Le fils d'un père difficile
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0:01 - 0:03Ceci est la photo
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0:03 - 0:05d'un homme que,
pendant plusieurs années, -
0:05 - 0:09j'ai cherché à tuer.
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0:09 - 0:12C'est mon père,
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0:12 - 0:16Clinton George « Bageye » Grant.
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0:16 - 0:18Il s'appelle Bageye parce qu'il a
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0:18 - 0:22toujours des poches sous les yeux.
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0:22 - 0:25Quand j'avais 10 ans,
avec mes frères et sœurs, -
0:25 - 0:29je rêvais de gratter le poison
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0:29 - 0:33du papier tue-mouches dans son café,
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0:33 - 0:35broyer du verre et en saupoudrer
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0:35 - 0:38sur son petit déjeuner,
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0:38 - 0:40décoller le tapis des escaliers
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0:40 - 0:43pour qu'il trébuche et se casse le cou.
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0:43 - 0:45Mais le jour venu,
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0:45 - 0:47il évitait toujours cette marche décollée,
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0:47 - 0:49il quittait toujours la maison
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0:49 - 0:51sans vraiment boire son café
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0:51 - 0:54ou manger quelque chose.
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0:54 - 0:55Et donc pendant des années,
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0:55 - 0:57j'avais peur que mon père meurt
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0:57 - 0:59avant que j'ai la chance de le tuer.
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0:59 - 1:04(Rires)
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1:04 - 1:07Jusqu'à ce que notre mère
lui demande de partir -
1:07 - 1:08et de ne plus revenir,
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1:08 - 1:13Bageye avait été un ogre terrifiant.
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1:13 - 1:16Il était toujours sur le point
de se mettre en colère -
1:16 - 1:20comme moi, comme vous pouvez le voir.
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1:20 - 1:23Il travaillait la nuit au Vauxhall
Motors à Luton -
1:23 - 1:26et demandait un silence
total dans la maison. -
1:26 - 1:29Donc quand nous rentrions de l'école
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1:29 - 1:31à 15h30, nous nous rassemblions
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1:31 - 1:34devant la télévision,
et comme des cambrioleurs -
1:34 - 1:37nous tripotions le bouton du volume
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1:37 - 1:40sur la télévision afin que
ça soit presque inaudible. -
1:40 - 1:42Parfois, quand nous étions comme ça,
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1:42 - 1:44en répétant « chuuut » tellement souvent
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1:44 - 1:46dans la maison
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1:46 - 1:48que je nous imaginais être
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1:48 - 1:52l'équipage allemand d'un sous-marin
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1:52 - 1:54se déplaçant au fond de l'océan
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1:54 - 1:56pendant qu'au-dessus, à la surface,
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1:56 - 2:00HMS Bageye patrouillait,
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2:00 - 2:02prêt à larguer des charges mortelles
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2:02 - 2:06au premier son d'un quelconque faux pas.
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2:06 - 2:08Donc cette leçon était une leçon de
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2:08 - 2:10« N'attire pas
l'attention sur toi, -
2:10 - 2:12que tu sois à la maison ou dehors. »
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2:12 - 2:15Peut-être que c'est une leçon de migrants.
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2:15 - 2:18On devait passer inaperçus,
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2:18 - 2:20donc il n'y avait pas de communication,
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2:20 - 2:23entre Bageye et nous, et réciproquement
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2:23 - 2:26et le son que nous attendions le plus
était, vous savez -
2:26 - 2:27quand on est enfant et qu'on veut
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2:27 - 2:29que notre père rentre à la maison
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2:29 - 2:31et que tout aille bien,
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2:31 - 2:33qu'on attend le bruit de la porte.
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2:33 - 2:35Eh bien nous,
nous attendions le bruit -
2:35 - 2:36de la porte qui se ferme,
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2:36 - 2:40ce qui voulait dire qu'il était parti et
ne reviendrait pas. -
2:40 - 2:44Donc pendant 30 ans,
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2:44 - 2:47je n'ai pas revu mon père.
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2:47 - 2:49Nous ne nous sommes jamais parlé,
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2:49 - 2:50puis il y a quelques années,
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2:50 - 2:55j'ai décidé de le recontacter.
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2:55 - 2:57« Tu es observé.
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2:57 - 2:58Vraiment, tu l'es.
