Comment se servir de la technologie pour mieux profiter de son temps I Tristan Harris I TEDx Brussels

Cette présentation a été faite lors d'un événement TEDx local, produit indépendamment des conférences TED.

Combien de fois sommes-nous distraits par la technologie ? Que ce soit au travail ou en dehors, nous sommes constamment interrompus par des notifications sonores ou visuelles - et au lieu de nous aider à être productifs - il semble que la technologie nous fasse souvent perdre notre temps. L'expert en technologie, Tristan Harris, nous offre sa vision et ses suggestions pour la création d'une technologie permettant d'être plus productif. Il pose la question suivante : « A quoi ressemblera l'avenir de la technologie si on la conçoit simplement pour améliorer l'avenir de l’humanité? »

Bonjour!

Comment faire bon usage de son temps ?

Je passe beaucoup de temps

à penser à ma façon de passer le temps.

Probablement trop.
Est-ce une obsession ?

Mes amis disent que oui.

Mais je trouve que c'est essentiel,

car j'ai souvent l'impression
de perdre mon temps,

et par conséquent,

j'ai le sentiment que des petits
bouts de ma vie s'échappent.

Plus concrètement,

j'ai ce ressenti particulier

lors de certaines activités.

Notamment avec la technologie.

Par exemple :

lors de la réception d'un email -

je suis certain que vous
reconnaissez ce type de mail :

on vous a tagué dans une photo.

Lorsque le message apparaît,

je dois cliquer dessus.

Pourquoi ? Eh bien...
Et si c'était une mauvaise photo ?

Donc je clique dessus tout de suite.

Mais je ne vais pas
juste cliquer sur la photo ;

en fait, je vais passer
vingt minutes sur le site.

(Rires)

Le pire, c'est que je réalise
ce qui est en train d'arriver,

et malgré cela,

je ne peux pas m'empêcher
de recommencer.

Ou alors, je me trouve
dans une autre situation,

je vérifie mon mail,
et là, je rafraîchis la page,

mais 60 secondes plus tard,

je la rafraîchis à nouveau.

Pour quelle raison ?

Cela n'a aucun sens.

Je vais vous donner un indice
pour comprendre ce comportement.

A votre avis, quelle industrie
aux États-Unis rapporte plus

que le cinéma, les parcs d'attraction
et le base-ball réunis ?

Les machines à sous.

Comment les machines à sous
peuvent-elles rapporter si gros

alors que les joueurs utilisent
de petites quantités d'argent ?

Ils jouent avec des pièces.

Donc, comment est-ce possible ?

Eh bien, c'est simple :

mon portable est une machine à sous.

Chaque fois que je consulte
ce petit écran,

je joue à la machine à sous,

pour vérifier mon gain.

Ainsi au jour le jour,

chaque fois que je vérifie mon email,

je joue à la machine à sous

et j'anticipe une récompense.

Quand je fais défiler le fil d'actualités,

je joue à la machine à sous.

Cela traduit une dépendance.

Non ?

Le pire, c'est que

je sais très bien
comment ça marche,

je connais le cheminement
psychologique derrière.

Je sais ce qui se passe -

mais je n'ai pas le choix,

je n'arrive pas à décrocher.

Quelle solution apporter

à cette relation de dépendance

avec la technologie ?

Soit vous êtes en ligne,

vous êtes connecté
et distrait tout le temps,

or alors vous vous déconnectez,

mais vous risquez de rater

quelque chose d'important.

En conclusion,

soit vous êtes distrait,

soit vous avez le sentiment
de passer à côté de l'essentiel.

Non ?

Nous devons donc restaurer les priorités.

Notre relation avec la technologie

doit nous permettre de choisir
comment prioriser notre temps,

et nous avons besoin de l'aide
des acteurs de la technologie

car une prise de conscience seule
n'est pas suffisante.

Il faut le support de professionnels.

A quoi peut-on s'attendre ?

Prenons un exemple :

le chat - la messagerie instantanée.

Prenons deux personnes,

Nancy sur l'écran à gauche
travaille sur un document

et John est sur l'écran à droite.

Soudain, John se souvient

qu'il doit demander à Nancy
de lui faire parvenir le document.

Alors il lui envoie un message,

la notification la déconcentre.

