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Rencontre avec Denis Mukwege, gynécologue et militant pour les droits humains: interview

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    (Pietro Bugnon) Il est médecin,
    gynécologue,
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    militant des droits humains,
    et Prix Nobel de la Paix,
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    le Congolais Denis Mukwege est
    notre invité ce soir.
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    Son combat: la lutte contre
    les violences sexuelles,
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    une lutte qui a commencé à Bukavu,
    sa région natale,
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    en République Démocratique du Congo.
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    Denis Mukwege, distingué en 2018
    par le comité Nobel,
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    aux côtés de l'Irakienne Nadia Murad,
    elle-même victime de violences sexuelles.
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    Denis Mukwege était de passage à Genève
    cet après-midi
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    pour l'inauguration officielle d'une ONG,
    le Global Survivors Fund,
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    le fonds global pour les survivantes,
    un Denis Mukwege marqué forcément
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    par la guerre en Ukraine: on l'écoute.
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    (DM) Une guerre, c'est toujours un drame,
    un drame pour la population,
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    un drame pour les femmes et les enfants,
    et notre expérience montre très bien
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    que dans toutes les guerres, aujourd'hui,
    ce sont les femmes et les enfants
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    qui paient le lourd tribu.
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    (PB) Pour quelle raison?
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    (DM) Hé bien, puisque d'abord,
    les femmes sont ciblées, et je crois que
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    lorsqu'on voit les images qui nous ont été
    projetées de l'Ukraine,
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    où on peut bombarder une maternité,
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    bombarder un service de néonatologie
    et de pédiatrie,
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    je crois que ce sont des images choquantes
    et il est vrai qu'aujourd'hui,
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    nous sommes tous sous le choc.
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    Quand je vois cette femme qui est
    transportée sur un brancard,
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    alors qu'elle est enceinte - probablement,
    elle était même en travail,
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    c'est la raison pour laquelle
    elle était à la maternité,
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    j'imagine le drame qu'on impose
    aux femmes.
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    Et en dehors de ce que nous voyons,
    il y a aussi ce que nous ne voyons pas,
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    parce qu'aujourd'hui, on parle
    très, très peu de viols dans ce conflit,
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    mais nous savons que -- nous suivons
    de très près, parce que nous savons que,
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    malheureusement, quand on voit
    tous ces déplacements massifs
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    de la population, nous savons que
    le risque est grand.
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    Et donc, aujourd'hui, nous plaidons
    pour une prévention.
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    Nous savons que ça peut arriver, que,
    si rien n'est fait, ça va arriver.
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    Donc nous avons la responsabilité
    de pouvoir dire:
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    "Les femmes doivent être averties,
    doivent être conseillées
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    comment elles doivent se comporter.
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    Les mesures pour les protéger
    doivent être mises en place
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    et la population qui les accueille, aussi,
    devra être informée
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    de comment se comporter, par rapport
    à ces réfugié.e.s.
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    (PB) Vous parlez de choc face à ces images
    - images terribles, cet hôpital bombardé,
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    des enfants blessés,
    des femmes enceintes blessées.
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    Après le choc, est-ce qu'il y a
    de la colère, aussi chez vous?
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    (DM) Bon, je crois que quand on voit
    ces images en tant qu'humains,
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    ça fait très mal: très mal, puisque
    rien que ces images pouvait justifier
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    que les belligérants puissent arrêter.
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    Et surtout, en fait, là,
    c'est une invasion.
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    Donc le pays qui envahit l'Ukraine,
    les responsables devraient comprendre que
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    ce qui est en train de se passer
    est innommable, et donc pouvoir arrêter.
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    Malheureusement, on voit très bien que,
    en fait, il y a une indifférence.
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    Et c'est ça qui fait mal.
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    (PB) Trop d'indifférence,
    manque de bienveillance:
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    on commence à douter de l'humanité?
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    (DM) On peut arriver à ce niveau, mais
    je crois que - moi, j'ai toujours cru que
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    nous avons toujours
    des personnes bienveillantes,
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    nous avons des personnes
    qui peuvent compatir et malheureusement,
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    il y a des gens qui ont perdu
    toute l'humanité, qui sont capables
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    de commettre ces actes barbares
    sans se poser des questions.
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    Mais ceci n'exclut pas que,
    dans notre humanité,
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    nous avons des personnes qui sont
    bienveillantes et qui compatissent,
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    et ils sont nombreux.
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    (PB) Avec un formidable élan de solidarité
    au sein de la communauté internationale
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    envers l'Ukraine, les pays occidentaux
    se sont mobilisés.
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    Est-ce que vous auriez espéré,
    vous qui êtes Congolais, une mobilisation
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    aussi forte pour d'autres conflits:
    certains que vous avez vécu de très près,
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    mais on peut aussi penser à l'Afghanistan,
    on peut aussi penser à l'Iraq:
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    cette mobilisation-là
    que l'on voit aujourd’hui,
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    est-ce qu'elle n'est pas parfois un peu
    à deux vitesses?
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    (DM) Je crois que devant la souffrance,
    il n'y a pas de couleurs de peau,
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    il n'y a pas de classes sociales.
