 9:13 - 9:19
    Elle a été adaptée au fil des rééditions
    sans que cela ne change rien à son œuvre.
  • 9:19 - 9:23
    Il ne faut donc pas confondre
    la langue de Molière et son orthographe.
  • 9:23 - 9:24
    (Rires)
  • 9:24 - 9:26
    (Applaudissements)
  • 9:31 - 9:36
    JP : Alors, d'où vient cette obsession
    contemporaine pour l'orthographe ?
  • 9:37 - 9:40
    Au XVIIe siècle, on centralise l'État,
  • 9:40 - 9:43
    et Richelieu réalise
    que la langue est un pouvoir.
  • 9:43 - 9:45
    Il crée alors l'Académie Française.
  • 9:46 - 9:51
    L'Académie aura pour mission de rédiger
    un dictionnaire pour fixer la norme.
  • 9:51 - 9:55
    AH : En réalité, aujourd'hui, l'Académie
    Française est une fausse référence.
  • 9:55 - 9:58
    Il n'y a pas de linguiste
    à l'Académie Française.
  • 9:59 - 10:03
    C'est un peu comme s'il n'y avait pas
    de mécanicien au contrôle technique.
  • 10:04 - 10:09
    Non, « Académicien » est
    un titre honorifique, pas scientifique.
  • 10:09 - 10:12
    Il ne suffit pas d'enfiler un habit vert
    pour devenir grammairien.
  • 10:13 - 10:18
    AH : Dès l'origine, au XVIIe siècle,
    l'Académie va surtout faire de la norme
  • 10:18 - 10:22
    la marque de l'appartenance
    à la bonne société, le bon usage.
  • 10:23 - 10:25
    JP : En même temps, à l'époque,
    pas grand monde n'écrit
  • 10:25 - 10:28
    et il faut vraiment
    attendre le XIXe siècle
  • 10:28 - 10:31
    pour que l'orthographe
    devienne une norme incontournable.
  • 10:31 - 10:34
    La bourgeoisie montante
    va donner à l'orthographe
  • 10:34 - 10:35
    ses lettres de noblesse :
  • 10:35 - 10:40
    elle va revendiquer une orthographe
    délibérément compliquée.
  • 10:40 - 10:45
    L'Académie Française va d'ailleurs
    introduire dans son dictionnaire de 1835
  • 10:45 - 10:49
    toute une série de consonnes doubles,
    de consonnes étymologiques,
  • 10:49 - 10:51
    qui n'existaient pas auparavant.
  • 10:51 - 10:54
    AH : Et surtout, on va l'imposer à tous.
  • 10:54 - 10:56
    De plus en plus d'enfants vont à l'école
  • 10:56 - 11:01
    et l'orthographe devient le principal
    critère de sélection des instituteurs.
  • 11:02 - 11:04
    Tous les concours d'accès
    à la fonction publique
  • 11:04 - 11:06
    passent par une dictée.
  • 11:06 - 11:08
    JP : C'est aussi l'époque
    de l'avènement des nationalismes
  • 11:08 - 11:11
    et on fait de la langue
    un enjeu identitaire.
  • 11:11 - 11:16
    On veut un français, le même pour tous,
    unique et indivisible,
  • 11:16 - 11:19
    à l'image de la République,
    une et indivisible.
  • 11:19 - 11:22
    L'orthographe comme ciment de la nation.
  • 11:23 - 11:26
    AH : Depuis, à chaque fois qu'on propose
    de modifier l'orthographe,
  • 11:26 - 11:29
    cela provoque parfois quelque réticences.
  • 11:30 - 11:33
    Souvent parce qu'on a le sentiment
    qu'on va s'attaquer à un héritage.
  • 11:34 - 11:37
    Des consonnes étymologiques
    viennent du latin et du grec :
  • 11:37 - 11:40
    les TH, les PH, comme dans « philosophe ».
  • 11:40 - 11:44
    Y toucher ce serait un peu
    comme s'en prendre au patrimoine,
  • 11:44 - 11:46
    d'une certaine manière se couper
  • 11:46 - 11:48
    d'une partie de l'histoire
    de la langue française.
  • 11:50 - 11:52
    Mais cette histoire est
    largement fantasmée.
  • 11:52 - 11:55
    D'abord pourquoi est-ce
    qu'on a conservé ou introduit
  • 11:55 - 11:59
    uniquement les consonnes étymologiques
    issues du latin et du grec ?
  • 12:01 - 12:03
