La recherche de la matière noire -- et ce que l'on a trouvé à ce jour

Environ 85 % de la masse de l'univers est constituée de « matière noire », un matériau mystérieux qui ne peut être observé directement mais qui a une immense influence sur le cosmos. Qu'est-ce exactement que cette étrange matière et quel est son rapport avec notre existence ? L'astrophysicienne Risa Wechsler explore les raisons pour lesquelles la matière noire pourrait être la clé de la compréhension de la formation de l'univers et explique comment les physiciens des laboratoires du monde entier trouvent des moyens créatifs de l'étudier.

Cela vous arrive-t-il d'imaginer

un monde un peu différent ?

A quoi ressemblerait votre vie

si vous étiez né 5 000 ans dans le futur

au lieu d'aujourd'hui ?

Comment l'histoire aurait-elle changé

si les continents se situaient
à des latitudes différentes ?

Comment la vie dans le système solaire
se serait-elle développée

si le soleil était 10% plus grand ?

Eh bien, jouer avec ce genre de scénarios,

c'est ce que je fais dans la vie,

mais avec l'univers entier.

Je modélise des univers sur un ordinateur,

des univers digitaux qui ont
des points de départ différents,

qui sont composés de diverses quantités
de différents types de matériaux.

Ensuite, je compare ces univers au nôtre

pour voir de quoi il est composé
et comment il a évolué.

Ce processus de test des modèles
à l'aide de mesures du ciel

nous a beaucoup appris
sur notre univers jusqu'à présent.

La découverte la plus étrange

est que la plupart
des matériaux de l'univers

sont faits de quelque chose
de complètement différent de vous et moi.

Mais sans une telle substance,

l'univers tel que nous le connaissons

n'existerait pas.

Ce qu'on peut voir avec les télescopes

ne représente qu'environ 15%
de la masse totale de l'univers.

Tout le reste, 85% de l'univers,

n'émet et n'absorbe pas la lumière.

On ne peut pas le voir avec nos yeux,

ni le détecter avec des ondes radio

ou des micro-ondes,
ou n'importe quel autre type de lumière.

Mais on sait qu'il existe

en raison de son influence
sur ce que l'on peut voir.

C'est un peu comme si on voulait
cartographier notre planète entière

et dessiner tout ce qui s'y trouve

en utilisant cette photographie nocturne
de la Terre vue de l'espace.

Les lumières indiquent
où se trouvent certaines choses,

mais beaucoup reste invisible,

que ce soient les gens
ou les chaînes de montagnes.

Il faut déduire ce qu'il y a
à l'aide des indices limités.

Ce qui est invisible est appelé
« matière noire ».

Alors, beaucoup de gens
ont déjà entendu parler de matière noire

mais même si c'est le cas,

cela vous paraît probablement abstrait,

distant, peut-être même sans intérêt.

Eh bien, ce qui est intéressant,

c'est qu'il y a de la matière noire
tout autour de nous

et probablement ici même.

En fait, des particules de matière noire

pénètrent probablement
votre corps en ce moment,

alors que vous êtes assis
dans cette salle,

parce qu'on est sur Terre,

et que la Terre tourne
autour du Soleil,

et que le Soleil avance à toute allure
à travers notre galaxie

à environ 800 000 km/h.

Mais la matière noire ne nous heurte pas,

elle nous traverse simplement.

Alors, comment en apprendre plus ?

Qu'est-ce que c'est

et quel est son rapport
avec notre existence ?

Eh bien, pour savoir comment
nous sommes arrivés là,

il faut d'abord comprendre
comment notre galaxie en est arrivée là.

Voici une photographie actuelle
de notre galaxie, la Voie Lactée.

Comment était-elle
il y a 10 milliards d'années ?

A quoi ressemblera-t-elle
dans 10 milliards d'années ?

Qu'en est-il des histoires des centaines
de millions d'autres galaxies

que nous avons déjà cartographiées
en sondant le ciel en masse ?

Comment seraient leurs histoires

si l'univers était fait
de quelque chose d'autre

ou s'il contenait plus,
ou moins de matière ?

Ce qui est intéressant
à propos de ces modèles d'univers,

c'est qu'ils nous permettent
de tester ces possibilités.

Revenons au premier moment de l'univers,

juste une fraction de seconde
après le Big Bang.

A ce premier instant,

il n'y avait pas de matière du tout.

L'univers augmentait de volume
très rapidement

et la mécanique quantique nous assure
que de la matière est créée et détruite

tout le temps, à chaque instant.

Pendant ce temps,
l'univers se gonflait si vite

que la matière créée
ne pouvait plus être détruite.

Nous pensons donc que toute la matière
a été générée à cette époque-là ;

que ce soit la matière noire

ou la matière habituelle,
qui nous constitue, vous et moi.

Maintenant, allons un peu plus loin,

après la création de la matière,

après la formation
des protons et des neutrons,

après la formation de l'hydrogène,

environ 400 000 ans après le Big Bang.

