Au printemps 2017, dans la province de Florence, la vie à Poggio alla Croce est bousculée par l'annonce de l'arrivée d'un groupe de migrants. Entre peur, colère et indifférence, des habitants cherchent une solution. (Musique de fond et bruits de cuisine) JE SUIS PARCE QUE NOUS SOMMES (Piera) Dans ces années, beaucoup de choses ont changé. Parce qu'avant, les choses étaient un peu différentes. Les gens étaient plus simples, les gens fréquentaient le centre du village. Maintenant, ils restent plus à la maison : le village est sans doute moins vivant. Avant, nous étions tous plus concentrés vers ma boutique. Voilà : le monde, la vie se déroulait là. Et aussi pour apprendre à se connaître, pour se comprendre, pour avoir des opinions, même différentes, mais pour arriver à un dialogue, c'était plus facile. C'était la vie. À mon avis, c'était la vie. (Musique rythmée...) (Andreas) Poggio alla Croce pourrait être défini comme une "petite Suisse". C'est situé dans un endroit magnifique entre le Chianti et le Valdarno. Les habitants sont travailleurs et coopératifs. En été, on organise une belle fête qui attire les gens des deux vallées. Lorsqu'il y a des problèmes tels que le verglas en hiver, les informations circulent dans le réseau et il semblait donc un village idéal. Puis en avril 2017, la "bombe" arrive : trente migrants arrivent dans le "palais", qui est un ancien hôtel au milieu du village. On aurait dit qu’un vaisseau spatial allait atterrir, avec à l'intérieur : de "petits hommes noirs". (Musique de tension...) (Piera) L’homme noir arrive. L’homme noir arrive. Et nous sommes tous coincés, impressionnés. Même moi, je dois dire la vérité. Même si on en entend parler, on en entend parler en bien et en mal de ces gars. La réaction la plus forte et la plus intense a été le rejet immédiat, ce que nous appelons une réaction "des tripes". C'est ce qui a provoqué l'organisation immédiate. De sorte qu’en trois jours, 230 signatures "contre" sont apparues. Là où nous sommes 190 habitants. (Attilia) Il y a eu une première rencontre il y a un an et demi, en été, avant l'arrivée des migrants. Donc nous ne connaissions pas les personnes. Nous n'avions pas associé de visage, ou de nom à ces personnes... Et Il y a eu une réunion au village. Je ne suis pas de Poggio alla Croce, je viens d'un village proche. Et à la réunion, il y a eu des personnes agressives, mais parce qu’elles avaient peur. (Martin) Leur réaction n'est pas le fruit de la méchanceté, mais derrière il y a aussi une réalité qu'il faut raconter. Il faut dire que c'était dû au fait que personne n'était préparé à cela. Personne n'était prévenu que les étrangers, les migrants, venaient. (Musique... martelage de fer...) (Paolo) Vu qu’ils firent recueillir des signatures... Mais, moi, je me prononçais seulement car je voulais savoir : ces gars, comment seraient-ils installés, que viendraient-ils faire ? Mais ce n'était pas la raison, c'était car ils ne voulaient pas d'eux. Alors j'ai dit que ma signature avait été extorquée et ça ne me va pas. (Luana) Ils ont dit : "Dans un an, on vous rappellera, vous verrez !" Parce que nous avons peur... Moi, j'ai une petite fille de 18 mois... Je ne pourrai probablement pas l'envoyer seule dans la rue... Même les premières fois qu'on nous a demandé de signer, moi, je n'ai pas voulu signer. Je suis devenu le mouton noir : "Pourquoi, toi, tu les veux ?" (Paul) Ils sont noirs, il n'y a qu'un seul discours, et il peut ne pas être bien digéré. L'intégration n'est pas facile. Ça non. Et pour eux non plus, tu sais. (Attilia) Il y avait une sensation, une atmosphère terrible, mes jambes tremblaient vraiment, j'ai reconnu des enfants que j'avais vus quand ils étaient petits et qui maintenant sont adultes, très effrayés, qui ont commencé à dire qu'ils ne les voulaient pas, qu'ils ne voulaient pas des migrants parce que leur vie allait changer, qu'ils ne pourraient plus aller tranquillement dans Poggio et qu'ils ne