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Mon père, ce faussaire | Sarah Kaminsky | TEDxParis

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    Bonjour.
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    Je suis la fille d'un faussaire.
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    Pas n'importe quel faussaire.
  • 0:26 - 0:29
    Quand on entend « faussaire »,
    on comprend souvent « mercenaire »,
  • 0:29 - 0:33
    on entend « fausse monnaie »,
    on entend « faux tableaux ».
  • 0:33 - 0:35
    Mon père n'est pas de ces hommes-là.
  • 0:35 - 0:39
    Pendant 30 ans de sa vie,
    il a fabriqué des faux papiers,
  • 0:39 - 0:41
    jamais pour lui même,
    toujours pour les autres,
  • 0:41 - 0:45
    et pour venir en aide
    aux persécutés et aux opprimés.
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    Laissez-moi vous le présenter.
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    Voici mon père quand il avait 19 ans.
  • 0:51 - 0:55
    En fait pour lui, tout a commencé
    pendant la Seconde Guerre Mondiale,
  • 0:55 - 0:56
    quand à l'âge de 17 ans,
  • 0:56 - 0:59
    il s'est retrouvé propulsé dans
    un laboratoire de faux papiers.
  • 0:59 - 1:03
    Il est devenu très vite l'expert
    en faux papiers de la résistance.
  • 1:03 - 1:05
    Et là où l'histoire n'est pas banale,
  • 1:05 - 1:09
    c'est qu'après la libération,
    il a continué à faire des faux papiers,
  • 1:09 - 1:12
    jusque dans les années 70.
  • 1:13 - 1:15
    Et moi quand j'étais petite,
  • 1:15 - 1:18
    je ne savais rien de tout ça évidemment.
  • 1:19 - 1:23
    C'est moi, au milieu, qui fait la grimace.
  • 1:23 - 1:25
    J'ai grandi en banlieue parisienne,
  • 1:25 - 1:29
    et, voilà, j'étais la cadette
    d'une famille de trois enfants.
  • 1:29 - 1:32
    Et j'avais un papa « normal »,
    enfin comme les autres,
  • 1:32 - 1:36
    en dehors du fait
    qu'il avait 30 ans de plus que...
  • 1:36 - 1:39
    enfin qu'il avait surtout
    l'âge d'être mon grand-père.
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    En tout cas, il était photographe,
    il était éducateur de rue,
  • 1:42 - 1:46
    et il nous a toujours appris
    à obéir strictement aux lois.
  • 1:46 - 1:48
    Et de sa vie d'avant,
    de quand il était faussaire,
  • 1:48 - 1:50
    évidemment, il n'en parlait jamais.
  • 1:50 - 1:53
    Il y a eu pourtant un épisode
    que je vais vous raconter,
  • 1:53 - 1:56
    qui aurait peut-être pu
    me mettre la puce à l'oreille.
  • 1:56 - 1:58
    J'étais au collège,
    et j'avais eu une mauvaise note,
  • 1:58 - 2:00
    ce qui arrivait plutôt rarement,
  • 2:00 - 2:03
    en tout cas, j'avais décidé
    de la cacher à mes parents.
  • 2:03 - 2:07
    Et pour ce faire, je me suis dit
    que j'allais falsifier leur signature.
  • 2:07 - 2:10
    Je me suis attaquée
    à la signature de ma mère,
  • 2:10 - 2:13
    parce que celle de mon père
    est absolument infalsifiable.
  • 2:13 - 2:16
    Alors, pendant un petit moment,
    j'ai pris des feuilles de brouillon,
  • 2:16 - 2:19
    je me suis entraînée, encore et encore,
  • 2:19 - 2:21
    jusqu'à ce que j'aie le bon coup de main,
  • 2:21 - 2:23
    et je suis passée à l'acte.
  • 2:23 - 2:25
    Un peu plus tard,
    en fouillant dans mon cartable,
  • 2:25 - 2:27
    ma mère est tombée sur la copie,
  • 2:27 - 2:29
    et elle a tout de suite vu
    que la signature était fausse.
