(Video) (Sons d'orques) (Applaudissements) Les orques sont des créatures magnifiques. Elles ne méritent pas ce surnom de « baleines tueuses ». D'abord, ce ne sont pas des baleines ; elles appartiennent à la famille des dauphins. Et ensuite, elles ne se sont jamais attaqué aux êtres humains, dans leur milieu naturel, je précise. La première chose que l'on ressent quand on plonge à proximité des orques, c'est une joie intense, la joie d'être accepté dans leur espace social et de pouvoir observer quelques dizaines de minutes, leur vie sous-marine. Il arrive parfois qu'elles se montrent curieuses, et elles s'approchent près, très près. On peut déceler dans ce regard une vaste intelligence. On se sent scanné, analysé, scruté, comme si elles avaient le pouvoir d'accéder à nos émotions les plus profondes. Mais surtout, on ne sent pas la peur, on ne sent pas la fatigue, on ne sent pas le froid. On sent juste une vague d'émotions et d'énergie qui nous submerge et nous fait vibrer de la tête aux pieds. Je le ressens chaque année un peu plus. Aujourd'hui, je sais pourquoi, et je vais vous le raconter. Ma première rencontre avec les orques date de 1997. Ça s'est passé deux jours avant une compétition de pêche sous-marine. Cette rencontre a changé le cours de ma vie. Ça a été comme un appel irrésistible. Deux jours plus tard, je gagne cette compétition, et c'est avec la prime de mon sponsor que je peux financer mon premier voyage dans le but de plonger avec les orques, au nord de la Norvège, un an plus tard. Cette première expédition de 1998 a été suivie par une longue série, 21 saisons sans discontinuer au cours desquelles j'ai accumulé plus de 6 000 rencontres sous-marines au plus près des orques. Grâce à cette expérience, j'ai mis au point une méthode d'approche et d'interaction respectueuse qui fait référence aujourd'hui. J'ai consacré l'essentiel de mon temps à étudier le comportement social et le langage corporel des orques. Cette présentation s'appelle « Le chant des orques », mais je n'ai réalisé mon premier enregistrement sous-marin qu'en 2016. Ça s'est passé du côté de Tromsø, dans le Kaldfjord, et ça a été un moment magique. Pendant la journée qui a précédé le test, nous avons observé plusieurs dizaines de baleines à bosse et plusieurs centaines d'orques qui s'étaient déplacées au milieu du fjord à proximité de notre mouillage. La nuit tombée, nous avons pris notre barge en aluminium, et nous nous sommes rendus sur place. L'atmosphère était un petit peu spéciale. Il n'y avait pas de vent, ce qui est rare. La surface du fjord était comme un miroir, et on pouvait voir de chaque côté du fjord qui est assez étroit, la neige sur les montagnes. C'était assez saisissant comme moment. Nous avons stoppé les moteurs et j'ai immergé mon hydrophone, dans le silence le plus absolu, par une dizaine de mètres de fond. Un hydrophone, c'est un micro sous-marin qui permet d'enregistrer les sons et de les écouter. J'ai branché le haut-parleur, et alors là... Allez, venez avec moi sur le bateau. (Chants d'orques et de baleines) Unie mélodie saisissante et parfaitement orchestrée est montée des profondeurs. J'étais bouleversé par la beauté de ces chants. Notre bateau était à l'interface de deux mondes, le monde des orques et leurs secrets sous la surface, et le ciel et les étoiles au-dessus de nous. Dans la magie de l'instant, j'ai imaginé ces deux mondes connectés, et que ce qui connectait ces espaces, c'était les chants qui venaient des profondeurs. Une aurore boréale s'est déclenchée au-dessus de nos têtes. Les chants ont redoublé d'intensité et d'harmonie, (Chants d'orques et de baleines) Chaque orque, chaque baleine à bosse jouait sa propre partition dans ce que j'ai appelé plus tard « la symphonie des abysses ». Mais surtout, ce qui se passait allait bien au-delà. Ce n'était pas juste une mélodie harmonieuse, agréable à écouter, je me sentais traversé, pénétré par ces chants. J'ai senti une vague d'énergie, la même énergie qui circule quand je plonge à proximité des orques. En consacrant toutes ces années à la seule étude du langage corporel des orques, j'étais passé à côté de quelque chose d'important. J'ai compris, en ce soir de décembre 2016, que les sons avaient une importance capitale dans la vie des orques; et que c'est là que devaient s'orienter nos recherches. Quelques semaines après la fin de la saison, en mars 2017, je suis parti en Guadeloupe et j'ai rendu visite à Pierre Lavagne de Castellan. Pierre, c'est un ingénieur bio-acousticien, c'est la référence, le monsieur « chants des baleines et chants des cachalots ». Et il y travaille depuis plus de trente ans. Au cours de nos entretiens, Pierre me répétait sans arrêt : « Le message est dans le chant ». Il le martelait comme un leitmotiv, et moi, je buvais ses paroles, et je me disais en moi-même : « C'est quoi, ce message ? Qu'est-ce qu'ils se disent ? Qu'est-ce qu'ils cherchent à nous dire ? » J'ai quitté la Guadeloupe avec plus de questions que de réponses. Je suis rentré en France et j'ai commencé des recherches sur Internet pour essayer de comprendre ces notions. Je n'avais aucune connaissance du son. J'ai été sur Google : un son, c'est quoi ? Un son, c'est une onde. OK. Une onde, c'est quoi ? Une onde, c'est