L'univers était chaud,
dense et très homogène,

mais pas parfaitement homogène.

Cette image, prise par Planck,
un télescope spatial,

nous montre la température de l'univers,

dans toutes les directions.

Ce que l'on voit,
c'est que certains endroits

étaient un peu plus chauds
et plus denses que d'autres.

Les tâches de cette image

représentent les endroits qui contenaient
le plus ou le moins de masse

au début de l'univers.

La gravité a fait grossir ces tâches.

L'univers s'étendait
et perdait globalement en densité,

sur les 13,8 derniers milliards d'années.

Mais la gravité a travaillé dur
dans ces endroits

où il y avait un peu plus de masse,

et a attiré encore plus de masse
dans ces régions.

Alors, tout cela est
assez difficile à imaginer,

laissez-moi donc vous montrer
ce dont je parle.

Ces modèles informatiques
nous permettent de tester ces idées.

Jetons un œil à l'un d'entre eux.

Ce film, fait par mon groupe de recherche,

nous montre ce qui arrive à l'univers
après ses premiers instants.

Voyez-vous, l'univers était
très homogène au début,

mais certaines régions
contenaient plus de matière.

La gravité s'est mise en marche
et en a apporté de plus en plus,

dans les endroits qui sont nés
avec plus de masse que les autres.

Au fil du temps,

il y a assez de choses
dans un seul endroit

pour que l'hydrogène gazeux,

qui était bien mélangé
à la matière noire à l'origine,

commence à s'en séparer,

refroidisse, forme des étoiles

et constitue une petite galaxie.

Peu à peu, pendant des milliards
et des milliards d'années,

ces petites galaxies
se sont percutées entre-elles,

se sont fusionnées et sont devenues
des galaxies plus grandes

comme notre galaxie, la Voie Lactée.

Néanmoins, que se passe-t-il
s'il n'y a pas de matière noire ?

Sans matière noire,

les tâches ne s’agglutinent jamais assez.

Il se trouve qu'il faut au moins
un million de fois la masse du Soleil

dans une région dense

avant de pouvoir former des étoiles.

Et sans matière noire,

il n'y a jamais assez de choses
dans une seule zone.

Voici deux univers côte à côte.

Dans le premier, vous pouvez voir

une agglutination rapide.

Dans cet univers,

c'est très facile de former des galaxies.

Dans l'autre univers,

les petites tâches du départ

restent minuscules.

Pas grand chose ne se passe.

Dans cet univers,
on n'obtiendrait pas notre galaxie,

ou n'importe quelle autre galaxie.

Il n'y aurait ni la Voie Lactée,

ni le Soleil,

ni nous.

Nous ne pourrions pas exister
dans cet univers.

Bon, donc cette chose folle
qu'est la matière noire,

constitue la plupart de la masse
de l'univers, elle nous traverse,

nous ne serions pas ici sans elle,

qu'est-ce que c'est ?

Aucune idée.

(Rires)

Nous avons toutefois
des suppositions logiques

et beaucoup d'idées
de méthodes pour en savoir plus.

La plupart des physiciens pensent
que la matière noire est une particule

assez similaire aux particules
subatomiques que nous connaissons,

comme les protons,
les neutrons et les électrons.

Quoi que ce soit,

elle se comporte comme ces particules
en ce qui concerne la gravité.

Mais elle n'émet
et n'absorbe pas de lumière,

et elle traverse la matière normale,

comme si elle n'était même pas là.

On aimerait savoir quelle particule c'est,

par exemple, savoir quelle est sa masse

ou savoir si quelque chose se passe

lorsqu'elle interagit
avec la matière normale.

Les physiciens ont plein de bonnes idées
sur ce qu'elle pourrait être,

ils sont très créatifs,
mais c'est très difficile,

car ces idées couvrent
un énorme éventail de possibilités.

Elle pourrait être aussi petite
que les particules subatomiques

ou aussi massive que cent soleils.

Alors, comment comprendre ce que c'est ?

Les physiciens et les astronomes

ont beaucoup de méthodes
pour chercher la matière noire.

L'une des choses que l'on fait,
c'est de disposer des détecteurs sensibles

dans des mines souterraines profondes,

pour attendre la possibilité

qu'une particule de matière noire,
qui nous traverse nous et la Terre,

heurte un matériau plus dense

et laisse une trace de son passage.

Nous recherchons
la matière noire dans le ciel,

car il se peut que des particules
de matière noire se heurtent

et créent une lumière très énergétique
que nous pourrions voir

à l'aide de télescopes spéciaux
à rayons gamma.

Nous essayons même de fabriquer
de la matière noire, ici, sur Terre,

en forçant des collisions de particules
et en observant ce qui se passe,

à l'aide du Grand collisionneur
de hadrons, en Suisse.

