Le plaisir du débat citoyen sur le climat | Yves Mathieu | TEDxLaRochelle

Une humanité de 10 milliards d’individus peut-elle être démocratique ? Sans hésiter : oui. Le débat citoyen planétaire sur le climat et l’énergie du 6 juin 2015 est un fab’lab de cette démocratie planétaire à réinventer.

Cela demande de repenser le modèle dans lequel nous fonctionnons, hérité du milieu du 18e siècle. La « présomption de compétence » de chacun et chacune, la confiance, le tirage au sort, le plaisir démocratique, la fraternité sont quelques ingrédients du cadre qui pourrait être partagé. Le débat citoyen planétaire sur le climat et l’énergie du 6 juin 2015 est un fab’lab de cette démocratie planétaire à réinventer.

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus : http: //ted. com/tedx

Dimanche 20 mars 1983.

J'ai 21 ans.

Je viens d'effectuer un trajet
en train de deux heures et demie

entre mes Ardennes natales
en Belgique et Bruxelles.

Je suis à l'université.

Avec des centaines d'autres étudiants,
nous sortons du train.

Il est 22h30.

Nous sortons de la gare.

Il pleut, il fait froid.

Il faut une demi-heure de bus
pour arriver à l'université.

Un bus nous attend à l'arrêt -
nous le pensons - nous nous précipitons.

Le chauffeur nous voit, il ferme
ses portes, et part devant notre nez

sans prendre aucun d'entre nous à bord.

Nous attendrons à l'arrêt plus
d'une demi-heure le bus suivant,

annoncé pourtant quinze minutes plus tard,

et tous ne pourront pas monter à bord.

Ça peut vous paraître anecdotique,

mais ce soir-là,

j'ai décidé de consacrer mon énergie

à reconnecter ceux qui font les services
publics et les politiques publiques

et les citoyens ordinaires,
c'est-à-dire nous.

Et dans les quinze ans qui vont suivre,

tous les dirigeants de sociétés de
transport public de Belgique et d'Europe

collaboreront avec moi pour que ces
situations que j'ai vécues pendant 4 ans

ne se reproduisent pas,
ou se reproduisent moins.

Il y a encore du travail.

Début décembre 2015,

les chefs d'État du monde entier

vont se retrouver à Paris pour la COP 21,

la grande négociation
pour le climat et l'énergie.

196 gouvernements du monde négocient

un accord qui nous concerne
toutes et tous,

qui va définir la trajectoire de
l'Humanité pour les 100 prochaines années.

Ils sont travaillés au corps

par des milliers d'organisations
défendant des points de vue.

Certains pour qu'on puisse aller
jusqu'à la dernière goutte de pétrole.

D'autres pour qu'on mette un prix sur
le carbone pour accélérer la transition.

Certains disant qu'il vaut mieux
ne pas mettre de prix sur le carbone

pour justement laisser faire le marché.

Mais vous, nous, les citoyens du monde,

avons-nous été invités
à la table des négociations ?

Non.

Et ce qui est vrai pour le climat
est vrai pour l'éducation,

est vrai pour la paix, pour la guerre,
pour le commerce, pour la santé.

Pourquoi cette déconnexion
entre les gouvernements et nous ?

Pourquoi les gouvernements vont-ils
même jusqu'à se convaincre

que nous ne sommes pas intéressés par
les décisions qui nous concernent tous ?

Une explication peut-être, c'est que
ce système dans lequel nous fonctionnons

a été pensé, conçu,
il y a trois cents ans maintenant.

Il y a quinze générations

entre nous et ceux et celles qui
ont imaginé, pensé, ce système

qui fonctionne sur les élections,
la représentation du peuple par des élus,

des discussions entre des États, sans
que jamais les citoyens n'interviennent.

Et vous ?

Vous avez le sentiment de vivre
encore au milieu du 18e siècle ?

Moi non plus.

Alors aujourd'hui,

nous sommes toutes et tous
connectés, informés.

Nous avons des choses à dire,
nous les disons.

Nous avons envie d'être partie prenante
des solutions qui nous concernent.

Il est temps d'écrire une nouvelle page.

Nous sommes le 6 juin 2015.

Les îles Fidji, le Pacifique.

Le soleil est déjà haut sur l'horizon.

50 hommes et 50 femmes vont se retrouver,

de tous âges, de toutes conditions,

et pendant une journée entière,

ces cent personnes
vont débattre entre elles,

vont échanger des arguments,
vont s'écouter,

et vont prendre la place de négociateurs.

comme si elles étaient à Paris
en décembre prochain.

Elles vont consacrer cette journée
à répondre à 34 questions

et à exprimer leur point de vue citoyen
sur ce qui devrait être décidé

à Paris en décembre.

Avant de se retrouver dans cet endroit,

elles ont reçu une semaine auparavant
un document de 40 pages

qui leur explique les positions
des différents États.

