John Koenig Créateur du Dictionnaires des peines obscures La conquête de nouveaux mots Merci d'être restés et d'avoir un grand X rouge incrusté dans vos yeux pour les trois prochains jours. (Rires) Aujourd'hui, je veux parler du sens des mots, comment nous les définissons et comment ils, presque pour se venger, nous définissent. La langue anglaise est une superbe éponge. J'adore la langue anglaise. Je suis heureux de la parler. Je pense que nous avons tous la chance de la parler. Mais malgré tout cela, il y a des trous. En grec, il y a un mot « lachesism », qui est la soif de désastre. Quand vous voyez un orage à l'horizon et que vous prenez le parti de l'orage. En mandarin, il y a un mot « yù yī » -- je ne le prononce pas correctement -- qui signifie l'aspiration à ressentir quelque chose d'intense à nouveau, comme lorsque vous étiez enfant. En polonais, ils ont le mot « jouska » qui est le genre de conversation hypothétique que vous jouez dans votre tête. Pour finir, en allemand, bien sûr en allemand, ils ont le mot « Zielschmerz » qui est la peur d'obtenir ce que vous voulez. (Rires) Finir par accomplir un rêve de toujours. Je suis moi-même allemand, je sais exactement ce que l'on ressent. Je ne suis pas sûr que j'utiliserais un de ces mots durant ma journée, mais je suis heureux qu'ils existent. La seule raison pour laquelle ils existent est car je les ai inventés. Je suis l'auteur du « Dictionnaire des Peines Obscures » que j'écris depuis 7 ans. La mission du projet est de trouver des trous dans le langage des émotions et d'essayer de les combler afin d'avoir une façon de parler de toutes ces peccadilles humaines et de ces excentricités de la condition humaine que nous ressentons tous mais dont nous ne pensons pas à parler car nous n'avons pas de mots pour le faire. Cela a commencé en regardant le générique de fin de « Saturday Night Live » et j'étais confronté à la mélancolie la plus belle et la plus obsédante. Si vous avez l'opportunité de veiller tard un soir, je vous inciterais à regarder ce générique de fin. J'ai donc essayé de définir cette émotion. Au milieu de ce projet, j'ai défini le mot « perveille », l'idée que nous nous voyons tous comme le personnage principal et les autres comme des personnages secondaires. En réalité, nous sommes tous le personnage principal et vous êtes secondaire dans l'histoire de quelqu'un d'autre. Dès que j'ai publié cela, j'ai reçu beaucoup de réponses disant : « Merci d'avoir formulé une chose que j'ai toujours ressentie mais pour laquelle il n'y avait pas de mot. » Je les ai fait se sentir moins seuls. C'est le pouvoir des mots, nous faire nous sentir moins seuls. C'était peu de temps après cela que j'ai remarqué que « perveille » était utilisé sérieusement dans des conversations en ligne et, peu après l'avoir remarqué, je l'ai entendu dans une conversation juste à côté de moi. Rien n'est plus étrange que d'inventer un mot puis de le voir prendre vie. Je n'ai pas encore de mot pour cela, mais ça viendra. (Rires) J'y travaille. J'ai commencé à réfléchir à ce qui rend les mots réels, car nombre de gens me demandent, c'est la question la plus fréquente : « Ces mots sont-ils inventés ? Je ne comprends pas. » Je ne sais pas quoi leur dire car une fois que perveille est parti, qui suis-je pour dire quels mots sont réels ou non ? J'avais l'impression d'être Steve Jobs décrivant son épiphanie en réalisant que la plupart d'entre nous, durant la journée, essayons simplement d'éviter de se prendre trop de murs et de faire avancer les choses. Quand vous réalisez que les gens -- que ce monde a été bâti par des gens pas plus intelligents que vous, vous pouvez tendre la main, toucher ces murs voire même les traverser et réaliser que vous avez le pouvoir de les changer. C'est phénoménal. Cela a changé ma vision des mots et de ce qui les rend réels. Quand les gens me demandent : « Ces mots sont-ils réels ? », j'ai essayé un éventail de réponses. Certaines sont sensées, d'autres non. J'ai essayé : « Un mot est réel si vous voulez qu'il le soit. » Tout comme ce chemin est réel car les gens voulaient qu'il le soit. (Rires) Cela se produit sur les campus universitaires : un « chemin désiré ». (Rires) Les langues sont une reflet du désir, une chose qu'elles veulent présente. C'est en dehors des sentiers battus, mais nous finirons par y parvenir. Ce n'est pas une réponse satisfaisante, je l'ai donc laissé tomber. Puis j'ai décidé que ce que les gens demandaient en questionnant si un mot était réel, ils demandaient vraiment : « A combien de cerveaux cela me donnera-t-il accès ? » C'est important dans notre vision d'un langage. Un mot, c'est principalement une clé qui nous fait entrer dans la tête de certaines personnes. S'il nous fait entrer dans un cerveau, il n'en vaut pas la peine, il ne mérite pas d'être su ; deux cerveaux, eh bien, tout dépend de qui ; un million de cerveaux, là, c'est intéressant. Un mot réel vous donne accès à autant de cerveaux que possible. Pour cela, il mérite d'être connu. D'ailleurs, en utilisant cette mesure, le mot le plus réel de tous : [OK] Le voilà. Le mot le plus réel. C'est la chose la plus proche d'un passe-partout. C'est le mot le plus communément compris dans le monde, peu importe où vous êtes. Personne ne semble savoir ce que signifient ces lettres. (Rires) Ce qui est plutôt bizarre, n'est-ce pas ? Ça peut-être « all correct », ou « tout est correct », mal orthographié. Ou bien « Old Kinderhook ». Personne ne semble savoir mais le fait que cela importe peu est significatif de notre façon d'ajouter du sens aux mots. Le sens n'est pas dans les mots eux-mêmes. C'est nous qui y mettons du sens. Je pense que, quand nous cherchons du sens dans nos vies et cherchons le sens de la vie, je pense que les mots sont liés à cela. Je pense que si nous cherchons le sens de quelque chose, le dictionnaire est un bon point de départ. j'ai vu une interview avec Reza Aslan, spécialiste de la religion. Il décrivait une confusion que beaucoup font sur la religion. Il disait qu'une religion est un ensemble de symboles et de métaphores dans lesquels les gens s'investissent pour essayer d'exprimer l'inexprimable. La religion n'est qu'un langage. C'est tout ce que c'est. C'est un contenant pour tout sens que nous y mettons. Cela m'a fait penser... et si le langage était un genre de religion ? Ça signifierait que ceci est notre livre sacré. Si vous pensez à l'histoire de la création, c'est plus une histoire de définition. Au début, il y avait du chaos au dessus des eaux de la Terre puis Dieu a séparé la terre de la mer, les poissons des oiseaux, l'homme de la femme, l'éternel de l'éphémère. Tout est dans ces pages. C'est une définition. Si nous cherchons du sens dans le monde, c'est notre foi, c'est notre livre sacré. En réalité, l'objectif de ce livre sacré et, à mon avis, de tout livre sacré, est d'apporter une forme d'ordre dans un univers très chaotique. Notre vision des choses est si limitée et l'univers est si complexe que nous devons inventer des motifs et des abréviations, nous essayons de trouver comment les interpréter afin de continuer notre journée. C'est pourquoi nous avons besoin des mots, pour donner du sens à notre vie. Mais au-delà de ça, nous avons besoin des mots pour nous contenir et nous définir. Ça représente une grande part dans notre utilisation des mots, nous implorons tous d'être définis. Aujourd'hui en particulier, avec la technologie et la mondialisation, on peut se perdre dans le brouillard. Chacun d'entre nous est indéfini et le monde devient de plus en plus indéfini. Nombre des structures vers lesquelles nous nous tournons pour essayer de nous contenir ressemblent à ceci. Dans les deux sens : « dièse » et « hashtag ». (Rires) Ça cherche à nous mettre en boîte, à chercher certaines entrées, certaines catégories et dire : « Oui, c'est moi. » Nous regardons les autres et disons : « Tu es comme moi... Nous sommes donc un "nous". » Cela nous donne du sens. C'est une façon d'emprunter du sens. Le problème est que cela dépend beaucoup des institutions, nous sommes si nombreux, la vie est si compliquée et chaotique que nous devons nous cloisonner. Nous devenons fondamentalistes dans notre foi. Littéralistes. Nous sentons tous ces catégories qui commencent à s'effondrer. Avez-vous remarqué combien de conversations sont sur la définition des mots ? J'ignore combien de fois j'ai vu une discussion du Huffington Post commençant par : « Êtes-vous féministe ? », « Que signifie féministe ? », « Qui, durant ce débat, est réellement progressiste? », « Que signifie socialiste ? », « Qui est fasciste ? », « Qui est une femme ? », Caitlyn Jenner. « Qui est noir ? » Rachel Dolezal. C'est le genre de conversations que nous avons tout le temps mais il ne s'agit pas vraiment de sens. Il s'agit de notre façon de conditionner le monde. Je pense que le résultat final est que nous avons quelque chose comme cela, où nous autorisons les mots à nous définir. Nous oublions que tous les mots sont inventés. Ce ne sont que des modèles de la façon dont le monde pourrait ou devrait être. Nous nous retirons tous dans nos communautés d'inquiétude, parlant notre propre