Anna Kozlova : Voir une ado sur une scène
en train de parler d'écologie,
ça nous fait inévitablement
penser à quelqu'un :
la militante suédoise Greta Thunberg,
qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux
après avoir pris la parole à l'ONU
et reproché aux dirigeants du monde entier
d'être conscients des problèmes
environnementaux, mais de ne rien faire.
Et vous, que pensez-vous de Greta ?
Valentina Andreïeva : Je trouve
que Greta Thunberg est incroyable,
elle essaie d'atteindre son but
grâce à son énergie et son esprit,
et son but, ce qu'elle veut...
AK : Il me semble que c'est
ce que nous voulons tous...
VA : ... c'est que le gouvernement
s'intéresse à l'écologie.
Je suis choquée qu'elle ait réussi
à réunir autour d'elle
une telle quantité de personnes
qui la soutiennent
et qui, j'espère, continueront
à la soutenir à l'avenir.
Tatiana Andreïeva : Personnellement, je
n'aimerais pas que Valentina sèche l'école
pour aller tenir une pancarte
au nom de l'écologie,
mais cela dit, je suis très heureuse
que les enfants aient un porte-parole.
Certes, elle y va un peu fort,
mais beaucoup de gens l'entendent
et des centaines de milliers de personnes
ont rejoint son combat pour l'écologie.
Et si 100 000 personnes,
après sa conférence,
refusent un sac plastique dans un magasin,
ça représente 100 000 sacs plastiques.
C'est là pour moi toute l'utilité
de cette conférence.
Et vraiment, elle a fait beaucoup
pour une adolescente.
AK : Aujourd'hui, il faut souvent
défendre l'écologie sur les barricades.
On ne peut pas dire
que ça n'a servi à rien,
maintenant nous avons au moins
tous pris conscience du problème.
Nous savons tous très bien
qu'il se passe quelque chose.
Mais vous avez choisi
une méthode moins agressive :
au lieu d'attaquer, montrer l'exemple.
Vous avez créé le mouvement
« Des chats contre le plastique ».
Racontez-nous comment
vous est venue cette idée.
TA : Parfois, les bonnes choses
arrivent par hasard.
Au début, c'était l'occasion
de passer plus de temps avec ma fille.
Nous vivons dans un monde qui va vite,
où nous sommes tous très occupés,
y compris nos enfants.
On essaie de leur enseigner
le plus de choses possible :
l'anglais, l'informatique,
la natation, la musique.
Toutes leurs journées sont prises.
Et il ne nous reste plus beaucoup
de temps à passer avec nos enfants.
Ce projet commun, c'était une opportunité
de passer plus de temps avec ma fille,
à faire autre chose que regarder la télé.
Je vais vous parler un peu du projet.
Il y a six mois, Valentina et moi
avons participé à un projet
d'entrepreneuriat social
pour les enfants « Jeune entreprise ».
C'est un travail d'équipe :
un enfant et un adulte.
C'est de l'entrepreneuriat social,
c'est-à-dire qu'il y a à la fois
un aspect social et un aspect commercial.
Nous avons choisi le thème de l'écologie.
L'aspect commercial, c'était l'idée
de coudre des sacs en tissu,
et ensuite de les vendre.
Ça, c'était l'idée de départ,
ensuite le projet s'est développé
bien au-delà de la vente de sacs.
VA : Le plus important,
sans doute l'essence de ce projet,
c'est bien sûr de rallier les enfants
au mouvement écologiste,
pour que ce ne soit pas les parents,
mais les enfants eux-mêmes
qui parlent à leurs parents d'écologie,
qui expliquent en quoi
le plastique est nocif,
pourquoi il vaut mieux prendre
des sacs en tissu pour les courses,
pas des sacs en plastique.
AK : Ça, ce sont vos sacs,
mais d'où sort ce chat ?
Parlez-nous du chat !
VA : En fait, on a un chat,
qui s'appelle Chat.
Et depuis qu'il est petit,
il mâchonne les sacs en plastique.
On sait qu'un sac en plastique
met 400 ans à se décomposer,
alors imaginez s'il se retrouve
coincé dans l'estomac d'un chat.
TA : Et on pensait qu'il n'y avait
que notre chat pour être aussi idiot,
mais en préparant notre conférence TED,
on a appris que les sacs plastique
sont traités avec une substance spéciale
pour qu'ils ne collent pas,
et ça plaît à beaucoup d'animaux.