Alors, à ce jour,

avec toutes ces expériences, nous savons
ce que la matière noire n'est pas,

mais pas encore ce que c'est.

Il y avait de très bonnes idées
sur ce qu'elle pouvait être,

que les expériences auraient pu démontrer.

Rien n'ayant été observé,
il faut donc continuer de chercher

et de se creuser la tête.

Une autre façon d'obtenir un indice
sur ce qu'est la matière noire

est d'étudier les galaxies.

Nous avons déjà parlé

du fait que les galaxies
n'existeraient même pas

sans matière noire.

Ces modèles prédisent aussi
plein d'autres choses sur les galaxies :

leur distribution dans l'univers,

leurs mouvements,

leur évolution avec le temps.

Nous pouvons tester ces prédictions
en observant le ciel.

Laissez-moi simplement
vous donner deux exemples

de mesures que l'on peut faire
sur les galaxies.

La première : on peut
cartographier l'univers avec les galaxies.

Je participe au programme
« Dark Energy Survey »,

qui a élaboré la plus grande carte
de l'univers pour le moment.

Nous avons mesuré les positions
et les formes de cent millions galaxies,

en observant un huitième du ciel.

Cette carte nous montre toute la matière
dans cette région du ciel,

qui est déduite de la déformation
de la lumière provenant de ces galaxies,

la lumière déformée par toute la matière

qui se situait entre nous et les galaxies.

La gravité exercée
par la matière est assez forte

pour dévier la trajectoire de la lumière

et cela nous donne cette image.

Ce genre de cartes

peuvent nous informer
sur la quantité de matière noire,

sur sa position dans l'espace

et sur son évolution au cours du temps.

On essaie donc d'apprendre
ce qui compose l'univers

à une échelle gigantesque.

Il se trouve que les plus petites
galaxies de l'univers

nous fournissent les meilleurs indices.

Pourquoi donc ?

Voici deux univers simulés,

avec deux types différents
de matière noire.

Les deux images montrent une région

autour d'une galaxie comme la Voie Lactée.

Vous pouvez voir beaucoup
d'autres objets autour d'elle,

de petits regroupements.

Sur l'image de droite,

les particules de matière noire
se déplacent plus lentement

que celles de gauche.

Si ces particules de matière noire
se déplacent très vite,

la gravité des petits regroupements

n'est pas assez forte
pour ralentir les particules rapides,

qui continuent leur chemin.

Elles ne s'arrêtent jamais
dans les petits paquets,

il y a donc moins de paquets
à gauche que dans celui de droite.

Sans ces petits regroupements,

il y a moins de petites galaxies.

Dans le ciel de l'hémisphère sud,

on peut apercevoir
deux de ces petites galaxies,

les plus grandes des petites galaxies
en orbite autour de la Voie Lactée :

le Grand Nuage de Magellan
et le Petit Nuage de Magellan.

Ces dernières années,

nous en avons détectées bien plus,
même de plus petites encore.

Voici l'une d'entre elles,

détectée par le programme
« Dark Energy Survey »,

celui qu'on utilise
pour cartographier l'univers.

Ces toutes petites galaxies,

certaines sont minuscules,

certaines n'ont que
quelques centaines d'étoiles,

par rapport aux centaines de milliards
d'étoiles de la Voie Lactée.

Cela les rend très difficiles à trouver.

Mais durant cette dernière décennie,

nous en avons trouvé beaucoup,

nous connaissons maintenant
60 petites galaxies

qui orbitent notre Voie Lactée.

Ces petites choses donnent
de grands indices sur la matière noire.

Car rien que l'existence de ces galaxies

nous dit que la matière noire
ne peut pas se déplacer très vite

et que rien ne semble se passer
lorsqu'elle heurte de la matière normale.

Dans les prochaines années,

nous allons cartographier le ciel
avec une bien meilleure précision.

Cela nous aidera à peaufiner nos films

de l'univers entier et de la galaxie.

Les physiciens font aussi de nouvelles
expériences, plus minutieuses,

afin d'essayer de capturer un signe
de la matière noire dans leurs labos.

La matière noire représente encore
un immense mystère

mais c'est très palpitant
de travailler dessus en ce moment.

Nous avons des preuves
incontestables qu'elle existe,

à l'échelle des plus petites galaxies

et à l'échelle de l'univers entier.

Est-ce qu'on la trouvera
et comprendra ce que c'est ?

Aucune idée,

mais cela va être amusant
d'en découvrir davantage.

Beaucoup de découvertes sont possibles

et nous apprendrons assurément plus

sur ce qu'elle fait
et sur ce qu'elle ne fait pas.

Que l'on trouve bientôt
cette particule ou non,

j'espère vous avoir convaincu

que ce mystère est en fait
très proche de chez nous.

La recherche de la matière noire

pourrait être la clef d'une nouvelle
compréhension de la physique

et de notre place dans l'univers.

Merci.

(Applaudissements)