langage alors que le monde, c'est plus que cela. Je pense que nous avons tous l'impression que les catégories utilisées pour donner du sens à notre vie ne nous vont pas forcément si bien. Nous devons alors expliquer aux gens que : « Oui, je me suis inscrit pour ça, mais cela ne me définit pas. » Nous devons le faire à répétition, négocier notre adaptation dans ces catégories. Je pense que beaucoup se sentent mis en boîte par l'utilisation de ces mots. Nous oublions que les mots sont inventés. Pas que les miens, tous les mots sont inventés mais ils n'ont pas tous un sens. Je pense que ce que j'aimerais -- L'image que j'ai d'où nous sommes aujourd'hui, Je pense à Anne Frank. Car elle était dans son petit appartement d'Amsterdam à une époque où tous les gens autour essayaient d'organiser l'humanité d'une façon qui soit sensée, par des lignes claires, une efficacité brutale ; elle était à l'intérieur, organisant sa propre humanité. Je crois qu'il y a quelque chose de très beau. car il s'agissait beaucoup de sa propre confusion et de sa vulnérabilité. C'est pour cela qu'il nous faut un nouveau langage qui ressemble plus à ça. Nous pourrions tous être n'importe qui. A un moment donné, nous ne sommes pas qu'une personne, nous sommes plusieurs personnes. Nous devons plus nous aligner avec la vraie nature du monde, ne pas trop nous impliquer dans les modèles imposés au monde. Les GPS ont tendance à vous avertir, vous rappeler que la carte que vous voyez n'est pas le monde réel, n'allez pas dans un lac. (Rires) Nous avons besoin du même rappel, que la carte n'est pas le monde réel et que si nous rencontrons des problèmes, nous pouvons définir les choses nous-mêmes ; nous ne sommes pas forcés d'emprunter les sens qui donnent du sens à notre vie. Il est possible -- et je le sais car je le fais depuis 7 ans -- d'inventer de nouvelles métaphores qui rendent l'invisible visible. C'est vraiment beau. Si nous essayions d'avoir une meilleure relation avec le chaos, si nous arrêtions de trop simplifier la tempête intérieure à laquelle nous faisons tous face, la confusion et la vulnérabilité, la réelle complexité du monde, nous serions alors un peu plus à l'aise dans notre peau et n'aurions pas à nous retirer dans les catégories que nous laissons nous définir. Nous pourrions reprendre le pouvoir sur les mots et les définir eux. Je crois que ce serait une relation plus saine. J'ignore combien de conversations bénéficieraient de quelqu'un -- Comme le jeu du Taboo où l'on vous donne le sujet dont vous parlez et le défi est de ne pas prononcer ce mot. Si nous faisions tout ça, ça irait mieux pour nous. Ça permettrait une certaine fluidité lexicale que nous sommes en train de perdre. Nous sommes tous piégés dans notre lexique qui n'est pas forcément en corrélation avec les gens qui ne nous ressemblent pas et donc nous nous éloignons un peu plus chaque année, plus nous prenons les mots au sérieux. Souvenez-vous, les mots ne sont pas réels. Ils n'ont pas de sens, nous si. Il est important de se souvenir de ça. Si nous nous accordons un peu de créativité et de droits d'auteur dans l'invention de qui nous sommes, c'est possible. Il est possible de tendre vers des métaphores plus riches. Ce monde n'a jamais été aussi compliqué et nos vies n'ont jamais été aussi compliquées qu'actuellement. Si, au lieu de chercher le mot standardisé le plus proche ou d'implorer qu'on nous diagnostique quelque chose, ça vaut le coup d'être présent dans la tristesse, par exemple, dans le chaos des émotions. Je pense que ça en vaut la peine. Nous avons besoin de nouvelles lentilles pour nous aider à conceptualiser le chaos auquel nous faisons constamment face. Si nous faisons ça, si nous sommes tous prêts à définir qui nous sommes avec de la créativité, le monde pourrait ressembler un peu plus à cela. Très chaotique. Nous sommes des gens très chaotiques et le monde est très chaotique. Ce ne serait pas si mal que nous sortions de ces institutions qui nous affaiblissent constamment et que nous rencontrions l'autre tel qu'il est, avec toute sa vulnérabilité, avec son cœur à fleur de peau. Je pense, aussi chaotique que ce soit, que faire ça serait un peu plus satisfaisant. J'aimerais vous laisser avec une citation de l'un de mes philosophes préférés, Bill Watterson, qui a créé « Calvin and Hobbes ». Il a dit : « Créer une vie qui reflète vos valeurs et satisfait votre âme est un accomplissement rare. Inventer le sens de sa vie n'est pas simple mais est toujours permis et je crois que ces difficultés vous rendront plus heureux. » Merci. (Applaudissements)