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L'amour -- vous le faites mal.

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    Qu'est ce que l'amour ?
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    C'est un terme difficile à définir
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    dans la mesure où
    son application est très large.
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    Je peux aimer le footing,
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    je peux aimer un livre, un film.
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    Je peux aimer une escalope.
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    Je peux aimer ma femme.
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    (Rires)
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    Mais il y a une grande différence
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    entre une escalope
    et ma femme, par exemple.
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    C'est que si moi, je valorise l'escalope,
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    l'escalope en revanche, en retour,
    elle ne me valorise pas,
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    alors que ma femme,
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    elle m'appelle l'astre de sa vie.
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    (Rires)
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    Seul une autre conscience désirante,
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    donc, peut me constituer
    comme être désirable.
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    Cela je le sais, et c'est pourquoi
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    on peut définir l'amour
    d'une manière plus précise,
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    comme étant le désir d'être désiré.
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    D'où l'éternel problème de l'amour :
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    comment devenir
    et comment rester désirable ?
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    Alors la réponse à ce problème,
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    l'individu la trouvait autrefois
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    en soumettant sa vie
    aux règles de la communauté.
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    Il avait un rôle précis à tenir,
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    suivant son sexe, son âge,
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    son statut social,
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    et il suffisait qu'il le tienne
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    pour être valorisé
    et aimé par toute sa communauté.
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    Pensez à la jeune fille,
    qui doit rester chaste avant le mariage.
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    Pensez au fils cadet,
    qui doit obéissance au fils ainé,
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    qui lui même
    doit obéissance au patriarche.
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    Seulement, voilà, un phénomène
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    a commencé à partir du 13e siècle,
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    mais surtout de la Renaissance,
    en Occident,
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    qui a provoqué
    la plus grande crise d'identité
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    de l'histoire de l'humanité.
  • 2:03 - 2:05
    Ce phénomène, c'est la modernité.
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    On peut en gros la résumer
    par un triple processus,
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    d'abord, un processus
    de rationalisation
  • 2:12 - 2:14
    de la recherche scientifique,
  • 2:14 - 2:17
    qui a accéléré le progrès technique.
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    Ensuite, un processus
    de démocratisation politique,
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    qui a développé les droits de l'individu.
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    Et enfin, un processus de rationalisation
    de la production économique,
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    et de libéralisation
    des échanges commerciaux.
  • 2:32 - 2:35
    Ces trois processus, entremêlés,
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    ont complètement anéanti
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    tous les repères traditionnels
    des sociétés occidentales.
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    La conséquence
    pour l'individu est radicale.
  • 2:44 - 2:47
    L'individu désormais est libre
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    de valoriser, ou de dévaloriser
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    telle attitude, tel choix, tel objet.