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2:58 - 3:00Tu es observé. »
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3:00 - 3:03C'était son mantra quand
nous étions enfants, -
3:03 - 3:05il nous le répétait sans cesse.
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3:05 - 3:08C'était dans les années 1970,
à Luton, -
3:08 - 3:10où il travaillait
à Vauxhall Motors, -
3:10 - 3:11et il était Jamaïcain.
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3:11 - 3:13Et ce qu'il voulait dire,
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3:13 - 3:15c'est qu'en tant qu'enfant
d'un immigrant jamaïcain, -
3:15 - 3:16
tu es observé -
3:16 - 3:18pour voir ce que tu deviens,
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3:18 - 3:22si tu corresponds aux stéréotypes
établis par le pays d'accueil, -
3:22 - 3:25ceux d'être un incapable,
de rechigner à la tâche, -
3:25 - 3:27et d'être destiné à une vie de crime.
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3:27 - 3:29Tu es observé,
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3:29 - 3:33donc fais face à ces attentes.
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3:33 - 3:38Pour ce faire, Bageye et ses amis,
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3:38 - 3:39principalement jamaïcains,
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3:39 - 3:43cherchaient à faire « bonne figure » :
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3:43 - 3:46Présente-toi sous ton meilleur jour.
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3:46 - 3:48Montre ton meilleur profil au monde.
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3:48 - 3:50Si vous avez vu quelques images
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3:50 - 3:52des gens des Caraïbes arrivant
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3:52 - 3:54pendant les années 1940 et 1950,
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3:54 - 3:55vous avez peut-être
remarqué que -
3:55 - 3:58beaucoup d'hommes portaient
des chapeaux feutrés. -
3:58 - 4:01Ça ne faisait pas partie
de la tradition en Jamaïque. -
4:01 - 4:04Ils ont inventé cette tradition
pour leur arrivée ici. -
4:04 - 4:05Ils voulaient être perçus
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4:05 - 4:08de façon à ce que
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4:08 - 4:09leur apparence,
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4:09 - 4:12et les noms qu'ils s'étaient donnés
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4:12 - 4:14les définissent.
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4:14 - 4:19Bageye est chauve et a les yeux cernés.
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4:19 - 4:23Bottes Propres est très tatillon
à propos de ses chaussures. -
4:23 - 4:26Anxieux est toujours anxieux.
-
4:26 - 4:29« Montre » a un bras
plus long que l'autre. -
4:29 - 4:32(Rires)
-
4:32 - 4:36Mon préféré était celui qu'ils
appelaient « Habit d'été ». -
4:36 - 4:37Quand Habit d'été arriva ici
-
4:37 - 4:40au début des années 1960,
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4:40 - 4:42il s'entêta à porter
des vêtements d'été légers, -
4:42 - 4:44qu'importe le temps.
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4:44 - 4:45Un jour,
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4:45 - 4:48je demandais à ma mère :
« Qu'est devenu Habit d'été ? », -
4:48 - 4:53elle répondit : « Il a attrapé
froid et en est mort. » (Rires) -
4:53 - 4:54Mais les hommes comme Habit d'été
-
4:54 - 4:56nous ont appris l'importance du style.
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4:56 - 4:58Peut-être qu'ils l'exagéraient
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4:58 - 5:02parce qu'ils ne pensaient
pas être considérés -
5:02 - 5:03comme des gens civilisés.
-
5:03 - 5:06Ils ont transmis cette attitude
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5:06 - 5:09ou anxiété à nous,
la génération suivante, -
5:09 - 5:11à tel point que, pendant mon enfance,
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5:11 - 5:13lorsqu'on entendait à la télé
ou à la radio -
5:13 - 5:15qu'une personne noire
-
5:15 - 5:17avait commis un crime,
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5:17 - 5:20une agression, un meurtre, un cambriolage
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5:20 - 5:24nous grimacions avec nos parents,
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5:24 - 5:26parce qu'ils ne nous
faisaient pas honneur. -
5:26 - 5:28Tu ne représentais pas que toi,
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5:28 - 5:30tu représentais tout le groupe,
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5:30 - 5:34et c'était une chose terrifiante
à assumer, -
5:34 - 5:37parce que tu pouvais être perçu
-
5:37 - 5:41de la même manière.
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5:41 - 5:44C'était donc ça notre défi à surmonter.
