[MUSIQUE GENERIQUE] La conversation scientifique, par Etienne Klein. Aujourd'hui, que veut dire "traduire"? Etienne Klein: Grand lecteur et grand traducteur, Valéry Larbaud était entouré de livres qu'il avait fait relier dans une couleur qui était fonction de la langue dans laquelle ces livres étaient écrits : les romans anglais étaient reliés en bleu, les espagnols en rouge, les allemands en vert, et ainsi de suite. Il s’agissait de donner à voir que les langues ne sont pas neutres, qu’elles colorient les textes d’une façon si singulière et si intense qu’aucune œuvre ne peut être considérée comme indépendante de sa langue originelle. Pourtant, bien sûr, des transformations en forme de passerelles sont possibles, mais elles relèvent toujours d’une opération délicate : la traduction. "Tout le travail de la traduction," écrivait le même Valéry Larbaud, "est une pesée de mots. Dans l’un des plateaux nous déposons l’un après l’autre les mots de l’auteur, et dans l’autre nous essayons tour à tour un nombre indéterminé de mots appartenant à la langue dans laquelle nous traduisons cet auteur, et nous attendons l’instant où les deux plateaux seront en équilibre". Fin de citation. Mais est-ce bien ainsi qu'il faut concevoir la traduction? Une opération de pesée toute en finesse, à la fois rigoureuse et littéraire? Ce qui est certain, c'est que la traduction n'est nullement un petit événement inoffensif qui serait accessible à coups de petits logiciels. Elle est toujours une authentique activité intellectuelle, une sorte de savoir faire avec les différences, de jeu subtil avec les mots, les phrases, le sens, les rythmes, les idées. Traduire, c'est en somme pomper des ombres provenant d'horizons divers. Il n'y a pas une, mais des langues: c'est un fait. Dès lors, comment construire un monde commun, un monde où chacun soit capable de parler à n'importe qui et de s'en faire comprendre. On voit bien qu'il y a deux écueils: le premier, c'est la globalisation des échanges, qui nous porte à parler une espce de "globish" pauvre, sans âme, sans génie, une sorte de désesperanto qui lui-même, nous pousse vers une culture universelle, plate, et tristement homogène; le second, c'est la juxtaposition de communautés linguistiques étanches, repliées dans leurs surdités et figées dans leurs identités. Comment éviter ces deux pièges? En comprenant que la diversité des langues est une richesse, qu'elle est une chance, mais à condition, bien sûr, de traduire. D'où la question que va aborder aujourd'hui notre conversation scientifique: Que veut dire "traduire"? Et pour répondre à cette question, j'ai invité Barbara Cassin: bonjour. B. Cassin: Bonjour. EK: Bonjour, vous êtes philosophe et philologue, directrice de recherches au CNRS et vous publiez Eloge de la traduction Compliquer l'universel, livre paru chez Fayard, et ma première question porte sur la couverture. Que représente-t-elle? On voit un panneau avec des lettres, des signes. BC: Oui, c'est un panneau d'école qui indique l'Ecole des Dunes. L'Ecole des Dunes, c'était l'école qui a été faite à Calais, et ce panneau, ce qu'il y a d'extraordinaire ... EK Dans la Jungle? BC Dans la Jungle, zone sud. Et ce panneau, ce qu'il y a d'extraordinaire -- c'est moi qui ai pris la photo -- c'est qu'il est dans un No Man's Land, parce qu'il subsiste seul après le démantèlement. Et donc, on voit un paysage désertique, avec de temps en temps une chaussure qui émerge, ou une poupée et des ordures en train de brûler, avec une grande flèche rouge. Et ce panneau indique "école" dans un grand nombre de langues, pas seulement l'anglais, mais aussi de l'urdu, de l'arabe, 6 ou 7 langues qui étaient les langues parlées par les migrants dans cette Zone. Et donc, c'est une flèche vers le vide, le vide qui est notre accueil, qui est notre manière d'accueillir ces gens qui parlent diverses langues, Sauf que, sauf que quand j'y suis allée, le démantèlement venait d'avoir lieu, mais l'école n'avait pas été démolie, elle est toujours là, et cette Ecole des Dunes, il y avait des enfants qui apprenaient et qui travaillaient avec des enseignants. Et personne ne pouvait croire qu'il y avait encore quelque chose, là. Mais si: il y avait encore quelque chose là et c'est ça, au fond, qui m'a donné le seul espoir que j'ai pu avoir dans cette visite. EK: Et cette école qui continue à fonctionner, alors qu'alentour, c'était presque le désert. BC: Oui, et que des voitures noires se sont arrêtées pendant que j'y étais, des hommes bien mis en sont sortis, avec cravate, et ils ont commencé par me demander si j'étais journaliste. J'ai dit: "Non, je suis philosophe," ça fait bizarre. Et puis, ils ont passé la tête dans l'école, en s'attendant à ce qu'il n'y ait plus rien ni personne. En fait, il y avait donc des enfants en train de travailler. Et je leur ai demandé -- j'ai compris qu'ils étaient des officiels, je crois, le nouveau sou-préfet, et je lui ai demandé: "Bien entendu, vous avez organisé le ramassage scolaire?" [RIRES] EK Mais vous y étiez allée pour voir cette école, ou vous l'avez découverte pour d'autres raisons? BC: J'y suis allée à l'invitation d'un certain nombre d'associations et un livre a été produit, qui s'appelle Décamper, avec -- à l'invitation, par exemple, de Samuel Lequette qui a dirigé ce livre collectif. Et donc, j'étais allée voir, comprendre, tenter de comprendre. EK: Alors dans ce livre, Eloge de la traduction, vous abordez plusieurs problèmes, notamment, comment nous considérons la langue de l'autre quand nous ne la comprenons pas. Alors, en français, on dit: "C'est du chinois" ou "c'est de l'hébreu," ça dépend, en arabe, on dit que c'est du persan ou de l'hindi, en hindi, on dit que c'est du tamoul, etc. BC: Oui EK: c'est-à-dire que chaque langue en incrimine une autre, ou plusieurs autres, comme radicalement étrangères. BC: Absolument. EC: Est-ce que ça veut dire qu'on est portés toujours à considérer que sa langue maternelle, c'est la meilleure langue possible? BC: Si on est grec, grec ancien, oui. Moi, je suis helléniste et pour moi, ce qui est très clair, alors que bon, le grec est une langue absolument magnifique et les textes en grec ancien sont des textes, je crois, dont tout le monde peut avoir besoin. Je veux dire, un texte comme La métaphysique d'Aristote, qui commence par: "Tous les hommes désirent naturellement savoir," mais vous en avez besoin, comme moi, bon. Hé bien, ce qu'il y a là dessous, malgré tout, c'est une appropriation de l'universel. C'est-à-dire que les Grecs appelaient logos ce que les Latins ont traduit très justement, par ratio et oratio, raison et discours. EK: Donc, il y a deux sens, pour le même - BC: Ben, c'est u... c'est le même, voilà. Et c'est même ça, le problème, c'est que ce soit le même sens. C'est-à-dire que le logos que parlaient