pourraient plus se promener. Mais ils l'ont hurlé, agressivement, et j'ai commencé à trembler et je voulais dire, mais je n'ai pas pu parce que je tremblais, que j'étais tellement désolée de voir que les enfants qui, petits, avaient l'habitude de partager, d'être tous ensemble - je me souviens qu'à l'époque, il y avait aussi des enfants noirs dans nos classes, et qu'ils jouaient tous ensemble - maintenant, étaient devenus comme ça et qu'eux, ils m'effrayaient plus que les migrants qui devaient venir, parce que je percevais une colère et une violence qui me faisaient peur. (Bruit des machines dans la buanderie...) (Andreas) Lorsque "le vaisseau spatial avec les petits hommes noirs" dont nous parlions avant s'est effectivement posé, à la fin, nous avons réussi, à organiser dans une pièce sous l'église, que don Martin, notre curé, avait mis à disposition pour tout le reste de cette expérience, à organiser un premier cercle où nous avons fait, juste au début, un jeu: on s’est mis sur les chaises tout à fait au hasard, puis on s’est mélangé entre eux et nous. Et nous avons commencé le jeu, mettant une feuille de papier au mur et chacun de nous a commencé à écrire : "Andrea Formiconi, Italien, parle italien". Et en pointant le marqueur au hasard, c'est le tour de celui-là, et il écrit, et chacun de nous a ensuite écrit son pays d'origine, son nom et la langue qu'il parlait. Dans ce simple jeu, un monde s'est fondamentalement ouvert, un univers, parce que parmi les quatorze ou quinze garçons sont sortis douze ou treize langues, et puis il s'est avéré qu'il y avait des analphabètes. On les reconnaissait parce qu'ils tenaient le marqueur d'une manière improbable et n'écrivaient pas leur nom mais le dessinaient. Mais en même temps, il y avait des jeunes scolarisés. A une extrémité, il y avait un jeune dont on a compris ensuite qu’il s’était même enfui alors qu’il faisait sa 4e année de mathématiques. Cela fait comprendre la grande diversité des histoires et des situations humaines qui se cachent derrière ce stéréotype, que nous désignons avec un mot unique : le migrant, où chacun a en tête l’image d’un petit homme noir toujours l’image sempiternelle, avec une histoire standard : absolument pas ! (Musique douce...) (Bruits de cuisine...) (Malò) Je crois que l’étincelle qui a suscité cette envie d’aller à l’école est venue d’un garçon malien, Ali, qui m’avait repéré parce que nous avions parlé un peu de français, et un jour je l’ai vu arriver chez moi, - je ne vis pas dans le village, il y a 1,5 km de chemin de terre - il est arrivé seul, avec un cahier et un crayon en me disant : "Je veux apprendre l’italien". (Elettra) Nous sommes trois à nous être lancés dans cette aventure de la "petite école" de Poggio alla Croce sans savoir ce qui nous attendait. Il fallait faire quelque chose pour aider ces garçons et on a pensé que la meilleure chose était de leur apprendre l’italien, plus que toute autre chose, pour les aider à avoir confiance en eux. Comme nous avons peur d’eux, les noirs, eux ont peur de nous, les blancs, ça, il faut bien le comprendre : ils ont peur, ils ont peur de nous Ensuite, ce qui est drôle, c’est que nous avons fait participer beaucoup de gens qui n’avaient rien à voir avec l’enseignement : il y avait Marcie, une Canadienne, qui connaissait très peu l’italien mais qui a enseigné l’italien, et puis nous avons aussi eu Willy, qui est toujours là avec nous à lire, à faire de la dictée, à faire toutes ces choses avec ces jeunes. (Attilia) Je suis maîtresse d’école primaire. Le mardi, je quitte ma classe, souvent très fatiguée, surtout l’année dernière où j’avais une première. Je m’assois dans ma voiture et je dis : non, mais qui me fait faire ça ? Mais je suis folle, mais comment je vais là-bas, je suis tellement fatiguée que je devrais rentrer me reposer ou dîner puis je ferme les yeux et je me dis : "Si ce que je fais est bien, j’aurai de l’énergie !", et je pars. Et puis je suis heureuse