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5:44 - 5:49Notre père et beaucoup de ses collègues
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5:49 - 5:52étaient là pour transmettre,
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5:52 - 5:54pas pour recevoir.
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5:54 - 5:57Nous devions rester silencieux.
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5:57 - 5:59Quand notre père parlait,
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5:59 - 6:01c'était pour nous exprimer
le fond de sa pensée. -
6:01 - 6:03Ils étaient persuadés que
-
6:03 - 6:07le doute les déstabiliserait.
-
6:07 - 6:11Mais quand je travaille chez moi
-
6:11 - 6:15et qu'après avoir passé une journée
à écrire, je me précipite -
6:15 - 6:18au rez-de-chaussée, excité de
parler de Marcus Garvey ou Bob Marley -
6:18 - 6:21et que je m'exprime à toute vitesse,
-
6:21 - 6:23mes enfants m'arrêtent,
-
6:23 - 6:27et me disent :
« Papa, tout le monde s'en fiche. » -
6:27 - 6:31(Rires)
-
6:31 - 6:33Mais ils ne s'en fichent pas, en fait.
-
6:33 - 6:34Ils passent au dessus.
-
6:34 - 6:37D'une façon ou d'une autre,
ils trouvent le chemin vers toi. -
6:37 - 6:41Ils façonnent leur vie en fonction
de ton histoire, -
6:41 - 6:45comme je l'ai fait
avec mes parents peut-être, -
6:45 - 6:47et comme Bageye a dû faire
avec son père. -
6:47 - 6:49C'est devenu une évidence
pour moi -
6:49 - 6:52quand j'ai pris du recul par
rapport à sa vie -
6:52 - 6:55et que j'ai compris
un proverbe -
6:55 - 6:56
indien américain : -
6:56 - 6:58« Ne critique pas un homme
-
6:58 - 7:00tant que tu n'as pas
marché avec ses mocassins. » -
7:00 - 7:03Mais en évoquant sa vie,
c'était normal -
7:03 - 7:06de présenter
-
7:06 - 7:11une vie de Caribéen en Angleterre
dans les années 1970 -
7:11 - 7:14avec des bols de fruit en plastique,
-
7:14 - 7:17des tuiles en polystyrène,
-
7:17 - 7:20des canapés gainés
-
7:20 - 7:23dans la housse transparente
dans laquelle ils avaient été livrés. -
7:23 - 7:25Mais ce qui est plus dur à accepter,
-
7:25 - 7:26c'est le fossé émotionnel
-
7:26 - 7:28entre les générations,
-
7:28 - 7:33et l'idée du vieil adage,
qui dit qu'avec l'âge -
7:33 - 7:35vient la sagesse,
n'est pas vrai. -
7:35 - 7:39Avec l'âge vient la respectabilité
-
7:39 - 7:42et des vérités inconfortables.
-
7:42 - 7:45Mais ce qui était vrai,
c'était que mes parents, -
7:45 - 7:47l'avaient accepté
-
7:47 - 7:50et ne faisait pas confiance à l’État
pour mon éducation. -
7:50 - 7:52Donc, ils ont décidé
-
7:52 - 7:57de m'envoyer dans une école privée,
mais mon père -
7:57 - 8:00
travaillait à Vauxhall Motors. -
8:00 - 8:02C'est difficile de financer
une école privée -
8:02 - 8:05et de nourrir son armée d'enfants.
-
8:05 - 8:07Je me souviens aller à l'école
-
8:07 - 8:09pour l'examen d'entrée,
et mon père disait -
8:09 - 8:13au prêtre - c'était une école catholique -
-
8:13 - 8:17qu'il voulait une meilleure
« héducation » pour son fils, -
8:17 - 8:20mais qu'aussi, lui, mon père,
-
8:20 - 8:22n'avait jamais passé d'examens,
-
8:22 - 8:25n'avait jamais tenté des examens d'entrée.
-
8:25 - 8:27Mais pour pouvoir payer mon éducation,
-
8:27 - 8:30il allait devoir faire des choses louches,
-
8:30 - 8:33en échangeant des biens illicites
-
8:33 - 8:35à l'arrière de sa voiture
et c'était -
8:35 - 8:38encore plus délicat puisque
mon père, -
8:38 - 8:40d'ailleurs, ce n'est pas sa voiture.
