Village des Pruniers, France, Mai 2014 Le Maître Zen Thich Nhat Hanh répond aux questions Comment empêcher ma colère d'exploser et de blesser les autres ? Cher Thây, chère Sangha Parfois je contrôle la colère qui monte. Je la garde à l'intérieur, mais ensuite elle explose soudainement Je laisse tout sortir d'un coup, sans savoir pourquoi et sans pouvoir la contrôler. Quand ma colère explose, je blesse l'autre personne, et moi-même aussi. Et je n'ai pas de compassion pour elle car je ne me rends pas compte. Et quand je me calme, et que toute la colère est sortie, alors j'ai de la compassion et j'ai conscience que je l'ai fait souffrir Mais sur le moment, je ne peux rien faire. Comment faire ? Cher Thây, notre amie dit que... C'est une autre question sur la colère. Elle sent beaucoup de colère qui monte parfois et elle ne veut pas la laisser sortir. Donc elle essaye de la contrôler, elle la refoule. Mais alors, à un moment ça explose, ça sort et elle peut blesser l'autre. Elle est désolée de blesser l'autre. Elle sent de la compassion pour la souffrance qu'elle lui a causé. Elle veut savoir comment mieux gérer la situation. Est-elle capable de voir la souffrance de l'autre personne ? Je vois leur souffrance mais l'émotion forte arrive quand même Que puis-je faire ? Contrôler ne suffit pas. Contrôler peut être supprimer. Supprimer n'est pas bon, parce qu'elle est toujours là, tu la coinces, mais elle est encore là. Donc supprimer n'est pas bon. Nous devons transformer. Et pour transformer, on a besoin de compassion. Le seul antidote pour la colère, la violence c'est la compassion. Il n'y a pas d'autre moyen. Mais comment créer de la compassion ? Comment générer cette énergie ? C'est ça la vraie question. Et dans cette retraite nous avons appris à reconnaître la soufrance. Car la souffrance en cette personne est la cause de son action ou ses mots qui peuvent te blesser. La colère en lui arrose la colère en toi La violence en lui arrose la violence en toi. Et c'est pourquoi... nous devons inspirer et expirer consciemment et voir que l'autre est victime de sa propre violence, souffrance, incompréhension. C'est très important. C'est l'enseignement du Bouddha : regarder la souffrance et comprendre la souffrance. Quand on comprend sa propre souffrance on peut comprendre celle de l'autre. Comprendre la souffrance apporte toujours la compassion Et c'est seulement la compassion qui peut transformer la colère et la violence. Il y a ceux qui pensent qu'on peut retirer le bloc de colère de nous comme une opération chirurgicale. Mais on ne peut pas faire ça avec la colère. On ne peut pas l'extirper. On peut seulement la transformer. La colère peut être transformée en quelque chose d'autre. Elle peut être transformée en compréhension et compassion Et c'est le travail d'un pratiquant : regarder dans la souffrance, sa propre souffrance et celle des autres et essayer d'en comprendre la cause. C'est comme ça qu'on génère l'énergie de compassion Et quand la compassion est là elle transforme la colère. On n'a pas besoin de l'enlever. Il y a ceux qui essayent de la retirer. Il y a ceux qui conseillent de... l'enlever par une pratique appelée "ventilation" Comme s'il y avait de la fumée chez vous et que vous vouliez ventiler la fumée pour l'enlever. La technique c'est de s'enfermer dans sa chambre et de frapper un oreiller pendant 10, 15 minutes Et ils pensent qu'en faisant ça on peut... enlever la colère. "j'ai conscience que la colère est là" "je veux l'enlever" Car ils pensent que c'est plus sûr de frapper l'oreiller que de frapper l'autre personne directement. Et ils appellent ça "l'enlever de soi". Mais ça ne marche pas. Ca ne marche pas. Ça peut renforcer votre colère. C'est comme ressasser votre colère Et ils appellent ça "entrer en contact avec sa colère" C'est bien d'être en contact avec sa colère. Le Bouddha nous conseille aussi d'inspirer de retourner en nous et d'entrer en contact avec notre colère, de l'étreindre tendrement et de regarder profondément en elle. Mais dans cette pratique de marteler l'oreiller on ne rentre pas vraiment en contact avec notre colère. On est victime de notre colère. On ne la contacte pas. On n'est même pas en contact avec l'oreiller... même si on le frappe. Car si vous êtes vraiment en contact avec votre oreiller, vous savez que ce n'est qu'un oreiller C'est drôle de frapper un oreiller. L'oreiller est innocent. Si vous n' êtes pas en contact avec l'oreiller vous ne pouvez pas être en contact avec votre colère. Et si vous continuez comme ça peut-être qu'un jour, en le croisant dans la rue, vous aurez envie de... le frapper directement et vous irez en prison Donc ça ne vous aide pas vraiment à faire sortir la colère Donc selon cette pratique que le Bouddha recommande, on doit revenir à nous et reconnaître la colère et essayer de la contenir avec l'énergie de pleine conscience C'est la pleine conscience de la colère On pratique toujours la pleine conscience de quelque chose Quand je bois mon thé et deviens conscient que je suis ici et maintenant c'est la pleine conscience de boire. Et quand je respire consciemment c'est la pleine conscience de la respiration. Quand je marche consciemment, c'est la pleine conscience de la marche. Donc quand je reviens en moi-même et reconnais ma colère, et tiens ma colère la colère devient l'objet de