une oscillation avec un transfert d'énergie. OK. Elle est définie par son amplitude, sa fréquence. Elle peut se visualiser par un graphe. Il y a les ondes électromagnétiques, les ondes mécaniques, les ondes stationnaires. Ça ne me parlait pas vraiment tout ça. Je ne voyais pas comment je pouvais utiliser tout ça. Et un jour, en faisant des recherches sur les ondes stationnaires, je découvre les travaux de Ernst Friedrich Chladni. Ernst Friedrich Chladni est un ingénieur, physicien, musicien, qui a découvert comment visualiser les sons. Il a eu cette idée d'utiliser une plaque en cuivre, fixée sur un support, sur laquelle il a déposé une fine couche de sable, et à la périphérie de laquelle il a fait jouer l'archet de son violon. Regardez, le résultat est étonnant. (Vidéo) (Grincement d'archet) On peut observer au cours de cette expérience que le sable se déplace à la surface de la plaque et forme une figure géométrique. On appelle cette figure géométrique une figure ou une assiette de Chladni. Chladni en a dressé tout un catalogue de plusieurs milliers, parce que le côté intéressant, c'est que chaque fréquence produit une image spécifique. Là où ça devient carrément passionnant, c'est quand assez récemment Alexander Lauterwasser, qui est un chercheur et photographe naturaliste allemand, a découvert que la forme de certaines espèces vivantes était l'exacte copie des assiettes de Chladni. Sur cette photo, issue de son livre « Images sonores d'eau », on peut voir une fleur avec l'assiette de Chladni correspondante. Ça peut être aussi le dos d'une tortue, ou cette photo prise au microscope, de la diatomée arachnoidiscus, qui est l'exacte copie de la figure de Chladni correspondant à la fréquence de 5 000 Hertz. Alexander Lauterwasser théorise sa découverte. Les vibrations sonores sont à l'origine de la forme des êtres vivants. Les vibrations sonores sont à l'origine de la forme des êtres vivants. Quelques années avant lui, Hans Jenny, le physicien suisse, a travaillé sur les effets du son sur la matière, notamment sur les liquides et les semi-liquides. Voici une de ses expériences. On y observe que sous l'effet d'une vibration sonore, cette pate semi-liquide, normalement posée au fond de l'enceinte, se dresse, s'érige en dépit de la force gravitationnelle et suit certains mouvements. Selon Hans Jenny, ces mouvements ne sont pas chaotiques ou aléatoires, mais ils sont parfaitement organisés et reproductibles. Quand j'ai vu cette expérience de Hans Jenny, j'ai immédiatement connecté avec d'anciennes photos que j'ai prises de mes premières expéditions. On y voit un fin film liquide qui est projeté en avant de la mâchoire inférieure des orques pendant qu'ils nagent. Je n'avais pas prêté attention à ces photos au début, mais j'ai connecté avec les expériences de Hans Jenny. Ça n'a aucune raison d'être. J'ai interrogé un ingénieur en hydrodynanisme, spécialiste de la dynamique des fluides, Selon lui, ces formations ne peuvent pas être sans l'existence d'une force extérieure. Les orques provoqueraient-ils ce phénomène ? Les orques produiraient-ils cette fréquence qui leur permet de réaliser ces formations artistiques éphémères ? J'étudie les orques depuis 1998. Ces créatures appartiennent à la famille des cétacés. Elles sont dotées d'un cerveau plus gros et potentiellement plus puissant, plus performant que celui des hommes. Ils sont conscients d'eux-mêmes, de ce qui les entoure, Je les ai vus résoudre des problèmes complexes, notamment en adaptant leur stratégie de prédation selon les contextes, de manière extrêmement réactive. Ils sont organisés en société, des groupes familiaux dirigés par la plus ancienne femelle, la matriarche. Les orques sont dotés d'organes acoustiques. Ils se transmettent leur savoir, leur culture, leur langage, de génération en génération, depuis des millions d'années. Notre civilisation date de 5 000 ans. Notre technologie n'a pas 200 ans. Nous, les humains, nous dominons le monde. Nous contrôlons pratiquement l'essentiel du vivant. Nous pensons tout savoir, mais il reste tellement à découvrir. Pierre Lavagne de Castellan, encore lui, a observé à plusieurs reprises, des baleines à bosse qui se rassemblent en groupes et s'administrent mutuellement des massages sonores. Ces observations récentes montrent que les baleines, mais aussi les dauphins et les orques, ont développé au fil de l'évolution, des savoirs qui leur permettent d'utiliser les sons à autre chose que la simple communication. Je continue mes investigations avec peut-être l'espoir un peu fou de comprendre ces phénomènes, car ce que je ressens quand e m'immerge à proximité des orques, ce bien-être que je ressens, pour moi, est dû aux sons qu'ils produisent. Les océans sont menacés, menacés par les activités humaines : conséquences du réchauffement climatique, pollution sonore, pollution chimique, surpêche, trafic maritime, plastique. Il est grand temps de changer nos habitudes pour réduire ces menaces. Sauvons nos océans pendant qu'il en est encore temps. Protégeons les orques, cette civilisation océanique lumineuse. Perçons les secrets de leur langage. Nous accéderons à leur savoir, et alors oui, nous pourrons nous soigner avec le chant des orques. Je vous remercie. (Applaudissements)