les Grecs soit aussi la raison universelle. C'est ça que j'appelle "appropriation de l'universel." Moyennant quoi, ce lui qui parle et qu'on ne comprend pas, quand on est grec, c'est un barbare qui fait "bla bla bla". C'est-à-dire qu'il est non intelligible. Peut-être qu'il ne pense pas vraiment, en tout cas, il ne parle pas vraiment quand il ne parle pas comme vous. EK: Donc les Grecs ne parlaient pas une langue, mais ils parlaient la langue, BC: Ils parlaient la langue: ils étaient, comme dit Modigliano, fièrement monolingues. EK: ça veut dire que le verbe traduire n'existait pas en grec ancien? BC: Et bien non, vous voyez bien comment il est fait, c'est un verbe latin, tra-ducere, conduire en face ou faire traverser. Bon, et en latin -- en grec, il y avait beaucoup de candidats, mais a posteriori, pour le mot traduire. L'un des premiers candidats, c'est hermeneuein qui a donné "herméneutique" et qui a été traduit en latin par interpretari. Le De Interpretatione d'Aristote, c'est le Peri hermeneias, bon. Donc vous voyez que ça ne veut pas dire d'abord traduire, ça veut dire quelque chose comme "interpréter". C'est d'ailleurs le sens que ce mot "traduire" a aussi, littéralement, en arabe. Et dans l'exposition que je fais à Marseille, "Après Babel, traduire", le premier texte de salle, c'est un texte qui est en chinois, en arabe, en anglais, parce qu'il le faut de toute façon, et en français. Et à chaque fois, bon, il y a le mot "traduire" dans la première phrase, dans -- chacun dans sa langue., Et ensuite, je fais comme un espèce de codicille, si vous voulez, ou de note, mais en haut de page, qui indique ce que veut dire littéralement "traduire" dans cette langue. Donc, en arabe, ça veut dire interpréter et en chinois, ben Fānyì, ça veut dire "retourner un tissu", "échanger" et "retourner un tissu". Et il y a une très belle phrase d'un maître chinois, qui dit: "Voilà, traduire, c'est retourner un tissu, retourner une soie brodée et se rendre compte que la fleur du dessous n'est pas celle du dessus. Donc, vous voyez, c'est même un autre geste technique qui est enclos. EK: Alors, on ne fait pas que traduire des langues, on peut aussi traduire en justice. D'où vient que ce soit le même mot? BC: Porter vers, vous transportez devant. EK: Une traduction des actes vers un autre langage, qui est celui de la loi, par exemple? BC: Absolument, oui, enfin, vous transportez aussi un accusé devant les juges, vous traduisez en justice. Ce n'est pas seulement l'acte, c'est la personne même qui est mise devant ses juges. Mais vous traduisez --traduire a une métaphorique immensément large -- vous traduisez des sentiments, vous -- EK:: Bon, quand on dit "traduire" pour ce qui est du langage, on pense à une traduction de phrases, de mots, BC: absolument. EK: mais il y a aussi un rythme dans les phrases. Comment est-ce qu'on fait pour traduire un rythme, par exemple, le fait qu'en allemand, on mette le verbe à la fin, est-ce que ça change le rythme des conversations? BC: Ça change non seulement le rythme, mais ça change même la manière de penser; D'une certaine manière, chaque langue est une culture et une vision du monde. Ça, c'est absolument clair. EK: Est-ce qu'on peut penser en plusieurs langues? La même chose? BC: Oui -- euh, je ne sais pas ce que veut dire "la même chose": on peut penser en plusieurs langues, et on peut penser -- EK: Je parle de la même personne qui penserait en plusieurs langues. BC: Je comprends bien, mais je ne crois pas, par exemple que -- je ne sais pas ce que ça veut dire, voilà. Je sais que je peux rêver en plusieurs langues, ça m'est déjà arrivé et c'est à chaque fois un hommage à la langue de l'autre. Penser la même chose en plusieurs langues, je ne sais pas ce que veut dire même, alors. C'est-à-dire que, vous le dites vous-même très justement, il y a un corps des langues qui est, par définition, intraduisible. C'est ce que Derrida appelait "l'intraduisible corps des langues". Laisser tomber le corps, c'est l'essence même de la traduction. EK: C'est-à-dire que les langues, ayant un corps propre, ne peuvent pas être mises en bijection totale ou directe les unes avec les autres? Il y a toujours des trous, des manques, des sens différents? BC: Oui EK: Et ça pose la question, par exemple, de savoir si on peut traduire la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme dans toutes les langues: est-ce que c'est le cas? Est-ce qu'on peut traduire cette Déclaration, est-ce que tout a un sens? BC: Je pense qu'on peut traduire tout, c'est-à-dire que l'on peut transposer dans une autre langue. On peut le mettre en d'autres rythmes, en d'autres mots, etc. Dire que c'est la même chose qui est alors dénotée et connotée, certainement pas EK: et comprise. BC: Alors, comprise, c'est encore autre chose parce que nous sommes tous, aussi, non seulement des gens qui ont une culture et une histoire, mais des hommes. Je ne sais pas ce que ça veut dire: ce que je veux dire, c'est que, en tout cas, l'universel doit être compliqué. C'est le sous-titre de mon travail sur la traduction, de mon éloge de la traduction. Compliquer l'universel. EK: C'est une sorte d'injonction. BC: Oui -- EK: Parce que vous le dites à plusieurs reprises, vous détestez -- je crois qu'on peut le dire comme ça -- BC: Oui. EK Ce qu'on appelle le globish, BC: Oui. EK Qu'est-ce que vous lui reprochez, parce que finalement, c'est une langue de communication, qui permet à des gens qui ne pourraient pas communiquer autrement, de se faire comprendre? BC: Ils pourraient communiquer autrement, ils pourraient communiquer par la traduction. Le globish est une langue de communication tout à fait adaptée à, disons, à un usage du monde tel que nous le vivons, mais justement, c'est une langue de communication, c'est-à-dire que le point, c'est que le globish fait penser que toute langue est simplement un outil de communication. Or c'est un outil de communication, mais c'est aussi autre chose, à chaque fois, et c'est pour ça qu'il faut partir du pluriel. Il y a des langues. EK: Oui, vous dites, "on ne rencontre jamais le langage, on ne rencontre que des langues." BC: Oui, je paraphrase Humboldt, le grand linguiste du 19éme, allemand. Oui, on ne rencontre que des langues et pour moi, c'est le contraire d'un universel postulé du genre logos ou du genre Heidegger, du genre: "Es gibt Sein" qui d'ailleurs se dit en allemand ou en grec. "Il y a de l'être" -- en français, si vous voulez, avec le "Il y a", ou en anglais, avec le "there is" et vous voyez déjà qu'on n'est pas tout à fait dans le même. EK Oui, par exemple, si l'on imagine -- quand on prononce, nous, le mot "esprit"; est-ce que ça évoque pour nous qui le prononçons, ce mot, quelque chose qui ressemble à ce que pense un Allemand lorsqu'il dit Geist? BC Mais euh-- EK Est-ce qu'on