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Title:
Et se relever ! | Nathalie Provost | TEDxHECMontreal
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Description:
Cette présentation a été faite lors d'un événement TEDx local, produit indépendamment des conférences TED.
Nathalie a été blessée au cours des événements de Polytechnique en décembre 1989. Convaincue de l'importance du devoir de mémoire, elle partage ses réflexions et communique sa joie de vivre.
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Bonjour.
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Comme vous venez de l'entendre,
il y a 20 ans, j'ai vécu un drame.
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Une tragédie. Une tuerie.
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Un événement qui m'a mis
à terre. Complètement.
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Mais aujourd'hui, je suis debout.
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J'ai eu l'occasion de raconter
l’événement à plus d'une reprise,
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mais rarement de raconter
après l'événement.
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Je suis Nathalie Provost,
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et je suis née à une époque
où tout était possible.
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Au Québec, on a construit
tout le réseau hydroélectrique
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au moment où je suis née.
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Le réseau des routes, tel
qu'on le connait aujourd'hui,
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le métro de Montréal, le tunnel
Louis-Hippolyte-La Fontaine,
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le réseau d'école secondaire publique
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a été construit
au moment où je suis née aussi.
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Et c'est avec cette croyance
que tout était possible,
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qu'on pouvait tout réaliser,
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le seul problème était notre volonté,
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que notre seule limite
était notre volonté,
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c'est comme ça que
je suis rentrée à Polytechnique
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convaincue que j'allais
conquérir le monde,
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que tout était à ma portée.
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Probablement un peu arrogante,
mais bon, c'est ce que j'étais.
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Et c'est dans cette optique-là
que je suis arrivée à Polytechnique,
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un après-midi d'hiver, en 1989.
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Ça avait été une longue journée,
une journée pleine de neige,
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il neigeait à plein ciel.
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Le matin j'avais eu le privilège
de travailler avec un groupe d'ingénieurs.
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Je présentais mon projet
de fin d'études,
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et je me demandais comment j'allais faire
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pour faire la présentation
que j'avais à faire -
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j'étais dans une posture comme ici -
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je me demandais comment j'allais faire la
présentation que j'allais avoir à faire,
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et puis la rendre intéressante.
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On était huit à présenter
un projet de transfert de chaleur,
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j'étais la dernière, et c'était
toutes le même projet.
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Et donc, tout d'un coup,
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il y a un collègue qui est
en train de présenter le projet,
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et il y a un homme qui rentre
dans la classe à coté de lui.
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Ma première intuition ça été de me dire :
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« Il a trouvé une idée lui pour
rendre son projet intéressant ? »
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Mais cet homme-là a tiré au mur.
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Il a fait sortir les garçons,
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et il a mis toutes les filles
qu'il y avait dans la classe dans un coin.
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Et il nous a demandé si
on savait pourquoi on était là.
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On a dit non !
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Il nous a dit : « Je hais les féministes.
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Vous êtes toutes des féministes ».
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J'ai dit : « Non,
on n'est pas des féministes.
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Si tu veux venir à Polytechnique,
il y a de la place ».
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Mais je ne pense pas
que j'ai pu finir ma phrase.
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On a été son peloton d’exécution.
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Il a tiré.
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Six sont mortes,
on est trois blessés.
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Je me suis retrouvée par terre,
couchée, morte un peu.
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C'était une scène horrible.
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Je ne comprenais pas pourquoi ça
arrivait ici, qu'est-ce qui se passait !
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Comment ça se fait que dans mon école,
un événement comme ça pouvait arriver.
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J'ai découvert là, la solitude,
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le doute, la peur.
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Je ne savais plus
par quel chemin on se relevait.
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Je ne savais pas comment recommencer.
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Et ce bout-là de l'histoire
que je commence là,
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il est moins raconté.
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Et puis pour vous le raconter,
je vais le partager avec mes enfants.
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Parce que mes enfants ont tous les quatre,
comme vous tous, comme moi,
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appris à marcher.
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Je viens de vous le dire,
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après Polytechnique,
j'avais mille questions.
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Pourquoi je n’étais pas morte ?
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Pourquoi c'est arrivé au Québec ?
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Pourquoi c'est arrivé à ce moment-là ?
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Je ne comprenais pas !
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Vous imaginez probablement
que j'ai crié, pleuré, gueulé.
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J'ai beaucoup écrit aussi. J'ai médité.
