J'aimerais vous parler
de l'esprit inconscient
et en quoi il influence nos comportements
et notre perception du monde,
principalement le monde social.
Je vais d'abord vous donner
ma définition de l'inconscient.
Les scientifiques caractérisent
les processus inconscients
comme étant ceux qui surviennent
sans effort de notre part,
sans effort conscient -
et qui sont automatiques.
Vous n'y prêtez pas attention.
Aucune volonté n'est nécessaire
et ils sont plus ou moins
hors de votre contrôle.
Par conséquent, nous ne comprenons
pas bien tout ce qui nous influence
et nous parvenons difficilement à éviter
les comportements qu'ils produisent.
Je ne vous parle pas de l'inconscient
freudien, soyons clairs sur cela.
L'inconscient freudien est
une conception d'un inconscient
qui nous est caché pour des raisons
motivationnelle ou émotionnelle.
Il peut aussi être découvert
avec l'introspection ou la thérapie.
Mais la vision moderne de l'inconscient
est très éloignée de ça.
C'est un élément qui a évolué pour nous
aider à naviguer dans le monde,
dans notre perception du monde social.
Il survient dans des régions
de notre cerveau
par définition inaccessibles
à notre esprit conscient.
Je vais donc vous parler aujourd'hui
de neurosciences sociales.
C'est une discipline qui combine
trois champs scientifiques.
Traditionnellement,
il y a la psychologie sociale,
le champ de la psychologie observant
les interactions entre les personnes
et la psychologie cognitive, la science
qui observe comment nous pensons.
Mais une nouvelle discipline a émergé
durant les années 90 : les neurosciences.
Elles sont basées
sur une nouvelle technologie -
en fait beaucoup de nouvelles technologies
mais une est dominante,
c'est l'IRMf : l’imagerie
par résonance magnétique fonctionnelle.
C'est très long à prononcer
mais vous connaissez sans doute l'IRM,
utilisée pour les tests médicaux,
qui donne de belles images
de vos organes internes.
Dans IRMf, il y a le « f » en plus,
pour « fonctionnelle »
car il nous permet de voir,
en scannant le cerveau,
quelle partie est active.
Comme sur cette illustration, par exemple.
Cela a révolutionné la psychologie
car les neurosciences modernes et sociales
ou la psychologie qui en résultent
font le lien entre les études
de comportement qu'elles réalisent
et ce qui survient dans le cerveau.
Cela donne corps aux concepts
et ainsi, les rapproche
des sciences dures.
Voici un exemple d'IRMf
et de son fonctionnement
ou des résultats que l'on peut obtenir.
C'est une étude faite à Berkeley.
On montre des images aux participants.
Vous en avez quatre exemples à l'écran.
Les participants regardaient les images
dans des lunettes
alors qu'ils étaient allongés dans l'IRMf.
Les scientifiques ont extrait les données
de leur cerveau,
pas les données des photos
mais la simple lecture du cerveau,
du cortex visuel
et d'autres régions du cerveau
liées au thème de l'image
visualisée par les participants.
Ils ont ensuite demandé à un ordinateur
de reconstruire l'image visionnée,
de lire leur esprit, en quelque sorte.
L'ordinateur a comparé ces données
à une base de données
de six millions d'images
et a choisi les plus proches.
On peut voir que c'est assez proche,
que ce soit la disposition
et les données physiques des images
ou thématiquement parlant,
on a pu lire l'esprit en quelque sorte.
Nous allons évoquer l'esprit inconscient
dans deux domaines.
Le premier est notre perception physique
et le second notre perception sociale.
Mon message est que
nous nous faisons une image des gens,
des situations sociales, des affaires
ou de la situation financière,
en utilisant nos pensées conscientes
et aussi notre esprit inconscient.
Je vais illustrer cela
dans la perception sensorielle,
en partie parce que celle-ci
est plus visuelle et aisée à illustrer
dans ce cénacle
et en partie car les façons
dont nous reconstruisons la réalité
au départ de données limitées
sont similaires dans les perceptions
sensorielles et sociales.
J'aimerais vous ouvrir à l'idée
que nos perceptions,
nos perceptions visuelles et auditives,
nos souvenirs et nos perceptions sociales
ne sont pas des choses externes en soi
mais qu'elles sont construites
par notre cerveau
à partir ce qui est là
et de nombreux autres éléments
comme le contexte,
les attentes et même le désir.
Je souhaite vous ouvrir à l'idée que
la façon dont nous ressentons le monde
est largement influencée
par ce processus inconscient.