  • 2:29 - 2:31
    Je me suis faite engueuler comme jamais,
  • 2:31 - 2:35
    je suis partie me cacher dans ma chambre,
    me cacher sous la couverture,
  • 2:35 - 2:37
    et puis j'attendais que
    mon père rentre du travail,
  • 2:37 - 2:39
    avec on peut le dire,
    beaucoup d'appréhension.
  • 2:39 - 2:40
    Je l'ai entendu rentrer,
  • 2:40 - 2:44
    je suis restée sous les couvertures,
    il est rentré dans ma chambre,
  • 2:44 - 2:45
    il s'est assis sur le coin du lit,
  • 2:45 - 2:46
    et puis il ne disait rien,
  • 2:46 - 2:49
    donc j'ai retiré la tête
    de sous les couvertures,
  • 2:49 - 2:51
    et quand il m'a vue, il a éclaté de rire.
  • 2:51 - 2:54
    Il a éclaté de rire,
    il ne pouvait plus s'arrêter,
  • 2:54 - 2:57
    et puis il avait la copie dans la main,
    et puis il m'a dit : « Mais enfin Sarah,
  • 2:57 - 3:01
    tu aurais pu t'appliquer,
    tu vois bien qu'elle est trop petite ! »
  • 3:01 - 3:03
    Effectivement, elle est un peu petite.
  • 3:07 - 3:08
    Je suis née en Algérie.
  • 3:08 - 3:12
    Là-bas, j'entendais dire que
    mon père était un « moudjahid ».
  • 3:12 - 3:13
    ça veut dire un combattant.
  • 3:14 - 3:16
    Et puis plus tard, en France,
  • 3:16 - 3:18
    j'aimais bien laisser
    traîner mes oreilles
  • 3:18 - 3:20
    pour écouter les conversations des grands,
  • 3:20 - 3:23
    et j'entendais toutes sortes de choses
    sur la vie de mon père d'avant,
  • 3:23 - 3:26
    et j'entendais surtout qu'il avait
    « fait » la Seconde Guerre Mondiale,
  • 3:26 - 3:29
    et qu'il avait « fait »
    la guerre d'Algérie.
  • 3:29 - 3:33
    Et moi dans ma tête, je me disais que
    « faire » la guerre, c'était être soldat.
  • 3:33 - 3:34
    Et connaissant mon père,
  • 3:34 - 3:38
    et [vu] qu'il n'arrêtait pas de dire
    qu'il était pacifiste et non violent,
  • 3:38 - 3:41
    j'avais quand même beaucoup de mal
    à l'imaginer avec un casque et un fusil.
  • 3:41 - 3:43
    Et effectivement, j'étais loin du compte.
  • 3:43 - 3:45
    Un jour, alors que mon père
    constituait un dossier
  • 3:45 - 3:48
    pour qu'on obtienne tous
    la nationalité française,
  • 3:48 - 3:50
    j'ai vu passer des documents
    qui m'ont interpellée.
  • 3:50 - 3:53
    Ça ce sont des vrais !
    Ce sont les miens.
  • 3:53 - 3:54
    Je suis née argentine.
  • 3:54 - 3:56
    Mais le document que j'ai vu passer
  • 3:56 - 3:59
    et qui allait nous aider
    à constituer notre dossier,
  • 3:59 - 4:01
    c'était un document
    qui provenait de l'armée,
  • 4:01 - 4:04
    et qui remerciait mon père,
    pour son travail
  • 4:04 - 4:07
    qu'il avait exécuté
    pour les services secrets.
  • 4:07 - 4:09
    Et donc là, tout à coup,
    je me suis dit : « Wahou !
  • 4:09 - 4:11
    Euh... Mon père un agent secret ? »
  • 4:11 - 4:13
    ça faisait très James Bond, enfin...
  • 4:13 - 4:18
    Et j'ai voulu lui poser des questions,
    auxquelles il n'a pas répondu.
  • 4:18 - 4:22
    Et plus tard, je me suis dit
    quand même qu'un jour,
  • 4:22 - 4:23
    il faudrait que je le questionne.