-
8:40 - 8:42Mon père rêvait
d'une voiture comme ça, -
8:42 - 8:44mais il avait une Mini cabossée,
-
8:44 - 8:48et étant un Jamaïcain,
il n'avait jamais eu de permis -
8:48 - 8:51ni d'assurance, ni
de vignette automobile, -
8:51 - 8:55ni fait de contrôle technique.
-
8:55 - 8:57Il disait : « Je sais conduire,
je n'ai pas besoin -
8:57 - 8:59de validation de l’État. »
-
8:59 - 9:02Mais ça devenait délicat quand
la police nous arrêtait -
9:02 - 9:05et ça arrivait souvent,
j'étais impressionné par -
9:05 - 9:06le comportement de mon père
-
9:06 - 9:09avec le policier
qui montait tout de suite en grade -
9:09 - 9:13et P.C. Bloggs devenait Inspecteur Bloggs
-
9:13 - 9:16pendant la conversation
et nous laisser partir gaiement. -
9:16 - 9:20Mon père utilisait ce que
nous appelons en Jamaïque -
9:20 - 9:22la technique de faire l'idiot
pour s'en sortir. -
9:22 - 9:25Mais ça confirmait aussi
quelque chose -
9:25 - 9:28qu'il se sentait inférieur
-
9:28 - 9:30ou dévalorisé par le policier,
-
9:30 - 9:32perçu par un l'enfant de 10 ans
que j'étais, -
9:32 - 9:35c'était aussi une attitude ambiguë
par rapport à l'autorité. -
9:35 - 9:38D'un côté, il se moquait
de l'autorité -
9:38 - 9:42et de l'autre, il lui portait du
respect -
9:42 - 9:44et les Caribéen obéissaient
-
9:44 - 9:48aux autorités au pied
de la lettre, -
9:48 - 9:50ce qui est très étrange
-
9:50 - 9:53parce que les migrants sont
des gens courageux. -
9:53 - 9:55Ils quittent leur patrie.
-
9:55 - 9:59Mes parents ont quitté la Jamaïque
et ont parcouru 6 440 km, -
9:59 - 10:04et pourtant le voyage
les avaient fragilisés. -
10:04 - 10:05Ils étaient timides,
-
10:05 - 10:08et à un moment donné,
l'ordre naturel -
10:08 - 10:09des choses s'est inversé.
-
10:09 - 10:14Les enfants sont devenus les parents
pour les parents. -
10:14 - 10:17Les Caribéens arrivaient
avec un plan de 5 ans : -
10:17 - 10:19travailler, gagner de l'argent,
puis rentrer. -
10:19 - 10:22Mais les 5 ans devinrent 10, puis 15
-
10:22 - 10:24et avant de réaliser,
tu changes le papier-peint -
10:24 - 10:27et c'est quand tu sais que tu vas rester.
-
10:28 - 10:33Bien que ça reste toujours
temporaire, pour nos parents, -
10:33 - 10:35nous, enfants, savions
que le jeu avait pris fin. -
10:37 - 10:39Je pense qu'ils avaient l'impression
-
10:39 - 10:46qu'ils ne pourraient pas
continuer avec les idéaux -
10:46 - 10:47de la vie qu'ils attendaient.
-
10:47 - 10:49La réalité était autre.
-
10:49 - 10:51Et aussi, c'était la vraie réalité
-
10:51 - 10:53d'essayer de m'éduquer.
-
10:53 - 10:57Ayant commencé le processus,
mon père ne continua pas. -
10:57 - 10:59Il a laissé ma mère m'éduquer,
-
10:59 - 11:02et comme dirait George Lamming,
-
11:02 - 11:06ce fut ma mère qui fut mon père.
-
11:06 - 11:08Malgré son absence,
ce vieux mantra restait : -
11:08 - 11:10Tu es observé.
-
11:10 - 11:13Mais des observations aussi ardentes
peuvent mener à de l'anxiété, -
11:13 - 11:15si bien que des années après,
quand j'examinais -
11:15 - 11:18pourquoi tellement
de jeunes hommes noirs -
11:18 - 11:22étaient diagnostiqués schizophrènes,
6 fois plus que ce qu'ils devraient être, -
11:22 - 11:25je n'étais pas surpris
d'entendre le psychiatre dire : -
11:25 - 11:29« Les Noirs sont scolarisés
dans la paranoïa. » -
11:29 - 11:33Et je me demande ce que Bageye en dirait.
