Salut, c'est Tony, et voici
Every Frame A Painting
La chose la plus basique de la grammaire
cinématographique est sûrement ça :
Champ ...
Contrechamp.
Quasiment tout ce que
vous regardez est ...
Quasiment tout ce que
vous regardez en est rempli.
Et la plupart des cinéastes l'utilisent
pour tourner rapidement un dialogue.
Acteurs immobiles,
caméras multiples ...
on tourne 10 prises,
et on fera le tri en post-production.
Mais je pense q'un champ-contrechamp
reste puissant s'il est fait avec précision.
Et l'oeuvre de Joel & Ethan Coen
en est un bon exemple.
Parce que les Coen sont maîtres
en matière de scène de dialogue.
Et ils y arrivent en gardant
leurs plans simples et précis.
Aujourd'hui, reconsidérons
le champ-contrechamp.
Que peut-on apprendre de leur façon
de l'utiliser ?
L'une des premières choses qu'on remarque
chez les Coen est qu'ils aiment
filmer un dialogue depuis l'intérieur
de l'espace de la conversation.
Cela signifie que la caméra est souvent
entre les deux personnages,
afin qu'ils aient chacun
un plan individuel.
En d'autres termes, ils tournent beaucoup
de plans 'mono-personnage'.
D'autres cinéastes, comme Paul Greengrass,
se placent derrière les personnages,
souvent en longue focale, pour qu'on ait
l'impression d'espionner la scène.
Les Coen et Roger Deakins
ne font pas ça.
En fait, il filment quasi-exclusivement
en grand angle.
- J'ai une grande affection
pour les objectifs, et personnellement,
je suis assis ici, en vous parlant,
et vous me filmez depuis là-bas,
sûrement en plan rapproché.
Et bien, je fais rarement ça.
Car je pense que la caméra
veut 'exister' ...
Personnellement, je placerai la caméra
dans l'espace entre nous 2.
Et en basculant vers une focale courte,
et en amenant la caméra plus près,
on a l'impression que ...
- C'est différent, n'est-ce pas ?
Il y a un sentiment de présence.
Vous n'êtes pas juste là :
vous êtes ici avec quelqu'un d'autre.
Psychologiquement, ça donne
un effet vraiment différent.
Mais quel est cet effet psychologique ?
Si une longue focale évoque l'espionnage,
que vous évoque celle-ci ?
Je dirais qu'il y a deux sentiments :
l'inconfort ...
et une envie de rire.
Et ça colle !
Car les Coen aiment
isoler les individus,
les piéger dans des situations
où ils n'ont aucun contrôle.
Et comme l'objectif est ici :
vous êtes coincé avec eux.
L'autre effet est visuel.
Les Coen tournent surtout
en 27 mm et 32 mm,
et ils zooment souvent pour exagérer
certaines parties du visage d'un acteur.
L'utilisation de focales courtes
n'accentue pas seulement le visage ...
elle accentue aussi le travelling
lors du rapprochement d'un acteur.
- ... un sentiment d'action.
Si je bouge ma main
près ou loin de la caméra,
la focale courte
aura beaucoup plus d'impact.
Et même un léger déplacement
comme ça :
... semblera plus vivant,
et plus nerveux.
Mais le troisième effet
de cette manière de filmer ...
... est environnemental.
Des plans comme celui-ci
ont un bel équilibre
entre le personnage,
et tout ce qui l'entoure.
Et cela nous aide à connaître rapidement
des personnages mineurs.
Pensez à quel point vous connaissez cette
femme, juste grâce à ses vêtements et son bureau.
Mais ce qui distingue vraiment les Coen,
est leur rythme de montage.
Beaucoup de gens pensent que le rythme
provient de leurs dialogues.
Mais le rythme est en fait non-verbal.
Parfois, pour comprendre un 'bon' rythme,
il faut en voir un mauvais.
Voici un film qu'ils ont écrit,
mais pas réalisé.
Regardez la pause gênante
entre deux répliques.
Ça ne sonne pas juste.
Maintenant, regardez cette scène,
réalisée par les Coen :
Et ce rythme est à la base
de beaucoup de leurs scènes ...
et c'est comme ça qu'ils trouvent
des moments non-verbaux,
que les autres cinéastes
ne recherchent même pas.
Mais à quoi mènent
tout ces choix ?
Je pense que ça créé
un ton particulier.
Car d'un côté, les Coen veulent
vous voir rire de ces personnages.
Après tout, ils utilisent un grand angle
pour exagérer leur visage,
et ils organisent la scène
avec humour.
Mais d'un autre côté, les Coen veulent
que vous compatissiez pour ces personnages.
Ils cadrent assez large pour qu'on puisse
voir leur environnement,
et mettent l'objectif près de gens
moralement au plus bas.
Il y a un vieux dicton :
"La tragédie est un plan rapproché ;
la comédie est un plan large".
Mais chez les Coen,
ces distinctions sont mélangées.
ils filment la tragédie et la comédie
dans des plans rapprochés intimes.
Et c'est ça qui est fascinant.
Car une scène de dialogue ne tourne pas
juste autour du dialogue lui-même.
Il y a aussi une part non-verbale.
Et en plaçant la caméra ici,
avec un grand angle,
et en suivant leur rythme particulier,
les Coen ont trouvé une approche
intéressante au plus basique des outils.
Champ
Contrechamp