Beaucoup d'entre vous
ont probablement des chats,
ou peut-être des chiens,
qui s'attaquent aussi aux sacs plastique.
AK : Les chats ont vraiment une façon
bien à eux de se battre avec le plastique.
En plus d'Instagram, vous avez aussi
un groupe Facebook qui s'appelle
« Des chats contre le plastique »,
« kotiki_against_plastic ».
Il compte plus de 300 membres,
mais est-ce que ça peut faire changer
les choses à grande échelle ?
TA : Quand nous avons créé
une page sur les réseaux sociaux,
c'était dans le cadre de notre projet,
et notre plan était de s'en servir
pour y vendre des sacs.
Mais ensuite, des adultes
ont rejoint la page Facebook.
Sur Instagram, il n'y a que des enfants,
ils postent des photos, des histoires.
Mais sur Facebook, on a un public
plus adulte, composé de parents.
C'est un public très intéressant,
parce que ces gens toujours plus nombreux,
ils viennent de différents pays du monde.
Ils sont tous emballés par notre idée.
Ils partagent leurs expériences écolos.
Parfois, on voit que dans notre pays,
certaines choses risquent de prendre
encore beaucoup de temps,
et on n'imagine pas qu'on peut
les faire, que c'est même plutôt facile.
Il y a une vraie énergie,
une vraie force dans ce groupe.
Lors d'une journée de bénévolat,
on m'a parlé d'une conférence
sur les communautés en ligne.
Et je me souviens de cette phrase
qui disait qu'une bonne communauté,
c'est une communauté
qui peut exister sans leader.
Je pense que notre communauté
correspond à cette définition,
parce qu'elle pourrait tout à fait
continuer à exister sans moi.
Et c'est là toute sa valeur.
AK : Vous recevez
de temps en temps des colis,
venant du monde entier,
en lien avec l'écologie.
TA : Oui, en effet.
On voudrait vous montrer.
Il y a quelques jours,
on a reçu un colis d'Amsterdam.
Bien sûr, il contenait un sac en tissu,
avec un vélo dessiné dessus, évidemment.
Il y avait aussi un super livre
au titre évocateur, il va vous plaire.
AK : Il plaît au chat aussi.
TA : On vous le prêtera à la pause.
« 101 façons d'arrêter le plastique ».
AK : Valentina, que pensent
tes camarades de ce projet ?
VA : J'ai une copine, Milana,
qui essaie comme moi
de ne pas prendre de sacs plastiques,
elle utilise aussi un sac en tissu
et des petits sacs
pour les fruits et légumes.
AK : Quand on parle
de l'idéal « eco-friendly »,
on a toujours l'impression
que c'est forcément radical :
ne jamais prendre l'avion,
ne pas prendre les transports en commun,
trier tous ses déchets, y aller à fond.
Ce sont des étapes un peu extrêmes,
tout le monde n'est pas prêt à renoncer
à son confort et à ses habitudes.
TA : Récemment, j'ai croisé un collègue
à la machine à café avec son propre mug.
Je lui ai dit : « Bravo !
Tu apportes ton propre mug !
- Oui, je sauve la planète,
enfin, c'est pas grand-chose. »
En fait, on fait déjà beaucoup,
et on ne se rend pas compte
qu'on fait tout ça.
D'un autre côté,
être super-méga-écolo
et super-responsable,
dans notre pays en tout cas,
c'est très compliqué.
Quand on a lancé le projet
il y a six mois,
Valentina et moi avons décidé
d'arrêter complètement le plastique.
Comme d'autres l'auraient fait
dans cette situation, je suppose.
Il s'est avéré que c'était impossible.
On est une famille ordinaire : des parents
qui travaillent et un enfant très occupé.
On n'a vraiment pas le temps de chercher,
à Minsk, en Biélorussie, des magasins
où acheter des produits sans emballage.
On ne peut pas se permettre de partir
en vacances en vélo, malheureusement.
Mais il y a des choses très simples
qu'on fait déjà en famille,
je vais vous en dire un peu plus.
AK : Valentina,
que faites-vous exactement ?
VA : On a une liste de points
qu'on essaie de respecter.