ma pleine conscience C'est la pleine conscience de la colère Il y a deux énergies : d'abord l'énergie de la colère et ensuite, l'énergie de pleine conscience. Pour avoir cette énergie, on doit pratiquer la respiration et la marche en pleine conscience. Avec la seconde énergie, on reconnait la première et on l'embrasse tendrement, on ne supprime pas... ... mais on l'embrasse tendrement Comme une mère qui embrasse son bébé qui souffre. Et quand l'énergie de pleine conscience embrasse l'énergie de colère, on souffre moins. C'est comme le soleil qui embrasse la fleur de lotus Le lotus reçoit la chaleur, l'énergie, pour éclore. Donc quand on utilise l'énergie de pleine conscience pour embrasser notre colère, on souffre moins, on est soulagé. On souffre moins. Et si on regarde plus profondément, on peut identifier la cause de notre colère : une perception erronée ou peut-être notre manque de capacité à voir la souffrance de l'autre. Et si on identifie notre perception erronée, si on peut voir la souffrance de l'autre alors soudain, cette compréhension, cette vision, fait naître la compassion. Et quand la compassion survient, c'est comme un nectar qui allège notre souffrance immédiatement. On est soulagé. Et on peut transformer. Cette pratique fonctionne toujours. Vous savez qu'avant, au Village des Pruniers on sponsorisait un groupe de Palestiniens et d'Israëliens pour qu'il viennent pratiquer. Il y a beaucoup d'incompréhension, de colère et de suspicion dans chaque groupe. Mais s'ils peuvent rester 2 semaines, la transformation et la guérison sont possibles On pratique : calmer, relâcher les tensions On pratique : entrer en contact avec les merveilles de la vie pour se nourrir. On pratique aussi la respiration pour reconnaître notre suspicion, notre peur, notre colère. Puis on s'assied, et on essaye de s'écouter les uns les autres et de parler au groupe de notre souffrance, notre peur. On utilise la pratique du 4ème entraînement à la pleine conscience : la parole aimante, et l'écoute profonde. On peut leur partager tout ce que nous avons sur le coeur : notre souffrance, notre peur, notre colère Mais on le fait de façon à ce que l'autre personne, l'autre groupe puisse vous comprendre. Aidez-les à comprendre. Donc quand vous parlez, vous ne condamnez pas, vous n'accusez pas. Vous les aidez juste à comprendre combien vous souffrez vous et votre peuple et vos enfants. Ainsi, vous les aidez à comprendre votre souffrance. Puis ce sera votre tour de vous asseoir et d'écouter leurs souffrances. Ils vous diront leurs souffrances, leurs peurs, leur colère, leur désespoir. Et vous devez écouter. Et pendant qu'ils parlent vous remarquerez peut-être qu'ils ont des perceptions erronées sur vous. Et vous voudrez les corriger. Mais selon cette pratique vous ne devriez pas le faire. Car si vous les corrigez pendant qu'ils parlent vous transformez la séance en débat. Ce n'est pas la pratique de l'écoute profonde. Vous dites : "oh ils disent des choses fausses car ils n'ont pas vu la vérité. Mais j'ai le temps de les aider à corriger leurs perceptions dans quelques jours car ils seront là encore pendant une semaine. Donc nous aurons encore l'occasion de leur dire, de leur donner des informations qui les aideront à corriger leurs perceptions. Mais pas maintenant. Maintenant nous devons écouter, écouter attentivement." Ecouter comme cela s'appelle "l'écoute compatissante". Et si vous savez comment écouter avec compassion pendant une heure, ils souffriront moins. Donc on pratique la compassion. On leur donne l'opportunité de moins souffrir. C'est la pratique du 4 ème entraînement. Ecouter avec compassion pour aider l'autre à moins souffrir. On peut faire cela avec notre mari, notre femme notre fils, notre fille, avec notre père ou notre mère. Ecoutez pour qu'ils aient une chance de vider leur coeur. C'est cela la compassion. Et après une semaine de pratique on peut enlever beaucoup de perceptions erronées. On améliore notre compréhension mutuelle. Et les deux groupes peuvent s'asseoir, se prendre par la main pendant la méditation marchée, et partager un repas ensemble. La fraternité est née. Donc c'est une pratique très importante. Et nous croyons que les politiques doivent apprendre cette pratique. Quand ils vont à une négociation pour la paix, ils devraient suivre les instructions : se calmer, lâcher prise, reconnaître la souffrance en soi, reconnaître la souffrance en l'autre. Et s'ils passent une semaine ou deux à pratiquer ainsi, leurs négociations pour la paix seront fructueuses. Et je pense que dans les écoles de sciences politiques les étudiants doivent apprendre ce genre de pratiques. Ils n'ont pas besoin d'être bouddhistes pour les apprendre. C'est de l'éthique appliquée qui peut être enseignée dans n'importe quelle école, y compris l'école primaire. Car les enfants peuvent apprendre la pratique et se réconcilier avec leurs frères et soeurs et leurs parents et même aider leurs parents. Il y a beaucoup de retraites organisées pour les jeunes, et les enfants. Et les enfants se transforment quand il parviennent à voir la souffrance dans leur père, dans leur mère. Et ils rentrent chez eux après la retraite, écoutent leur père et leur mère et les aident à moins souffrir. C'est un miracle. Ca arrive toujours dans nos retraites. Se connecter, être inspiré, être nourri.