peut le savoir, ça? Est-ce qu'on peut faire une expérience qui permettrait de comparer ce qu'évoque ces mots, ce même mot, dans des langues différentes? BC On peut en tour cas lire des textes où ces mots sont en usage et regarder comment on le traduit, ces textes, comment on les traduit et essayer de percevoir le "entre" et la différence. Pour moi, la traduction, c'est à coup sûr, la meilleure définition qu'on puisse en donner, c'est que c'est un savoir faire avec les différences et pour reprendre Hegel, l'exemple de Hegel, la phénoménologie des Geistes, vous pouvez voir que ça a été traduit deux fois en anglais: une fois comme "phenomenology of the mind" et une autre fois comme "phenomenology of the spirit". EK Ce n'est pas la même chose pour un anglais. BC Hé bien ce n'est pas du tout la même chose. C'est-à-dire que dans un cas, Hegel est un ancêtre du spiritualisme, ou un spiritualiste. Et ce n'est pas faux: La phénoménologie de l'esprit est aussi spiritualiste. Et dans l'autre cas, c'est un ancêtre de la philosophie de l'esprit. et ce n'est pas faux. EK: Donc ce n'est pas un contresens dans les deux cas -- BC: Non -- EK: C'est juste une nuance -- BC: C'est une visée et cette visée, elle est toujours aussi politique. Qu'est-ce qu'on veut faire de Hegel? Comment est-ce qu'on veut s'en servir? EK: Vous voulez dire que la traduction peut servir à l'instrumentaliser? BC: La traduction est, par définition même, politique. Il n'y a pas d'acte de traduction qui ne soit pas un acte politique. Et ce depuis le départ, c'est-à-dire depuis, si vous voulez, le passage du grec au latin, depuis la Translatio studiorum, le transfert des savoirs, qui était aussi connue comme Translation imperii, "transfert du pouvoir", au Moyen-Âge, entre le grec, le latin, l'arabe et le retour dans le giron latin. EK: Vous dites d'ailleurs: "la traduction est aux langues ce que la politique est aux hommes." BC Oui. EK: Ça lui donne une importance considérable. BC: Oui. mais-- EK: Pas seulement dans le champ de la politique, mais -- BC: Je pense -- EK: dans le champ des idées. BC: Je pense, et en ça, je serais, si vous voulez, dans le prolongement de Arendt qui pense que pour qu'il y ait politique, pour qu'il y ait du politique, il faut une pluralité de divers et il faut des hommes avec un petit "h" et un "s". EK: Elle est citée d'ailleurs -- BC: et non pas "l'Homme" EK: dans le catalogue de l'exposition dont vous avez parlé, à Marseille, "Après Babel, traduire": vous citez Hannah Arendt, enfin j'ai trouvé la citation dans le catalogue -- BC: Oui EK: Je ne sais pas de qui elle est: "A chaque fois que le langage est en jeu, la situation devient politique, parce que c'est le langage qui fait de l'homme un être politique." BC: Oui, absolument. Mais Arendt, en cela, est parfaitement aristotélicienne. Le début de La politique d'Aristote dit que l'homme est un animal plus politique que les autres, parce qu'il a le logos. EK: Alors vous avez dirigé, Barbara Cassin le Dictionnaire des intraduisibles qui a été traduit en plusieurs langues, paradoxalement [RIRES] BC: Oui, oui, tout à fait. EK: Qu'est-ce qui vous a donné cette idée, qui a été quand même un travail -- BC: 15 ans EK: 15 ans de travail, beaucoup de collaborations BC: 150. EK: Les traductions, elles-mêmes réclament un travail colossal. BC: Oui EK: qu'est-ce que ça vous a appris sur la traduction que vous ne saviez pas auparavant? BC: Mais je ne savais rien sur la traduction! J'étais juste -- EK: Alors, qu'est-ce qui vous a donné l'idée? BC: Oui, j'avais cette expérience de traductrice d'un certain nombre de langues, mais, essentiellement, du grec -- ancien. Et j'avais cette expérience, qui consiste à me rendre compte que, quand je lisais Aristote, par exemple L'étique à Nicomaque en français, non seulement, je ne comprenais pas, mais ça ne m'intéressait pas du tout, bon. Alors que quand je le lisais en grec, tout se mettait à pétiller et à vibrer. Et voilà: donc ça, c'est une expérience, si vous voulez, de philosophe. Je crois que tous les philosophes ont cette expérience de notes en bas de page nécessaires. Donc dans ce Dictionnaire des intraduisibes, au fond, ce sont toutes les notes en bas de page qui sont devenues du plein texte. Mais en revanche, j'avais très clairement un désir politique. C'est-à-dire que l'Europe était en train de se fabriquer, l'Europe de la culture, et pour moi, il y avait deux dangers extrêmes. Le premier danger, c'était le globish, le Global English, qui aurait, au fond, réduit toutes les langues que nous parlons, toutes les langues de culture, à être de simples dialectes à parler chez soi. Donc la seule langue, l’espéranto moderne, si vous voulez, le Global English, c'est véritablement une langue de pure communication qui sert à quoi? Qui sert aux expertises européennes et qui sert au financement. EK: Au commerce. BC: Au commerce et au financement intellectuel aussi. Quand vous avez un projet de recherche au CNRS, vous devez le rédiger pour obtenir des fonds -- EK: pas qu'au CNRS -- BC: en globish -- et pas qu'au CNRS, mais au CNRS, en tout cas, j'en ai fait l'expérience. Pour l'Europe, c'est comme ça. Donc vous -- c'est une langue, disons, aussi plate que possible et dès que vous la parlez bien, c'est-à-dire si vous parlez non pas globish mais anglais, vous n'êtes pas compris, donc -- EK: Les Anglais sont peu compris dans les conférences internationales. BC: C'est les seuls qu'on ne comprenne absolument pas. Celui qui vient d'Oxford, c'est un -- EK: un barbare. BC: Oui [RIRES] absolument. EK: Mais alors ce travail, donc la direction de ce Dictionnaire des intraduisibles, c'est un travail d'érudits? BC: Non -- EK: qui a eu un succès, quand même, en librairie, colossal. BC: Oui, mais parce que ce n'est pas un travail d'érudits. C'est réellement un travail politique et le globish n'était pas mon seul ennemi. Mon second ennemi, c'est ce que j'appelle le nationalisme ontologique. C'est une expression de Jean-Pierre Lefèvre qui qualifie comme cela Heidegger, et il a complètement raison. C'est-à-dire que le nationalisme ontologique, c'est une manière de faire une hiérarchie des langues telle qu'il y ait des langues plus proches de l'être que d'autres. Et donc, quand vous êtes philosophe, vous parlez grec ou vous parlez allemand. Et cet enracinement, parce que c'est ainsi que le définit Heidegger, c'est un enracinement de la langue dans un peuple et dans une race. C'est ainsi qu'il parlait en 33. Donc, si vous voulez, moi, j'avais deux ennemis: vous voulez que je lise la phrase? EK: Non, on va la lire après, parce que c'est le moment, vous savez, dans cette émission, il y a toujours un petit morceau de musique -- BC: D'accord -- EK: même deux, choisis par l'invité, en l’occurrence vous, et on citera Heidegger aprés. Mais on va commencer