parce que tu arrives là et tu vois ces sourires aux dents blanches des gens de couleur, ces yeux heureux qui t’attendent, te remercient, qui sont là, impatients que tu leur apprennes quelque chose. (Bruit de voiture...) (Laura) Je suis arrivée ici un peu par hasard, j’ai connu cette expérience grâce à Andreas, à ses récits dans les salles de l’université et j’ai décidé de venir jeter un coup d’œil. Ce qu’on me demande le plus souvent, c’est pourquoi je le fais. Surtout, ce qui frappe, c’est que je fais 90 kilomètres pour venir ici, donc je fais près de deux heures de route juste pour arriver ici. Ce n’est pas facile à expliquer, parce que la raison se trouve dans tant de petites choses : ce sont les gestes, les regards, les émotions, les sensations éprouvées quand on est en contact avec ces gens, avec ces jeunes, qui en fin de compte sont des vies, sont des expériences, sont des mondes qu'on rencontre et dont on ne sait souvent rien. (Rumore del traffico...) (Bruits de la campagne, gazouillis...) (Madou) je vais à l’école à Figline Valdarno tous les jours, le lundi et le mardi j’y vais en voiture mais les autres jours à vélo. Aller n’est pas difficile, mais revenir, 1h30, c’est difficile. C’est fatigant, oui. Quand j’étais en Afrique, je n’ai pas été à l’école et heureusement, je me suis retrouvé en Europe et j’ai rencontré les gens qui m’aident et m’ont inscrit à l’école. Mon but est d’apprendre l’italien, mais je voudrais rester en Italie, je voudrais travailler pour aider ma famille en Afrique. Alors, je dois me concentrer sur mes études, c’est mon but.. Je m’appelle Madou Koulibaly, je suis originaire de Guinée et j’ai 20 ans. Je suis arrivé en Italie il y a un an et deux mois, c’était un voyage très difficile, je ne peux pas l’oublier, c'était très dangereux. J’ai sacrifié ma vie pour chercher ma fortune en Europe et, grâce à Dieu je suis entré en Italie le 13 juin 2018 et j’ai été transféré à Poggio alla Croce. J’ai rencontré de très bonnes personnes qui m’ont traité comme si j’étais l’un d’eux, ils sont comme mes parents ici, pas seulement moi mais tous les Africains qui vivent à Poggio alla Croce. Je voudrais continuer à étudier, s’il y a la possibilité, je voudrais aller étudier et apprendre un métier, par exemple soudeur. (Bruit de source d'eau, gazouillis...) L'Italie m’a sauvé dans la mer en Italie je suis allé à l’école et je voudrais continuer à étudier, je ne sais pas ce qui va se passer après. Poggio alla Croce est mon village. (Andreas) Le chemin est chaotique, on ne peut pas s’attendre à suivre un fil conducteur préétabli : cela tuerait ce genre d’école. Il faut donc être prêt à aller là où le vent vous dit d’aller. Un exemple pourrait être celui où Samba avait écrit son CV sur l’ordinateur, donc bien sûr vous essayez d’aider... "Samba, qu’est-ce que ça veut dire, qu’est-ce que c’est ?"... À un endroit, il avait écrit "expérience de conduite", alors je dis "Samba, mais qu'est-ce que tu conduisais ?"... il s’illumine tout à coup et dit "vache !" Et de là est né un discours tout à fait différent, sur comment les choses changent avec le temps, comment elles changent en Afrique, comment elles changent ici. C’est un exemple de digression. C’est une école centrée sur l’humain, essentiellement. (Musique douce, dialogue en arrière-plan...) (Andreas) On a tous des greniers pleins de vieux ordinateurs, dont on ne sait quoi faire... C’est un problème parce que c’est à nous de les amener au recyclage et donc nous diffusons cette information depuis des mois : "Tu as un vieil ordinateur ? tu ne sais pas quoi en faire ? Est-ce un problème pour toi ? Avant de l’amener au recyclage, donne-le-nous. Nous installons une version du système d’exploitation libre, c’est-à-dire Linux, et en particulier les variantes d’Ubuntu, une version légère qui s’intègre bien dans les vieux ordinateurs, elle les "ressuscite" facilement. Le système d’exploitation Ubuntu est ainsi appelé parce que c’est