Bonsoir à tous, je suis très content d'être ici. C'est mon premier TED, je trouve le concept super. On me dit de me mettre dans la zone gazon, j'y suis. (Rires) Je suis correct ! Ce soir, je vais vous parler de ce qu'on fait au laboratoire, au département de biologie, science fondamentale et recherche. Mon titre contient le mot « riborégulateur ». En recherche, on trouve et on invente des choses, Nous avons inventé un mot en français, on pense qu'il fait l'affaire. Tantôt, je vais définir ce que veut dire « Riborégulateurs - Applications cliniques ». Donc vous allez voir que la recherche nous mène, parfois, vers des endroits où l'on ne pensait pas aller. J'ai une formation de biophysicien, ça ne va pas vraiment toujours avec « applications cliniques », mais bon, dans notre cas cela fonctionne. En gros, nous sommes tous des êtres vivants, à ce que je sache, on a tous quelque chose en commun, un génome et je vais vous dire ce que c'est, pour qu'on comprenne la suite des choses. Tout le monde connaît un grain de sel, Si vous faites une petite recherche, ça fait à peu près 500 micromètres, donc c'est un demi millimètre. Si on le compare à une cellule humaine, dont nous sommes tous faits, une cellule humaine c'est 30 µm, donc elle est plus de 10 fois plus petite qu'un grain de sel. Maintenant, si on la compare avec une bactérie qui fait 3 µm, elle est à peu près 10 fois plus petite qu'une cellule humaine. Les bactéries sont infiniment petites. Je reparle de bactéries un peu plus loin, c'est pour ça que je vous l'ai mis dans la présentation. Là, je vais vous présenter des faits que je trouve intéressants. Qu'est-ce que le génome, il se trouve dans le noyau, dans le cœur d'une cellule et les chromosomes, on en voit partout dans les films, tout le monde sait de quoi il s'agit, un chromosome est composé d'ADN. Le génome est fait de chromosomes, eux-mêmes constitués de parties qui correspondent à un gène. Il y a des milliers de gènes dans un chromosome. Qu'est-ce qu'un gène ? On peut penser que les gens qui ont les yeux bleus ont des gènes « yeux bleus », que ceux qui ont des cheveux blonds ont des gènes « cheveux blonds », etc. Donc en gros, c'est ce qui fait une bonne partie de nous-même. Le génome est très compacté en termes d'informations, il contient 3 milliards de nucléotides. C'est comme un grand livre où on l'on pourrait lire le code génétique. Pour ceux qui connaissent l'informatique, c'est 3 Go de données. C'est beaucoup de chansons à écouter pendant longtemps. Autre fait intéressant, si on prend l'ADN de chacune de nos cellules, chacune contient de l'ADN, et qu'on le déplie comme un brin, un fil, et qu'on mette tout cet ADN bout à bout, on fait vraiment 6000 fois la distance Terre-Lune aller-retour. Je viens de revérifier, ce sont vraiment les chiffres, j'ai même vu 8000 quelque part. Donc 6000, c'est une petite limite. Puis, si vous engagez quelqu'un qui tape 60 mots/minute, c'est assez rapide, puis cette personne fait ça 8 heures par jour, ça lui prendra environ 50 ans pour retranscrire un génome, c'est beaucoup d'années. Puis, j'ai mis ça ici pour vous faire réagir, vous direz ça à vos parents ce soir en revenant. Si vous vous comparez à une banane, vous êtes 50 % identiques, au niveau du génome avec une banane. Donc c'est pour dire que les fonctions de base d'un fruit correspondent à peu près à la moitié de ce qu'on est. Évidemment, pour faire quelqu'un comme Albert Einstein, il faut un peu plus qu'une banane. (Rires) On continue. (Rires) Une cellule humaine ou une bactérie, comprend 3 choses importantes : le génome, qu'on a mentionné tantôt, il y a l'ARN, que vous ne connaissez pas, c'est normal, on va y revenir plus tard, et les protéines, souvent les filles voient ça sur les choses qu'on mange, il y a tant de protéines, tant de lipides, c'est important aussi. (Rires) Donc, il y a 3 joueurs. Voici ma diapo la plus compliquée : comment ça fonctionne ? On peut voir une cellule un peu comme une chaîne de montage. À gauche, l'ADN, le grand livre où toute