    Bien parce que ça fait classe !
  • 12:04 - 12:07
    Parce qu'on aime croire que le français
    ne descend que de l'Antiquité,
  • 12:07 - 12:11
    mais en réalité on a évacué sans hésiter
    toutes les consonnes étymologiques
  • 12:11 - 12:15
    issues des langues germaniques,
    de l'arabe, de l'italien.
  • 12:15 - 12:16
    Rien que ces 3 langues-là,
  • 12:16 - 12:20
    c'est déjà 35% de tous les mots
    qu'on a empruntés en français.
  • 12:20 - 12:24
    JP : Si on voulait vraiment respecter
    l'étymologie - pourquoi pas -
  • 12:24 - 12:29
    mais dans ce cas on devrait écrire,
    par exemple, le mot « style » avec un I
  • 12:30 - 12:33
    parce qu'on l'a emprunté au latin
    « stilus » et non au grec.
  • 12:33 - 12:37
    Par contre, il y a un mot qu'on a emprunté
    au grec : le mot « économie ».
  • 12:38 - 12:41
    Pour respecter son origine,
    on devrait l'écrire comme « fœtus ».
  • 12:41 - 12:45
    AH : Ou encore le mot « fantôme »,
    qui vient aussi du grec « phantasma ».
  • 12:45 - 12:50
    JP : Et est-ce qu'on peut sérieusement
    accuser les Italiens ou les Espagnols
  • 12:50 - 12:53
    de souffrir d'un déficit culturel ?
  • 12:54 - 13:01
    Parce que en italien on écrit par exemple
    « filosofo » avec des F depuis toujours,
  • 13:01 - 13:05
    et ça n'a quand même jamais empêché
    les Italiens de faire de l'étymologie,
  • 13:06 - 13:09
    de retrouver les origines
    « philo » et « sophia ».
  • 13:10 - 13:14
    AH : Certains donnent à l'orthographe
    une dimension esthétique.
  • 13:15 - 13:19
    En effet, on peut trouver que c'est beau
    parce que c'est compliqué.
  • 13:20 - 13:24
    On peut appeler toutes les absurdités
    de l'orthographe des subtilités
  • 13:25 - 13:28
    et être fier de cette spécificité
    de la langue française.
  • 13:29 - 13:32
    Mais si on a droit de trouver
    qu'une forme est belle
  • 13:32 - 13:34
    et d'avoir envie de la garder,
  • 13:34 - 13:36
    alors on a droit de la trouver laide.
  • 13:37 - 13:43
    JP : Pourquoi les mots du dictionnaire
    devraient-ils tous être beaux ?
  • 13:44 - 13:48
    AH : À la rigueur, on pourrait même
    envisager de les rendre encore plus beaux.
  • 13:49 - 13:52
    Le Collège de Pataphysique,
    Boris Vian et Alfred Jarry,
  • 13:52 - 13:55
    avait imaginé ce qu'ils appelaient
    une orthographe d'apparat.
  • 13:57 - 13:59
    Qu'est-ce qu'une orthographe d'apparat ?
  • 13:59 - 14:04
    Pour vous l'expliquer, Kévin
    a programmé une petite application :
  • 14:04 - 14:10
    un module de reconnaissance vocale
    en orthographe d'apparat, que voici.
  • 14:11 - 14:12
    Donc, dans cette orthographe,
  • 14:12 - 14:14
    par exemple, le son :
  • 14:15 - 14:16
    /a/
  • 14:16 - 14:18
    [ igt ]
  • 14:18 - 14:20
    ...s'écrit comme dans le mot « doigt »,
  • 14:21 - 14:23
    (Rires)
  • 14:25 - 14:27
    /r/
  • 14:27 - 14:29
    [ rrh ]
  • 14:29 - 14:32
    comme dans « logorrhée » ou « diarrhée ».
  • 14:32 - 14:34
    (Rires)
  • 14:36 - 14:37
    /o/
  • 14:37 - 14:39
    [ ü ]
  • 14:39 - 14:41
    Capharnaüm.
  • 14:42 - 14:43
    Cherchez pas, y en a qu'un !
  • 14:43 - 14:45
    (Rires)
  • 14:47 - 14:48
    /d/
  • 14:48 - 14:50
    [ gd ]
  • 14:50 - 14:52
    « Amygdale ».
  • 14:52 - 14:55
    Tu peux faire un truc un peu plus long ?
  • 14:57 - 15:00
    JP : Projet d'orthographe d'apparat.
  • 15:03 - 15:05
    [ brrhüsgë gd'ürrhghtücrrhigtph
    gd'igtbigtrrhigt ]
  • 15:05 - 15:07
    (Rires)
  • 15:08 - 15:09
    (Applaudissements)
  • 15:15 - 15:21
    JP : Alors il existe encore une raison