Un exemple.
Imaginez que ceci est votre perception
quand vous regardez la route.
Ce n'est pas vraiment
ce qui touche votre rétine.
Les données qui touchent votre rétine
sont plus floues, comme ceci.
On a ajouté un point jaune
pour situer où la personne regarde.
Le point noir n'a pas été ajouté.
C'est là que le nerf optique est rattaché
à la rétine et il n'y a aucune donnée.
Votre œil recueille
ces données un peu floues
et automatiquement, sans aucun effort
ou contrôle de votre part,
les transforme en ça,
en quelque chose de très net.
Les illustrations suivantes
vont clarifier mes propos.
En regardant ceci, vous voyez un damier,
et vous voyez sans doute
un rectangle avec un B,
qui ressemble à un carré blanc,
et un rectangle avec un A
qui ressemble à un carré noir.
Je vous divulgue l'info de suite :
le A et le B sont identiques.
En fait, la lumière physique qui émane
de A et de B, que vous voyez sur l'écran,
est identique.
Le carré B est de la même couleur
que le carré A.
Maintenant, vous allez consciemment
dépasser votre perception première.
C'est automatique
et impossible à contrôler,
mais regardez maintenant A et B
comme ayant la même couleur.
Vous constaterez que
vous n'y parvenez pas.
Pourquoi voyez-vous B
comme plus clair que A ?
C'est dû au contexte.
Votre esprit inconscient
intègre le contexte de l'image
et vous fait voir B comme un carré blanc
et A comme un carré noir.
On peut appeler cela une illusion
d'optique mais c'est un don
car vous ne voulez pas vivre en intégrant
les données physiques réelles,
en vous demandant à chaque instant
ce que ça signifie
et en reconstruisant le modèle
avec les données noires et claires.
Si vous êtes sceptiques
et pensez que j'ai inventé ça,
retirons le contexte.
Observez l'écran et regardez
ce qui arrive à A et B
quand je les retire
de leur contexte du damier.
Vous pouvez voir que
A et B sont identiques.
Merci.
(Rires)
(Applaudissements)
Je regrette ne pas avoir
plus de 18 minutes pour approfondir.
Voici une photo de Barack Obama,
vous l'aurez reconnu.
Allons-y avec l'illustration du composant
social de notre processus mental.
Quand on regarde ces deux photos d'Obama,
elles ressemblent à Obama à l'envers
et paraissent normales.
Toutefois, nos perceptions sociales,
nos interactions sociales
sont cruciales pour nous
et notre cerveau agit principalement
pour nous aider dans ces perceptions.
Ces photos sont en fait très différentes
et pas vraiment similaires
mais notre perception sociale
n'est pas optimale
car les photos sont à l'envers.
On n'est pas conçu
pour voir les gens la tête en bas,
sauf peut-être un yogi
en posture du poirier.
Mais la plupart d'entre nous
ne remarqueront rien.
Que se passe-t-il
quand on retourne les photos ?
Si vous deviez croiser
ce type dans la rue,
vous penseriez qu'il ressemble un peu
à Obama mais il y a un truc étrange.
(Rires)
Ça pourrait être son expression
après le résultat des élections.
(Rires)
Ce type a l'air d'un être humain normal.
La région sociale de notre cerveau
interprète pour nous,
automatiquement.
Retournons les photos
et que se passe-t-il ?
Vous voyez le mécanisme ?
À l'envers, l'effet bizarre disparaît
et apparaît quand le visage
est dans le bon sens.
(Rires)
Un autre exemple avec l'audition
pour vous montrer que ce traitement
de l'information ne se limite pas à la vue
mais touche aussi l'ouïe.
On capte les données auditives
qui entrent dans nos oreilles
et notre cerveau nous joue autant
de tours pour construire une image
qu'avec le son.
Écoutez cette chanson que
vous reconnaîtrez peut-être :
Led Zeppelin, Stairway to Heaven.
Ça ne démarre pas. Je ré-essaie.
(Musique)
Ne t'alarme pas s'il y a de l'agitation
dans la haie.
C'est le nettoyage de printemps
pour la Reine de Mai.
Oui, tu peux choisir entre deux chemins,
mais au bout du compte,
tu as encore le temps...
Cette chanson vous paraît
sans doute normale
et vous pouvez décoder mentalement
les 8 ou 10 strophes
quand on les joue normalement.
Dans un instant,
je vais vous les passer à rebours.
Écoutez-les à l'envers.
Observez par vous-même.