l'information se retrouve. On ne peut pas s'en servir comme ça. Il faut la transcrire pour faire de l'ARN. Dans la cellule, on prend de l'ADN, on fait de l'ARN. Jusqu'à récemment, on ne savait pas ce qu'il faisait, à part d'être un messager. Puis, l'ARN va être traduit en protéine. Ce sont les protéines qui font le vrai travail dans une cellule, elles font la parois de la cellule, elles font se diviser les cellules, elles servent un peu à tout. Certaines de ces protéines, des enzymes, vont faire la synthèse de métabolites. Qu'est-ce qu'un métabolite ? Imaginez que je sois une protéine, et que j'aie une feuille de papier et que je doive la découper en lignes droites mais je n'en suis pas capable moi-même, je veux la déchirer. Mon métabolite, ou mon co-enzyme, ce serait une paire de ciseaux pour découper la feuille. Je me sers d'outils, un métabolite c'est un peu comme un outil pour une protéine. Finalement, tout ça est régulé au niveau génétique. Par exemple, en cas d'excès d'une protéine, elle va stopper ou diminuer la chaîne de montage au niveau de la transcription ou de la traduction. S'il n'y en a pas assez, elle va augmenter la capacité de la chaîne de montage. Autre chose, au niveau des métabolites, c'est un peu pareil. S'il y a trop de métabolites ou pas assez, on va aller changer la chaîne de montage pour obtenir la bonne concentration dans la cellule d'un métabolite donné. D'après ce que je vous ai dit, les protéines sont centrales dans la régulation génétique. Mais, je suis ici ce soir parce qu'il s'est passé quelque chose au début des années 2000. Dans le monde de la recherche, c'est comme si c'était hier, ça fait 12 ans et c'est vraiment très récent. Un événement s'est produit : 3 labos différents ont réfléchi et ont résolu un problème connu depuis une trentaine d'années. On avait observé des choses chez les bactéries et on ne trouvait pas de protéines impliquées dans la régulation. Ces labos ont fait la découverte que les métabolites pouvaient se lier directement aux ARNs et alors, on pouvait réguler au niveau de la transcription ou de la traduction. À cette époque, dans les années 70, c'était farfelu, on pensait que l'ARN ne durait pas longtemps, qu'il ne servait pas à grand-chose. Les protéines faisaient le travail. Mais là, on a montré que les métabolites peuvent faire quelque chose. Quand on parle d'ARN, on parle d'un sucre, le ribose, et comme cet ARN régule, vous connaissez l'étymologie du mot riborégulateur : c'est un ARN qui régule. Au laboratoire, nous travaillons dessus. En gros, on a notre chaîne de montage. À quoi peut ressembler un riborégulateur ? Si on fait un zoom sur un ARN, il contient 2 régions. En vert c'est le riborégulateur, en bleu, la partie codante pour les protéines. Si on zoome au niveau du riborégulateur, on peut voir deux parties. Leur conformation et leur structure sont importantes pour l'activité du gène. Dans ce cas, on peut imaginer que le gène va être exprimé, et que la protéine va être produite. La chaîne de montage va être suivie, tout va se passer comme il faut. Par contre, si notre métabolite se lie sur notre ARN messager, par un lien, une réelle interaction physique entre le métabolite et l'ARN, la conformation de l'ARN change et ça va entraîner un changement au niveau de la chaîne de montage. Là, on a un stop, donc on bloque la chaîne de montage. Et, s'il y a trop de métabolites, on va stopper sa production, puis sa concentration va pouvoir diminuer. S'il n'y en a pas assez, on va l'augmenter. Mais ici, il y a un stop, son expression diminue. Comment ça marche ? Tout simplement, ici, je vous ai mis la structure d'un riborégulateur pour vous montrer que lorsqu'un ligand se lie à l'intérieur d'un riborégulateur, il change de structure. On va finalement stopper l'expression du gène. Puis, il y a d'autres cas où l'expression peut être changée et alors, on va augmenter l'expression du gène. En haut, en bon français, on appelle ça un switch-off, qui permet de réprimer l'expression, en bas, notre switch-on, pour