un concept qui est né en Afrique du Sud et Nelson Mandela, dans une belle vidéo que nous avons ensuite utilisée pour un travail avec les garçons, décrit ce concept par une petite histoire : "Autrefois, quand un voyageur arrivait dans un village, fatigué, qui avait soif, avait faim, personne ne lui posait jamais de question, on lui apportait simplement à boire et à manger. C’est l’Ubuntu, c’est-à-dire penser à l’autre en sachant que cela crée une communauté qui vit bien si nous le faisons tous. (Martin) Oui : Ubuntu est une grande philosophie africaine une grande réflexion, une pensée africaine avant d’en venir à l’aide, part du fait que nous sommes tous frères et que si j’aide une personne, celle-ci peut aider une autre personne proche de moi, donc un lien général de la société parce que nous nous considérons tous comme des frères et sœurs. Ce qui s’est passé à Poggio alla Croce, est de l’Ubuntu, c’est vraiment de l’Ubuntu. (Chœur d'enfants africains...) (Gabriele) Je pense qu’en suivant un principe selon lequel si j’aide l’autre et que l’autre m’aide, nous vivons tous les deux mieux, plutôt que plus mal. Lutter entre nous, même si dans la lutte, il y en a peut-être un qui gagne et qui peut alors être plus satisfait que celui qui perd. C'est ce qui m’a toujours guidé depuis que j’ai acquis la raison, j’ai toujours passé le temps dont je disposais dans le social mais pour cette raison, non par angélisme. Ce n’est pas que je suis bon, je pense que pour être bon il faut faire le bien, donc aider les autres, faire la charité, faire... non. C’est peut-être une façon égoïste, je pense que je gagne quelque chose de cette façon et ensuite je peux vivre mieux, être serein. On est souvent déçu, très souvent. Mais on n’est pas aussi déçus que ceux qui se battent, puis perdent. Ce sont peut-être des opportunités qui nous laissent un peu de goût amer dans la bouche, mais ils ne créent pas de gros malaises, parce que nous savons, je sais que nous devons les avoir Il y avait des problèmes de nature presque raciste à Poggio alla Croce, donc je suis aussi intervenu pour cela, mais ensuite, c’était ma façon de faire : Je suis un migrant à Poggio alla Croce, parce que je suis venu de la ville à la campagne, j’ai choisi cela et j’ai immédiatement essayé de m’intégrer dans l’association ici, parce que c’était naturel pour moi. C’est donc un mode de vie qui n’est certainement pas héroïque, c'est normal, je pense que tout le monde peut comprendre cela. (Marcie) Quand j’entends le mot Ubuntu, cela me frappe, car il signifie humanité. Dans la religion juive, nous avons une expression que je viens d’apprendre, "Tikkoun Olam", qui signifie "réparer le monde", et je vois comment ces concepts sont reliés. c'est vraiment beau, parce que petit à petit, les gens, un par un "réparent le monde" et montrent de l’humanité. Nous devons nous concentrer sur cette partie positive du monde, car si nous ne le faisons pas et si nous ne faisons rien, nous sommes condamnés. Alors pour moi, venir ici est une toute petite chose Mais elle a beaucoup de sens dans ma vie. (Andreas) Cette idée d’Ubuntu, cette idée de réparer des ordinateurs ou des objets ou des outils qui semblaient bons à jeter, est un peu ce qui a aussi inspiré l’action de cette communauté, qui, peu à peu, s’est régénérée elle-même. En fait, cette devise "Nous avons besoin de vous", signifie justement ceci : En réalité, notre communauté locale s’est régénérée grâce à votre arrivée, grâce à votre vaisseau spatial, de vous, "petits hommes noirs", parce que votre arrivée a généré en nous, à nouveau un besoin de travailler ensemble, de sortir de chez soi, d’abandonner les canapés, de quitter la télévision, de sortir de chez soi et d’essayer ensemble de résoudre un problème au profit de toute la communauté. (Samba chante un rap...) (Samba) Je suis Samba et je viens du Mali, je suis un artiste malien mais avant, quand je chantais avec mes amis, ma famille ne voulait pas que je