Marre de parler de la race ! | Jasmine Roberts | TEDxOhioStateUniversity

Jasmine Roberts est lasse des discussions sur la race entre les personnes de couleur et leurs alter ego blancs. Elle nous propose des solutions à cette situation épineuse.

Jasmine Roberts est éducatrice, écrivaine et consultante en communication stratégique. Elle a un diplôme de l'Université du Michigan et de l'Université de l'Illinois d'Urbana-Champaign. Elle a rejoint l'école de communication de l'université publique de l'Ohio en 2012 pour enseigner aux étudiants en master les campagnes de communication et l'écriture en communication stratégique. Roberts est également active pour défendre l'éducation pour tous. Elle se bat pour que les universités et hautes écoles du pays mettent en place des pratiques d'apprentissage accessibles et bon marché.

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus : https://www.ted.com/tedx

La première année à l’université

fut assez compliquée pour moi

car j’essayais de trouver une solution

comment financer le montant
restant de mon éducation.

Je m’en suis confiée
à une amie de l’époque.

Elle s’appelait Lauren.

Elle m’a demandé : « Jasmine,
je n’aime pas te demander ça

mais pourquoi ne pas solliciter une bourse
pour la minorité estudiantine ?

J’aurais apprécié un tel avantage,
eût-il existé pour les étudiants blancs. »

Le mot « avantage » m’a arrêtée.

Ça me paraissait étrange pour décrire

ce qui me semblait une mise à égalité.

C’est ce que j’ai dit à Lauren.

Mais elle a vilipendé ma remarque

et a commencé à me poser des questions.

En particulier :

« Quand tu t’es inscrite à la fac,

as-tu étudié beaucoup pour obtenir
des bons résultats ? »

J’ai répondu que oui, bien sûr.

Elle m’a dit : « Moi aussi
et nous sommes là toutes les deux.

Nous sommes les exemples
vivants de l'égalité des chances. »

J’étais étonnée par la capacité de Lauren

d’ignorer entièrement l’héritage moderne
des politiques injustes

qui continuent d’affecter
les gens de couleur aujourd’hui.

J’ai même imploré un peu plus d’humilité

et de compréhension que si nous sommes
ensemble au même endroit, au même moment,

nous n’y sommes pas parvenues
de la même façon.

J’ai été confrontée à des difficultés

qu’elle n’a jamais dû rencontrer
à cause de sa race.

Mais Lauren a insisté
et en est même venue à affirmer

qu’être en faveur des bourses
pour les étudiants des minorités

était une manière pour moi
d’encourager le racisme inversé.

Je me souviens que cette conversation
m’a totalement épuisée,

comme si je venais de courir un marathon.

J’aurais aimé pouvoir affirmer que
ce fut l’unique conversation sur la race

qui m’a lessivée ainsi.

Malheureusement, ce n’est pas le cas.

Je sais ne pas être la seule
à ressentir ça.

Certains parmi vous
partagent peut-être ce sentiment.

Ce ressenti est de plus en plus présent
dans les communautés de couleur.

Certains parmi nous sont las
des conversations raciales

à cause des réactions suscitées,

qui vont de la condescendance

à la rhétorique aveugle aux couleurs
utilisée pour banaliser notre vécu.

J'aimerais vous présenter
certaines des raisons

qui m'ont rendue lasse
de la conversation raciale.

La première raison

qui me fatigue quand je parle de ça,

c'est mon impression que,
quand nous parlons de race,

notre définition du racisme
est extrêmement simpliste.

On pense ségrégation,

c'est-à-dire traiter une personne
différemment à cause de sa couleur,

ou le Ku Klux Klan.

Il s'agit bien d'exemples
de discrimination

et de comportements préjudiciables.

Mais cela implique qu'il suffirait
d'être sympa l'un envers l'autre

pour que le racisme disparaisse.

Cela ne tient hélas pas compte
des inégalités systémiques

qui affectent les personnes de couleur.

Je souhaiterais que nous ré-imaginions
le racisme comme un terme global

qui inclut non seulement
ces situations précises

mais aussi le système d'avantages
ou de désavantages

clairement influencés par la race.

Cela doit donc inclure le racisme
structurel et institutionnel.

Prenons un exemple de racisme
structurel dans notre pays :

l'inégalité sociale raciale.

Les familles blanches ont en moyenne
des ressources de 934 000 dollars.

Les familles hispaniques ont
des ressources de 191 000 dollars.

Les familles afro-américaines :
138 000 dollars.

Vous pourriez vous demander

comment on a pu en arriver
à cette situation.

Regardons l'histoire.

La plupart acquièrent de la richesse
à travers la propriété.

Mais historiquement, les Afro-Américains

ont été exclus de cette opportunité
précise de s'enrichir

à cause de la discrimination.

Ma famille a été touchée par ça.

Mes arrière-grands-parents ont déménagé
dans un quartier principalement blanc

à la fin des années 50,
début des années 60.

Mais quand ils se sont installés
avec d'autres familles afro-américaines,

le marché des biens immobiliers a chuté

à cause de leur race.

À l'époque,

les quartiers mixtes en races et ethnies
étaient considérés comme dangereux.

Très sincèrement,

cela reste encore le cas aujourd'hui.

Cela a non seulement affecté négativement
leur capacité à s'enrichir

à la même vitesse qu'une famille blanche,

mais cela a aussi affecté leur capacité
à léguer leur richesse

pour donner une chance à leurs descendants
de mieux démarrer dans la vie.

Une autre raison qui explique ma lassitude

est qu'on se tourne majoritairement
vers les personnes de couleur

pour les éduquer sur ce sujet.

Cela est émotionnellement épuisant.

