Nous allons donc parler ensemble de climat, d'émissions de CO2 et d'économie. Alors vous pouvez vous interroger peut-être : « Bizarre ! Pourquoi inviter un économiste pour parler du climat ? » Et effectivement, il y a encore 20 ans, en 2000, on m'aurait demandé ce qu'était l'effet de serre, je ne suis pas sûr que j'aurais su répondre. Mais j'ai changé complètement mon activité professionnelle d'économiste dans les années 2000. J'ai eu la chance de rencontrer des climatologues, des gens qui travaillent sur la science du climat, et qui nous expliquent la question du changement climatique. Écoutons-les cinq minutes car si l'économiste n'est pas capable d'écouter les climatologues, il risque de dire beaucoup de bêtises sur le climat. Nous accumulons dans l'atmosphère un stock de gaz à effet de serre dont le principal est le CO2. Et ce stock, il est là pour longtemps. Ce stock, nous l'augmentons chaque fois que nous émettons du CO2 ou d'autres gaz à effet de serre, et puis le milieu naturel va au contraire stocker une partie du CO2 qui est dans l'atmosphère, dans les océans et dans la nature avec les plantes, la photosynthèse. Ce que nous disent les climatologues, c'est que si nous ne sommes pas capables très rapidement de complètement modifier le fonctionnement de ce système du carbone en visant la neutralité carbone dans le monde, à savoir si nous ne sommes pas capables d'avoir une société dans laquelle le montant de nos émissions sera au moins au niveau de la captation dans l'océan et dans les plantes, nous allons vers des risques climatiques considérables. Et le dernier rapport du GIEC nous rappelle que nous n'avons pas de temps. Il faut aller très vite. Alors que faire pour transformer notre économie qui, aujourd'hui, remplit l'atmosphère de gaz à effet de serre pour aller vers une économie qui sera neutre en carbone ? Et le faire vite ! Alors, il faut faire deux grandes choses. La première, c'est conserver la capacité du milieu naturel à stocker le carbone, les forêts, l'océan. Et puis simultanément, il faut drastiquement et rapidement réduire les émissions de gaz à effet de serre, et notamment toutes celles qui viennent de l'énergie, qui est la première source d'émission de gaz à effet de serre. Alors interrogeons-nous. Comment fonctionne aujourd'hui l'économie ? Et, souvent lorsqu'on parle de ces questions climatiques, on regarde la Chine, l'Inde, des pays où l'augmentation est très forte, mais regardons chez nous. 2015, 2016, 2017, embellie de l'économie, ça va mieux ou moins mal qu'avant, suivant qu'on est optimiste ou pessimiste. Et puis il vient s'ajouter un autre phénomène : baisse du prix du pétrole, contre-choc pétrolier. Nos émissions augmentent en 2015, en 2016, en 2017. Donc dans le fonctionnement actuel de l'économie, lorsque l'économie va mieux, et lorsque le prix l'énergie est bas, nous augmentons rapidement nos émissions de gaz à effet de serre. Et nous accentuons dramatiquement le changement climatique. Et nous prenons du retard, car les climatologues nous expliquent que l'horloge climatique tourne irrémédiablement. Et chaque année d'émissions supplémentaires va retarder l'avènement de cette société neutre en carbone. Alors que peuvent faire les économistes ? C'est là que, peut-être, nous avons une certaine utilité avec nos amis les climatologues. Grâce à ces rencontres avec des climatologues, j'ai créé la chaire de recherche d'économie du climat, et nous travaillons avec beaucoup de jeunes sur comment changer les règles de l'économie pour faire en sorte que demain, nous ayons une économie qui, lorsqu'on va mieux eux, eh bien, on accélère les réductions d'émissions au lieu de les augmenter. Comment faire ? Nous autres économistes, on est intéressés par les échanges, les prix. Lorsque je regarde le fonctionnement de l'économie, je vois que les prix sont loin d'exprimer toutes les valeurs environnementales. Lorsque nos grandes compagnies pétrolières importent du pétrole et le raffinent, elles payent un prix du pétrole, un coût de raffinage, mais où est le coût associé aux émissions de CO2, le coût du changement climatique ? Il n'est pas dans les prix. Lorsque nous autres citoyens, nous faisons nos choix sur les produits que nous achetons pour l'alimentation, pour le transport et l'énergie, lorsque nous faisons notre plein de fioul pour le chauffage l'hiver, le gaz, les carburants. La valeur associée aux dégâts climatiques, elle n'est que très faiblement intégrée dans les prix. Comment faire ? Changer le système des prix. Comment changer le système des prix ? Intégrer dans les valeurs qui s'échangent au plan international, au plan national, les coûts