    de défendre une orthographe compliquée :
  • 15:22 - 15:24
    le sens de l'effort.
  • 15:27 - 15:29
    Comme c'est compliqué, c'est exigeant ;
  • 15:29 - 15:33
    et cette exigence apprend
    à nos enfants à se dépasser.
  • 15:35 - 15:38
    Les gens ont l'impression
    que si l'on simplifie,
  • 15:38 - 15:40
    on va faire moins d'efforts.
  • 15:40 - 15:42
    Mais on ne va pas faire moins !
  • 15:42 - 15:44
    On va faire mieux.
  • 15:45 - 15:47
    AH : Bon, c'est dur de dire
    à ceux qui ont souffert
  • 15:47 - 15:48
    qu'ils ont souffert pour rien.
  • 15:49 - 15:50
    (Rires)
  • 15:50 - 15:52
    (Applaudissements)
  • 15:57 - 16:00
    JP : Tout le temps
  • 16:01 - 16:05
    de mémorisation
    mécanique d'exceptions ânonnées,
  • 16:05 - 16:07
    « Pou, hibou, caillou »,
  • 16:07 - 16:12
    tout ce temps pourrait être converti
    en temps de pratique, de découverte,
  • 16:12 - 16:16
    de réflexion, de littérature
    ou d'histoire de la langue.
  • 16:16 - 16:22
    Donc, en un sens, la simplification
    constitue bien un nivellement par le haut.
  • 16:22 - 16:24
    (Applaudissements)
  • 16:32 - 16:35
    AH : La question de l'orthographe touche
    aussi celle de l'accès à l'emploi.
  • 16:36 - 16:40
    Dans ces cas-là, aujourd'hui, on sait
    ce que coûte une faute d'orthographe.
  • 16:40 - 16:43
    Imaginez que ce ne soit pas
    votre langue maternelle
  • 16:43 - 16:44
    ou que vous soyez dyslexique.
  • 16:44 - 16:48
    JP : On emploie aussi l'orthographe
    pour disqualifier une pensée.
  • 16:49 - 16:52
    Sur Internet, par exemple, on voit souvent
    des commentaires du genre :
  • 16:52 - 16:54
    « Va d'abord soigner cette orthographe
  • 16:54 - 16:57
    et après, tu te permettras
    de donner ton avis. »
  • 16:57 - 17:01
    AH : On empêche donc quelqu'un
    de s'exprimer, à cause de son orthographe.
  • 17:02 - 17:06
    C'est donc une forme de discrimination
  • 17:06 - 17:09
    que tout le monde trouve légitime.
  • 17:09 - 17:11
    JP : Même ceux qui en sont victimes
    la trouvent légitime.
  • 17:11 - 17:13
    Une sorte de syndrome de Stockholm.
  • 17:13 - 17:15
    (Rires)
  • 17:15 - 17:22
    Et tout ça n'est possible
    que si cette orthographe est sacrée.
  • 17:22 - 17:26
    Le Grevisse, la grammaire,
    devient la Bible.
  • 17:26 - 17:29
    Tout ce qui s'y trouve,
    c'est parole d'Évangile.
  • 17:29 - 17:31
    AH : Si c'est dans
    le Bescherelle, ainsi soit-il !
  • 17:31 - 17:34
    (Rires)
  • 17:36 - 17:40
    JP : Simplifier l'orthographe,
    ce serait appauvrir la langue ?
  • 17:41 - 17:46
    Cela veut dire lui faire perdre de la
    valeur, mais de quelle valeur parle-t-on ?
  • 17:46 - 17:48
    On ne parle pas de la valeur
    de l'orthographe.
  • 17:48 - 17:51
    On parle de valeur tout court.
  • 17:52 - 17:56
    AH : Et si l'orthographe française
    était un dogme ?
  • 17:57 - 18:00
    Quand vous faites une faute,
    on ne juge pas votre orthographe,
  • 18:00 - 18:02
    on vous juge, vous,
  • 18:02 - 18:04
    sur base de votre orthographe.
  • 18:05 - 18:08
    JP : En 1694, dans
    les cahiers préparatoires
  • 18:08 - 18:12
    du tout premier dictionnaire
    de l'Académie Française, il est écrit :
  • 18:13 - 18:17
    « L'orthographe servira à distinguer
    les gens de lettres
  • 18:17 - 18:19
    des ignorants et des simples femmes ».
  • 18:19 - 18:21
    (Cris de surprise)
  • 18:21 - 18:22
    AH : Merci !
  • 18:22 - 18:24
    (Applaudissements)
Title:
La faute de l'orthographe | Arnaud Hoedt et Jérôme Piron | TEDxRennes
Description:

