“Pourquoi écrit-on ?” est une question à laquelle je peux facilement répondre puisque je me la suis souvent posée moi-même. Je crois que l’on écrit parce que l’on doit se créer un monde dans lequel on puisse vivre. Je ne pouvais vivre dans aucun des mondes qu'on me proposait : le monde de mes parents, le monde de la guerre, le monde de la politique. J’ai dû créer un monde pour moi, comme un climat, un pays, une atmosphère, où je puisse respirer, régner et me récréer lorsque j’étais détruite par la vie. Voilà, je crois, la raison, de tout œuvre d’art. L’artiste est le seul qui sache que le monde est une création subjective, qu’il faut faire un choix, une sélection des éléments. C’est une matérialisation, une incarnation de son monde intérieur. Et puis il espère y attirer d’autres êtres, il espère imposer cette vision particulière et la partager avec d’autres. Même si la seconde étape n’est pas atteinte, l’artiste, néanmoins, continue vaillamment. Les rares moments de communion avec le monde en valent la peine, car c’est un monde pour les autres, un héritage pour les autres, un don aux autres, en définitive. Nous écrivons aussi pour aviver notre perception de la vie, nous écrivons pour charmer, enchanter et consoler les autres, nous écrivons pour chanter à ceux que nous aimons. Nous écrivons pour goûter la vie deux fois, sur le moment et après coup.