fasse de la musique, mais j’aime vraiment ça. En 2016, je suis allé en Algérie, puis en Libye et je suis arrivé ici il y a deux ans. Ma vie est compliquée parce que je voudrais être un artiste, un rappeur comme beaucoup d’Italiens, Ghali, Sfera Ebbasta, et je voudrais être comme eux aussi. (Luana) Moi je ne sais pas exactement ce qui a pu se passer, mais on a tous un peu changé. J’ai trouvé en eux des changements même à notre égard : avant, peut-être, quand ils passaient ils nous souriaient et c’est tout. Après quand ils ont vu qu’on leur voulait réellement du bien Je ne peux pas parler pour tout le monde, mais pour ceux qui, comme moi, quand elles voient quelqu’un de nouveau s’arrêtent pour lui dire “salut !” et s’il est grand lui demande de se baisser parce que sinon, nous n’y arrivons pas et que lui nous appelle et nous on lui dit “grands-parents” et lui répond “grand-père, grand-mère” Nous on parle italien, eux ... Alors on se fait comprendre quand on voit que vraiment, ils ne comprennent pas ce qu’on veut leur dire, par exemple si on veut leur dire de se baisser, on fait comme ça nous aussi. ils ont appris, quand on passe, ils nous disent “grand-mère, tu m’aides ?” “non, pas aujourd’hui, demain”. On leur dit : "il y a peut-être quelqu’un par ici qui sait quelques mots d’anglais comme moi alors je leur dis “tomorrow” et ils me comprennent. Oui, mais si toi tu penses le discours de "tomorrow", oh, punaise! Moi je l’ai toujours dit : je n’ai pas de place à la maison, mais si j’en avais je les accueillerais avec plaisir, un, deux, le nombre que je pourrais avoir, surtout si la maison est la mienne, parce que selon moi ils ont aussi besoin d’être compris de ressentir le bien pas seulement avec le sourire. Il y a des choses plus fondamentales dans la vie de tout le monde, mais dans la leur en particulier: ils ont quitté leur famille, ils viennent d’un système mauvais, souffrent de la faim… Toutes ces choses, pour arriver en Italie, qu’il leur a fallu tant. nous sommes deux ou trois personnes qui leur veulent du bien du fond du cœur et pas seulement en paroles. et ils le sentent, dès qu’ils nous voient ils viennent tout de suite, le bisou, le goûter, on leur donne des biscuits, comme si vous voyez un enfant à qui on apprend à parler. De même avec eux, surtout avec ceux que nous voyons plus souvent, un contact s’est créé, alors on perd du temps, mais ce n’est pas du temps perdu, on prend du bon temps. Sûrement que les personnes qui nous ont vus comme ça au début nous ont critiqués et maintenant au contraire ils ont dit “c’est vrai, ils se sont fait aimer… mais comment avez-vous fait ?” … comment on fait ? Eh bien, on leur parle ! Tôt ou tard ils comprennent... (Piera) Puis la chose s’est stabilisée, petit à petit, ces garçons sont formidables, ils ne dérangent personne, ils saluent tous ceux qui passent, ils vous appellent, nous on leur répond, au moins moi personnellement, quelques-uns ne leur parleront pas. mais le village est calme. Il a donné le pire de lui-même, car je pense que le manque d’information provoque une mauvaise réaction. Ensuite les choses vous les connaissez, vous les voyez et vous les vivez, parce qu’à la fin, il s’agit de vivre ensemble, avec eux, c’est aussi beau. Pour moi, ces garçons on les a mis en prison, les pauvres ils sont enfermés là-dedans, s’il n’y avait pas ce groupe qui leur fait l’école et les autres choses, alors, ça représente quoi d’être ici ? Si vous mettez trente garçons enfermés dans une maison, ça sert à quoi ? Pour moi il me semble que cela ne sert à rien s'ils ne font aucune activité ; ce sont tous des jeunes d’une vingtaine d’années, qu’est-ce qu’ils doivent faire ? S’ils font quelque chose, s’ils peuvent se défouler, de l’espace dans les activités, dans le jeu, alors c’est différent. Ils peuvent même devenir utiles, mais il faut une intégration qui ne se fait pas en deux ou trois mois, parce qu’après, il y a la méfiance... si voir une personne