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    Mais, du coup, sa personne elle-même
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    est confrontée
    à cette même liberté qu'a autrui
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    de le valoriser ou de le dévaloriser.
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    Pour le dire autrement,
    ma valeur, autrefois,
  • 3:11 - 3:16
    je l'assurais en me soumettant
    aux autorités traditionnelles.
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    Maintenant, ben elle est côtée en bourse.
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    Sur le libre marché des désirs individuels
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    je négocie chaque jour ma valeur.
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    D'où l'angoisse de l'homme contemporain.
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    Son obsession, suis-je désirable,
    à quel point ?
  • 3:37 - 3:40
    Combien de gens vont m'aimer ?
  • 3:40 - 3:42
    Et comment répond-il à cette angoisse ?
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    Et bien, en accumulant,
    de façon hystérique,
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    les symboles de la désirabilité.
  • 3:53 - 3:56
    (Rires)
  • 3:56 - 3:58
    Cette accumulation, je l'appelle
  • 3:58 - 4:01
    avec d'autres, le capital séduction.
  • 4:01 - 4:05
    C'est sur le capital séduction
    que repose en grande partie en fait
  • 4:05 - 4:09
    notre société de consommation.
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    On dit à ce propos,
    à propos de la consommation,
  • 4:12 - 4:13
    que notre époque est matérialiste.
  • 4:13 - 4:17
    Mais c'est faux !
    Si nous accumulons des objets,
  • 4:17 - 4:20
    c'est pour communiquer
    avec d'autres esprits.
  • 4:20 - 4:25
    C'est pour nous faire aimer d'eux,
    les séduire.
  • 4:25 - 4:29
    Rien de moins matérialiste,
    rien de plus sentimental,
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    qu'un adolescent
    qui achète une paire de jeans
  • 4:31 - 4:35
    tout neufs, qu'il la déchire aux genoux,
  • 4:35 - 4:38
    parce qu'il veut plaire à Jennifer.
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    (Rires)
  • 4:40 - 4:43
    Le consumérisme,
    ce n'est pas du matérialisme,
  • 4:43 - 4:45
    c'est plutôt la matière engloutie,
  • 4:45 - 4:49
    sacrifiée au nom du dieu Amour,
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    ou plutôt au nom du capital séduction.
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    Alors à partir de ce constat
    sur l'amour actuel,
  • 4:58 - 5:01
    comment penser l'amour
    des années futures ?
  • 5:01 - 5:03
    On peut envisager deux hypothèses :
  • 5:03 - 5:08
    La première consiste
    à parier sur une accentuation
  • 5:08 - 5:12
    de ce processus
    de capitalisation narcissique.
  • 5:12 - 5:16
    Quelle forme prendra cette
    accentuation, c'est très dur à dire,
  • 5:16 - 5:18
    parce qu'elle dépend en grande partie
  • 5:18 - 5:21
    des innovations sociales et techniques,
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    qui sont par définition
    difficiles à prévoir.
  • 5:26 - 5:28
    Mais on peut par exemple
  • 5:28 - 5:31
    imaginer un site internet de rencontre,
  • 5:31 - 5:35
    où, un peu comme avec des points S'Miles,
  • 5:35 - 5:39
    on fonctionne
    avec des points capital séduction,
  • 5:39 - 5:43
    qui varient selon mon âge,
    mon ratio taille-poids,
  • 5:43 - 5:45
    mon diplôme, mon salaire,
  • 5:45 - 5:50
    ou le nombre de clics
    accumulés sur mon profil.
  • 5:50 - 5:54
    On peut aussi imaginer
  • 5:54 - 5:57
    un traitement chimique
    de la rupture amoureuse,
  • 5:57 - 6:01
    qui affaiblit le sentiment d'attachement.
  • 6:01 - 6:04
    Il y a d'ailleurs déjà
    une émission sur la chaîne MTV
  • 6:04 - 6:09
    où des professeurs de séduction
  • 6:09 - 6:12
    traitent le chagrin d'amour
    comme une maladie.
  • 6:12 - 6:16
    Ces professeurs s'appellent
    des "pick-up artists".
  • 6:16 - 6:19
    Alors "artist" en français c'est facile,
    c'est artiste,
  • 6:19 - 6:22
    et puis "pick-up" c'est du levage,
  • 6:22 - 6:24
    mais pas n'importe quel levage,
    levage de meuf.
  • 6:24 - 6:28
    Donc ce sont des artistes
    en levage de meuf.
  • 6:28 - 6:31
    (Rires)
  • 6:31 - 6:35
    Et ils appellent
    le chagrin d'amour "one-itis",
  • 6:35 - 6:39
    "itis", en anglais, c'est un suffixe
    qui signifie "infection".
  • 6:39 - 6:42
    Donc "one-itis", on pourrait traduire
    ça par "infection de l'unique".
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    C'est un peu dégoutant. Et en fait,
    pour les "pick-up artists"
  • 6:47 - 6:50
    faire une fixation amoureuse
    sur quelqu'un,
  • 6:50 - 6:52
    c'est perdre son temps,
  • 6:52 - 6:55
    c'est dilapider son capital séduction,
