Que nous apprennent les enfants en crèche ? | Jean-Emmanuel Rodocanachi | TEDxChampsElyseesSalon

L'éducation à la citoyenneté doit et peut se faire à un âge précoce.

Président et co-fondateur du groupe Les Petits Chaperons Rouges (307 crèches, 3 500 salariés, 50 000 familles depuis 2005), entreprise pionnière en France en matière de crèches d'entreprises et de délégations de service public.
Il est également à la tête du Fonds de solidarité pour les enfants, ce fonds de dotation à but non lucratif est dédié au soutien d'idées exemplaires dans le domaine de la petite enfance (santé, langage, handicap ...). Jean-Emmanuel est administrateur de la Caisse Nationale des Allocations Familiales (CNAF), diplômé d'HEC, de l'Institut des Hautes Etudes de Protection Sociale (IHEPS) et de l'Université de la Singularité. Il témoigne régulièrement sur la politique familiale, le retour à l'emploi des femmes, l'égalité professionnelle, la continuité du service public, la protection sociale, l'équilibre des temps de vie et les partenariats public-privé.

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus : http://ted.com/tedx

Bonjour.

Que l'on soit futur parent, jeune parent,
ou même grand-parent,

la petite enfance est un sujet
qui nous tient à cœur à tous.

La petite enfance,
ce sont des enfants de moins de trois ans,

en pleine acquisition de la marche,
du langage,

de la vie en groupe,

des enfants fragiles par définition,

des enfants adorables aussi -
pendant encore quelques années -

et par-dessus tout ils sont
ce que nous avons de plus cher au monde.

Alors est-ce que ces enfants en crèche,

en collectivité,
si on les observe attentivement,

n'ont-ils pas de quelque chose
à nous apprendre

malgré leur grande inexpérience
de la vie ?

A nous apprendre à nous, les adultes,

sur un fonctionnement en collectivité,

sur une socialisation réussie,

sur un vivre-ensemble sans a priori ?

Alors, puisqu'à l'origine de tout,
il y a l'enfant,

regardons de plus près
son incroyable potentiel.

Étude après étude,
recherche après recherche,

on voit bien les bénéfices évidents,

de bon sens,

d'un accueil de qualité

sur le jeune enfant

pour son développement
physique, émotionnel,

et mental, bien évidemment.

On le voit ici avec une étude

de l'Institut du Développement
du Jeune Enfant à Harvard,

qui nous montre que,
dès les premiers mois de la vie,

beaucoup de choses se jouent :

les fonctions essentielles comme la
vue et l'ouïe dès les premiers mois,

le langage dès la première année

et les fonctions cognitives supérieures,
telle que l'empathie par exemple,

dès la deuxième année.

Alors tout n'est pas joué avant trois ans
mais ça en prend sacrément la direction.

Ce que les pédopsychiatres du 20e siècle
avaient imaginé de manière intuitive,

aujourd'hui, les neurosciences,

l'imagerie cérébrale,

nous le prouvent et nous le confirment.

On commence juste à cerner
l'incroyable potentiel

en termes de développement, d'acquisition
et d'apprentissage du jeune enfant

s'il est mis dans de bonnes conditions.

Alors comme l'enfant construit
son monde extérieur,

le vivre ensemble,

avant son monde intérieur,

comment pouvons-nous aujourd'hui
capitaliser sur cette période de la vie,

qui est si particulière

et où les enfants ont cette capacité
à apprendre de manière exponentielle ?

Regardons de plus près
cette image du cortex,

toujours provenant de cet Institut pour le
Développement du Jeune Enfant à Harvard.

On y voit dans la partie supérieure

le cerveau d'un enfant qui est mis dans
de bonnes dispositions pour apprendre,

un milieu favorisé. On voit que le cortex
est vivant, il est riche, il est dense,

le réseau neuronal est au rendez-vous.