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Et dans le fond,
ce que je faisais, c'est prier.
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C'est prier, parce que
j'interpellais à travers tout ça
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un peu plus grand que moi.
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La réponse première, mathématique,
ne me satisfaisait pas.
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Il fallait que je la dépasse un peu,
pour être capable de faire le deuil,
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et puis d'accepter que la solitude
allait exister dans ma vie.
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Pour faire le deuil
de l’insouciance aussi.
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Puis faire le deuil de l’innocence.
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Un notre élan qui était très fort
en moi, c’était la colère.
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C'était injuste,
ça n'avait pas de bons sens.
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Les hommes autour de moi y sont passés,
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surtout les hommes, ils y ont goutté.
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Mon père, mes frères, mes proches.
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Mais en même temps,
il y avait un élan vers le pardon.
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Peut-être que c'est parce que
Marc Lépine était mort,
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mais, j'avais senti cet élan-là,
et j'ai choisis de le suivre.
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Et j'ai compris en le suivant,
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que tout doucement,
j’abandonnais la colère,
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et qu'en abandonnant la colère,
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je réussissais à reprendre
un peu de pouvoir dans ma vie,
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et puis que finalement,
j'arrêtais d'être une victime,
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et je redevenais maîtresse de ma vie.
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Et dans le fond, la prière et le pardon,
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m'ont permis de laisser le passé,
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et de laisser passer le passé aussi.
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Trois jours après Polytechnique,
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il y a un géant qui est rentré
dans ma chambre d'hôpital.
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Ce géant-là, vous le connaissez peut-être,
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c'est aujourd'hui
le chef cuisinier, Martin Picard.
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Martin, en 89, était apprenti cuisinier,
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et il rentré dans ma chambre d'hôpital
pour m’offrir un cadeau, une recette.
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Puis il m'a raconté avec toute
la poésie dont il est capable,
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une recette faite de
saumon cru et de saumon fumé
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et puis de pamplemousse,
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dans laquelle il a partagé
sa tristesse, sa colère et son aigreur
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d'un événement pareil.
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Trois jours après Polytechnique,
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Martin m'a offert une fleur
qui avait poussée dans la boue.
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C'est un petit exemple,
mais là, j'ai dit après :
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« C'est une chance que
Polytechnique me soit arrivée ».
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Je pense qu'aujourd'hui,
je suis privilégiée.
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J'ai des occasions qui me sont offertes,
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parce que Polytechnique a croisé ma vie,
Marc Lépine a croisé ma vie.
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Et il m'a permis donc de vivre
un événement particulier et exceptionnel,
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sur lequel j'ai pu porter mon regard,
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sur lequel j'ai pu m'émerveiller
et retrouver de la beauté dans la vie.
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Et donc, reprendre pied
dans le présent, ici, maintenant.
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Quand on tombe, on est à l'hôpital,
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on reçoit des soins.
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J'en ai eu même à la maison.
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Il fallait réapprendre à marcher.
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Il fallait réapprendre à bouger,
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il fallait combattre l'infection,
parce qu'il y en a eu [une].
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Il fallait aussi réapprendre
à marcher toute seule la nuit,
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parce que j'ai eu longtemps très peur.
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Il fallait partager ce fardeau-là
de colère, de tristesse,
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qui était très lourd.
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Et j'ai eu autour de moi, des amis,
des parents, des mentors,
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qui m'ont écoutée
et qui ont été présents pour moi.
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Mais, j'ai aussi eu des gens,
qui ont accepté ma vulnérabilité,
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et puis qui ont accepté
de m'offrir un cadeau :
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leurs propres confidences,
leurs propres événements.
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Et à travers tout ça,
j'ai découvert une nouvelle force.
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Une force qui était appuyée
sur l'ouverture aux autres,
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sur le partage, la compassion,
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et puis qui m'a permis, encore une fois,
d'avancer un pas en avant avec les autres.
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Et ça m'a amenée à contribuer.
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Polytechnique est arrivé en décembre 89,
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en janvier 90,
je suis retournée à l'école.
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Pour moi, finir mon bac en génie,
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être ingénieur, porter mon jonc,
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c'était fondamental,
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ça l'est encore aujourd'hui,
j'en suis très fière.
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J'ai travaillé, toujours,
j'ai eu des enfants, je les élève,
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et je réalise que d'avoir
bâti une famille,
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travaillé, et donc à ma façon,
bâti ma société,
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c'est d'avoir eu l'occasion de donner.