par Claude François. BC: D'accord [RIRE] EK: Vous avez choisi Claude François qui fait son entrée dans La Conversation scientifique avec Comme d'habitude: ♪ Je me lève et je te bouscule Tu ne te réveilles pas, comme d'habitude ♪ ♪ Sur toi je remonte le drap J'ai peur que tu aies froid, comme d'habitude ♪ ♪ Ma main caresse tes cheveux Presque malgré moi, comme d'habitude ♪ ♪ Mais toi tu me tournes le dos, Comme d'habitude. ♪ ♪ Et puis je m'habille très vite Je sors de la chambre, comme d'habitude ♪ ♪ Tout seul, je bois mon café Je suis en retard, comme d'habitude ♪ ♪ Sans bruit je quitte la maison Tout est gris dehors, comme d'habitude ♪ ♪ J'ai froid, je relève mon col, Comme d'habitude ♪ ♪ Comme d'habitude, toute la journée Je vais jouer à faire semblant ♪ ♪ Comme d'habitude, je vais sourire Oui, comme d'habitude, je vais même rire ♪ ♪ Comme d'habitude, enfin je vais vivre Oui, comme d'habitude ♪ ♪ Et puis le jour s'en ira Moi je reviendrai, comme d'habitude ♪ ♪ Toi, tu seras sortie Pas encore rentrée, comme d'habitude ♪ ♪ Tout seul, j'irai me coucher Dans ce grand lit froid, comme d'habitude ♪ ♪ Mes larmes, je les cacherai, Comme d'habitude ♪ ♪ Mais comme d'habitude, même la nuit Je vais jouer à faire semblant ♪ ♪ Comme d'habitude, tu rentreras ♪ EK: Barbara Cassin, je me suis laissé dire par notre réalisatrice d'aujourd'hui, Letizia Co!ia, que Deleuze aimait Claude François, ♪ Comme d'habitude ♪ EK: mais vous, je ne savais pas. Pourquoi ce choix? BC: Ah, c'est -- Oui, Deleuze aime Claude François, parce que, la ritournelle, parce que, et en plus, c'est une ritournelle du quotidien, extrêmement bien fichue, métro-boulot-dodo, d'une tristesse absolue. Oui, j'aime bien Claude François et je l'aime bien aussi comme danseur. Mais j'ai choisi cette chanson parce qu'elle est traduite dans toutes les langues et plutôt que traduite, elle est adaptée, exactement comme Le dictionnaire des intraduisibles dont on parlait: c'est-à-dire qu'il faut la réinventer. Il faut la réinventer et se la réapproprier. Et je l'ai choisie parce que j'en ai choisi une autre, qu'on entendra sans doute plus tard, qui rime avec elle, qui elle, sans être elle, ni tout à fait la même ni tout à fait une autre, qui est My Way de Frank Sinatra. EK On l'écoutera toute à l'heure, mais il y a une expérience de pensée qu'on peut imaginer, qu'on peut peut-être aussi réaliser, si on traduit la chanson de Claude François en anglais, puis on prend la version anglaise et on la traduit en allemand, puis on prend la version allemande et on la traduit en italien, etc: on fait cela N fois, et on prend la version finale et on la traduit en français. Est-ce que ça donne quelque chose de complètement différent ou est-ce qu'on y retrouve le sens initial? BC: Non, ça va donner quelque chose de complètement différent et dans l'exposition que je fais, c'est très visible, ça. Et puis par exemple, il faut ajouter qu'on aurait pu le traduire par Google Translate et voir ce qui se passe. Et ça aussi, c'est une expérience que je fais dans l'exposition à partir du Corbeau d'Edgar Poe. Le Corbeau d'Edgar Poe. je le -- vous savez qu'il y a une très belle traduction, magnifique absolument, de Baudelaire, une de Mallarmé, une de Pessoa. Donc je fais traduire par Google Translate le texte original anglais et j'obtiens une traduction absolument étrange, surréaliste, qui n'a pas du tout le même sens, mais qui conserve quand même l'idée d'un corbeau. Et puis je fais traduire Pessoa, la traduction portugaise de Pessoa, et j'obtiens quelque chose en anglais, et j'obtiens quelque chose d'infiniment différent. Mais lorsque j'ai écrit un livre sur Google il y a quelque temps, il y a une dizaine d'années, maintenant, j'avais fait -- j'avais mis dans Google Translate "Et Dieu créa l'homme à son image." Et je l'avais fait traduire en allemand, puis de l'allemand au français, puis du français en allemand, et ça s'est stabilisé au bout de deux opérations. Et au bout de deux opérations, j'obtenais, en français: "Et l'homme créa Dieu à son image." [RIRES] EK: Comment est-ce que Google Translate traduirait "tiré à quatre épingles"? [RIRES] BC: Je ne sais pas. EK/BC: Pulled at four pins BC: Pulled at four pins, c'est en tout cas comme ça que Duchamp traduit ou rend manifeste ce qu'est un idiotisme, dans une de ses oeuvres. EK: Alors, Barbara Cassin, avant Claude François, on avait quand même parlé de Heidegger BC: Oui. EK: et de ce texte, on peut en lire un extrait: "La langue grecque est philosophique, autrement dit, elle n'a pas été investie par de la terminologie philosophique, mais elle philosophait elle-même déjà en tant que langue et que configuration de langue." Je saute un passage et je termine par: "Ce caractère de profondeur et de créativité philosophique de la langue grecque, nous ne le retrouvons que dans notre langue allemande." BC: Ah oui, mais vous avez sauté le passage le pire, le passage le pire, moi je vais le lire; c'est: "Et autant vaut de toute langue authentique, naturellement à des degrés divers. Ce degré se mesure à la profondeur et à la puissance de l'existence d'un peuple et d'une race qui parle la langue et existe en elle." C'est ça, le nationalisme ontologique. EK: C'est un délire, non? Enfin, il suffit de le lire pour voir que c'est un délire. BC: Ben oui, mais enfin, pas plus ni moins que Hitler ou que le nazisme qui s'est réveillé EK: C'est justement inquiétant. BC: Oui, justement, et c'est un délire qui peut faire beaucoup de dégâts, comme vous savez. EK: Oui. Alors, vous avez parlé de la traduction par Mallarmé du poème d'Edgar Poe, et vous dites par ailleurs dans votre livre: "On peut commencer à aimer Mallarmé avec Platon." BC: Oui. EK: Qu'est-ce que ça veut dire? BC: Ah, ça fait allusion à Crise de vers de Mallarmé. Mallarmé dit que les langues sont imparfaites, en cela que plusieurs. Ce qui, évidemment, ébranle l'idée même de traduction. Et je pense que -- alors la suite de ce poème en prose est absolument magnifique. Je voudrais le citer de mémoire; il dit -- Mallarmé -- j'ouvre les guillemets: "Je dis: une fleur! Et hors de l'oubli où ma voix relègue aucun contour, musicalement se lève, idée même et suave, l'absente de tout bouquet." Ce que Mallarmé dit, c'est que il y a un sens, et ce sens, c'est l'idée. Un sens pour chaque mot, pour chaque phrase, et que ce sens, la langue le partagerait mieux si elle était unique. Hé bien, nous parlions du logos au début de cette émission. Voilà la manière de dire "logos". Mallarmé, avec Platon, parce que "idée", parce que le sens, c'est l'idée et qu'il n'y a, au fond, qu'une bonne manière de dire l'idée. En l'occurrence, le grec. EK: Donc l'idée est en amont des mots? BC: L'idée -- EK: Le concept? BC: Oui, est en amont ou au-dessus, comme vous voudrez. C'est une origine ou un télos, hein, une