noire à côté de toi, cela te gêne, il faut aussi dire cela. Mais cela ne signifie rien, au final il est comme moi, si tu apprends à le connaître. Mais même si je suis avec toi, et que je ne te connais pas, je peux avoir la même opinion. Ça me parait logique. (Bruit de voiture...) (Sibghat) Le premier village que j’ai vu après être entré en Europe a été Poggio alla Croce, je ne l’oublierai jamais, parce qu’ils m’ont réellement donné une vie, une expérience inoubliable : les personnes, la joie, un respect pour la société qu’ils m’ont donnée, dès les premiers jours, quand ils m’ont emmené partout pour chercher du travail, obtenir mon permis, aller à l’école, partout et je me suis dit : écoute, ces gens, ils ne veulent rien de toi, mais ils te donnent tellement. une nouvelle vie. (Musique dans le club...) Ciao Anna! Ciao Sibi! Je dois leur rendre quelque chose, alors j’ai pensé que ce serait une bonne chose de continuer à aller de l’avant avec eux, et de les aider, même physiquement. Je n’oublierai jamais ce village de ma vie, et même les gens qui me connaissent, ma famille, même s’ils ne sont pas en Italie, ils connaissent Poggio alla Croce ! C’est une grande joie pour eux aussi, à mon avis s’ils rencontrent des Italiens ou des Européens, ils les respecteront, parce qu’ils ont donné une bonne chose et une nouvelle vie à leur fils. Par la suite j’aimerais bien aider à l’école, je ne parle pas très bien l’italien, mais j’aimerais au moins aider les Pakistanais, ceux qui ne parlent pas anglais et n’ont pas étudié. Je peux faire l’interprète entre eux et un Italien qui explique les règles et toutes les choses... c’est une aide pour eux, mais c’est une façon de rendre quelque chose à la société, au village. Tu t’es intégré dans la société, mais maintenant tu apprends à d’autres personnes à s’intégrer dans la société, et comme ça elles développent de nouvelles belles choses. J’ai encore beaucoup à apprendre, jusqu’à présent j’ai peu appris, mais les gens de Poggio m’ont donné vraiment une belle vie qui ne peut pas être expliquée, je ne peux pas l’expliquer avec des mots. J’essaierai toujours de donner, de rendre, mais c’est un village inoubliable. Il est beau... beau, beau, beau. (Gabriele) Cette initiative de l’école a permis à de nombreuses personnes du village qui ne se connaissaient pas de se connaître désormais et de collaborer ils sont devenus amis... Donc maintenant les migrants ont une école avec des cours d’italien, des cours de mathématiques, mais nous-mêmes, les gens du village, avons appris à nous connaître, à vivre ensemble et c’est bien mieux ainsi. (Laura) Un autre des souvenirs que j’ai et que je pense ne jamais oublier est le deuxième jour où je suis retournée à l’école, c'était l’anniversaire de Duccio, notre mascotte. C’était l’anniversaire de ses un an, et à un moment, pendant le mini buffet que sa maman nous avait préparé, les garçons ont ouvert un petit sac et en ont sorti un petit chariot en bois tout coloré et on voyait qu’ils l’avaient bricolé comme ceux que je pourrais trouver dans le grenier de ma grand-mère. C’étaient des morceaux de bois assemblés avec cette corde attachée pour traîner le chariot, avec les roues, c’était vraiment bien fait. (Claudio) Il a été fabriqué à la main par eux et le cadeau a vraiment été très apprécié par Duccio. car entre tous les jouets qui sont ici dans la maison, des jouets incroyables qui sonnent, chantent, crient, ce simple chariot fait de bouts de bois, boutons, lui a plu immédiatement et il a joué avec sans le jeter par terre comme il le fait avec les autres jouets, après 30 secondes qu’il les a en main, il les jette. Aussi, peut-être, parce que depuis qu'il est petit, dès sa naissance, nous avons essayé, ma compagne et moi, que Duccio s’intègre avec ces garçons, sans le lui faire vivre comme une chose extraordinaire. mais comme s’ils étaient nos parents, nos amis, nos frères et sœurs. Et vraiment quand il les voit, il rit il va vers