Ceci est un exemple typique :

nous détournons sans cesse
l'attention des uns et des autres.

Et cela a un coût,

car pour chaque interruption,

il faut en moyenne 23 min

pour se reconcentrer.

En cas d'interruption,
nous repassons sur différents projets

avant de revenir à ce que
nous faisions au depart.

Des études de la société Microsoft
et de l'universitaire Gloria Mark

prouvent tout ça.

Ces études montrent aussi
que l'on prend de mauvaises habitudes.

Plus on connaît d'interruptions,

et plus on s'habitue à être interrompu.

On finit par se déconcentrer tout seul
toutes les trois minutes et demi.

C'est de la folie.

Quelle est la solution ?

Vu que Nancy et John sont
dans cette relation de dépendance,

Nancy pourrait se déconnecter,

Mais elle va s'inquiéter :

« Et si je ratais un truc important ? »

Les professionnels ont trouvé la solution.

Reprenons nos deux collègues :

Nancy et John,

et John se souvient qu'il doit
envoyer un document à Nancy

sauf que cette fois,

Nancy signale sa non-disponibilité.

Elle fait glisser un curseur

et l'ajuste sur une durée de 30 minutes.

Son statut en ligne est « occupé ».

Ainsi lorsque John veut
la contacter,

qu'il veut absolument lui envoyer

le message dans l'instant

avant qu'il n'oublie,

cette fois,

l'envoi du message est différé
pour ne pas interrompre Nancy

et John n'a pas besoin
de penser à l'envoyer plus tard.

Pour que ce système fonctionne,

Nancy doit savoir qu'en cas de priorité,

John pourra la contacter tout de suite.

Ainsi au lieu d'avoir constamment
un flux d'interférences futiles,

on crée des interruptions délibérées.

Donc on atteint deux objectifs :

Nancy et de John
ont plus de choix ;

et on a aussi accompli
quelque chose de plus subtil.

On a abordé le problème
de façon différente.

L'objectif final n'est plus

l'envoi facile d'un message instantané,

même si la vocation du chat

est d'envoyer un message
facilement à quelqu'un.

Nous avons transcendé cet objectif

et amélioré au maximum
la qualité de la communication

entre deux êtres humains.

Notre objectif a atteint
une valeur supérieure.

Mais les professionnels
se soucient-ils vraiment de cela ?

Souhaitons-nous tenir compte
des valeurs humaines ?

J'ai une anecdote.

Il y a un an,

un peu plus d'un an,

j'ai participé à l'organisation
d'une réunion

entre les meilleurs professionnels
de la technologie et Thich Nhat Han,

expert mondial de la méditation
axée sur la pleine conscience.

Ce fut une réunion extraordinaire.

Imaginez une salle,

avec des informaticiens d'un côté ;

et de l'autre côté,

des moines bouddhistes
en robe de bure.

Les questions abordées couvraient
des thèmes éthiques,

comme l'évolution de la technologie

pour résoudre les questions
les plus complexes

tout en respectant
les valeurs humaines.

Et nos conversations
se sont focalisées

sur ces valeurs humaines.

Thich a plaisanté et demandé

si nous pouvions remplacer
le correcteur d'ortographe

par un correcteur de sentiments

permettant de surligner les mots
à connotation agressive,

pouvant être mal compris.

Ces réflexions sont-elles idéalistes

ou bien applicables dans la réalité ?

On peut les concrétiser.

Un des meilleurs exemples est
la société Couchsurfing.

Couchsurfing, c'est au départ un site web

qui met en relation des personnes
cherchant un logement chez l'habitant

temporaire et gratuit.

Donc c'est un service utile !

A votre avis,

quelle était l'idée des
créateurs de Couchsurfing ?

La réponse qui vient à l'esprit est :
mettre en relation hôtes et voyageurs.

Non ?

C'est un objectif logique.

Mais si on creusait un peu,

le message de base

pour découvrir sa vraie raison d'être ?

Couchsurfing s'est donné le but suivant :

créer des expériences et
des relations conviviales et durables

entre des personnes qui ne
se sont jamais rencontrées.

Ce qui est génial,
c'est qu'en 2007

la société a même trouvé un moyen

de mesurer cet objectif.

Je vais vous expliquer.