  • 4:23 - 4:26
    Et puis le temps est passé,
    et je n'ai pas posé de question.
  • 4:26 - 4:29
    Et j'étais moi même
    maman d'un petit garçon,
  • 4:29 - 4:33
    quand je me suis dit qu'il était temps,
    qu'il fallait absolument qu'il nous parle.
  • 4:33 - 4:36
    En fait, je venais d'être maman,
    lui, il fêtait ses 77 ans,
  • 4:36 - 4:38
    et soudain j'ai eu très, très peur.
  • 4:38 - 4:40
    J'ai eu peur qu'il s'en aille,
  • 4:40 - 4:43
    et qu'il emporte avec lui ses silences,
    qu'il emporte avec lui ses secrets.
  • 4:43 - 4:46
    Et j'ai réussi à le convaincre
    qu'il était important pour nous,
  • 4:47 - 4:48
    mais peut-être aussi pour les autres,
  • 4:48 - 4:50
    qu'il fasse partager son histoire.
  • 4:50 - 4:53
    Il s'est décidé à me la raconter,
    et j'en ai fait un livre
  • 4:53 - 4:56
    dont je vous lirai tout à l'heure
    quelques passages.
  • 4:56 - 4:59
    Donc son histoire :
    Mon père est né en Argentine.
  • 4:59 - 5:01
    Il avait des parents d'origine russe.
  • 5:01 - 5:05
    Et toute la famille est venue s'installer
    en France dans les années 30.
  • 5:05 - 5:10
    Ses parents étaient juifs,
    russes, et surtout très pauvres.
  • 5:10 - 5:12
    Donc à l'âge de 14 ans,
    mon père devait travailler.
  • 5:12 - 5:15
    Et avec son unique diplôme,
    le certificat d'études primaires,
  • 5:15 - 5:17
    il s'est trouvé embauché
    dans une teinturerie.
  • 5:17 - 5:20
    Et c'est là qu'il a découvert quelque
    chose d'absolument magique pour lui,
  • 5:21 - 5:23
    et quand il en parle c'est fascinant,
  • 5:23 - 5:26
    c'est la magie de la chimie colorante.
  • 5:26 - 5:28
    À ce moment là, c'était la guerre,
  • 5:28 - 5:30
    et sa mère a été assassinée
    quand il avait 15 ans.
  • 5:30 - 5:35
    Et ça a coïncidé avec ce moment où
    il s'est jeté corps et âme dans la chimie,
  • 5:35 - 5:38
    parce que c'était le seul
    réconfort à sa tristesse.
  • 5:38 - 5:41
    Toute la journée, il posait plein
    de questions à son patron,
  • 5:41 - 5:44
    pour accumuler plus de connaissances,
  • 5:44 - 5:46
    et la nuit, à l'abri des regards,
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    il mettait en pratique
    toutes ses expériences,
  • 5:48 - 5:52
    et il s'est notamment intéressé
    à la décoloration des encres.
  • 5:53 - 5:58
    Tout ça pour vous dire, que
    si mon père est devenu faussaire,
  • 5:58 - 6:00
    en réalité, c'est presque par hasard.
  • 6:00 - 6:02
    Ils étaient donc juifs, et traqués.
  • 6:02 - 6:06
    Finalement toute sa famille a été arrêtée
    et transportée au camp de Drancy,
  • 6:06 - 6:09
    et ils ont réussi à sortir, in extremis,
    grâce à leurs papiers argentins.
  • 6:09 - 6:12
    Seulement, ils étaient dehors,
    mais ils étaient toujours en danger.
  • 6:12 - 6:15
    Il y avait toujours le gros tampon
    « juif » sur leurs papiers.
  • 6:15 - 6:18
    C'est son père qui a décidé
    qu'il leur fallait des faux papiers.
  • 6:18 - 6:21
    Et mon père avait été élevé
    dans un tel respect de la légalité,
  • 6:21 - 6:23
    qu'il avait beau être persécuté,
  • 6:23 - 6:25
    des faux papiers,
    il n'y avait jamais pensé.