Led Zeppelin était-il suffisamment malin
pour créer une bande son
qui ferait sens à la fois dans le sens
normal et jouée à rebours ?
(Musique à rebours : Stairway to Heaven)
(Paroles incompréhensibles)
Vous venez d'entendre
quelques strophes à rebours.
Si je vous donnais une feuille de papier,
pourriez-vous les transcrire ?
Ou bien est-ce juste du charabia ?
Je penche pour du charabia.
Car c'est ce que c'est : du charabia.
Mais ce charabia qui pénètre votre cerveau
peut être transformé en quelque chose
en poussant votre esprit inconscient
à conceptualiser un peu.
Je vais repasser le morceau
avec quelques mots.
Tout comme le damier est apparu différent
quand j'ai ôté les carrés
pour les insérer dans un contexte,
cette chanson va vous paraître
différente à rebours
quand j'aurai ajouté du contexte.
Lisez au fur et à mesure !
(Musique)
[Oh. Voici mon doux Satan.
Celui dont le chemin me rendrait triste
celui dont le pouvoir est Satan.
Il vous donne, donne 666.
Il y a ce petit atelier
où il vous fait souffrir,
triste Satan.]
Nous avons donc deux versions
de la réalité.
La physique est identique.
Vous avez écouté la même bande son
la première et deuxième fois.
Pourtant, votre perception est différente
car votre esprit a récupéré des mots
et construit quelque chose à partir de là.
Pour vous montrer que
c'est automatique et inévitable
et je sais que vous comprenez
que ça ne requiert aucun effort
je vais le rejouer.
Lisez les mots, et écoutez.
Mais écoutez comme la première fois,
n'écoutez pas les mots,
écoutez le charabia, d'accord ?
(Musique à rebours : Stairway to Heaven)
Vous ne pouvez plus ne plus l'entendre
car vous êtes contaminé.
À cause de ça, certaines personnes pensent
vraiment entendre des messages,
des messages subliminaux, à rebours,
alors qu'il n'y en a pas vraiment.
Si vous allez sceptics.com
de Michael Shermer,
vous pourrez découvrir des discussions
sur le fait que c'est faux.
Maintenant, je souhaite vous guider
à travers nos perceptions sociales.
Le point crucial est que ces astuces
que vous joue votre esprit pour créer
vos perceptions visuelles et auditives
sont actives dans nos perceptions
sociales aussi.
Un des effets utilisés par notre cerveau
pour créer nos perceptions sociales,
c'est l'apparence.
Les humains sont des animaux sociaux
intrinsèquement.
Sans coopération sociale,
notre espèce n'aurait pas survécu.
Et quand les scientifiques
constatent aujourd'hui
que ceux qui ont
un faible taux contextuel social,
un petit réseau social,
ont des risques de santé plus importants
que ceux qui ont un grand réseau social.
Avoir un petit réseau social
est aussi nocif pour la santé
que le tabagisme ou l'obésité.
Dans cette étude-ci, on a réuni des gens,
en deux cohortes,
et on leur a montré des données
sur deux candidats politiques,
un républicain et un démocrate.
Les données brutes sur leurs croyances
étaient accompagnées
d'une photo des deux candidats.
On a montré au premier groupe une photo
sur laquelle le candidat démocrate a l'air
plus compétent que le républicain
et à la deuxième cohorte, l'inverse.
Pas la beauté, l'air de compétence.
La seule différence entre les cohortes
qui avaient en main les mêmes données
était une vue différente du candidat.
La question est de savoir
en quoi cela influençait leur vote.
La réponse est un taux de basculement
des votes de 14 %.
En changeant des photos
montrant la confiance en soi ou pas,
14 % des votes changent, un taux suffisant
pour changer le cours des élections.
Quelle preuve incroyable.
Évidemment, c'est un test dans un labo,
qu'en est-il dans la vraie vie ?
Heureusement, un psychologue
de l'université de Princetown
a décidé de tester cela dans la vraie vie.
Il a réuni des paires de portraits
de candidats démocratiques et républicains
dans des dizaines d'élections
des gouverneurs d'États ou du Congrès.
Il a réuni des centaines de personnes,
leur a montré ces couples de portraits
et leur a demandé
de juger quelle personne a l'air
la plus compétente pour chaque couple
en leur stipulant de ne pas voter
s'ils reconnaissaient un candidat.
Il s'agit simplement
de regarder des photos
et de choisir celui
qui a l'air le plus compétent.
Avec témérité,
il a prédit le résultat de ces élections
sur la base des votes des participants,
fondés sur l'air de compétence.