Quatre heures plus tard,

il est 13h aux Fidji,

il est 9 heures à Tokyo, au Japon,

cent personnes se retrouvent

et vont vivre la même journée,

discuter des 34 mêmes questions,

donner leur avis
sur la conférence climat de Paris.

Et ce rituel va se reproduire 96 fois

dans 76 pays tout au long
de cette journée,

sur chacun des fuseaux horaires
ou presque.

La journée se terminera en Arizona,
à Phoenix, aux États-Unis,

à 3 heures du matin pour nous,
heure de Paris.

Et depuis le lendemain -

C'est la première fois qu'un débat
associant 10 000 citoyens non experts

a été organisé en une journée,

qu'une délibération citoyenne
a été organisée comme cela.

Aujourd'hui, on a le point de vue
des citoyens du monde

sur ce qui devrait être décidé à Paris.

Et depuis le 7 juin,
le lendemain du Débat,

les 120 organisateurs

qui ont chacun organisé un débat
au niveau local et au niveau global

poussent les résultats auprès des
journalistes, des gouvernements,

auprès des décideurs de la COP 21,

pour que le point de vue des citoyens
ait une chance d'être entendu

et pris en compte dans les décisions
qui seront prises à Paris en décembre.

Mais qu'ont dit
ces 10 000 citoyens du monde ?

Les résultats sont sur le site Internet ;
je vais en reprendre cinq.

Le premier.

Qu'ils soient des îles,
des continents, du Sud, du Nord,

les citoyens du monde
se sont exprimés d'une seule voix :

à 70, 80, 90 %,
les réponses sont convergentes.

Une conscience citoyenne planétaire
est en train d'émerger.

Les citoyens sont complètement sortis

de la logique de blocs
s'opposant les uns aux autres

dans lesquelles la négociation de Paris
est encore enfermée aujourd'hui.

La deuxième chose qu'ils disent,
c'est que, quoi qu'il en coûte,

il faut prendre des décisions
qui vont limiter

la hausse moyenne des températures
à 2 degrés à la fin de ce siècle.

Aujourd'hui,

les engagements pris
par les 196 gouvernements

conduisent à plus de 3°C de hausse moyenne
des températures à la fin du siècle.

3e chose que les citoyens disent :
lutter contre le changement climatique,

ce n'est pas une menace,
c'est une opportunité

pour la qualité de vie, pour votre
qualité de vie, à chacun et à chacune.

Ils ont compris

que notre mode de vie actuel, le mode de
consommation dans lequel nous sommes,

conduit au gouffre,

à des inégalités insupportables.

Et aujourd'hui,

il y a une place pour un nouveau
projet politique global

au sens de la construction
de la cité de l'Humanité.

À Paris, on discute de tuyauterie

et de quantité de gaz à effet de serre
à émettre dans l'atmosphère,

pas de projet politique.

4e enseignement : à la question

« Quel instrument utiliser en priorité
pour réussir cette transition ? »,

les citoyens disent :
« Mais l'éducation ! »

Si on veut réussir cette transition

à sept, huit, neuf, dix
milliards d'humains,

il faut partager les connaissances,
il faut être éduqué.

À Paris, on discute d'argent
et de technologie.

Et enfin quand on leur demande :
« Qui va réussir cette transition ? »,

« Qui va réussir l'entrée
dans ce monde de demain ? »,

massivement, ils disent : « Nous !
Vous ! Les citoyens, la société civile. »

Les gouvernements nationaux,

régionaux,

le secteur privé,
sont au service des citoyens.

Savez-vous que dans les 53 pages
du texte préparatif de l'Accord de Paris,

le mot « citoyen » n'est pas mentionné
une seule fois ?

Le 6 juin,

avec mes collègues et l'équipe,
nous étions au quartier général du Débat.

Nous avions des écrans

et nous avions les images
qui nous venaient du monde entier

au fur et à mesure des fuseaux horaires.

Je vais partager avec vous
quelques-unes de ces images.

Nous communiquions avec les organisateurs,
les participants.

Les premières images ont été celles
qui nous sont arrivées des îles Fidji.

Le Débat était déjà bien engagé.

Et puis nous avons tourné
autour de la Terre.

Nous sommes passés
au Japon, en Chine, au Népal.

Cette jeune Népalaise nous a raconté

que, sur les 105 personnes inscrites
au Débat au Népal, 104 sont venues -

c'était 25 jours après le second
tremblement de terre

qui était une tragédie pour ce pays.

Pour les Népalais,

c'est essentiel d'être là présents
dans ce débat pour parler du monde

et sortir de la tragédie.

Le groupe chinois.

Nous allons en Afghanistan, à Kaboul.

Cinquante hommes, 50 femmes,

à Kaboul, réunis pour parler des enjeux
climatiques de la conférence de Paris.

Batul nous dit, comme
d'autres nous ont dit : « Enfin !

Vous invitez et réunissez des Afghans

pour parler d'autre chose
que de la guerre civile.