  • 6:25 - 6:28
    C'est lui qui s'est rendu au rendez-vous
    avec l'homme de la résistance.
  • 6:28 - 6:30
    À l'époque les papiers étaient cartonnés,
  • 6:30 - 6:32
    ils étaient remplis à la main,
  • 6:32 - 6:34
    et figurait dessus le métier.
  • 6:34 - 6:37
    Il fallait pour qu'il puisse
    survivre, qu'il travaille.
  • 6:37 - 6:40
    Il a demandé à cet homme
    de le mettre « teinturier ».
  • 6:40 - 6:43
    Et soudain l'homme a semblé
    très, très intéressé.
  • 6:43 - 6:47
    « Comment ça teinturier !
    Tu sais retirer les tâches d'encre ? »
  • 6:47 - 6:48
    Évidemment il le savait.
  • 6:48 - 6:52
    Et soudain l'homme lui explique
    qu'en fait toute la résistance
  • 6:52 - 6:53
    a un énorme problème :
  • 6:53 - 6:56
    y compris les experts les plus réputés,
  • 6:56 - 7:00
    n'arrivent pas à effacer
    une encre, dite « indélébile »,
  • 7:00 - 7:02
    l'encre bleue « Waterman ».
  • 7:02 - 7:06
    Et mon père répond du tac-au-tac,
    qu'il sait exactement comment la retirer.
  • 7:06 - 7:10
    Alors évidemment, l'homme, très, très
    impressionné par ce gamin de 17 ans
  • 7:10 - 7:13
    qui lui donne la formule du tac-au-tac,
    l'a évidemment recruté.
  • 7:13 - 7:16
    Et en fait, sans le savoir, mon père
    venait d'inventer quelque chose
  • 7:16 - 7:19
    qu'on trouve aujourd'hui dans
    les trousses de tous les écoliers,
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    j'ai nommé : l'effaceur.
  • 7:23 - 7:27
    (Applaudissements)
  • 7:28 - 7:30
    Mais ce n'était qu'un début.
  • 7:30 - 7:34
    Au fait -c'est mon père, là, toujours-
  • 7:34 - 7:36
    dès son arrivée au laboratoire,
  • 7:36 - 7:37
    bien qu'il était le plus jeune,
  • 7:37 - 7:39
    il a tout de suite vu
    qu'il y avait un problème
  • 7:39 - 7:41
    en termes de fabrication de faux papiers.
  • 7:41 - 7:44
    En fait, tous les mouvements
    se contentaient de falsifier.
  • 7:44 - 7:47
    Seulement, les demandes étaient
    de plus en plus nombreuses,
  • 7:47 - 7:50
    que c'était difficile de bricoler
    des papiers existants.
  • 7:50 - 7:51
    Il s'est dit qu'il fallait fabriquer.
  • 7:51 - 7:54
    Il a lancé l'imprimerie.
    Il a lancé la photogravure.
  • 7:54 - 7:56
    Il s'est mis à reproduire des tampons.
  • 7:56 - 7:58
    Il s'est mis à inventer
    toutes sortes de choses.
  • 7:58 - 8:01
    Avec du matériel, il a inventé
    une centrifugeuse avec une roue de vélo.
  • 8:01 - 8:04
    Enfin tout ça, en tout cas,
    il fallait qu'il le fasse,
  • 8:04 - 8:07
    parce qu'il était absolument
    obnubilé par le rendement.
  • 8:07 - 8:08
    Il avait fait un calcul simple :
  • 8:08 - 8:10
    en 1h, il fabriquait 30 faux papiers.
  • 8:10 - 8:14
    S'il dormait 1h, 30 personnes mourraient.
  • 8:14 - 8:18
    Si bien que, ce sentiment de
    responsabilité de la vie des autres,
  • 8:18 - 8:20
    alors qu'il n'avait que 17 ans,
  • 8:20 - 8:23
    et aussi cette culpabilité
    d'être un survivant,
  • 8:23 - 8:26
    puisqu'il était sorti du camp
    quand ses amis y étaient restés,
  • 8:26 - 8:28
    il l'a gardé toute sa vie.