Je vais commencer par la fin :
le cinquième point, c'est qu'on éteint
la lumière dans les pièces où...
TA : C'est difficile.
VA : Oui, c'est le point le plus dur.
On essaie d'éteindre la lumière
dans les pièces où on n'en a pas besoin.
Soit tu as besoin d'une pièce, soit non.
Ensuite, on a commencé à trier les piles.
On ne les jette plus à la poubelle,
on a des bacs à la maison
exprès pour les piles,
et on essaie de les mettre dedans.
Le troisième point, c'est peut-être
un des plus faciles.
On récupère les bouchons,
on en a tout un vase.
AK : Les bouchons
des bouteilles, c'est bien ça ?
VA : Oui, parce que vous ne
le saviez peut-être pas,
mais les bouchons, c'est le plastique
le plus propre et le plus cher.
Si on le met à part, on peut le récupérer
et le recycler sans problème.
Le deuxième point, c'est peut-être
le processus le plus long,
ce qu'on a commencé à faire
au tout début de notre projet.
On a commencé à trier nos déchets.
Par exemple, on a un sac,
un sac en papier pour le papier,
un sac avec des bouteilles,
le vase avec les bouchons.
Et un sac pour les sacs en plastique,
mais celui-là on le cache, loin du chat.
Et le premier point, ce qui nous a décidés
à commencer notre projet,
c'est d'arrêter de prendre
des sacs plastique dans les magasins.
TA : Pas juste les sacs plastique,
les sacs en papier, tous les emballages,
si on peut ne pas en prendre,
on n'en prend pas.
Et on apporte...
VA : Oui, nos propres sacs en tissu
qu'on a cousus il n'y a pas longtemps.
Enfin, si, il y a longtemps.
TA : Et toi Anna, tu as
un sac à sacs plastiques ?
AK : C'est une question-piège.
Je dois être honnête,
étant donné que la plupart du temps
je vis en Pologne et pas en Biélorussie,
je ne peux pas me permettre d'en avoir un.
Les règles sont très strictes.
On a cinq poubelles différentes
pour les différents types de déchets.
Le plus dur, ce n'est pas de trier,
mais de se souvenir où jeter quoi.
Les cinq catégories se distinguent
à peine les unes des autres,
alors sur la porte du local à poubelles,
il y a une affichette pour nous aider.
C'est comme ça dans chaque hall d'entrée,
c'est super pratique !
Mais le sac à sacs plastiques,
c'est une question sérieuse ici.
TA : Et, vous, vous en avez un ?
Public : Oui.
Levez la main, ceux qui en ont !
TA : Et voilà !
AK : Stylé !
TA : Ça fait beaucoup.
Mais maintenant, en plus
du sac à sacs plastiques,
celui qu'on cache au chat,
on a un sac à papier,
un sac à bouteilles en plastique
et un petit vase pour les bouchons.
AK : Un petit vase... À mon avis,
vous devriez fabriquer
un grand bouchon pour y mettre
vos bouchons en plastique.
TA : (Rires) C'est une bonne idée.
Il s'avère que chaque génération
possède son sac à sacs.
AK : En fait, même ces petites
choses qu'on peut faire,
ces choses que vous avez énumérées,
ce n'est pas si simple.
Les gens ne sont pas pressés de trier,
ils pensent que ça ne sert à rien,
que de toute façon on finit
par tout mélanger dans une même benne.
Et les magasins ne sont pas pressés
d'arrêter les emballages plastique.
Ces jolis gobelets écologiques,
que j'ai commandés spécialement
pour notre évènement,
à votre avis, quand on les a récupérés,
dans quoi étaient-ils emballés ?
(Rires)
Bien entendu, dans du plastique.
Alors comment avance votre projet ?
Est-ce qu'il avance facilement ?
VA : Eh bien...
AK : Est-ce que vous rencontrez
des résistances ?
Peut-être que le fait de refuser les sacs,
ça en étonne certains ?
TA : Tu te souviens
comment c'était avant ?
VA : En fait, quand on a
commencé cette expérience,
aller faire les courses
avec nos sacs en tissu,
beaucoup de vendeuses étaient surprises
et certaines nous disaient :
« Mais c'est gratuit !
Pourquoi ne pas en prendre ? »
Mais maintenant, ça fait six mois,
et beaucoup de vendeuses
réagissent avec compréhension,
parce que ces sachets sont déjà fabriqués
et livrés dans le magasin.