-
11:33 - 11:35Aujourd'hui, j'ai aussi un fils de 10 ans,
-
11:35 - 11:38et j'ai tourné mon attention vers Bageye,
-
11:38 - 11:40je suis parti
à sa recherche. -
11:40 - 11:43Il était de retour à Luton,
il avait 82 ans maintenant, -
11:43 - 11:47et je ne l'avais pas vu
durant 30 étranges années, -
11:47 - 11:49et quand il ouvrit la porte,
-
11:49 - 11:52je vis ce petit homme
avec des yeux chatoyants et souriants, -
11:52 - 11:55il sourit,
et je ne l'avais jamais vu sourire. -
11:55 - 11:58Je fus très déconcerté par ça.
-
11:58 - 12:01Mais nous nous assîmes
et il avait un ami caribéen avec lui, -
12:01 - 12:03parlant de quelques conversations d'avant,
-
12:03 - 12:06et mon père me regardait,
-
12:06 - 12:08il me regardait comme si j'allais
-
12:08 - 12:11miraculeusement disparaître
comme j'étais apparu. -
12:11 - 12:13Puis il se tourna vers son ami
et il dit : -
12:13 - 12:16« Ce garçon et moi avons
une connexion profonde, profonde, -
12:16 - 12:19une connexion profonde, profonde. »
-
12:19 - 12:21Je ne l'avais jamais sentie.
-
12:21 - 12:24S'il y avait un pouls, c'était très faible
-
12:24 - 12:26ou vraiment à peine.
-
12:26 - 12:28Et je sentis presque durant la réunion
-
12:28 - 12:33que j'étais en train d'auditionner
pour être le fils de mon père. -
12:33 - 12:37Quand le livre sortit, je reçus
des critiques justes dans les journaux -
12:37 - 12:40mais le journal à Luton
n'est pas The Guardian, -
12:40 - 12:42c'est le Luton News,
-
12:42 - 12:46et le titre à propos du livre était
-
12:46 - 12:51« Le livre qui pourrait combler
un fossé de 32 ans. » -
12:51 - 12:54Je compris que ça peut aussi symboliser
-
12:54 - 12:56le fossé entre deux générations,
-
12:56 - 13:00entre des gens comme moi
et la génération de mon père, -
13:00 - 13:03il n'y a pas de tradition
chez les Caribéens -
13:03 - 13:05de mémoires ou de biographies.
-
13:05 - 13:09C'était une tradition de ne pas parler
de tes affaires en public. -
13:09 - 13:13Mais j'accueillais ce titre,
et je pensais qu'en fait, oui, -
13:13 - 13:15il y a une possibilité que
-
13:15 - 13:20ça puisse ouvrir des conversations
que nous n'avions jamais eues avant. -
13:20 - 13:24Ça pourrait, peut-être,
combler le trou entre les générations. -
13:24 - 13:26Ça pourrait être un outil de réparation.
-
13:26 - 13:29Et j'ai même commencé à penser
-
13:29 - 13:32que ce livre pourrait être vu par mon père
-
13:32 - 13:36comme un acte de dévouement filial.
-
13:36 - 13:39Pauvre idiot bercé d'illusions.
-
13:39 - 13:43Bageye fut piqué
par ce qu'il perçut comme -
13:43 - 13:46le public mettant ses défauts
sur le tapis. -
13:46 - 13:49Il fut piqué par ma trahison,
-
13:49 - 13:51et il se rendit aux journaux le lendemain
-
13:51 - 13:53demander un droit
-
13:53 - 13:55de réponse et il l'eut avec le titre
-
13:55 - 13:58« Bageye mord en retour ».
-
13:58 - 14:01Et c'était un compte-rendu étincelant
de ma trahison. -
14:01 - 14:04Je n'étais pas son fils.
-
14:04 - 14:06Il reconnut intérieurement
que ses couleurs -
14:06 - 14:08avaient été salies.
Il ne pouvait pas le permettre. -
14:08 - 14:11Il devait restaurer sa dignité, il le fit,
-
14:11 - 14:13et initialement, bien que j'aie été déçu,
-
14:13 - 14:15je grandis pour admirer cette place.
-
14:15 - 14:18Il y avait toujours du feu
bouillonnant dans ses veines, -
14:18 - 14:22bien qu'il ait 82 ans.