  • 8:28 - 8:32
    Et c'est peut-être aussi ce qui
    explique, que pendant 30 ans,
  • 8:32 - 8:35
    il ait continué à faire des faux papiers,
  • 8:35 - 8:36
    et au prix de tous les sacrifices.
  • 8:36 - 8:38
    Je voudrais parler des sacrifices,
  • 8:38 - 8:40
    parce que des sacrifices
    il y en a eu plusieurs.
  • 8:40 - 8:42
    Il y a eu évidemment
    des sacrifices financiers,
  • 8:42 - 8:44
    parce qu'il a toujours refusé d'être payé.
  • 8:44 - 8:47
    parce qu'être payé pour lui
    ça voulait dire être mercenaire.
  • 8:47 - 8:49
    Parce que s'il acceptait d'être payé,
  • 8:49 - 8:51
    il ne pourrait plus dire
    « oui » ou « non »,
  • 8:51 - 8:53
    selon si la cause lui
    semblait juste ou pas.
  • 8:53 - 8:57
    Si bien qu'il était photographe le jour,
    faussaire la nuit pendant 30 ans
  • 8:57 - 8:58
    et fauché tout le temps.
  • 8:58 - 9:00
    Et puis, il y a eu des
    sacrifices sentimentaux :
  • 9:00 - 9:03
    comment vivre avec une femme
    tout en ayant autant de secrets ?
  • 9:03 - 9:06
    Comment lui expliquer ce qu'on va
    faire la nuit dans le laboratoire ?
  • 9:06 - 9:08
    toutes les nuits.
  • 9:08 - 9:11
    Évidemment, il y a eu
    un autre type de sacrifice,
  • 9:11 - 9:15
    d'ordre familial, que
    j'ai compris plus tard.
  • 9:15 - 9:18
    Un jour, mon père m'a présenté ma sœur,
  • 9:18 - 9:21
    et d'ailleurs, il m'a expliqué
    que j'avais aussi un frère.
  • 9:21 - 9:27
    Et la première fois que je les ai vus,
    je devais avoir 3-4 ans,
  • 9:27 - 9:30
    et ils en avaient 30 de plus que moi.
  • 9:30 - 9:33
    Aujourd'hui, ils ont
    la soixantaine tous les deux.
  • 9:36 - 9:39
    Pour les besoins de l'écriture du livre,
    j'ai été questionner ma sœur,
  • 9:39 - 9:43
    et j'ai voulu savoir qui était mon père,
    qui était le père qu'elle avait connu ?
  • 9:43 - 9:47
    Elle m'a expliqué
    que ce père là qu'elle avait eu,
  • 9:47 - 9:51
    leur disait qu'il viendrait les chercher
    le dimanche pour les emmener se promener,
  • 9:51 - 9:54
    qu'ils se faisaient tout beaux,
    qu'ils l'attendaient,
  • 9:54 - 9:56
    et qu'il ne venait quasiment jamais.
  • 9:56 - 9:59
    Il disait : « Je vais vous appeler ».
    Il n'appelait pas.
  • 9:59 - 10:01
    Et puis il ne venait pas.
  • 10:01 - 10:04
    Et puis un jour, il a carrément disparu.
  • 10:04 - 10:05
    Et puis le temps passait,
  • 10:05 - 10:09
    et ils se sont dit,
    qu'il les avait sûrement oubliés,
  • 10:09 - 10:10
    dans un premier temps.
  • 10:10 - 10:13
    Et puis comme le temps passait toujours,
    au bout de presque deux ans,
  • 10:13 - 10:17
    ils se sont dit : « Finalement,
    peut-être que notre père est mort ».
  • 10:17 - 10:19
    Et en fait, j'ai compris
  • 10:19 - 10:22
    que le fait de poser toutes
    ces questions à mon père,
  • 10:22 - 10:25
    remuait tout un passé dont il n'avait
    peut-être pas envie de parler,
  • 10:25 - 10:27
    parce que c'était douloureux.