Alors que dans l'image du dessous,

un enfant défavorisé, isolé,

dont l'intelligence et l'activité
ne sont pas stimulées,

on a un réseau neuronal

qui pour le coup n'est pas là
où il devrait être.

Et c'est d'autant plus important

que dans le cas d'un enfant
venant d'un milieu défavorisé

si la famille est monoparentale
par exemple,

s'il est fragilisé
dans son environnement, etc.

ce que vous voyez là,

c'est ensuite un retard énorme
pour la suite de sa vie.

On va prendre l'exemple du langage.

Un enfant généralement arrive à l'école
avec mille mots de vocabulaire.

S'il arrive d'un milieu défavorisé,
c'est cinq cents mots.

Un adulte, c'est à peu près 8 000 mots.

Et ces 500 mots de retard
vont le poursuivre toute sa scolarité,

ça va le pénaliser sur l'apprentissage
de la lecture, de l'écriture, notamment.

Et pourtant, il suffirait
de deux mots par jour.

Entre l'acquisition du langage
et l'entrée en maternelle,

avec deux mots par jour, les enfants
arrivent avec 1 500 mots à l'école,

non pas 500, non pas 1 000, mais 1 500.

Vous imaginez : on met
une deuxième locomotive

au lieu de pousser le dernier wagon.

On le voit : le développement
est essentiel sur l'enfant.

Mais repositionnons ce développement
dans le cadre de la crèche.

Qu'est-ce que c'est qu'une crèche,
finalement ?

Contrairement au classement PISA

où la France se traîne à la 25ème place,

en ce qui concerne la petite enfance,

on est plutôt les bons élèves
de la planète.

Et c'est grâce à un écosystème unique
qui a été mis en place en France,

qui met autour de la table,
dans un vrai partenariat public-privé,

les caisses d'allocations familiales,
les gestionnaires,

et les médecins de la protection
maternelle et infantile.

Et finalement ça donne un mode de garde

qui est privilégié par les familles,

puisqu'il est riche pédagogiquement,
puisqu'il permet un juste équilibre

entre les activités de jeu libre
et de temps calme

et les activités plus liées au
développement psychomoteur et de groupe,

des activités dans le jardin,
des activités dans la section,

avec une ergonomie architecturale qui se
prête à l'accueil d'un enfant de cet âge.

Et tout ça, c'est essentiel pour le
développement de la confiance en soi

et de l'estime de soi du jeune enfant.

Surtout, ça ne se fait pas seul :

c'est animé par des professionnels
de la petite enfance diplômés :

des puéricultrices,

des éducatrices de jeunes enfants,
des auxiliaires de puériculture,

qui, ensemble, font vivre
un vrai projet pédagogique,

une cohérence éducative.

Et cette cohérence éducative,
elle se retrouve,

essentiellement,
dans la notion de co-éducation.

Co-éducation, c'est-à-dire accompagner

les familles dans
l'éducation de leur enfant,

ne pas se substituer à elles,

donc finalement contribuer pas à pas
à l'éveil d'une génération.

C'est possible parce que
ces professionnels de la petite enfance

choisissent ce métier par passion,
par engagement.

Et c'est d'autant plus important que

la crèche a aussi une vocation
de cohésion sociale.

C'est un îlot, qui permet de concilier

la vie professionnelle, la vie sociale,

et la vie familiale,
qui est parfois effrénée, erratique.

La crèche, grâce à l'universalité
de son accueil,

permet d'accueillir tout le monde,

quel que soit son milieu,
quel que soit son statut,

à la fois les couples biactifs,
les mères célibataires,

ceux qui ont besoin d'un accueil d'urgence
ou d'une aide pour le retour à l'emploi,

ceux dont les enfants sont porteurs
de handicaps, tous les milieux.

C'est une vrai force du système français,
cette notion de mixité sociale.

Et on le voit bien,
c'est une notion d'inclusion.

Ce n'est pas de la ségrégation

où on pointe du doigt
un groupe à l'extérieur.

