Comment la lecture stimule la créativité et l'esprit critique | Hana Saleh | TEDxMisurata

En analysant son expérience en tant que conférencière assistante d'écriture créative à l'Université de Misurata, Hana Saleh explore les difficultés que les étudiants rencontrent lorsqu'ils pratiquent l'écriture créative. Selon elle, lire de bonnes fictions leur offre une vision du monde qui développe leur imagination.

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. En savoir plus : http://ted.com/tedx

(Arabe) Que la paix soit avec vous.

(Public) (Arabe)
Que la paix soit avec vous.

J'avais 17 ans quand je suis enfin rentrée
en Libye pour de bon.

J'ai grandi en Suisse

et je crois que la pire épreuve
à laquelle j'ai dû faire face étant enfant

a été de savoir épeler le mot
« Switzerland ».

Même aujourd'hui, après des décennies,
je suis devenue conférencière assistante

et je méprise toujours autant ce mot.

J'ai créé un raccourci pour ce mot
dans mon téléphone

en utilisant la translitération en anglais
de « Sweesra », qui est la version arabe,

et il l'écrit automatiquement pour moi.

Dieu merci la technologie existe.

On trouve tellement de mots intimidants
dans presque toutes les langues,

soit à cause de leur orthographe,
soit de par leur signification,

mais ce n'est pas une excuse
pour ne pas les apprendre.

On dit que la vie est une école

et il existe plusieurs éléments

qui participent à la formation
des connaissances.

Au début de notre vie,
nous apprenons de nos parents

mais pour des raisons très simples,
ils ne peuvent pas tout nous transmettre.

C'est sans doute la raison pour laquelle
nous devons aller à l'école,

afin d'apprendre d'autres individus
spécialisés dans tel ou tel domaine.

Par conséquent,
nos compétences linguistiques se créent

en assimilant les mots
issus des supports de cours

et des bouches de nos professeurs.

On parle avec des mots,

et en parlant, on s'exprime
et on communique avec les autres.

Mais nous ne sommes pas tous
de grands orateurs.

Pour ma part, je ne suis pas
quelqu'un de spontané

surtout lorsqu'il s'agit d'exprimer
mes pensées ou mes émotions intimes.

Quand j'étais petite, j'étais très timide,
surtout avec les inconnus,

et très vite, je me suis réfugiée
dans l'écriture.

Au collège, j'ai rédigé
une courte dissertation sur mon enfance,

et à la fin de la journée,

j'ai appris que mon professeur l'avait lue
presqu'à la moitié de l'école.

Il m'a dit plus tard

que ma carrière allait forcément
avoir un lien avec l'écriture,

et même à ce moment-là, j'avais plutôt
la sensation qu'il disait vrai.

J'ai réellement commencé à lire
des romans au lycée.

Mon premier roman classique
était de Louisa May Alcott,

« Les Quatre Filles du docteur March »

suivi d'œuvres contemporaines,
en l'occurrence de Mills & Boon.

Quand j'avais 14 ans, j'étais obsédée
par les bandes dessinées,

comme la plupart des adolescents.

Je lisais du Nabil Farouk.

C'est l'auteur de « Adham Sabri:
The Man of the Impossible. »

Je lisais aussi les Archie Comics.

Le personnage Betty Cooper m'inspirait
pour écrire des journaux intimes,

et je le fais toujours aujourd'hui.

Quand je suis entrée à l'université,

j'ai réalisé que j'avais certaines lacunes
dans mes techniques d'écriture,

à savoir dans l'organisation,

la construction des phrases,
mais également l'axe.

À ce stade, je pensais avoir été
une lectrice passionnée,

et que ça ne devrait pas être
un problème pour moi.

Mais en fait, ça m'a poussée à changer
mon approche vis-à-vis de la lecture.

J'ai commencé à lire une fois étudiante,

c'est-à-dire pas juste pour le plaisir

mais aussi pour apprendre les astuces
du métier auprès des meilleurs.

Motivée par ma regrettée collègue
et tutrice,

Mme Sabah Kareem, que Dieu la bénisse,

j'ai décidé de m'inscrire
en Master de littérature

et à la fin de l'année 2010,

j'ai obtenu mon diplôme d'écriture
pour la performance et la publication

de l'Université de Leeds.

J'ai eu l'immense chance

de pouvoir explorer mes capacités
en écrivant des nouvelles

mais aussi en écrivant
pour la scène et l'écran.

L'écriture créative prône l'imagination

alors pourquoi a-t-on l'impression
que c'est un domaine isolé

qu'on a du mal à explorer

afin de lui donner la place
pour se développer et s'épanouir ?