fin. Mais en tout cas, elle est une. Et c'est ça, quand vous disiez que j'ai peur de l'un, que j'ai peur de la Vérité avec un grand V, c'est tout à fait ça. Je suis dans le "entre deux", dans la traduction comme savoir faire avec les différences. Pas du tout comme subjonction ou esclavage de l'Un. EK: Parce que le risque de l'universel ou sa pathologie, c'est d'exclure, justement. BC Absolument. EK: C'est de voir du barbare. BC: Ben, la pathologie de l'universel, c'est que l'universel est approprié. Il est toujours approprié par quelqu'un. EK: Et alors, quand Umberto Eco dit: "La langue de l'Europe, c'est la traduction" Est-ce qu'il veut dire la même chose que vous? BC: J'espère, j'espère que je veux dire la même chose que lui ou que nous voulons dire la même chose: oui, je crois. Je crois que -- EK: L'Europe ne peut pas mettre en avant une langue, mais doit s'efforcer de tout traduire, dans toutes les langues. BC: Doit s'efforcer en tout cas de comprendre qu'il y en a plus d'une. Et c'est ça -- ça, c'est la grande phrase de Derrida: "Plus d'une langue." Et il dit que s'il avait -- Derrida dit que s'il avait à donner une définition de la déconstruction sauvage, bon, caricaturale, ça serait: "Plus d'une langue." [MUSIQUE](Voix Off) France Culture: La conversation scientifique Etienne Klein. EK: Alors, il y a beaucoup de citations dans votre ouvrage, et pour cause, Barbara Cassin. Il y en a une qui n'y est pas et que je m'attendais à trouver, c'est celle de Lacan: "Tout le monde n'a pas le bonheur de parler chinois dans sa propre langue." BC: Oui. EK: Comment est-ce que vous la comprenez? BC: Hé bien Lacan dit que s'il n'avait pas compris comment était fabriqué le chinois, je ne dis pas "parler le chinois", il n'aurait pas été Lacan. Donc ça a à voir avec cette modalité très particulière de l'écriture et du rapport entre son sens, vision, visualisation, si vous voulez, représentation, et la pluralité des modalités d'écriture incluses dans l'écriture chinoise même, l'idéographie. EK: Est-ce que ça veut dire que pour avoir accès à sa propre pensée, il faut disposer de la langue de l'autre? Comme une sorte d'instrument critique -- BC: Oui EK: qui révèle ce qu'on pense déjà de façon implicite? BC: Oui, permettez-moi de rapprocher ça d'une phrase de Lacan dont je me sers tout le temps; c'est: "Une langue, entre autres", avec un "s" à autres, "n'est rien de plus que l'intégrale des équivoques que son histoire y a laissé subsister." Pour qu'on voie sa langue comme une langue, entre autres, comme une intégrale d'équivoques, il faut la voir depuis dehors. Et c'est ça, le Dictionnaire des intraduisibles. Vous me demandiez tout à l'heure qu'est-ce que j'en avais appris. J'en ai appris que ma langue est une langue entre autres -- je m'en doutais, mais là, je l'ai appris sur pièces -- et que le français, par exemple, le mot "sens", est un tissu d'équivoques. "Sens" qui veut dire à la fois "signification", "direction" et "sensation": trois mots en anglais. Bon, c'est donc depuis ailleurs qu'on se rend compte quel pâtée d'équivoques constitue la fiche anthropométrique de sa propre langue. EK: Mais est-ce qu'il y a des langues qui vous ont posé plus de problèmes que d'autres? Est-ce qu'il y a des langues qui résistent plus que d'autres à la traduction? BC: Ben, plus les langues -- non, je crois que ça dépend aussi de la manière dont on les connaît. Je veux dire que moi, les langues que je connais, me posent plus de problèmes que celles que je ne connais pas. EK: Parce qu'il y a plus de choix? BC: Parce que j'en comprends plus les tenants et les aboutissants, le rapport à la culture, le rapport à l'histoire, le rapport à l'étymologie. Pour moi, le grec est une langue qui me pose autant de problèmes qu'elle me comble. EK C'est aussi le signe de sa richesse et de la bonne perception que vous en avez. BC: Oui, voilà EK: de la bonne connaissance que vous en avez. BC: Voilà: c'est un double signe. EK: Alors justement, vous parlez de signes: il y a un langage des signes pour les sourds-muets. BC: Oui. EK: Et vous l'évoquez d'ailleurs dans l'exposition qui a lieu en ce moment à Marseille jusqu'au 20 mars. BC: Oui. EK: Alors, j'ai découvert avec stupéfaction que il n'y a pas une seule langue des signes, il y a des mots, enfin oui, des mots qui se disent différemment, selon que l'on prend la langue des signes française ou japonaise ou américaine. Mais comment est-ce qu'elles font pour s'entre-traduire, ces langues de signes? BC: Comme vous, avec les langues, j'allais dire "ordinaires". EK: Il y a des dictionnaires? BC: Euh, il y a des dictionnaires, il y a des apprentissages, en tout cas. Et lorsque nous avons fabriqué ce film qui s'appelle "Signer en langues" avec un "s", avec Nurith Aviv et Emmanuelle Laborit, nous avons nous aussi cherché des termes en des langues des signes que nous ne connaissions pas. Par exemple, j'étais à ce moment-là en Inde, et j'ai demandé à rencontrer des sourds-muets ou des professeurs qui signaient en langue, donc en hindi et pas seulement, mais en hindi, par exemple, le mot "culture". C'est absolument magnifique, ce petit film est une merveille. EK: Il y a des photos, d'ailleurs, dans le catalogue. Et alors, par exemple, pour "culture", vous voyez quand vous le dites en français, langue des signes, c'est un geste qui part de la tête et qui fait comme si vous aviez plein de cheveux ou plein de rayons qui partaient de votre tête. Quand vous le dites en japonais, ce sont deux mains qui s'emboitent. Quand vous le dites en américain, c'est un indexe levé, et autour de ça, autour de cet index qui représente, à mon avis, l'individu, vous avez une main qui fait le tour de cet index, et c'est la société qui l'entoure. Et en hindi, hé bien, vous prenez la position, la posture d'une statue en train de danser avec une main en haut, avec votre main qui bouge ses doigts d'une certaine manière, et l'autre main en bas, voilà, comme une statue. EK: Alors est-ce qu'il n'y a pas des ambiguïtés ou des contresens par le fait que ce signe-là pourrait, dans une autre langue des signes, avoir un autre sens que celui qui est donné dans la langue de départ? BC: SI, certainement, et d'ailleurs on voit que pour, alors, je ne sais plus quel mot, mais c'est peut-être bien "parler", mais peut-être que je me trompe, en français -- ou c'est penser, voilà. EK: Alors, le signe en français. BC: Oui, pour le mot "penser", la langue des signes en français fait un geste qui part de la tête, bon. Et en russe, hé bien vous faite le geste que vous-même faites naturellement pour dire "Mais il est complètement fou, ce mec!" [RIRES] EK: Penser, c'est être fou? BC: Oui. EK: Alors cette exposition, on en a un peu parlé, Barbara Cassin, quel a été le moteur de cette réalisation, qui vous avez contacté et quelle était