  • 10:27 - 10:31
    Et pendant que ma demi-sœur
    et mon demi-frère se croyaient abandonnés,
  • 10:31 - 10:32
    voire orphelins,
  • 10:32 - 10:34
    mon père faisait des faux papiers.
  • 10:34 - 10:38
    Et s'il ne leur disait pas,
    c'était pour les protéger bien sûr.
  • 10:38 - 10:40
    Après la libération,
    il a fait des faux papiers
  • 10:40 - 10:42
    pour permettre aux rescapés des camps
  • 10:42 - 10:44
    d'émigrer vers la Palestine,
    avant la création d'Israël.
  • 10:44 - 10:47
    Et puis parce qu'il était
    anticolonialiste convaincu,
  • 10:47 - 10:49
    il a fait des faux papiers
    pour les algériens,
  • 10:49 - 10:51
    pendant la guerre d'Algérie.
  • 10:51 - 10:53
    Et puis, après la guerre d'Algérie,
  • 10:53 - 10:56
    au sein des mouvements
    de résistance internationaux,
  • 10:56 - 10:58
    son nom a circulé.
  • 10:58 - 11:00
    Et le monde entier
    est venu frapper à sa porte.
  • 11:00 - 11:03
    En Afrique, il y avait des pays
    qui luttaient pour leur indépendance.
  • 11:03 - 11:07
    La Guinée, la Guinée-Bissau, l'Angola.
  • 11:07 - 11:11
    Et puis mon père s'est lié avec le parti
    anti-apartheid de Nelson Mandela.
  • 11:11 - 11:14
    Il faisait des faux papiers pour
    les sud-africains noirs persécutés.
  • 11:14 - 11:16
    Il y avait aussi l'Amérique latine.
  • 11:16 - 11:19
    Mon père est venu en aide
    aux résistants aux dictatures,
  • 11:19 - 11:21
    de l'Ile Saint-Domingue, d'Haïti,
  • 11:21 - 11:25
    et puis c'était au tour du Brésil,
    de l'Argentine, du Venezuela,
  • 11:25 - 11:29
    du Salvador, du Nicaragua,
    de la Colombie, le Pérou,
  • 11:29 - 11:31
    l'Uruguay, le Chili, et le Mexique.
  • 11:31 - 11:33
    Et puis, c'était aussi
    la guerre du Vietnam.
  • 11:33 - 11:36
    Mon père a fait des faux papiers
    pour les déserteurs Américains,
  • 11:36 - 11:40
    qui ne souhaitaient pas porter
    les armes contre les Vietnamiens.
  • 11:40 - 11:42
    Et puis, l'Europe n'était pas épargnée.
  • 11:42 - 11:45
    Mon père faisait les faux papiers
    pour les dissidents de Franco en Espagne,
  • 11:45 - 11:48
    aussi contre Salazar au Portugal,
  • 11:48 - 11:53
    et aussi contre la dictature
    des colonels en Grèce.
  • 11:53 - 11:54
    Et même en France ;
  • 11:54 - 11:58
    alors, une seule fois,
    ça s'est passé en mai 68.
  • 11:58 - 12:00
    Mon père regardait avec
    bienveillance, évidemment,
  • 12:00 - 12:03
    les manifestations du mois de mai,
  • 12:03 - 12:05
    mais son cœur était ailleurs,
    et son temps aussi,
  • 12:05 - 12:10
    puisqu'il avait plus de 15 pays à servir.
  • 12:10 - 12:13
    Une fois pourtant, il a accepté
    de faire des faux papiers
  • 12:13 - 12:16
    pour quelqu'un que vous allez
    peut-être reconnaître.
  • 12:16 - 12:17
    (Rires)
  • 12:17 - 12:19
    Il était beaucoup plus jeune à l'époque,
  • 12:19 - 12:21
    et mon père a accepté
    de [lui] faire des faux papiers,
  • 12:21 - 12:25
    pour lui permettre de revenir
    prendre la parole à un meeting.