Quand on définit un objectif,

il faut pouvoir le mesurer

pour bien gérer son projet

et mesurer son succès.

Couchsurfing l'a fait.

Ils calculent les jours et les heures

que les hôtes et visiteurs
passent ensemble ;

et ils affinent cette analyse
dans le plus grand détail.

La société mesure ainsi
le temps exact des rencontres.

Suite aux rencontres,

le service client analyse

les niveaux de satisfaction,

et les avis des deux personnes.

La société soustrait donc
de ce temps positif

le temps que les gens
ont passé sur le site,

parce que ce temps a un coût.

Pourquoi est-ce un succès ?

Couchsurfing a créé un indicateur

appelé le « taux net de convivialité »

ou le « taux de bons moments ».

Sans Couchsurfing, ces heures
n'auraient pas existé.

Imaginez comme ça doit
être satisfaisant

de mesurer son
succès professionnel

par rapport aux moments positifs
créés dans la vie des gens.

Moments qui n'auraient pas existé

sans le travail que
vous effectuez tous les jours.

Imaginez un monde qui fonctionnerait
entièrement ainsi.

Si vous êtes passionné de cuisine,

votre réseau social préféré

afficherait seulement
vos dîners les plus réussis

et vos articles culinaires favoris,

tout en supprimant

vos recherches web non pertinentes.

Prenons un réseau social professionnel

qui au lieu de mesurer
le nombre de vos connexions

ou de messages envoyés

calculerait le ratio entre
le temps passé sur le site web

par ses membres

et le nombre d'offres d'emploi reçues.

On pourrait appliquer ce concept

aux sites de rencontre comme Tinder

et ne pas s'arrêter aux pourcentages
de profils qui ont plu ou non,

mais aussi mesurer

le nombre de vraies relations créées,

quelle qu'en soit la définition.

Peut-on vraiment concevoir
un système permettant

de bien passer son temps ?

Pour cela, il faut innover.

Vous pensez certainement

qu'à l’ère d'internet,

et dans l'économie actuelle,

le temps est une valeur clé.

Plus un site a de visiteurs,

plus il est fréquenté,

plus on y passe du temps,

mieux c'est.

Or, il y a différentes échelles de valeur.

Exemple : avec tout ce qui est bio,

on a mis l'accent
sur d'autres éléments.

Le bio permet de manger autrement,

donc il n'y a pas que
l'aspect financier,

le produit lui-même est différent.

Dans l'industrie du bâtiment,
la certification Leed

a permis de créer
des constructions

en respectant l'environnement.

Nous pourrions faire la même chose
avec la technologie

dans le but final

de créer une contribution nette
et positive vis-à-vis de l'humanité.

Nous pourrions mesurer
le succès de notre projet

de façon différente.

On vendrait ces nouvelles applications
classées premium dans l'Apple Store,

et les internautes navigueraient
automatiquement

vers ces technologies innovantes.

Ne serait-ce pas excitant
d'inventer ce monde et d'y vivre ?

Nous pouvons créer ce monde aujourd'hui.

Je m'adresse aux créateurs de sociétés,

tout ce que vous avez à faire
est de créer un indicateur

de contribution positive nette
vis-à-vis de l'humanité,

et d'avoir un débat
honnête à ce sujet.

Ce sera difficile au début,

mais ce n'est que le commencement.

Quant aux concepteurs de produits,
vous pouvez redéfinir vos objectifs,

votre métier vous donne
une longueur d'avance

pour inventer des produits
que nous allons tous adopter.

Dans le domaine médical,

le serment d'Hippocrate,

base éthique de la profession,
rappelle la responsabilité

envers le patient.

Il faudrait une
approche similaire

pour les produits technologiques,

Et les consommateurs

devraient être plus exigeants.

Cela semble compliqué,

mais même McDonald's propose des salades
depuis que le consommateur en a demandé,

et les supermarchés Walmart
se sont mis aux produits bio.

Le consommateur doit exiger
une nouvelle forme de technologie.

Nous avons ce pouvoir.

Cela signifie

passer d'un monde
frustré par le temps qui passe

à un monde

où le temps est bien utilisé.

Je veux vivre dans ce monde,

et je veux que cette discussion ait lieu.

Il s'agit d'une priorité !

Merci.

(Applaudissements)