Certaines lois sont injustes. Devons-nous nous contenter d'y obéir ? Devons-nous tenter de les modifier tout en continuant à y obéir ? Ou devons-nous les transgresser sans attendre ? L'un des co-fondateurs du site Reddit a été retrouvé mort. C'était vraiment un prodige, mais il ne s'est jamais considéré comme tel. Il n'était absolument pas emballé par la création d'entreprises ou par l'argent. Un profond sentiment de perte règne ce soir à Highland Park, la ville natale d'Aaron Swartz, tandis que ses proches disent adieu à l'un des esprits les plus brillants du Net. Les militants de l'informatique et du libre accès sont en deuil. "Une intelligence stupéfiante" d'après ceux qui le connaissaient. Il a été tué par le gouvernement, et le MIT a trahi tous ses principes. Ils voulaient en faire un exemple, OK ? Les gouvernements sont avides de surveillance. Il risquait 35 ans de prison et une amende d'un million de dollars. Cet acharnement suscite des interrogations et représente même, selon moi, une faute grave. Avez-vous examiné cette question précise et pu en tirer des conclusions ? En grandissant j'ai peu à peu réalisé qu'il y a des choses autour de nous, dont on croit la nature immuable mais qui ne sont pas naturelles du tout. Certaines choses peuvent changer, et surtout, devraient changer. Quand on a pigé ça, pas de retour en arrière possible. L'ENFANT D'INTERNET C'est l'heure de lire une histoire. Le titre du livre est "Paddington à la foire". Aaron est né à Highland Park et il a grandi ici. Il est issu d'une famille de 3 frères, tous extraordinairement brillants. Oh, la boîte est en train de basculer... Nous n'étions pas vraiment les enfants les plus disciplinés. 3 garçons remuants et turbulents, vous voyez le genre. Hé, non, non, non ! - Aaron ! - Quoi ? J'ai fini par réaliser qu'Aaron avait appris à apprendre dès le plus jeune âge. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10. - Toc, toc ! - Qui est là ? - Aaron - Aaron qui ? - Aaron Le Rigolo. Il était têtu, il savait ce qu'il voulait. Il réussissait toujours ce qu'il désirait. Sa curiosité était sans bornes. Voici une petite image de ce que sont les planètes. Chaque planète a un symbole. Le symbole de Mercure, celui de Vénus, le symbole de la Terre, celui de Mars, de Jupiter. Un jour, il dit à Susan : "C'est quoi ce spectacle familial gratuit à Highland Park ?" Spectacle familial gratuit à Highland Park Il n'avait que 3 ans. Elle lui demande : "De quoi tu parles ?" Il dit : "Là, regarde, sur le frigo, c'est marqué Spectacle familial gratuit à Highland Park." Elle fut sidérée de voir qu'il savait lire. Ça s'appelle "Le séder de ma famille". La nuit du séder est différente de toutes les autres nuits. Un jour, nous visitions la bibliothèque de l'Université de Chicago. J'ai retiré des rayons un livre datant de 1900, à peu près. Je lui ai montré en disant : "Tu sais, cet endroit est vraiment extraordinaire". Nous étions tous des enfants curieux, mais Aaron aimait vraiment apprendre et enseigner. Nous allons maintenant apprendre l'alphabet à l'envers. Z, Y, X, W, V, U, T... Je me souviens quand il est rentré de son premier cours d'algèbre. Il m'a dit un truc du genre : "Noah, laisse-moi t'apprendre l'algèbre !" Et moi : "c'est quoi l'algèbre ?" Et c'était tout le temps comme cela. On presse ce bouton, clic, là, ça donne ça ! Maintenant c'est rose ! Quand il avait 2 ou 3 ans, Bob l'a initié aux ordinateurs. Ça l'a complètement emballé. (babillages) On avait tous un ordinateur, mais Aaron accrochait vraiment avec eux, avec Internet. - Tu travailles sur l'ordinateur ? - Naann... Comment... Maman, pourquoi est-ce que rien ne fonctionne ? Il a commencé à programmer très jeune. Je me souviens du premier programme que j'ai écrit avec lui. C'était du Basic. C'était un quizz sur Star Wars. Il est resté sur l'ordinateur des heures pour programmer ce jeu avec moi au sous-sol. Le problème que j'avais avec lui, c'est que moi je ne bouclais jamais rien. Et pour lui, il y avait toujours quelque chose à faire, toujours quelque chose à résoudre en programmant. Aaron a toujours vu la programmation comme une sorte de magie, qui permet de faire des choses impossibles aux gens normaux. Aaron a fait un distribanque avec un Macintosh et des cartons. Une année, je ne savais pas comment me déguiser pour Halloween. Il a pensé que ce serait trop cool que je me déguise en son ordinateur favori, à savoir le premier iMac. Il détestait s'accoutrer pour Halloween mais il adorait convaincre les autres de se déguiser comme il le souhaitait. Hôte Aaron, arrêtez ! Les gars, allez, regardez la caméra ! Spiderman regarde la caméra Il a créé "The Info", un site où les gens pouvaient aisément saisir des informations. Si quelqu'un, quelque part, connaît tout sur l'or, la dorure.... Pourquoi n'expliquerait-il pas tout ça sur ce site ? D'autres pourraient venir lire ces informations par la suite, voire les modifier s'ils les trouvent peu pertinentes. Pas trop éloigné de Wikipédia, non ? C'était avant les débuts de Wikipédia et ça a été développé par un garçon de 12 ans, dans sa chambre, tout seul, avec un petit serveur et des technologies un peu dépassées. L'un de ses enseignants a répondu : "Quelle idée affreuse ! On ne peut pas laisser n'importe qui rédiger l'encyclopédie. C'est le métier des érudits d'écrire ces livres pour nous. D'où vous vient cette idée si absurde ?" Moi et mon frère, on disait : "Oui, Wikipédia c'est cool... Mais on avait déjà ça à la maison il y a 5 ans." Le site d'Aaron, TheInfo.org, gagne un concours scolaire lancé par ArsDigita, une société de conception de sites basée à Cambridge. On est tous allés à Cambridge quand il a remporté ArsDigita. Mais on ignorait ce qu'Aaron faisait. Il était évident que ce prix était vraiment important. Aaron s'est vite engagé dans des communautés de programmeurs, et dans un projet de conception d'un nouvel outil pour le web. Il vient et me dit : "Ben, il faut que tu voies ce truc génial sur lequel je planche". OK, c'est quoi ? "C'est un truc appelé RSS." Il m'explique ce qu'est RSS, mais je lui réponds : "Pourquoi est-ce utile ? Y'a des sites qui s'en servent, Aaron ? Pourquoi je voudrais l'utiliser ?" On avait une liste de diffusion pour travailler sur RSS, et XML en général. Sur cette liste, il y avait un certain Aaron Swartz un type pugnace mais très intelligent et qui avait beaucoup de bonnes idées. Mais il ne venait jamais aux réunions donc, on lui a demandé : "Quand viendras-tu à nos réunions ?" Il a dit : "Je sais pas si ma mère me laissera. Je viens juste d'avoir 14 ans." Donc la première réaction a été : "Ce gars avec qui on a travaillé toute l'année, il avait 13 ans à l'époque et il n'en a que 14 maintenant !" Mais ensuite ça a été : "Mince, c'est extraordinaire ! Nous devons le rencontrer !" Il faisait partie du comité qui a ébauché RSS. Son travail a permis de construire la "tuyauterie" de l'hypertexte moderne. La partie sur laquelle il travaillait, RSS, est un outil utilisé pour obtenir un résumé de ce qui se passe sur d'autres pages web. C'était le plus souvent utilisé par les blogs. Imaginons que vous vouliez lire 10 ou 20 blogs. Vous utilisez leurs flux RSS, ce résumé de ce qui se passe sur leurs pages, pour créer une liste unifiée de ce qui se passe ailleurs. Aaron était vraiment jeune, mais il comprenait la technologie. Il la savait imparfaite et cherchait un moyen de l'améliorer. Donc sa mère le déposait à l'aéroport de Chicago. On le récupérait à San Francisco. On l'a présenté à des personnes intéressantes afin qu'ils discutent. Son alimentation affreuse nous a surpris. Il ne mangeait que de la bouffe blanche, comme du riz à la vapeur, pas de riz frit, car ce n'était pas assez blanc, et du pain blanc, et ainsi de suite... On s'émerveillait de la qualité des débats soulevés par un si jeune garçon. On pensait : "C'est un gamin qui ira loin s'il ne meurt pas du scorbut !" Aaron, à toi ! Les choses ont changé. On ne peut plus faire des sociétés de type point-com, des sociétés qui vendraient juste de la pâtée pour chien via Internet ou un téléphone portable. Cependant, il y a encore beaucoup d'innovation en cours. Si vous ne la voyez pas, c'est que vous faites l'autruche. Il pouvait parfois se comporter en "nerd" de base, du genre : "Je suis plus malin que toi. Vu que je suis plus malin, je suis meilleur que toi et je peux te dire quoi faire." C'était l'une de ses facettes, son côté peste. Vous combinez ces ordinateurs pour résoudre de gros problèmes, comme guérir le cancer ou chercher des extra-terrestres. Je l'ai d'abord rencontré sur IRC (Internet Relay Chat). Il ne faisait pas que programmer, il parvenait aussi à intéresser les gens aux problèmes qu'il souhaitait résoudre. C'était un "connecteur". Son énergie était bénéfique pour les mouvances libristes. Selon moi, Aaron voulait faire en sorte que le monde fonctionne. Il voulait le réparer. Il avait une forte personnalité, de celles qui peuvent parfois irriter. Il n'était pas toujours très à l'aise dans le monde et le monde n'était pas toujours très à l'aise avec lui. Aaron est allé au lycée mais il a très mal vécu l'école, Il n'aimait ni l'école, ni ses cours, ni ses professeurs. Aaron savait vraiment