  • 12:25 - 12:27
    Et il m'a dit que ces faux papiers-là,
  • 12:27 - 12:30
    étaient les faux-papiers
    les plus médiatiques
  • 12:30 - 12:32
    et les moins utiles,
    qu'il ait eu à faire de toute sa vie.
  • 12:32 - 12:34
    Mais que s'il a accepté de le faire,
  • 12:34 - 12:37
    bien que la vie de Daniel Cohn-Bendit
    n'était pas en danger,
  • 12:37 - 12:41
    c'était, parce que c'était
    quand même une belle occasion,
  • 12:41 - 12:43
    de faire un pied de nez aux autorités,
  • 12:43 - 12:47
    et de leur montrer qu'il n'y a rien
    de plus poreux que les frontières
  • 12:47 - 12:51
    et que les idées, elles, n'en ont pas.
  • 12:53 - 12:54
    Toute mon enfance,
  • 12:54 - 12:59
    pendant que les autres papas racontaient
    des contes de Grimm à mes copines,
  • 12:59 - 13:03
    mon père me racontait
    des histoires de héros très discrets,
  • 13:03 - 13:06
    avec des utopies inébranlables,
  • 13:06 - 13:08
    et qui arrivaient à
    accomplir des miracles.
  • 13:08 - 13:13
    Et ces héros n'avaient pas besoin
    d'une armée derrière eux,
  • 13:13 - 13:15
    d'ailleurs, personne ne les aurait suivis,
  • 13:15 - 13:18
    sauf une poignée d'hommes et de femmes
    de conviction et de courage.
  • 13:18 - 13:19
    Et j'ai compris plus tard,
  • 13:19 - 13:23
    qu'en fait, c'était sa propre histoire que
    mon père me racontait pour m'endormir.
  • 13:23 - 13:26
    Je lui ai demandé, si, au vu
    des sacrifices qu'il avait dû faire,
  • 13:26 - 13:28
    il lui était déjà arrivé de regretter.
  • 13:28 - 13:29
    Il m'a dit que non.
  • 13:29 - 13:32
    Il m'a dit qu'il aurait
    de toute façon été incapable
  • 13:32 - 13:35
    de regarder ou de subir
    les injustices sans rien faire.
  • 13:35 - 13:38
    Et qu'il était persuadé,
    et qu'il en reste convaincu,
  • 13:38 - 13:40
    qu'un autre monde est possible,
  • 13:40 - 13:43
    un monde où plus personne
    n'aurait besoin d'un faussaire.
  • 13:43 - 13:45
    Il en rêve encore.
  • 13:45 - 13:49
    Mon père, est aujourd'hui dans la salle.
  • 13:49 - 13:52
    Il s'appelle Adolfo Kaminsky,
    et je vais lui demander de se lever.
  • 13:52 - 14:10
    (Applaudissements)
  • 14:10 - 14:11
    Merci.
  • 14:11 - 14:14
    (Applaudissements)
  • 14:14 - 14:15
    Merci.
  • 14:15 - 14:18
    (Applaudissements)
  • 14:18 - 14:20
    Reste, reste, reste.
  • 14:20 - 14:23
    (Applaudissements)
  • 14:23 - 14:38
    (Acclamations)
  • 14:38 - 14:41
    Merci beaucoup.
Title:
Mon père, ce faussaire | Sarah Kaminsky | TEDxParis
Description:

Sarah Kaminsky raconte l'histoire extraordinaire de son père Adolfo et de ses exploits durant la Seconde Guerre Mondiale -- usant de son ingéniosité et de son talent pour faire des faux papiers et sauver des vies.

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Video Language:
French
Team:
closed TED
Project:
TEDxTalks
Duration:
14:46
  • Bonsoir,

    je vous renvoie votre traduction car elle ne respecte pas la règle de 42 caractères par lignes de sous-titres. 161 lignes sont dans ce cas.

    Il faut aussi remplacer les " par « et ».

    Merci de jeter un œil aux recommandations :
    http://www.ted.com/participate/translate/guidelines

    Bonne soirée
    Eric

French subtitles

Revisions