eux - mon fils a 18 mois, ce n’est pas qu’il soit... il est pratiquement devenu la mascotte du centre d’accueil... parce qu’à chaque fois qu’ils le voient, ils l’appellent "Duscio, Duscio, Duscio" Il est devenu "Duscio". Lorsque "Duscio" est avec eux, tu les vois se mettre à sourire et cela me rend vraiment heureux. C'est une phrase toute faite, mais je veux que mon fils devienne citoyen du monde pas un citoyen de Poggio alla Croce. Alors... tout va bien... et le travail ? (Dialogues inintelligibles...) Duscio! Ciao Duscio... (Madou explique la recette du pain, avec l’huile et le sel dans sa langue) Tu es bon! Pas si bien que ça... (bruits de blanchisserie...) (Omar) Je m’appelle Omar et je viens du Sénégal. Je suis en Italie depuis deux ans. Je suis arrivé à Poggio alla Croce et je suis heureux, j’ai rencontré beaucoup de personnes... Ils m’apprennent un peu d’italien. Je suis devenu ami avec ces personnes. Je vais à l’école, aussi à l’école d’élagage, j’ai fait les vendanges et la récolte des olives. Ils m’ont aidé à trouver un bon travail. Oui, j’ai trouvé une maman et un papa. Il me manque juste des frères. Mais ma maman et mon papa sont proches de moi. Ce sont Paola et Gabriele. Ils sont très gentils. Ils le sont tous à Poggio alla Croce. (Bruit des branches de taille) (Martin) Un étranger, quand il vient ici et qu’il quitte sa terre, il a toujours cette nostalgie. ll pense que là où il va, peut-être, il trouvera un accueil, un sourire. Quand il vient et expérimente un rejet, c’est un moment de grande difficulté, une tristesse. Nous sommes tous l’étranger d’un autre. Moi aussi, je suis étranger. Je suis arrivé ici en 2000, ça fait 19 ans. Et je suis ici en tant que prêtre à Poggio alla Croce. (Andreas) Ils donnent l’idée d’avoir en quelque sorte repris en main leur destin. La transformation bien sûr, peut-être un des aspects plus important, elle ne concerne pas qu’eux : c’est toujours une erreur de se concentrer sur "eux". Les choses fonctionnent quand on laisse le contexte changer et, en ce sens, c’est une réaction positive de la population. Certains concitoyens âgés qui étaient peut-être terrifiés lors de ces fameuses et terribles réunions du début, ils peuvent maintenant les appeler. Ils le peuvent quand le bûcheron décharge devant leur maison une tonne de bois. Leur problème étant de de les transporter jusqu’au jardin, à l’intérieur... Et alors, comme eux ils disent, de ces “gars” ils en appellent plusieurs, et ils disent "qui peut transporter ceci à l’intérieur ?” Clairement, en dix minutes, ces garçons font le travail. Et eux leur payent peut-être un cappuccino ou leur donnent un peu d’argent. C’est comme cela que la vie normale est revenue, c’est une saine normalité qui forme la véritable civilité d’une population. (Attilia ... et d’ailleurs, et cela me touche, les personnes qui sont avec moi maintenant et qui m’ont associée à cette aventure, deux en particulier, deux femmes qui ont commencé cette aventure, sont les mêmes personnes qui m’ont accueillie il y a déjà vingt-six ans quand je suis arrivée ici à San Polo. Et c'est important pour moi, parce que ça a été une expérience sublime que j’ai vécue et que je veux faire vivre à d’autres, pour eux. - Comment s'appelle ce plat ? - Celui-ci ? - Mafé. - Le mafé ? Oui, le mafé. Comment le préparez-vous ? Juste avec de la viande et des légumes ? De la viande, un peu de légumes... Viande, légumes et ? Tomates... et beurre de cacahuète. - De ça aussi : "opala". - Ah, ça, c’est du "opala" ? - Oui, ça s'appelle "opala". Oui, oui, ça s'appelle "opala". - Comment vous faites ? Vous devez les laver et les couper ? - Oui, il faut les laver. C'est bien. Super. Ok les jeunes, je vous laisse travailler. En attendant, je vous regarde et je vous aide. - Qu'est-ce que cette chose blanche ? - Du manioc. En pulaar : bantara. - Bantara. Et comment on le cuit ? - Beaucoup. - Il faut beaucoup de temps ? - Oui, il en faut beaucoup au Sénégal. En Europe, je