associés aux dégâts environnementaux, qu'il s'agisse du changement climatique ou des dégâts environnementaux locaux. En France, l'agence sanitaire nationale nous dit que pour 2016, 68 000 décès prématurés. C'est un coût considérable ! Ce n'est pas dans les prix du gazole qu'on achète. Donc nous autres économistes, nous pensons qu'il faut effectivement intégrer la valeur de l'environnement dans les prix, via des mécanismes qui peuvent être soit de la taxe, soit des marchés de permis. Pourquoi on ne le fait pas ? Pourquoi est-ce si difficile ? Pour des raisons de justice, pour des raisons d'équité. Deux exemples en France. Il ne vous a pas échappé que, actuellement, il y a quelques difficultés dans l'augmentation de la taxation du carbone et du diesel, qui se cristallisent sur les carburants. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas les mesures d'accompagnement social et de redistribution nécessaires. Or, une taxe carbone est anti-redistributive. En moyenne, les riches consomment plus d'énergie que les pauvres, mais en proportion du budget du ménage, le coût de l'énergie est bien plus élevé. Et si vous avez des faibles revenus et que vous êtes loin du centre-ville... Depuis trente ans, nos politiques ont sorti les pauvres des centre-villes pour les mettre dans le milieu périurbain. Vous êtes encore beaucoup plus affecté. Donc, dans notre pays, il faut absolument accélérer l'augmentation de la taxation du carbone et des nuisances environnementales si nous voulons aller dans le sens de ce que nous disent les climatologues, mais il faut le faire avec un accompagnement social beaucoup plus important pour éviter que ces systèmes de valorisation de l'environnement ne se fassent au détriment de la justice. Prenons le plan international. Vous avez entendu parler des conférences climatiques sous l'égide de l'ONU et notamment celle de Paris en décembre 2015. Quel est fondamentalement le problème posé ? Si nous voulons que l'économie internationale change son fonctionnement, intègre la question du climat dans les échanges entre les pays, aboutisse à des choix radicalement différents en matière énergétique - et aujourd'hui, on a les technologies. Le coût du solaire est en train de s'effondrer, la question de l'hydrogène, question très intéressante, fait des grands progrès, le stockage de l'électricité fait des progrès. Qu'est-ce qui manque ? Un levier économique, un prix international du carbone qui fasse que, dans les échanges mondiaux, dans tous les flux incroyables qui vont d'Asie en Europe, en Amérique du Nord, on intègre dans les échanges la valeur des dommages associés au climat. Et on aura une économie qui va fonctionner complètement différemment. Pourquoi on n'arrive pas à le faire ou pourquoi c'est si difficile à faire ? Parce qu'au plan international, la même question se pose, et à une autre dimension, entre les pays riches et les pays pauvres. Et si nous voulons avoir une valeur internationale du carbone qui guide les grandes décisions économiques, il faut associer à cette valeur internationale du carbone ce prix international du carbone, un énorme mécanisme de redistribution depuis les riches vers les pauvres. Avec un nombre croissant de pays qui sont la classe intermédiaire. Ça, c'est très difficile à obtenir, parce que beaucoup de pays riches, beaucoup de classes aisées riches, n'ont pas envie de changer leur mode de vie et leurs privilèges. Donc la question de la justice climatique est une question absolument essentielle et liée à la tarification du carbone. Le travail des économistes, le travail des jeunes chercheurs de la chaire « Économie du climat », consiste à essayer de trouver les mécanismes qui vont permettre de concilier l'efficacité économique, la justice climatique internationale et la réduction massive des émissions de gaz à effet de serre pour aller vers une société neutre en carbone qui est l'objectif que nous assignent les climatologues. Et si demain, nous parvenons à changer les mécanismes de l'économie grâce à cette tarification du carbone associée à de la redistribution et de la justice climatique, le fonctionnement de l'économie va complètement changer, et on va passer de l'impossible actuel - nos émissions de gaz à effet de serre qui augmentent, 2015, 2016, 2017, parce que l'économie va mieux - au possible - une économie bas carbone où on va intégrer dans nos décisions économiques, que nous soyons des ménages, des entreprises ou des États, la valeur du climat dans nos échanges. Et pour y parvenir, un immense effort de justice et de redistribution est absolument indispensable. De l'impossible au possible grâce au prix du carbone.