Et je me dis que si chacun ici
refusait rien qu'un sachet par jour,
on jetterait 150 sachets en moins,
et tout ça en une journée.
AK : J'ai l'impression que
notre mission principale actuellement,
ce n'est pas se demander si on dispose des
infrastructures adaptées à ce qu'on fait,
mais juste essayer de ne pas ajouter de
déchets à la montagne d'ordures existante.
VA : Oui.
AK : Cette montagne-là.
TA : Oui, c'est ça le plus important.
Même pas le plus important, mais ce qu'on
peut faire de plus efficace actuellement.
Parce que tant que l'infrastructure
ne sera pas parfaite,
et elle sera mise en place un jour,
à en juger par l'expérience d'autres pays,
ça restera inévitable.
C'est important de développer
dès maintenant une culture écolo.
AK : Un état d'esprit écolo ?
TA : Un état d'esprit écolo pour être
prêts quand l'infrastructure le sera.
AK : Je pense que le changement,
c'est toujours difficile :
notre entourage se montre réticent,
ou bien on n'est soi-même pas prêt.
Mais avoir un vrai projet,
c'est différent, ça nous fait
évoluer sur le plan personnel.
Qu'est-ce que cette expérience
a changé pour vous en six mois ?
VA : Ce projet est devenu pour moi
une vraie expérience professionnelle.
Parce que même si je réalise
que je suis la plus jeune dans ce projet,
j'ai des responsabilités
comme les adultes.
Pour nous les enfants,
c'est très dur de sauver la planète seuls,
et c'est super quand des adultes
sont là pour donner l'exemple.
Cette aide à petite échelle,
tu peux la transformer en aide
à grande échelle pour la planète.
TA : Oui, je pense aussi
que c'est très important
de montrer aux enfants
ces comportements écolos
à travers notre expérience de parent
et de faire tout ça avec eux,
parce qu'un jour, ce sont eux
qui prendront les décisions.
AK : C'est super et je pense
que vous avez vraiment réussi.
Tatiana, qu'est-ce qui a été
le plus important pour vous ?
Quand vous avez passé ces étapes
et commencé votre projet,
quand vous avez préparé cette conférence,
qu'est-ce qui a changé ?
TA : On a une diapo avec notre devise :
« Help, Share & Save the Planet! »
C'est Valentina qui l'a trouvée.
Et si on respecte ces étapes...
Je vais vous le dire franchement,
au début, c'était un petit projet familial
pour passer plus de temps avec ma fille.
Mais quand on a commencé
à approfondir le sujet,
quand on a vu comment les gens
réagissaient à tout ça...
À chacune de nos interventions publiques,
des gens montent sur scène
pour poser des questions,
d'autres pour y répondre.
Ce sujet est très complet
et rassemble beaucoup de monde.
Et puis, quand on a commencé...
Ce qui est intéressant aussi,
c'est que quand on a commencé
à préparer cette conférence,
quand on a partagé cette information
avec notre communauté,
des gens se sont mis à venir
me parler dans l'ascenseur :
« Tu sais quoi, on a commencé
à trier nos poubelles ! », ou bien
« On a emmené les enfants au travail
pour qu'ils jettent les bouchons
dans le bac à bouchons ! »
Et c'est vraiment...
Ça me fait chaud au cœur,
c'est vraiment super.
L'un de mes supérieurs m'a raconté
comment il est obligé
de faire ses courses
avec des sacs en tissu,
parce que s'il prend
un sac plastique à la caisse,
ses petits-enfants le regardent
avec de grands yeux,
ils lui disent : « Papy, tu fais quoi ? »
Quand on entend ce genre de choses,
on est heureux de servir cette cause.
AK : Je crois que vous pouvez
tirer une grande force de tout ça.
Ma dernière question sera pour Valentina.
Valentina, qu'as-tu à dire au public
qui te regarde aujourd'hui ?
VA : Je veux dire aux parents
qui sont dans cette salle,
je voudrais que, quand vous
rentrerez chez vous,
vous racontiez à vos enfants
comment on peut sauver la planète.
Parce que peu importe
si on est un adulte ou un enfant,
on peut agir pour l'écologie en famille.
TA : Merci.
AK : Merci.
(Applaudissements)