augmenter l'expression. Les deux cas sont possibles. Voici le génome d'une bactérie, Bacillus subtilis. Comme vous le voyez, plusieurs types de riborégulateurs sont connus. Certains sont tout simples, on dirait un trèfle à 4 feuilles. D'autres sont beaucoup plus complexes, ce sont de très gros ARN, qui peuvent réguler de gros métabolites comme la vitamine B12. On a presque tout ce qui peut se passer pour un génome dans ce cas-là. Si vous n'avez pas compris jusque-là comment un riborégulateur fonctionne, c'est à ce stade que je parie que tout le monde va comprendre. On a 2 structures qui ont 2 fonctions différentes. À quoi ça vous fait penser ? À un transformer. 2 structures, 2 fonctions différentes. Puis, juste pour le plaisir, il existe un autre type de transformer, c'est la manette-transformer. ce sont des choses qui existent, et puisqu'on parle de diversité en biologie, je vous parie que vous n'avez jamais vu le shoe-switch ! (Rires) Des gens achètent ça sur Internet, il y a un prix là-dessus. Donc, plusieurs types de riborégulateurs qui ont des fonctions différentes : vous avez tout compris ! On passe à la prochaine diapo, où l'on va diverger un peu de ce qu'on faisait. Vous allez voir ce qu'on fait, nous. Il y a quelques années à Sainte-Hyacinthe, il y a eu des infections difficiles, on voyait ça aux nouvelles, les gens avaient beaucoup de problèmes, manque d'antibiotiques. Les bactéries devenaient résistantes aux antibiotiques. Vous ne savez peut-être pas, mais les scientifiques pensent que maintenant il est minuit moins 5, dans le sens où à minuit, on n'aura plus d'antibiotique pour contrer les bactéries. Donc, c'est important de développer de nouveaux antibiotiques. C'est suite à un reportage comme ça, qu'un étudiant du labo est venu me voir et me dit : « Daniel, je veux un vrai projet. » Il voulait utiliser les riborégulateurs et développer de nouveaux antibiotiques, chose que l'on disait impensable, parce que l'ARN, c'était un messager, on ne pensait pas que ça pouvait servir pour développer des outils thérapeutiques. Juste pour rappeler ma diapo de tantôt, on a une chaîne de montage, si beaucoup de métabolites sont produits, notre métabolite va se lier à l'ARN, on va stopper l'expression, jusqu'à ce que le niveau du métabolite diminue dans la cellule, jusqu'à ce qu'on n'en n'ait plus assez pour lier à l'ARN, le riborégulateur. Notre chaîne de montage va repartir pour refaire la production du métabolite. C'est une chaîne rétro-active, qui se contrôle de façon autonome. Nous, l'hypothèse qu'on avait émise, c'était que, imaginons : la chaîne de montage de la bactérie contrôle un gène essentiel pour sa survie. Si on prend un métabolite artificiel, qu'on va appeler ici, analogue, il peut se lier au riborégulateur mais ne peut pas être utilisé par la bactérie donc, il ne sera pas métabolisé dans la bactérie. Dans ce cas-là, si vous voulez, on a créé un imposteur, l'analogue peut se lier au riborégulateur, pour faire croire à la bactérie qu'il y a beaucoup de métabolite, mais en fait, il n'y en a pas car c'est un analogue qui ne peut pas être utilisé. L'expression d'un gène essentiel, va être toujours réprimée, parce que l'analogue se lie au riborégulateur. On devrait en principe tout simplement tuer la bactérie. Dans mon labo, on fait un petit peu de biochimie, biophysique, on est des fans de structures 3D. Quand on voit une structure comme ici à gauche, on est très heureux. Ici, c'est la structure tridimensionnelle d'un riborégulateur, on connaît tout. Le G en rouge c'est une guanine, c'est son métabolite, on connaît sa structure. Un zoom au niveau du site de liaison montre que la guanine en rouge, est reconnue par tous ses atomes. On sait quels atomes du métabolite sont importants et lesquels ne le sont pas. Puis, ce qu'on peut faire, en gros, c'est tout simplement regarder la guanine qui est en bas ici, à gauche, et essayer de trouver des métabolites qui lui ressemblent un peu, pas trop, qui vont être capables de faire les mêmes interactions. Les flèches