ne sais pas comment on le cuit. Il est trop dur. - Ah, tu ne sais pas. D'accord. - Parce que s'il est plus frais, il cuit beaucoup plus rapidement. S'il est vieux, il faut plus de temps. - Oui. (Musique, bruits de cuisine...) (Documentaire Rtv38) C’est terminé pour cette sorte de Barbiana des migrants à Villa Viviana, à Poggio alla Croce. Aujourd’hui règne un grand silence car ces garçons qui avaient ramené la vie depuis deux ans dans ce village dépeuplé ont été contraints de partir. (Musique...) Ils sont partis précipitamment sans préavis, certains objets sont restés là. La coopérative Cristoforo, qui gérait le centre, a abandonné car avec le budget, réduit de 35 à 21 euros par migrant, elle a déjà dû fermer 5 de ses 17 centres et ce n'est qu'un début : la situation n'est plus viable financièrement. A Poggio alla Croce, dans la commune de Figline et Incisa, une trentaine de migrants étaient arrivés il y a deux ans dans la méfiance et les protestations des quelques âmes du village, puis tout a changé, beaucoup les ont adoptés, quelques-uns ont décidé d'improviser une école, de leur apprendre à cuisiner ou à tailler les oliviers. En est née une expérience singulière d'intégration jusqu'à aujourd’hui, et le déménagement soudain et forcé vers un autre centre à Sesto Fiorentino. (Musique douce...) (Madou et Elettra) Aujourd'hui, c’était le dernier jour de classe à Poggio alla Croce. C'était une école où les étrangers apprenaient beaucoup de choses c’était l'école où nous avons appris tout ce dont nous avions besoin en italien, en anglais et surtout sur la culture italienne. En ce moment il est très difficile de quitter les habitants de Poggio alla Croce et d’être loin de nos enseignants et de nos enseignantes. Nous sommes profondément désolés, mais nous ne l’avons pas choisi, nous vous disons que nous n'avons pas beaucoup de mots pour exprimer comment vivre avec vous a été aussi beau. Vous devez être fiers de vous pour tout ce que vous avez fait et que vous faites encore : vous avez créé une histoire incroyable et indélébile dans votre petit village, un petit village où l'humanité est très respectée. Pour certaines personnes vivre avec des garçons africains est une gêne ou une honte. Mais avec vous ce n'était pas comme ça, toujours des sourires, de belles paroles sans gros mots ni discrimination de couleur de peau. Nous avons eu la chance de vivre avec vous un moment de ce voyage. Après les études à Poggio, nous avons compris que chacun de nous doit être le maître de son propre destin. Merci de nous avoir appris la bonne attitude, comment nous comporter en Europe, merci de nous avoir fait comprendre que nous ne devrions pas être comme les délinquants ou les personnes qui font la manche. Je ne vous oublierai jamais, très chers, au revoir. (Attilia) Parce qu'à mon avis, cette histoire de Poggio, de l'école de Poggio c’est vraiment une histoire d'amour, parce qu’on s’aime bien entre nous, les bénévoles, parce que nous sommes ensemble d'une manière particulière, et entre nous et les garçons, qui nous aiment bien aussi, de véritables amitiés sont nées. Notre histoire est une histoire d'amour. (Laura) Ce sont ces petits gestes, ce sont ces histoires de la vie quotidienne qui rendent notre expérience si spéciale. C'est ce qui te fait dire : "Je tiens à toi." C'est le cadeau le plus précieux que nous puissions emporter chez nous. Ubuntu Je suis parce que nous sommes Malgré la fermeture du centre d'accueil, l’expérience de la "petite école" ne s'est pas interrompue et elle continue à Poggio alla Croce et au siège du COSPE à Florence pour des activités d’enseignement et d’accompagnement à l’intégration. Grâce au projet "Laboratorio aperto di cittadinanza attiva LACA19", on a développé une carte collaborative basée sur le logiciel Ushahidi pour témoigner des pratiques d’accueil sur le territoire régional, national et européen, et les partager. Tourné entre février et septembre 2019 Générique de fin