Ce n'est pas de l'intégration

où on pointe du doigt
un groupe à l'intérieur.

C'est de l'inclusion,

l'ensemble des enfants sont ensemble,

parce qu'en crèche, on accueille
l'enfant et sa famille

et pas son éventuelle différence.

On le voit, la crèche est un lieu parfait

en termes de sécurité affective
et physique de l'enfant,

mais c'est surtout un lieu d'éveil,

les fameux prémices de l'apprentissage,

parce que n'oublions pas, la crèche est la
première marche avant l'école maternelle.

Mais pour ça, il faut
des places de crèche de qualité.

Il faut que la pérennité économique
de nos crèches vienne nourrir et servir

l'innovation sociale et
l'excellence pédagogique.

Vous le voyez sur ce graphe de James
Heckman, prix Nobel d'économie en 2000,

qui à travers une étude longitudinale
avec l'Université de Chicago,

a suivi pendant 25 ans 1 500 enfants
en crèche venant d'un milieu défavorisé.

Il en arrive à la conclusion que
un dollar investi dans la petite enfance

permet d'économiser 10 dollars
dans la société plus tard :

soutien scolaire, prévention de la
délinquance ou lutte contre la pauvreté.

Un dollar pour 10 dollars.

Donc on voit bien l'immense intérêt
d'un investissement social et éducatif

le plus tôt possible, le plus précocement
possible, dans la petite enfance.

Et pour cela,
il va falloir faire trois choses.

Il va falloir une sacrée vision,

une politique de la petite enfance
pour les années à venir

qui va reposer sur trois éléments :

notre socle pédagogique, les éducateurs,
et les enfants, bien évidemment.

Concernant le socle pédagogique,

vous les connaissez,
vous les reconnaissez,

nos grand pédagogues,
nos grands pédopsychiatres,

qui ont finalement animé
ce qu'on retrouve aujourd'hui

dans les projets éducatifs
et pédagogiques en crèche.

Ce socle est nécessaire
mais il n'est plus suffisant,

il commence à être un peu poussiéreux,

il commence à dater un peu.

Pour vous donner un exemple, Winnicott,

avec sa théorie du doudou chez le jeune
enfant, comme objet transitionnel.

On pourrait parler aussi de Pikler,

avec tous ses travaux de recherche
sur l'activité chez le bébé.

On pourrait parler de Dolto,

qui a d'ailleurs une très belle phrase
sur le vivre-ensemble,

sur le fait de vivre ensemble,
cette notion de groupe :

« Tout groupe humain prend sa richesse

dans la communication,
l'entraide et la solidarité. »

Mais tous ces penseurs-là -

par exemple, Célestin Freinet, qui
est à l'origine de l'Education Nouvelle.

Célestin Freinet, c'était en 1930,
c'était il y a 90 ans.

Est-ce que, finalement, ce socle
pédagogique sur lequel on s'appuie

n'est pas certes nécessaire
mais plus du tout suffisant

pour affronter le monde de demain ?

Ça, c'est la première chose ;
la deuxième chose, ce sont les éducateurs.

La moyenne en crèche, aujourd'hui,
c'est 31 ans, c'est la génération Y.

Je vais raconter l'histoire de Léa.

Léa est en apprentissage pour exercer
le métier d'auxiliaire de puériculture.

Elle est née en février 2000 ;
elle n'a pas connu le 20ème siècle.

Elle a 16 ans,

c'est une enfant du 21ème siècle,
c'est la fameuse génération Z.

Elle veut donner du sens à son engagement.

Des jeunes filles comme Léa,
il y en aura une pour cinq

en 2020 dans les crèches en France.

Et en 2025, une pour quatre.

Est-ce que nous sommes prêts
à les accueillir, à les motiver,

à faire en sorte qu'elles aient
envie d'embrasser cette carrière ?

Qu'est-ce qu'il va falloir
qu'on remette en cause

dans nos méthodes
pédagogiques pour les attirer ?