l'ambition de ce projet? Politique, j'imagine? BC: Oui, politique. J'ai d'abord contacté la BNF, et puis grâce à Thierry Grillet et à Thierry Fabre, j'ai été jusqu'au MuCEM de Marseille, qui a accueilli cette exposition. Et j'en suis très heureuse, parce que Marseille est évidemment une Babel. L'exposition s'appelle Après Babel, traduire et Marseille est naturellement, aujourd'hui, une Babel. Donc c'est extrêmement politique, en effet. Il y a au moins deux idées fortes qui ont été très faciles à montrer, beaucoup plus que je n'aurais pu l'imaginer. La première, c'est que la civilisation et en particulier, celle de la Méditerranée, s'est constituée via et grâce à la traduction. Et la deuxième, c'est que la traduction est un savoir-faire avec les différences et que c'est ce dont nous avons besoin, en tant que citoyens, plus que jamais, aujourd'hui, et beaucoup à Marseille. EK: Alors quand on traduit un texte, et vous l'avez fait pour plusieurs langues, est-ce qu'on doit faire sentir que la source du texte est écrite dans une autre langue, ou est-ce que ça doit être transparent? Est-ce qu'on pourrait, on doit faire croire que ce texte aurait pu avoir une origine dans la langue qu'on est en train de présenter? BC: Ben, comme on dit, "ça se discute", mais moi, je pense que non, je pense avec Schleiermacher qu'il vaut mieux que chaque langue -- EK: Qui c'était, lui? C'était un linguiste? BC: Schleiermacher, oui -- EK: Ah, c'est lui qui a dit -- BC: philosophe et linguiste EK: d'un auteur auteur et de sa langue: BC: Il y a différente manières de traduire. EK: "Il est son organe et elle est le sien." BC: Oui: "un auteur et sa langue: il est son organe et elle est le sien." Et il dit qu'il y a deux manières de traduire: laisser l'auteur le plus tranquille possible, et inquiéter le lecteur, ou laisser le lecteur le plus tranquille possible et inquiéter l'auteur. Et il dit que c'est évidemment inquiéter le lecteur qu'il faut faire. Et inquiéter le lecteur, c'est-à-dire faire bouger sa langue. EK: et lui faire sentir que c'est une traduction, du coup? BC: Lui faire sentir que sa langue est en train de s'enrichir, est en train de se transformer et que c'est une énergie qui recueille l'énergie d'une autre langue. EK: Mais c'est presque un travail de poète: un poète aussi, il travaille sa langue -- BC: Bien sûr. EK: pour lui faire dire des choses qu'elle ne.. qu'elle pouvait dire mais ne disait pas. BC: Absolument, mais la traduction littéraire et la traduction philosophique ne font qu'un, à mon avis. C'est-à-dire qu'il me semble, évidemment, qu'il faut connaître sa langue, l'aimer, connaître la langue de l'autre et l'aimer pour pouvoir traduire correctement. EK: Et donc, il y a une différence entre traduire et -- BC: interpréter EK: et faire l'interprète. BC: Voilà: faire l'interprète -- l'interprète, vous êtes dans l'obligation, à cause de la rapidité aussi des choses, de communiquer un contenu. Donc une pure communication de message. Bon, ça n'est évidemment pas ça, traduire et c'est d'ailleurs -- ceci dit, il y a des interprètes absolument géniaux qui traduisent autre chose que le pur message, qui traduisent aussi les connotations et même le style et la manière de. Et bien sûr, il faut ça, aussi. C'est pour ça que je suis tellement choquée lorsque, lorsque dans une conversation politique de haut niveau, un président de la république mâle est traduit par une interprète femelle. Ça produit des [RIRE], des incertitudes corporelles quant au texte, quant à la -- quant à ce qui est dit, qui me paraissent très intéressantes. EK: Mais ça va aussi dans l'autre sens: Si Mme Merkel est traduite par un homme -- BC: Absolument EK: Ça doit produire le même effet. BC: Sauf que Mme Merkel, en tant que présidente de la république, est quasiment un président de la république. [RIRES] Alors, c'est le moment -- BC: D'ailleurs, chancelier, hein. de la deuxième chanson et vous avez choisi, vous l'annonciez tout à l'heure, My Way de Frank Sinatra: nous allons l'écouter. [MUSIQUE INSTRUMENTALE] ♪ And now, the end is near And so I face the final curtain ♪ ♪ My friend, I'll say it clear I'll state my case, of which I'm certain ♪ ♪ I've lived a life that's full I've traveled each and every highway ♪ ♪ And more, much more than this I did it my way. ♪ ♪ Regrets, I've had a few But then again, too few to mention ♪ ♪ I did what I had to do And saw it through without exemption ♪ ♪ I planned each charted course Each careful step along the byway ♪ ♪ And more, much more than this I did it my way ♪ ♪ Yes, there were times, I'm sure you knew When I bit off more than I could chew ♪ ♪ But through it all, when there was doubt I ate it up and spit it out ♪ ♪ I faced it all and I stood tall And did it my way ♪ ♪ I've loved, I've laughed and cried I've had my fill my share of losing ♪ ♪ And now, as tears subside I find it all so amusing ♪ ♪ To think I did all that And may I say - not in a shy way ♪ ♪ Oh no, oh no, not me I did it my way ♪ ♪ For what is a man, what has he got ... ♪ EK: Barbara Cassin, My Way, Frank Sinatra, pourquoi ce choix, y a-t-il un rapport avec la traduction? ♪ To say the things ♪ BC: Hé bien le rapport avec la traduction, ♪ he truly feels... ♪ c'est le rapport avec l'autre chanson qu'on a pu écouter au début de cette émission, qui est de Claude François, non pas My Way, mais Comme d'habitude. Les deux sont des traductions l'une de l'autre ou des adaptations. Et justement, c'est entre les deux que se situe la traduction. C'est extraordinaire, la manière dont on est passé de "métro-boulot-dodo", ritournelle de Claude François, mais sèche et percutante: j'aime beaucoup cette chanson de Claude François. Et cette chanson-là, de glamour de Frank Sinatra, qui est, qui décrit son existence d'homme, sa "way", sa manière d'être un homme, "not in a shy way, it was my way." C'est une chanson testamentaire et disons -- EK: il revendique BC: Hein? EK: Il revendique son rapport au monde et à ce qu'il fait, BC: Absolument. EK alors que l'autre a l'air de le subir. BC: Oui, et puis alors, il y a quand même une histoire de femme subie aussi ou d'amour: l'amour n'est pas le même. Et avec Frank Sinatra, il s'agit vraiment du monde et pas d'un rapport à deux. EK: Bon, c'est un magnifique rapprochement. Est-ce qu'il y a un génie de la langue? Beaucoup en parlent, est-ce que pour vous cela a de la consistance? Ou est-ce que ça rejoint l'idée que la langue qu'on parle, c'est la langue de l'universel, et -- BC: Non, non: je pense qu'il y a effectivement des génies des langues. Il y a des génies des langues. Non, ce que je pense, c'est que c'est un encombrant problème, parce qu'on tombe très vite dans le nationalisme ontologique de Heidegger, C'est-à-dire - EK: ou de Rivarol? BC: ou de Rivarol; dire ma langue est lié à mon peuple, à ma culture, et