Quel fut le résultat de ses prédictions ?
Si la compétence n'intervient pas,
son taux de succès serait de 50 %.
Mais il a obtenu un taux de 70 %.
Dans 70 % des cas,
la personne qui a l'air
la plus compétente gagne l'élection.
Notre cerveau, notre esprit inconscient,
utilise aussi le toucher
pour combler notre perception sociale.
J'ai déjà évoqué le fait que
nous sommes des animaux sociaux.
En fait, tous ces primates,
et vous en avez quatre espèces ici,
ont des comportements sociaux
liés au toucher.
Les primates non-humains ont tendance
à s'épouiller pendant des heures.
C'est un besoin physique pour se nettoyer,
mais cela peut se faire
en 10 à 20 minutes par jour.
Pourtant, ils s'épouillent
pendant des heures
car le toucher aide à créer un sentiment
de lien et de coopération sociale.
Des scientifiques ont découvert récemment
que les humains ont des nerfs spécialisés,
principalement sur les avant-bras
et le visage
dont la seule fonction semble être la
transmission du plaisir social du toucher.
Dès lors, quand nous formons
notre vision du monde,
quel genre de contexte cela ajoute-t-il ?
Comment le fait d'être touché ou pas
affecte-t-il notre jugement sur le monde ?
Une équipe scientifique forcément
française a fait un test intéressant.
Ils ont recruté des jeunes hommes
français, très beaux.
Leur mission était de rester
dans une rue, dans le nord de la France,
et de draguer toutes les jeunes femmes
qui passaient devant eux.
Ils étaient là, à suivre le même texte
avec toutes les femmes.
Vous pouvez lire la traduction
de leur script.
Ils se présentaient et demandaient
leur numéro de téléphone.
Mais chez la moitié des femmes,
ils les touchaient légèrement
au niveau du coude ou de l'épaule.
Ils ne touchaient pas les autres femmes.
Après, ils conduisaient
une interview avec les femmes
et la plupart ne se souvenaient pas
avoir été touchées.
Ce signal a-t-il influencé le contexte
sur la façon de considérer le jeune homme
et leur inclination
à accepter un rendez-vous ?
La réponse est oui : le facteur a doublé,
passant de 10 à 20 %.
Ces résultats ont été reproduits
dans d'autres contextes.
Un pourboire est plus important
quand on effleure son client.
Des passants sont plus prêts à prendre
le temps de répondre à des enquêteurs,
entre autres.
Quand j'explique ces idées,
j'aime bien faire une expérience
de groupe mais ce n'est pas possible ici.
Je vais simplement vous en parler.
Je demande aux gens de regarder ces photos
de deux hôtels avec quelques données.
Voici Tahiti,
une seule chambre, un petit cottage, etc.
Je leur demande combien
ils sont prêts à payer pour Tahiti.
Les résultats sont incroyables.
J'ai deux cohortes
et je demande à la première,
avant de leur demander
quel prix ils sont prêts à payer :
cette chambre coûte-t-elle
plus de 5 500 euros par nuit ?
À la deuxième cohorte, avant de demander
le prix qu'ils sont prêts à mettre,
je demande :
la chambre coûte-t-elle
plus de 55 euros par nuit ?
La lecture des données fait comprendre
qu'on est loin des 5 500 euros,
vraiment loin,
mais que c'est aussi
bien plus que 55 euros.
On pourrait croire
à de simples questions fermées.
Mais en fait, ces questions
ont un effet subliminal sur le public.
Ceux qui ont vu une des deux questions
n'ont pas vu l'autre et vice et versa.
Elles n'ont vu que la question
assignée à leur cohorte.
La question est :
comment ce contexte influence-t-il
l'évaluation de la chambre,
la perception de la valeur de la chambre ?
Voici la réponse obtenue
dans plusieurs cohortes :
ceux qui ont vu le prix exorbitant
répondront environ 1 000 euros.
Ceux qui ont vu le prix très bas
répondront entre 200 à 300 euros.
Cette question apparemment anodine
établit le contexte qui modifie
la perception de la chambre,
comme le damier a fourni le contexte
et les mots dans la chanson à rebours
ont fourni du contexte aussi.
Je terminerai
avec une citation de Carl Jung :
« Ces aspects subliminaux
de tout ce qui nous arrive
semblent avoir peu d'impact dans nos vies.
Pourtant, ce sont les racines presque
invisibles de nos pensées conscientes. »
Merci.
(Applaudissements)