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    Devant la souffrance,
    nous sommes tous égaux
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    et je crois que la réaction
    devant une souffrance
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    devrait être égale, et je crois
    qu'aujourd'hui, nous sommes concernés
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    par ce qui se passe en Ukraine, mais,
    effectivement, ça devrait nous rappeler
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    tout simplement que, à chaque fois
    quand l y a un point sur notre planète
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    où les gens souffrent, nous devrions
    tous nous mobiliser
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    pour arrêter cette souffrance,
    surtout que souvent, c'est des souffrances
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    qui sont imposées à des populations,
    mais injustement.
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    (PB) Avec un combat qui est le vôtre
    pour protéger les femmes,
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    pour protéger les enfants, et ce constat
    que vous faites peut-être:
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    lorsqu'il y a une guerre, il y a,
    à chaque fois,
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    des souffrances de femmes,
    et qui sont souvent occultées?
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    (DM) On essaie d'occulter
    mais aujourd'hui, de plus en plus,
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    je crois que les femmes parlent.
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    Il y a quelques décennies où les femmes
    avaient honte de pouvoir parler
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    des atrocités qu'elles ont subies
    pendant des conflits armés.
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    Mais aujourd'hui, je crois qu'il y a
    une libération de la parole,
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    les femmes brisent le silence
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    et même si, parfois,
    les belligérants ne veulent pas écouter,
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    mais les femmes parlent: je pense
    que nous devons être attentifs,
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    nous devons les écouter,
    nous devons les accompagner;
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    et aujourd'hui, notre cri, notre appel,
    c'est que nous devons les protéger,
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    puisque ça ne sert à rien, on sait que
    ça va arriver si rien n'est fait.
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    Donc ça ne sert à rien d'attendre
    jusqu'à ce que ça arrive.
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    Aujourd'hui, nous avons une responsabilité
    de pouvoir dire à toutes les femmes qui
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    fuient leur maison qu'est-ce
    qu'elles doivent faire,
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    comment elles doivent se protéger.
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    Et si ça arrive, il y a des mesures
    de prévention qui existent
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    et qui peuvent leur permettre d'éviter
    d'être enceintes, d'attraper
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    des maladies sexuellement transmissibles,
    du VIH, etc.
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    Je pense que ce doit être dans des mesures
    humanitaires qui doivent être prises
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    maintenant pour prévenir, et pas
    venir après pour traiter les conséquences.
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    Et je crois que, avec tous ces mouvements
    qui permettent aujourd'hui
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    de briser le silence, il est possible
    que nous puissions prévenir et donc
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    éviter que ces femmes subissent les drames
    qui pourraient être une deuxième sanction
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    après avoir quitté chez elle,
    qu'elles soient en plus victimes
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    des atrocités de type viol
    ou violence sexuelle.
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    (PB) Et ça, c'est au coeur de
    l'organisation que vous venez de créer,
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    le Fonds mondial pour les survivantes:
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    c'est ça, au fond,
    le cœur de votre mission?
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    (DM) Absolument, c'est que le Fonds
    mondial pour les survivantes,
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    c'est un fonds qui a été créé en 2019
    avec pour objectif de pouvoir aider
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    les victimes de violences sexuelles.
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    Et nous faisons des réparations qui sont
    des réparations intérimaires,
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    puisque ces femmes courageuses,
    ces femmes qui se battent souvent seules
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    - vous avez dit que c'est un problème
    qui est souvent occulté -
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    mais ces femmes ont besoin que leurs voix
    soient entendues
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    et nous les aidons à les accompagner.
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    Ce n'est pas donc là, vraiment,
    je voudrais apporter cette précision:
  • 8:28 - 8:32
    le Fonds n'a pas pour objectif
    de remplacer les États.
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    Les États ont la responsabilité, lorsque
    les viols massifs se commettent
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    dans un conflit, les États ont
    la responsabilité
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    de pouvoir fournir des réparations
    aux victimes.
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    Mais en attendant que les processus
    judiciaires puissent
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    arriver à leur bout, nous avons besoin
    de soutenir ces femmes
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    et pouvoir les accompagner
    pendant cette période.
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    Nous avons également beaucoup
    de grands problèmes:
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    parfois les États refusent tout simplement
    ou ne peuvent pas.
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    À ce moment là, nous, nous essayons
    d'aider ces femmes,
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    pour qu'elles puissent porter
    leurs réclamations.
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    Et lorsqu'ils ne peuvent pas
    ou ne veulent pas, nous les soutenons.
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    Voilà: donc, ce fonds, c'est un fonds
    très, très important
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    pour permettre à ce que les femmes
    ne puissent pas attendre
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    10, 15, 20 ans, 30 ans, voire même 40 ans
    avant qu'on puisse les écouter.
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    (PB) Voilà pour cet entretien avec
    le Prix Nobel de la Paix,
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    Denis Mukwege, que j'ai pu interroger
    cet après midi.
Title:
Rencontre avec Denis Mukwege, gynécologue et militant pour les droits humains: interview
Description:

11 mars 2022, RTS Forum
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French
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