Nous, Afghans, vous nous associez

aux discussions sur l'avenir
de la planète. C'est génial ! »

Continuons le tour du monde.

Après l'Afghanistan,
nous allons arriver en Iran.

150 personnes à Téhéran pour débattre.

Une vingtaine de débats
se sont passés en Europe.

Nous sommes en Palestine ici.

Une vingtaine de débats en Europe ;
voilà le Débat italien.

Franchissons la Méditerranée.

Maimouna a organisé
le Débat en Mauritanie.

Le Débat s'est tenu dans une tente
traditionnelle au bord du désert.

Le Sénégal.

Nous allons franchir l'Atlantique.

Le Brésil.

Et enfin le Débat se termine
à Phoenix, en Arizona.

J'ai parlé des résultats
mais il s'est passé autre chose.

Des participants nous ont parlé
du bonheur qu'ils ont ressenti

à être avec des inconnus, des personnes
choisies au hasard comme elles,

recrutées sur les marchés,

à pouvoir échanger, argumenter,

sans qu'il y ait de tensions
sur des enjeux planétaires,

avec ces autres personnes qui étaient là

et à passer cette journée
à discuter de l'avenir du monde.

Ils ont parlé de ce qui pourrait être vu
comme un véritable bonheur démocratique.

D'autres ont parlé de la fraternité
ressentie vis-à-vis des autres personnes,

du groupe et des autres groupes

avec lesquels il était en contact
tout au long de cette journée.

Aïssata est une jeune femme américaine.

Elle vit à New York aujourd'hui ;
elle a participé au Débat de Minneapolis.

Elle a 24 ans.

Il y a quelques semaines,

je lui ai proposé de monter sur scène
lors d'une réunion

à Washington, à l'ambassade française,

une réunion de discussions avec des
experts, des négociateurs de la COP 21.

Je l'ai invitée à monter sur scène.

Elle m'a dit :

« Mais moi, je n'ai rien à leur dire,
je ne suis pas une experte. »

Je lui ai dit : « Mais si, Aïssata,
tu as participé au Débat,

tu es une citoyenne du monde,

tu sais ce qu'il faut leur dire. Vas-y. »

Aïssata a réfléchi très vite.

Au bout de cinq minutes,
elle m'a dit : « D'accord, j'y vais. »

Et dans l'hémicycle de l'ambassade
française à Washington,

elle est montée sur scène

et elle a parlé à ces cent experts pour
leur donner son point de vue à elle.

Elle leur a dit que pour elle,
citoyenne du monde,

cette transition vers le monde de demain
ne pourrait se faire qu'avec les artistes.

Et c'est vrai.

Si on doit changer de société,

les artistes sont essentiels
pour faire ce changement de société.

Et ce qu'il s'est passé avec Aïssata

est quelque chose
d'absolument merveilleux.

Aïssata, c'est nous, c'est vous,
c'est vous, c'est vous, c'est vous.

Aïssata,

en participant à ce débat citoyen,
a totalement changé sa perception.

Elle a compris qu'elle avait une capacité
d'agir pour l'avenir du monde.

Et si nous voulons qu'un changement
de conscience planétaire s'opère,

ça va passer par des changements
de conscience individuelle

comme celui qu'Aïssata a vécu.

Le 6 juin,

dans ce quartier général du Débat,

une des personnes présentes
se tourne vers moi et dit : « Yves,

si tu fais un Débat
comme celui-là tous les jours,

avec dix mille citoyens
du monde tirés au sort,

il va te falloir 1907 ans,
dix mois et sept jours

pour que l'ensemble de l'humanité
puisse y participer. »

Je ne pense pas qu'il va falloir
attendre aussi longtemps.

2050 ?

2040 ?

Ce que je sais, c'est que
je mets toute mon énergie

pour vivre dans ce monde-là,

dans ce monde où chacun
d'entre nous sera associé

aux décisions qui nous concernent.

Et je vous invite à partager
ce rêve avec moi.

Vous allez me dire :
« Que peut-on faire ? »

Par exemple,

vous pouvez décider de voter
pour des candidats qui s'engagent

à des modes de décision participatifs.

Par exemple, vous pouvez vous engager
dans un collectif comme « Ma voix »

qui a l'intention d'envoyer
des citoyens tirés au sort

à l'Assemblée nationale
lors des élections législatives de 2017.

Vous pouvez, vous, organiser des débats
dans votre quartier, dans votre village,

dans votre ville,

en invitant les décideurs.

Vous pouvez vous engager
comme candidat aux élections.

Si on imagine que la Terre est
aujourd'hui un désert démocratique,

je vous invite à construire avec moi
des oasis dans ce désert,

à les étendre progressivement,

à les interconnecter,

pour qu'on arrive à ce que la planète
entière devienne une oasis démocratique

dans laquelle chaque habitant
et chaque habitante aura sa place.

Merci.

(Applaudissements)