Nous avons été profs de français. Sommés de nous offusquer des fautes d'orthographe, nous avons été pris pour les curés de la langue. Nous avons écrit pour dédramatiser, pour réfléchir ensemble et puis aussi parce que nous avons toujours pensé que l'Académie Française avait un vrai potentiel comique.

« Les deux belges qui veulent simplifier la langue française » : tout est faux dans cette phrase. Pas « simplifier » mais bien faire preuve d'esprit critique, se demander si tout se vaut dans notre orthographe. Pas deux Belges, mais bien deux curieux qui veulent transmettre le travail des linguistes de toute la francophonie, pas même la « langue française », seulement son orthographe. Car l'orthographe, c'est pas la langue, c'est juste le code graphique qui permet de la retranscrire. Passion pour les uns, chemin de croix pour les autres, elle est sacrée pour tous. Et pourtant, il ne s'agit peut-être que d'un énorme malentendu. Arnaud Hoedt et Jérôme Piron sont linguistes de formation. Ils ont vécu 25 ans sans se connaître, mais c’était moins bien. Ils ont ensuite enseigné pendant 15 ans dans la même école. Quand Arnaud participe à la rédaction des programmes de français en Belgique, Jérôme se spécialise en médiation culturelle. En 2016, ils écrivent et mettent en scène le spectacle « La Convivialité », au Théâtre National de Bruxelles. Ce spectacle conférence qui traite de la question du rapport dogmatique à l’orthographe tourne depuis 3 ans dans toute la francophonie. Dans la foulée, ils publient l’ouvrage « La faute de l’orthographe », aux éditions Textuel. Ils se définissent comme suit : « Linguistes dilet(t)antes. Pédagogues en (robe de) chambre. Tentent de corriger le participe passé. Écrivent des trucs. Vrais-Faux Comédiens. Bouffeurs d’Académicien ».

A la question « est-ce que ça se dit ? » , Arnaud et Jérôme répondent invariablement « oui, tu viens de le faire ».

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local
utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment.
En savoir plus : http://ted.com/tedx

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Video Language:
French
Team:
closed TED
Project:
TEDxTalks
Duration:
18:38
  • J'ai remarqué deux oublis :
    - (10:04) Il manque "JP:"
    - (11:26) quelques, avec un s
    Merci :)

French subtitles

Revisions