-
14:22 - 14:24Et si ça voulait dire qu'il reviendrait
-
14:24 - 14:28à 30 ans de silence,
-
14:28 - 14:34mon père dirait :
« Si c'est comme ça, c'est comme ça. » -
14:34 - 14:37Les Jamaïcains vous diront
que les faits n'existent pas, -
14:37 - 14:39qu'il n'y a que des versions.
-
14:39 - 14:41Nous nous racontons tous
des versions de l'histoire -
14:41 - 14:44avec lesquelles nous vivons mieux.
-
14:44 - 14:47Chaque génération construit un édifice
-
14:47 - 14:51qu'ils sont réticents, parfois incapables
de démonter, -
14:51 - 14:55mais par l'écriture,
ma version de l'histoire -
14:55 - 14:57commença à changer,
-
14:57 - 15:01et se détacha de moi.
-
15:01 - 15:04Je perdis la haine pour mon père.
-
15:04 - 15:08Je ne voulais plus qu'il meure ni le tuer,
-
15:08 - 15:12et je me sentais libre,
-
15:12 - 15:17plus libre que je ne l'avais jamais été.
-
15:17 - 15:19Et je me demande si cette liberté
-
15:19 - 15:24pourrait lui être transmise.
-
15:24 - 15:29Pendant cette réunion initiale,
-
15:29 - 15:31je fus frappé par une idée
que je n'avais -
15:31 - 15:36que très peu de photographies
de moi enfant. -
15:37 - 15:39Cette photo est une photo de moi,
-
15:39 - 15:41à 9 mois.
-
15:41 - 15:43Dans la photo originelle,
-
15:43 - 15:46je suis porté par mon père, Bageye,
-
15:46 - 15:48mais lorsque mes parents se séparèrent,
-
15:48 - 15:51ma mère l'excisa
de tous les aspects de notre vie. -
15:51 - 15:55Elle prit une paire de ciseaux
et le coupa de chaque photo, -
15:55 - 15:59et pendant des années,
je me disais que la vérité de cette photo -
15:59 - 16:02était que tu étais seul,
-
16:02 - 16:05tu es sans support.
-
16:05 - 16:07Mais il y a une autre façon
de voir cette photo. -
16:07 - 16:12C'est une photo qui a
le potentiel d'une réunion, -
16:12 - 16:15une possibilité d'être réuni avec mon père
-
16:15 - 16:19et dans mon désir d'être soutenu
par mon père, -
16:19 - 16:21je le portais vers la lumière.
-
16:21 - 16:24Pendant cette première réunion,
-
16:24 - 16:27c'était très gênant et tendu.
-
16:27 - 16:28Pour détendre l'atmosphère,
-
16:28 - 16:31nous décidâmes d'aller marcher.
-
16:31 - 16:33Et en marchant, je fus frappé,
-
16:33 - 16:35j'étais redevenu l'enfant
-
16:35 - 16:39même si j'étais maintenant plus
imposant que mon père. -
16:39 - 16:41J'étais presque 30 cm plus grand que lui.
-
16:41 - 16:44Il était toujours le grand homme,
-
16:44 - 16:49et j'essayais de suivre ses pas.
-
16:49 - 16:50Je réalisais qu'il marchait
-
16:50 - 16:53comme s'il était toujours observé,
-
16:53 - 16:56mais j'admirais sa marche.
-
16:56 - 16:58Il marchait comme un homme
-
16:58 - 17:01qui a perdu la finale de la coupe
d'Angleterre de football, -
17:01 - 17:05montant les marches pour collecter
sa médaille de condoléance. -
17:05 - 17:09Il y avait de la dignité dans la défaite.
-
17:09 - 17:10Merci.
-
17:10 - 17:11(Applaudissements)
- Title:
- Le fils d'un père difficile
- Speaker:
- Colin Grant
- Description:
-
Colin Grant a passé sa vie à explorer le paysage émotionnel entre le monde de son père et le sien. Né en Angleterre de parents jamaïcains, Grant s'appuie sur les histoires de l'expérience partagée dans sa communauté d'immigrants et raconte comment il trouva le pardon pour un père qui l'avait rejeté.
- Video Language:
- English
- Team:
- closed TED
- Project:
- TEDTalks
- Duration:
- 17:25
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