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C'est d'avoir eu l'occasion
de laisser une trace
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qui est peu plus grande
que moi, en dehors de moi.
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Ça m'a ramenée
vers l'avenir, vers l'espoir,
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et ça pour moi,
ça m'a permis d'être debout.
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Aujourd'hui, j'ai des rêves, des espoirs,
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je construis ma vie,
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je construis à ma mesure notre société,
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et je me trouve très privilégiée.
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Mais au travers de tout ça,
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ce que j'ai vécu,
c'est un événement exceptionnel.
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Mais je me questionne,
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parce que je me demande
si mon parcours lui est exceptionnel ?
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Parce que vous avez
probablement vécus des deuils,
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la maladie, des échecs ou des abus.
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La vie nous malmène
et nous fait traverser
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des moments très difficiles.
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Et on a tous à se relever.
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Et je me questionne :
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Est-ce que dans le fond, tous,
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un peu comme mes enfants,
nos enfants, nous mêmes,
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on parcourt tous un peu
les mêmes étapes pour être debout,
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est-ce que pour se relever
des moments les plus difficiles,
-
on ne parcourt pas tous
un peu les mêmes étapes ?
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Est-ce que chacun d'entre nous
n'a pas besoin de faire un deuil,
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d'accepter l’événement qui est arrivé ?
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Est-ce qu'on n'a pas tous
un peu besoin de partager,
-
de dépasser l'injustice, la colère ?
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Est-ce qu'on n'a pas tous,
face à la difficulté,
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besoin de s’émerveiller ?
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Besoin de reconnaître
qu'est-ce qu'il y a de beau,
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malgré les difficultés.
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Comment la vie, la nature,
ce qui nous entoure est merveilleux,
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pour nous ré-encrer dans le présent.
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Je pense qu'on a tous
besoin de se relier,
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pour faire face à la douleur,
aux difficultés,
-
apprendre des autres aussi.
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Je pense qu'on a tous
besoin de contribuer,
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parce que, quand on contribue, on donne,
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et puis ça nous permet
d'avoir l'impression
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de laisser une trace plus grande que nous.
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Et puis en conclusion, je vais
vous amener sur un questionnement -
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parce qu'on ne pourra pas faire sortir
l’ingénieur qui est en moi.
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Et puis un ingénieur,
ça essaye de bâtir le monde,
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ces jours-ci, on se demande
si on y arrive tous bien,
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mais c'est quand même l'intention.
(Rires)
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Est-ce que le parcours que
je viens de vous raconter,
-
ne pourrait pas s'appliquer
à nous, comme société ?
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Je me questionne.
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Je me demande, si, comme société -
-
parce que je nous trouve
un peu à genoux comme société.
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Il y a cynisme important.
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Il y a une monté
de mouvements assez radicaux.
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On n'a pas nécessairement de l'espoir
-
quand on regarde ce qui s'est passé
au Printemps érable,
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quand on regarde
les mouvements dans le monde,
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quand on regarde la morosité économique.
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Donc je pense qu'on est un peu
comme société à genoux,
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et donc je me questionne :
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Est-ce que comme société,
on n'aurait pas des deuils à faire ?
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Peut-être le deuil
de la croissance infinie ?
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Je me demande si on n'a pas
des choses à pardonner ?
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Peut-être à pardonner
à ceux qui ont été avant nous ?
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La commission Charbonneau,
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peut-être que ça sera
certains pardons qu'on aura à faire
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des abus qui ont eu lieu
et des injustices.
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On ne pourra pas tout réparer.
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Et puis on va devoir comme société,
je crois, retrouver notre pouvoir.
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Je me demande aussi, si comme société,
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on est capable de s’émerveiller
de tout ce qu'on a ?
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On vit dans un pays assez beau.
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Un pays dans lequel
on a des ressources naturelles,
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on a quatre saisons,
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on est globalement en santé,
on est choyé.
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Est-ce qu'on le reconnait ?
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Je me demande aussi,
si on se relie pour de vrai ensemble ?
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parce que, ça nous aiderait
peut-être à se relever,
-
et tout ça pour contribuer à bâtir
ensemble un monde meilleur.
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Je me demande si ça ne serait pas
un chemin pour se relever ?
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Merci.
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(Applaudissements)