c'est la bonne. EK: Mon histoire. BC: Mon histoire. Donc, s'approprier l'universel, comme dit Rivarol: "La langue française, c'est la langue humaine." Bon. EK: Oui, je le cite: "Il me reste à prouver que, si la langue française a conquis l'Empire par ses livres, par l'humeur et par l'heureuse position du peuple qui la parle, elle le conserve par son propre génie. Ce qui distingue notre langue des autres langues anciennes et modernes, c'est l'ordre et la construction de la phrase. Le français nomme d'abord le sujet du discours, ensuite le verbe qui est l'action et enfin l'objet de cette action. Voilà la logique naturelle à tous les hommes, voilà ce qui constitue le sens commun." Et il termine en effet: "Puisqu'il faut le dire, la langue française est de toutes les langues la seule qui ait une probité attachée à son génie, sure, sociale, raisonnable. Ce n'est plus la langue française, c'est la langue humaine." BC: Oui, et vous voyez, ce qu'il y a de très drôle, c'est que quand il dit ça, au fond, il est grec. C'est-à-dire que -- EK: ou allemand. BC: Oui, oui, enfin, l'allemand lui-même était grec. [RIRE] C'est-à-dire qu'il dit: "Voilà, je parle le logos." Le logos, c'est-à-dire raison et discours joints. EK: Ce n'est même pas que je le parle, c'est le logos qui parle au travers de moi. BC: Absolument. Absolument. Mais ceci dit, c'est quand même moi qui le parle. En l'occurrence, c'est quand même bien la France qui, etc. Et vous voyez, il est en train de se passer quelque chose de très intéressant aujourd'hui: plus personne n'oserait dire ça, bien que, en sous main, ça continue à se penser, sauf que par exemple là, nous sommes invités, la France est invitée d'honneur à Francfort, à la foire du livre de Francfort. Hé bien, Paul de Sinety qui est le commissaire de cette exposition, du pavillon français, a décidé qu'il ne ferait pas un pavillon de la France, mais un pavillon du français, c'est-à-dire le français comme langue parlée par d'autres, une langue qui n'appartient pas. Et ça, c'est déjà un pas extrêmement fort et intéressant et intelligent par rapport à ce "plus d'une langue". Chaque langue est en elle-même, déjà, la langue d'un autre. EK: Ça veut dire que, si on veut bien faire de la traduction, il faut avoir une sorte d'intelligence flottante? BC: Oui EK: Comme le disait je ne sais plus qui, il ne faut pas être rivé à une langue, il faut savoir circuler? BC: Oui, bien sûr, il faut rester entre, entre les langues, et entre est un très beau mot, parce qu'il veut dire à la fois "entre deux", inter en latin, et puis il veut dire aussi "entrer dans", intrare. Et je pense que c'est ça, la traduction. Il faut à la fois être entre, et entrer. [MUSIQUE](Voix Off) France Culture: La conversation scientifique par Etienne Klein. EK: Alors revenons à l'exposition qui a lieu à Marseille, parce qu'on n'a pas tout dit, on a évoqué quelques sujets mais il y a aussi des événements qui se déroulent dans cette exposition. Des conférences, j'imagine, ou des -- BC: Oui, il y a eu tout un cycle de conférences. Le cycle de début, c'était, autour d'un projet que nous avons en commun avec un certain nombre de chercheurs, déjà, les intraduisibles des trois monothéismes. C'est le dictionnaire suivant, si vous voulez, le dictionnaire dont je pense que nous avons besoin aujourd'hui. C'est-à-dire comprendre autour de quels mots s'enroule chaque texte dit sacré des trois monothéismes en langue, et essayer de voir comment ça fonctionne, quels sont les noms de Dieu, comment ça se dit, Dieu, dans la Torah, dans la Bible et dans le Coran? Bon. Et essayons de réfléchir à ça. Comment ça se dit, "le livre", comment ça se dit, "l'autre"? Bon. Essayons de comprendre quels sont les dispositifs, si vous voulez, langagiers qui permettent et qui permettent aussi de passer d'un dispositif à l'autre, de s'entendre. On ne s'entend que quand on comprend ce qu'on ne comprend pas, voilà. EK: Est-ce qu'il y a une langue propre des textes sacrés, qui est revendiquée par ceux qui y croient, disons? BC: Mais ça dépend de quel texte: pour la -- dans le catalogue, justement, il y a un magnifique article de Delphine Horvilleur qui explique, bon, dans quelle langue, qu'est-ce que c'est exactement que la Torah, qu'est-ce qui a été écrit en hébreu, qu'est-ce qui a été révélé: les Dix Commandements? Le Premier Commandement? La première phrase? Le premier mot? La lettre en creux du premier mot? Bon: cette présence absente de la langue hébraïque est tout de suite commentée par un targoum en araméen etc. Ça, c'est visible, si vous voulez, dans les manuscrits que je montre dans l'exposition. Maintenant, prenons la Bible, la Bible chrétienne. En quelle langue se dit-elle? Hé bien, elle ne se dit dans aucune langue, elle se dit en latin de traduction: dans la traduction de la Vulgate par saint Jérôme: c'est ça, la langue autorisée. Et lorsqu'on montre, par exemple, une Bible de -- la Bible plurilingue d'Alcalà, hé bien on voit le latin comme une bande principale au milieu, au centre. Et puis il est flanqué de deux bandes latérales, l'une en grec et l'autre en hébreu. Et le commentaire, c'est: "Voici le Christ et les deux larrons." Donc vous voyez comment ça se passe de manière infiniment différente. Et enfin, le Coran, hé bien il est révélé en arabe et l'arabe doit rester la langue du Coran. Alors on peut traduire, non pas le Coran, mais le sens du Coran. Et néanmoins, ça, ça se voit dans les manuscrits aussi que l'on montre, qui sont des manuscrits avec une traduction intralinéaire. Donc sous l'arabe, il y a des mots, par exemple en persan, en farsi, et un mot sous un mot, mais ça ne fait pas vraiment une phrase. Et en tout cas, le Coran se dit et se psalmodie en arabe. EK: Est.ce que ces discussions que vous avez, ou ses conférences que vous faites, sont bien accueillies? Est-ce qu'il y a de la bonne volonté dans ce travail de transposition, ou est-ce que vous sentez qu'il y a des résistances? BC: Non, j'ai trouvé que c'était magnifiquement accueilli, mais il faut dire que Marseille est une ville extraordinaire. Et en l'occurrence, ce qu'il y avait de si passionnant, c'est que les lycées confessionnels venaient écouter et écouter de manière croisée, et préparaient les choses. Donc ça, c'était vraiment très intéressant. Il y a eu d'autres conférences, il y a eu -- Heinz Wismann est venu parler avec Martin Rueff -- EK: Oui, il a écrit il y a quelques années Penser entre les langues, BC: Voilà. EK: Où il raconte son itinéraire entre la langue allemande, la langue française et la langue grecque, BC: Oui. EK: qui a formé sa pensée de l'autre, très justement. BC: Oui, j'ai moi-même eu une conversation, un dialogue, avec Magyd Cherfi, qui a écrit Ma part de Gaulois et c'était aussi très intéressant: bon, voilà. Et puis il va y avoir bientôt une