J'aimerais vous parler de mon expérience
d'enseignante d'écriture créative ici.

Quand je dis ici, je veux dire
la Libye en général

car je crois que c'est un problème majeur
dans presque toutes les régions de Libye :

le problème d'apprendre une langue
étrangère et de réellement la pratiquer.

Au début des années 2010,

peu après mon retour du Royaume-Uni,

j'ai donné une présentation ce qu'est
l'écriture créative pour la première fois

à l'Université de Misurata.

J'étais très enthousiaste

mais visiblement les étudiants
ne l'étaient pas.

Un seul étudiant s'est inscrit
pour le semestre.

Alors le cours a dû être annulé.

Mais le semestre suivant
était assez prometteur ;

j'avais 11 étudiants, pas mal,

puis j'en ai eu 50

pour finir avec un total colossal de 80
pour un semestre.

Pour l'écriture créative, le nombre
d'étudiants peut poser problème

surtout s'ils sont entassés
dans une salle de 35 élèves.

Mais la vraie difficulté, c'est lorsque
vous vous rendez compte

qu'ils ne comprennent pas le concept.

Comment ça ?

Très souvent, ils viennent vers moi

et me disent de manière franche :
« On déteste écrire. »

Mais je pense que la vraie raison qui
se cache derrière cette haine d'après eux

c'est plutôt : « Je ne sais pas écrire »

et « Pourquoi devrais-je écrire ?
Je n'y suis pas obligé. »

Alors « Comment écrire ? » contre
« Pourquoi devrais-je écrire ? »

Concernant la première question,
je ne vais pas aborder l'illettrisme

car il ne fait aucun doute

que n'importe qui ayant été à l'école
pendant un nombre considérable d'années

sait forcément écrire.

En ce qui concerne l'écriture créative,
il s'agit d'écrire des nouvelles.

Et pour cela, il faut avoir des idées.

Normalement les idées
viennent de l'inspiration

et ce qui semble gêner mes étudiants,
c'est leur inspiration restreinte.

Ils se sont confinés, ou limités,
eux-mêmes

à un éventail de sujets et de thèmes
très limité

associé à un vocabulaire insuffisant.

Personnellement,

je ne suis pas très douée pour
la création et la réalisation d'études

mais d'après mon expérience de 3 ans dans
l'enseignement de l'écriture créative,

je crois que les sujets et thèmes que
j'ai surtout rencontrés sont les suivants.

Nous avons cinq colonnes.

Commençons avec la pauvreté.

La pauvreté qui est en fait un moyen
de diriger le personnage principal

et le faire accepter des emplois
plutôt dégradants.

Par exemple, travailler dans une cuisine,

ou faire le ménage

ou encore devenir un voyou.

La deuxième colonne

qui est d'ailleurs assez repris
par les filles,

c'est le mariage.

Le personnage principal doit quitter
celui qu'elle aime

vous savez, pour se marier à un autre

qui est soit plus riche ou qui a davantage
d'influence dans la société.

Le cancer remporte la première place
en termes de maladie

lorsqu'ils ont l'occasion

de parler de quelqu'un qui tombe
malade et finit par mourir.

C'est le chemin le plus évident
vers la mort.

Ensuite on trouve l'accident de voiture.

Je trouve ça assez surprenant

qu'à chaque fois qu'ils veulent
tuer les parents,

ils le font avec un accident de voiture.

Les conflits sociaux sont essentiellement
causés par l'héritage,

l'éternel méchant oncle,

et les triangles amoureux à l'école.

Certains d'entre vous doivent penser
que finalement c'est normal

étant donné leur éducation.

En réalité, c'est normal

car les gens ont tendance à écrire à
propos de choses qu'ils connaissent bien.

Mais le problème, c'est quand ils
écrivent à propos de choses, d'histoires,

car ils croient que c'est ce que
les autres attendent d'eux.

La limite vient de là.

Imaginez, si on en revient à ce tableau,

imaginez que ces cinq colonnes
forment la structure de notre culture,

incroyablement limitée

et en même temps, c'est fatiguant

quand on y est soumis chaque semestre.

Lors d'un semestre, j'ai fermement
annoncé à mes élèves :

« S'il vous plait, ne tuez pas les parents
dans un accident de voiture.

Si vous ne les voulez pas dans l'histoire,
laissez-les à la maison, sains et saufs,

puis continuez sur quelque chose
qui vaille le coup d'être raconté. »

Nous devons faire preuve d'imagination,
sortir de ce schéma culturel.

Un jour, un collègue étranger m'a dit :

« Nous avons affaire à des étudiants
qui ont peu d'expérience dans la vie. »

Il avait raison.