montrent le riborégulateur. Ici, on a baptisé 2 analogues PC1 et PC2, qui ont à peu près les mêmes flèches, rouge et bleu, mais pas la même structure. Nous avons prédit qu'ils vont pouvoir se lier aux riborégulateurs, mais qu'ils ne pourront pas être métabolisés par la cellule. Donc, ce seraient de bons candidats pour devenir des antibiotiques. Puis, on a fait un antibiogramme. Qu'est-ce que c'est ? Je vais vous expliquer. Prenez un plot de gélose sur lequel vous faites pousser des bactéries, Voilà ce qu'on fait. Donc ce que vous voyez sur le Pétri, ce sont des bactéries qui poussent. Ici, Staphyllococcus aureus. On perce 6 trous dans le Pétri et on met ce qu'on pense être des antibiotiques. Dans le puits n°1, on voit un halo plus foncé, à l'endroit où les bactéries n'ont pas poussé. Ici, dans le cas de PC1, on sait qu'il empêche la croissance des bactéries. Donc, ça suggère qu'il est antibiotique. Il faut faire beaucoup d'autres tests pour le montrer, évidemment. C'est ce qu'on a fait et il s'est avéré, effectivement, être un bon antibiotique. Donc, ce qu'on a aussi fait, pour les scientifiques de la salle, c'est qu'on a fait un criblage de plusieurs souches de bactéries. On s'est rendu compte que PC1 n'était pas toujours actif, mais, pour une bonne raison : il ne va pas cibler les bactéries, il ne va pas tuer les bactéries qui n'ont pas un certain gène devant le riborégulateur. En gros, on montre que, c'est seulement quand un gène qui est appelé GuaA est devant le riborégulateur, qu'on va tuer ces bactéries-là. C'est très intéressant parce qu'on ne veut pas tuer toutes les bactéries au complet. Dans votre tube digestif, certaines bactéries comme Escherichia coli sont nos amies, on veut pas les tuer. Donc, c'est pour ça ici que c'est important de cibler. Vous pouvez peut-être voir qu'il y a des bactéries assez dangereuses, dans le sens qu'on a du SAM résistantes à la métycyline, on a aussi S. aureus qui résiste au bétalactame, à l'érythromycine, etc. C'est intéressant parce que PC1 a réussi à tuer cette bactérie-là. On a vraiment ciblé une voie qui semble être différente des autres antibiotiques. On était très heureux, on peut pousser les bactéries à devenir résistantes. On a essayé jusqu'à 30 cycles, on n'a pas pu forcer la bactérie à devenir résistante à notre antibiotique PC1. On pense que la cible qu'on a touchée est peut-être le talon d'Achille des bactéries résistantes. Dans le futur, on va voir si ça fonctionne vraiment mais c'est très encourageant jusqu'à présent. En résumé, PC1 est vraiment une nouvelle classe d'antibiotiques depuis 30 ans ! Donc, on est très heureux de ça et d'après ce qu'on a publié, d'après les commentaires des autres scientifiques, ça semble très prometteur pour le futur, pour développer d'autres sortes d'antibiotiques. En vous projetant dans 10 ans que pourra-t-on faire avec eux ? Imaginez que vous ayez un interrupteur, que vous puissiez interrompre plus ou moins tous les gènes d'une bactérie, ou d'une autre espèce, on ne sait pas... Et encore, que pourrait-on faire ? Je pense qu'on peut évidemment trouver d'autres classes d'antibiotiques, ça semble assez évident. Si on se laisse aller, on pourrait penser à d'autres choses, par exemple, on pourrait inventer un nouveau type de diagnostic pour détecter des molécules précurseurs de certaines maladies. On pourrait coupler un riborégulateur à un gène qui rapporte son expression, un gène de couleur ou de n'importe quoi d'autre. Autre chose aussi qu'on pourrait faire, c'est développer un système de détection de polluants. On pourrait penser fabriquer des riborégulateurs produisant un composé comme le BPC, c'est possible, puis développer des systèmes de détection comme ça. Il y a plein d'autres choses auxquelles on pourrait penser mais bon... L'équipe du laboratoire qui travaille là-dessus (je suis en collaboration avec trois autres chercheurs) : François Malouin, département de biologie Louis-Charles Fortier qui est au CHU, puis Éric Marsault qui est à l'IPS, Merci. (Applaudissements).