Cette attente est perpétuée
par la présupposition

sur qui est censé remplir les rôles
relatifs à la race dans nos institutions.

Prenons les programmes
de diversité et d'inclusion.

Les gens de couleur sont souvent chargés

d'animer certains de ces programmes
et de ces initiatives.

Mon objectif n'est pas de critiquer
les personnes de couleur

qui portent un intérêt sincère à garantir
la concrétisation de ces conversations

et la mise en œuvre effective
de ces programmes.

Mais il y a une conséquence :

cela enlève la responsabilité
des épaules des personnes blanches

en la faisant reposer uniquement
sur les mêmes personnes de couleur

qui subissent le racisme quotidiennement.

Cela crée aussi la supposition

que les personnes de couleur sont
des experts naturels en questions raciales

et j'en ai une expérience personnelle.

En octobre dernier,

j'ai eu le privilège de prendre la parole
à une conférence académique.

Un journaliste a fait un suivi
de l'atelier où j'ai pris la parole.

Un des participants m'a présentée
comme Jasmine Roberts,

spécialiste dans les domaines de la race,
de la diversité et de l'inclusion.

Ouais... j'enseigne la communication.

(Rires)

Oups !

C'est un exemple typique pour illustrer

qu'il est erroné d'assumer

que parce que je suis noire,
je suis experte sur le sujet racial.

Ceci m'amène à ma dernière raison
pour être lasse de la discussion raciale.

Il y des personnes blanches

qui ne se considèrent pas
dans le contexte racial.

En d'autres mots, la race est
une pensée collatérale,

fortuitement liée à leur identité.

Certains blancs se débattent
avec cette question :

qu'est-ce que ça signifie d'être blanc ?

En fait, la plupart n'ont jamais été
dans une situation

où ils doivent prendre du recul
sur l'impact de leur race dans leur vie.

Par contraste, les personnes de couleur
sont mises dans de telles situations

fréquemment.

Dès lors, quand on est dans une dynamique
où une personne de couleur,

consciente de l'impact
de la race sur sa vie,

engage un dialogue sur ce sujet
avec une personne blanche,

qui n'est pas sensibilisée
à l'impact de la race sur sa vie,

cela non seulement
déséquilibre le dialogue,

mais cela peut susciter ce que
nous appelons la « fragilité blanche ».

La fragilité blanche est un concept
développé par le Dr Robin DiAngelo,

de l'université de Washington.

Elle pose le postulat

que les personnes blanches
ont parfois des réactions négatives

quand on parle du sujet racial.

Cela inclut la colère, le déni,
la culpabilité, voire même de la rancœur.

Prenons le sujet
des privilèges des Blancs.

Tentez d'obtenir la reconnaissance
de la part de personnes blanches

qu'ils bénéficient d'avantages raciaux
peut s'avérer être un réel défi

car certains associent ça à un ressenti

qui mène à des affirmations comme :

« Je suis Blanc
mais je ne me sens pas privilégié. »

Or, les privilèges des Blancs
n'impliquent pas que la vie est facile,

qu'ils n'endurent
aucune difficulté financière

ou que leur vie n'est pas un combat.

Qui plus est, la race ne fait pas
partie de ces facteurs

qui rendent la vie plus ardue.

Les privilèges des Blancs signifie

que votre peau blanche est affirmée
et validée tous les jours,

que vous entriez dans un café,
une classe de cours

ou un auditoire de TED,

vous avez la certitude que la plupart
des gens vont vous ressembler.

C'est quand on allume la télé

et qu'on y voit diverses représentations
des personnes blanches dans les médias

ou dans les institutions puissantes
comme le Congrès.

Il est crucial de comprendre en quoi
être blanc a un effet dans notre société

pour entamer une conversation
vraiment fructueuse sur les races.

J'en suis arrivée au point
où je me demande

comment précisément pouvons-nous
réaligner nos conversations

sur ce sujet complexe, compliqué
et controversé qu'est la race ?

D'abord, écoutez
et écoutez avec empathie et humilité.

Essayez de ne pas être sur la défensive

et parlez avec un esprit critique.

Cela est aisé à faire,
c'est ce que je souhaite vous dire.

Typiquement, je démarre mes cours
avec une discussion sur l'actualité

et mes étudiants apprécient beaucoup.

À une occasion précise,
il y a quelques années,

nous discutions sur un sujet
très controversé.

J'avais remarqué

que les réactions se ventilaient
par groupes raciaux et de genres.

Le débat s'enflammait et j'ai demandé
l'avis d'un étudiant, Kevin.

Voici la réaction de Kevin :

« Je comprends que nous avons tous
le droit d'avoir une opinion,

mais en tant que Blanc, il ne m'appartient
pas de dire à une personne de couleur

comment elle devrait
se sentir sur ce sujet. »

Les mots de Kevin étaient
si simples et pourtant si puissants.

J’ai eu envie de pleurer.

Je comprends que ma réaction
puisse paraître exagérée

mais n’oubliez pas que jusqu’à
ce moment de ma vie,

je n’avais jamais entendu
une seule personne blanche

reconnaître ses privilèges ouvertement.

Kevin a eu le comportement
que mon amie Laureen n’a pas eu.

Kevin savait que sa couleur
signifiait quelque chose.

Il savait qu’il n’avait pas la légitimité
pour projeter sa propre réalité

sur des personnes de couleur
à l’expérience différente de la sienne.

Il avait le bagage éducatif suffisant
en matière raciale

pour engager une discussion
pleine de sens.

Kevin réfléchissait
avec une conscience aiguë

et il n’était pas mû
par l’intention de répondre.

C’est la bonne chose à faire.

Merci.

(Applaudissements)