Comment pouvons-nous leur demander
de faire preuve de créativité

si l'étendue de leur expérience
ne représente que trois colonnes sur cinq.

C'est pour cela que nous devons
leur mettre un livre dans les mains.

La lecture ne fait pas seulement
de vous un meilleur écrivain :

en vivant les vies de personnages fictifs,

nous apprenons comment ils
font face aux situations exceptionnelles

et apprennent de leurs mésaventures.

Nous plongeons également dans les
différentes cultures de la vie, du monde

et voilà notre billet gratuit :

nous élargissons notre esprit

et nous sommes pratiquement prêts
pour l'extraordinaire.

Donc si nous revenons à ce tableau

et imaginons que nous ayons des étudiants

qui ont lu des livres qui, en réalité,
traitent de ces sujets et thèmes,

quelles sont les possibilités,

quelles sont les possibilités créatives
qu'ils pourraient présenter ?

Nous avons ici les cinq sujets
que j'ai évoqués tout à l'heure,

les cinq choses qui semblent se répéter

et des exemples de romans
qui traitent de ces sujets.

« Hunger Games » est un très bon exemple
qui parle de pauvreté

écrit par Suzanne Collins.

Le personnage principal est contraint
de participer à un tournoi

dans lequel les participants
doivent s'entretuer pour gagner.

C'est une idée.

Le second exemple,

c'est « Orgueil et Préjugés »
de Jane Austen.

Ce roman a été écrit
il y a presque 200 ans,

il y a deux siècles.

Ce qui le rend si célèbre et vivant
encore aujourd'hui -

je veux dire pour le thème
du mariage en particulier -

c'est le personnage principal,
Elizabeth Bennet,

qui s'oppose au code social.

Imaginez ce que cela représentait
à l'époque.

« Ma vie pour la tienne »

traite brillamment de la maladie

écrit par Jodi Picoult.

En plus de parler du cancer,

cela traite de la leucémie
promyélocytaire aiguë,

un cancer du sang et de la moelle osseuse.

L'histoire porte également sur l'excès
de drogue et sur une forme d'épilepsie.

Je ne commenterai pas l'accident
de voiture, mais ne tuez pas les parents.

Pour continuer sur les conflits
sociaux, la dernière colonne,

c'est « In the Country of Men »,
écrit par notre très cher Hisham Matar.

L'histoire parle du chaos politique

ayant eu des répercussions
sur une vie domestique

en référence à ce qu'il s'est passé ici
en Libye dans les années 70.

Avant de continuer,

j'aimerais brièvement saluer le travail
de certains de mes étudiants

qui ont fait preuve d'une créativité
incroyable dans leurs histoires.

Un élève a écrit une histoire sur un
Américain qui s'est converti à l'Islam

après avoir vécu au sein d'un groupe
de Touaregs ici en Libye.

Un deuxième bon exemple, c'est un étudiant
qui a écrit à propos du combat

d'un homme essayant de fuir la guerre
civile au Rwanda au début des années 90.

Le troisième exemple dont j'aimerais
vous parler

parle d'une créature qui est née
de la brume,

c'est le dernier de son espèce

et c'est le seul qui est capable
de faire face au mal.

Cela a été écrit par l'interprète
qui traduit pour vous d'ailleurs.

Donc pour revenir à ces deux questions.

Comment écrire, maintenant
que nous avons lu

et que nous avons élargi notre esprit ?

Bien sûr, il faut commencer par lire
ce qui peut être intéressant pour vous

et des auteurs dont
vous appréciez le style d'écriture.

Et ensuite vous pouvez commencer à écrire.

Vous pouvez griffonner.

Faire un brouillon.

Refaire des brouillons,
peut-être cent fois.

Et voilà, vous savez faire.

La deuxième question,
pourquoi devrais-je ?

En fait, vous n'êtes pas obligé d'écrire

sauf si vous êtes un de mes étudiants

alors vous devez le faire.

Raconter des histoires, c'est un art.

Cela vous permet de traduire
vos pensées les plus profondes

et peut-être votre philosophie de vie.

Et c'est en fait la raison pour laquelle
les gens adorent lire.

La littérature doit être transmise

pour que les générations coexistent
et s'entremêlent.

J'aimerais conclure avec une citation
de Elif Shafak

L'auteur de « The Forty Rules of Love ».
[Les quarante règles de l'amour]

Ok.

« Relier les gens aux terres, aux régions
et aux cultures lointaines n'est-elle pas

l'une des grandes forces
de la bonne littérature ? »

En effet, elle l'est.

Alors commençons à penser autrement.

Merci.

(Applaudissements)