Cette génération-là, elle veut
des MOOC, du e-learning,

échanger les meilleures pratiques
à travers la planète,

demander comment les Italiens
au niveau de la création artistique

ont su innover autour de la pédagogie
de Reggio, par exemple,

pour l'appliquer en crèche.

Elles veulent comprendre la théorie
du free flow dans les pays nordiques,

qui permet aux enfants de passer librement
du jardin à l'intérieur de la crèche

quel que soit le climat et la journée ;

pourquoi les Canadiens ont mis
en place des espaces Snoezelen,

qui permettent aux enfants finalement
de devenir zen, tout simplement,

et d'avoir de véritables espaces
sensoriels à leur disposition

pendant la journée dans la crèche.

Elle veut comprendre ce qu'il se passe
en termes de multilingue en Allemagne

où les familles, de un an à 6 ans,

vont choisir pour leurs enfants

des sections qui sont Allemand-Anglais,

Allemand-Français et Allemand-Chinois.

Oui, il y a plein de bonnes idées
à aller chercher à travers la planète,

et cette génération-là, elle le souhaite,
elle le demande, elle en veut,

sinon le métier ne sera pas intéressant
pour elle.

Et évidemment,
elle veut de la formation continue,

parce que fini le temps
des cours magistraux en amphi

on obtient un diplôme
puis il ne se passe plus rien derrière.

De la façon dont le monde bouge
avec la révolution digitale,

il est juste essentiel demain

que ces éducateurs puissent avoir au moins
une semaine de formation complète par an

pour se mettre à niveau, pour éveiller
leur curiosité, et ainsi de suite.

Une fois qu'on a parlé des éducateurs, il
faut parler des enfants, bien évidemment.

Préparer les enfants au monde de demain.

Une étude du MIT est passionnante
à ce sujet :

les enfants qui sont en crèche aujourd'hui
seront sur le marché du travail en 2040.

Leur premier job, ce sera 2040.

En 2040,

a priori tous les métiers auront été
disruptés par les nouvelles technologies

et un métier sur deux n'existe pas
encore aujourd'hui.

Certes, il faut continuer
les savoirs fondamentaux,

savoir compter, savoir écrire,
savoir lire,

mais est-ce que c'est suffisant ?

Qu'est-ce qu'il faut donner d'autre
à cette jeunesse

pour qu'elle puisse affronter le monde de
demain dans les meilleures conditions ?

La boîte à outils, le savoir-être
plutôt que le savoir-faire,

l'intelligence situationnelle,
two words a day -

pas deux mots par jour, two words a day,

ce sera une obligation
d'être bilingue à cette époque.

Voilà comment en faire
des citoyens exemplaires :

un maximum d'outils,
faire de la diversité une force.

N'oublions pas que nous serons
9 milliards sur Terre en 2040,

2 milliards de plus qu'aujourd'hui.

Et ça commence en crèche.

Parce que, en crèche, notre mission,

c'est que les enfants soient bien
dans leur tête et bien dans leur temps.

(Musique)

(Vidéo)

(Fin de la musique)

En conclusion,

si nous voulons réparer
le monde des adultes,

inspirons-nous du monde des enfants.

Si nous voulons une société
plus inclusive,

prenons exemple sur l'harmonie
qui existe en crèche,

harmonie qui permet aux enfants
d'être heureux,

aux parents d'être sereins,

aux éducateurs d'être motivés.

Harmonie qui est un subtil équilibre

entre exigence et bienveillance.

Harmonie qui fait de la crèche
un lieu de joie et d'innovation.

Harmonie qui peut et qui doit
nous obliger à déployer cela

après la crèche, sur l'école,
sur le monde de l'entreprise,

sur la vie de tous les jours.

Harmonie qui met la famille au cœur.

Et avec la famille au cœur, demain,

vivre ensemble sera bien évidemment
une évidence.

Mais surtout, il fera bon
grandir tous ensemble.

Merci.

(Applaudissements)