conférence d'Alain Badiou sur "Traduire La République", donc il a hyper-traduit La République de Platon et en a fait quelque chose de contemporain et de f... je ne sais pas s'il faut que je dise que c'est fondamentalement différent ou que c'est une appropriation extrême par l'aujourd'hui et par la pensée de Badiou de la pensée de Platon. Et puis il y a, en ce moment même, deux traducteurs en résidence, grâce au CNL, grâce -- qui ont une bourse pour traduire Le monolinguisme de l'autre de Jacques Derrida, l'un vers l'hébreu et l'autre vers l'arabe. Et ils vont réfléchir aux difficultés croisées qu'ils ont pu rencontrer. EK: Est-ce qu'il y a des cas où la traduction est tellement bien faite qu'elle va s'imposer et devenir infidèle à l'original? Ou plutôt, l'original deviendra infidèle à la traduction, comme le dit Borges? BC: Oui, c'est une phrase de Borges. Hé bien vous voyez, je pense que la Vulgate est un cas de ce genre. C'est-à-dire que la Bible, pour les chrétiens, c'est le latin de la Vulgate; or jamais le Christ n'a parlé latin. EK: Alors justement, ça c'est un problème qu'on retrouve aussi en sciences, parce que vous êtes dans la Conversation scientifique, donc il faut qu'on parle un petit peu de science. BC: Oui. EC: Si on prend la physique, par exemple, le langage naturel ou le formalisme naturel de la physique, ce sont des équations. Est-ce que ça a du sens, pour vous, de tenter d'imaginer ce qu'elles diraient si elles pouvaient parler? C'est-à-dire, est-ce que ça a du sens d'essayer de traduire la physique dans la langue commune, quitte à la retravailler, à la critiquer, puisque ce que dit la physique n'est pas déjà contenu dans le langage. Souvent, elle contredit le langage. Est-ce que la vulgarisation, comme on l'appelle, vous paraît être une démarche qui relève de la traduction en général, du déménagement, de la métaphore, justement? BC: Oui, je dirais même, la vulgarisation ne se fait pas de la même manière dans chacune des langues. Et ce qui me paraît très intéressant, c'est de travailler le rapport entre une équation et les métaphores qui servent à dire ce qu'elle dit. Et ces métaphores ne sont pas les mêmes dans les différentes langues. Je pensais, enfin, il y a un article du Dictionnaire des intraduisibles qui n'a jamais été écrit, parce que c'est un article en quelque sorte maudit, parce que je l'ai demandé successivement à Ricoeur, à Derrida, Lyotard, à Nicole Loraux. et bon, aucun d'eux n'a pu l'écrire. C'est un article sur la métaphoricité différentielle des langues. Et je crois que cet article-là aurait touché la -- le rapport aux mathématiques, et le rapport à la physique, et le rapport à cette langue dite universelle qui est le calcul. EK: Oui, d'ailleurs, quand on lit la traduction d'un livre de vulgarisation anglais, par exemple, en français, on voit tout de suite que c'est une traduction. BC: Oui EK: Parce que justement, les métaphores qu'utilisent les physiciens anglais ne sont pas les mêmes que les Français, le rapport aux équations, aux mathématiques, est différent. BC: Oui: la mise en visibilité n'est pas la même. EK: Barbara Cassin, quand on parle de traduction, on pose la question du statut des langues étrangères dans l'enseignement. Est-ce que vous avez des recommandations? Est-ce qu'il y a des choses qui vous choquent dans les pratiques d'aujourd'hui? BC: Oh, ce qui me choque, c'est l'état des lieux des livres d'enseignement de langues, comme si la langue était simplement un moyen de communication, justement. Et comme si l'important, au fond, c'était de savoir comment dire: "Let's go to the pictures." C'est très important, mais ce n'est pas la peine de l'apprendre en classe, ou du moins, ce n'est pas ça qu'il faut apprendre d'abord. Je trouve que d'une part, il faut que nous soyons bien meilleurs usagers des langues -- des langues vivantes, bien plus pratiquants, et donc, pour ça, hé bien, vive les séjours linguistiques et les échanges d'étudiants, bon. Et puis je pense aussi qu'il faut que nous soyons bien plus conscients qu'une lange est autre chose qu'un moyen de communication et pour ça, il faut des textes bilingues. Il faut des vrais textes, autre chose que des journaux, ou -- bon. Des vrais textes, et les travailler en bilingue. Je suis pour que les manuels, si vous voulez, fassent leur part aux poèmes, par exemple, et à la difficulté de traduire ces poèmes. Et donc, avec plus d'une traduction à côté, Ça, ça me paraîtrait un exercice formidable. Et justement, savoir faire avec les différences, voilà ce qui me paraît lié à l'enseignement de la traduction et je dirais encore un mot sur la manière dont se passe, au fond, aujourd'hui, l'enseignement en France. En gros, quand même, on en est toujours à: "Asseyez-vous et taisez-vous, et si vous parlez, parlez français." Hé bien, si au lieu de dire ça, on faisait -- on posait la question: "Quelle langue parlez-vous? Peut-être parlez-vous plus d'une langue: laquelle? lesquelles?" EK: Et vous êtes sure que ça ne se passe pas comme ça? BC: Non, je pense que ça se passe de plus en plus, mais qu'il faut que ça se passe de manière, disons, favorisée officiellement. EK: Est-ce qu'il y a des raisons pour que une population, par exemple les Français, soient mauvais, comme on le dit souvent, en langues étrangères? Est-ce que c'est lié à leur rapport à leur propre langue qu'ils considéreraient comme meilleure que les autres? Est-ce que c'est de la suffisance? Est-ce que c'est un problème d'enseignement, de culture? BC: Je pense que c'est tout ça à la fois. Il y a un problème d'enseignement, c'est-à.dire qu'on n'enseigne pas assez à parler, communiquer en langue, donc en l'occurrence, les échanges européens sont fondamentaux, bon, et ailleurs. Et ensuite, on n'enseigne pas assez la culture des autres langues, sauf quand on est loin dans l'étude d'une langue. Mais d'emblée, non. Moi, je me souviens de Daffodils: j'adorais ce mot, j'adorais qu'il y ait Daffodils, ce poème, dans mon livre d'anglais. Aujourd'hui, quand je regarde les livres d'anglais de mes enfants et de mes petits-enfants, il y a plus rien qui ressemble à ça. [MUSIQUE] EK: c'est la fin de cette émission, Barbara Cassin, merci d'être venue. J'ai l'impression, en vous écoutant, que finalement, la traduction, c'est une affaire d'amour, non? BC: Oui, c'est une affaire d'amour -- EK: Vous êtes d'accord avec ça? BC: Oui, mais alors ajoutons que, à ce moment là, la politique aussi est une affaire d'amour. EK: Ça ne se voit pas tous les jours [RIRES]. Merci, Barbara Cassin. C'était la Conversation scientifique avec la collaboration de Cyril Baert, à la réalisation, Laetitia Coïa et à la technique, Myriam Guyot. [MUSIQUE] EK: Tout de suite, c'est-à-dire dans quelques instants, vous retrouvez Antoine Guillot pour le rendez-vous "Cinéma" de France Culture.