  • 6:55 - 7:00
    et donc, on doit éliminer ça
    comme une maladie, comme une infection.
  • 7:00 - 7:03
    On peut encore envisager
  • 7:03 - 7:06
    un usage amoureux de la carte génomique,
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    on la porterait chacun sur soi,
  • 7:10 - 7:13
    puis on se la montrerait
    comme une carte de visite
  • 7:13 - 7:19
    pour vérifier si la séduction ne peut pas
    déboucher sur la reproduction.
  • 7:19 - 7:22
    (Rires)
  • 7:22 - 7:27
    Alors bien sûr,
    cette course à la séduction,
  • 7:27 - 7:29
    comme toute compétition féroce,
  • 7:29 - 7:34
    va produire de grandes disparités
    de satisfaction narcissique
  • 7:34 - 7:38
    et donc aussi beaucoup de solitude,
    beaucoup de frustration.
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    Alors il faudra s'attendre
    à ce que la modernité elle-même,
  • 7:41 - 7:45
    à l'origine du capital séduction,
    soit remise en cause.
  • 7:45 - 7:48
    Je pense notamment
    à des réactions communautaristes,
  • 7:48 - 7:53
    de type néofasciste ou religieux.
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    Mais bon, un tel avenir
    n'est pas une fatalité.
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    Une autre voie peut être possible
    pour penser l'amour.
  • 8:04 - 8:06
    Mais comment ?
  • 8:06 - 8:11
    Comment renoncer à la demande
    hystérique d'être valorisé ?
  • 8:11 - 8:15
    Et bien, en prenant conscience
    de ma nullité.
  • 8:15 - 8:17
    (Rires)
  • 8:17 - 8:18
    Et oui,
  • 8:18 - 8:20
    je suis nul.
  • 8:20 - 8:22
    Mais rassurez vous :
  • 8:22 - 8:23
    vous aussi.
  • 8:23 - 8:25
    (Rires)
  • 8:25 - 8:29
    (Applaudissements)
  • 8:30 - 8:34
    Nous sommes tous nuls.
  • 8:34 - 8:36
    C'est assez facile
    à démontrer cette nullité,
  • 8:36 - 8:40
    puisque, pour être valorisé,
  • 8:40 - 8:43
    je demande à l'autre qu'il me désire,
  • 8:43 - 8:45
    donc c'est que je n'ai pas
    de valeur en moi-même,
  • 8:45 - 8:49
    je n'ai pas de valeur en soi.
  • 8:49 - 8:53
    Nous avons tous, nous feignons
    tous d'avoir une idole ;
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    nous feignons tous d'être une idole
    pour quelqu'un mais, en fait,
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    nous sommes tous des imposteurs,
    un peu comme celui qui passe
  • 9:00 - 9:03
    un seigneur indifférent dans la rue,
  • 9:03 - 9:06
    alors qu'il a tout prévu, tout calculé,
  • 9:06 - 9:09
    pour que tous les regards
    se portent sur lui.
  • 9:09 - 9:13
    Alors je pense que prendre conscience
    de cette imposture générale,
  • 9:13 - 9:15
    qui nous concerne tous,
  • 9:15 - 9:17
    cela pacifierait nos rapports amoureux.
  • 9:17 - 9:20
    C'est parce que je veux être adoré,
    jusqu'au bout de mes ongles,
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    justifié dans tous mes choix,
  • 9:22 - 9:25
    qu'il y a une hystérie de la séduction.
  • 9:25 - 9:28
    Et du coup, je veux paraître parfait,
  • 9:28 - 9:29
    pour que l'autre m'aime.
  • 9:29 - 9:33
    Je veux qu'il soit parfait,
    pour qu'il me rassure sur ma valeur,
  • 9:33 - 9:37
    et cela donne des couples,
    obsédés par la performance,
  • 9:37 - 9:42
    et qui vont se quitter, justement,
    à la moindre contre-performance.
  • 9:42 - 9:46
    Alors, à l'opposé de cette attitude,
  • 9:46 - 9:49
    j'invoque la tendresse, l'amour
    en tant que tendresse.
  • 9:49 - 9:50
    Qu'est-ce que la tendresse ?
  • 9:50 - 9:54
    C'est être tendre, c'est accepter
    les faiblesses de l'être aimé.
  • 9:54 - 9:58
    Oh, il ne s'agit pas de se transformer
    en un triste couple d'aide-soignants.
  • 9:58 - 9:59
    (Rires)
  • 9:59 - 10:01
    Pas terrible, ça.
  • 10:01 - 10:03
    Il y a au contraire beaucoup de charme,
  • 10:03 - 10:05
    beaucoup de joie dans la tendresse.
  • 10:05 - 10:09
    Je pense notamment à un type d'humour
    qui est hélas très peu pratiqué,
  • 10:09 - 10:12
    et qui est une sorte de poésie
    de la maladresse assumée,
  • 10:12 - 10:15
    je pense à l'auto-dérision.
  • 10:15 - 10:17
    Pour un couple
    qui n'est plus maintenu,
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    soutenu par les contraintes
    de la tradition,
  • 10:20 - 10:24
    je pense que l'auto-dérision
    est un des meilleurs moyens de durer.
Title:
L'amour -- vous le faites mal.
Speaker:
Yann Dall'Aglio
Description:

Dans cette charmante conversation, le philosophe Yann Dall'Aglio explore la recherche universelle de tendresse et de connexion dans un monde qui est de plus en plus axé sur l'individu. Comme il s'avère, il est plus facile que vous le pensez. Une réflexion sage et amusante sur l'état de l'amour de nos jours. (Filmé à TEDxParis.)

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Video Language:
French
Team:
closed TED
Project:
TEDTalks
Duration:
10:42

French subtitles

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