dégoter une information. Il disait : "Je n'ai pas besoin d'assister aux cours de géométrie. Je n'ai qu'à lire le livre de géométrie. Ni écouter ce professeur si c'est pour avoir "leur" version de l'histoire des USA... J'ai 3 synthèses historiques ici, je n'ai qu'à les lire. Et puis ça ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse c'est le web." J'étais très frustré par l'école. Pour moi, les enseignants ne savaient pas de quoi ils parlaient. Ils dominaient et contrôlaient. Les devoirs, c'était du pipeau. C'était juste pour occuper les étudiants en leur faisant gratter du papier. Et puis j'ai commencé à lire des livres sur l'histoire de l'éducation, sur la conception du système éducatif et les alternatives à ce système, sur des méthodes pédagogiques efficaces, par opposition au "par cœur" Ça m'a mené sur ce chemin du questionnement perpétuel. Après avoir remis mon école en cause, j'ai émis des doutes sur la société qui a institué l'école, j'ai questionné les métiers pour lesquels elle nous forme, et le gouvernement qui a mis toute cette structure en place. Dès le départ, il s'est passionné pour le droit d'auteur. Le droit d'auteur a toujours été un fardeau pour les éditeurs et les lecteurs, mais sans être une contrainte excessive. C'est un dispositif raisonnable, conçu pour assurer la rétribution des auteurs. Ce à quoi la génération d'Aaron a été confrontée, c'est un choc entre ce système vieillot et ces nouveautés inouïes que nous bâtissions Internet et le web. Ce choc frontal a provoqué le chaos. Il rencontre alors Lawrence Lessig, professeur de droit à Harvard. À l'époque, Lessig porte la loi sur le droit d'auteur devant la Cour Suprême. Le jeune Aaron Swartz s'envole pour écouter les auditions de la Cour Suprême à Washington. Je suis Aaron Swartz et je suis ici pour assister aux débats sur Eldred. Pourquoi avoir fait un tel trajet depuis Chicago pour voir les débats sur Eldred ? C'est une question plus difficile... Je... Je ne sais pas trop. C'est passionnant de voir la Cour Suprême, surtout pour une affaire si prestigieuse. Lessig progresse vers une nouvelle manière de définir le droit d'auteur sur Internet. Cela s'appelle les "Creative Commons" (CC). L'idée de base des CC est de permettre aux gens, aux créateurs, d'associer simplement à leurs créations les libertés d'utilisation qu'ils souhaitent. Au lieu du "Tous droits réservés" défini par le droit d'auteur, notre modèle propose "Certains droits réservés". C'est pour déclarer de façon claire : "Voici ce que vous pouvez faire avec mon œuvre, même si dans certains cas, vous devez avoir ma permission préalable." Aaron gérait des aspects informatiques tels que : Comment construire ces licences pour qu'elles soient simples, compréhensibles et exploitables par les machines ? Les gens disaient : "Pourquoi confier les spécifications des CC à ce gamin de 15 ans ? N'est-ce pas une énorme erreur ?" Mais Larry répondait : "L'erreur serait de ne pas écouter ce gamin". Il était à peine assez grand pour que sa tête dépasse du pupitre. Le pupitre n'était pas réglable. C'était un peu embarrassant car lorsqu'il a ouvert son écran, on ne voyait plus sa tête. Si vous venez sur notre site, et que vous cliquez "Choisir une licence", vous avez une liste d'options, avec les explications associées, et vous avez 3 questions simples : "Voulez-vous être cité comme auteur ? Autorisez-vous un usage commercial de l'œuvre ? Autorisez-vous les modifications de l'œuvre ?" J'ai été complètement sidérée que ces adultes le considèrent comme des leurs. Debout devant tout ce monde, Aaron a commencé à parler de cette plate-forme qu'il avait créée pour les CC. Et ils l'écoutaient tous... J'étais assise au fond, me disant : "C'est un gosse ! Pourquoi l'écoutent-ils ?" Mais ils l'écoutaient... En fait je ne comprenais pas vraiment. Les critiques affirment que la rétribution des artistes n'est pas assurée. Et pourtant, le succès des CC est considérable. Rien que sur Flickr, plus de 200 millions de personnes emploient l'une des licences CC. Il a contribué d'un point de vue technique, mais c'était bien plus que ça pour lui. Sur son blog personnel Aaron est souvent sincère : Je réfléchis beaucoup, et j'aimerais que les autres fassent de même. J'agis pour des idées, j'apprends des autres. Je n'aime pas exclure les gens. Je suis perfectionniste, mais pas au point d'arrêter de publier. Hormis l'éducation et les divertissements, je ne perds pas mon temps en futilités sans avenir. J'essaie d'être ami avec tout le monde mais je veux être pris au sérieux. Je ne suis pas rancunier, c'est contre-productif, mais j'apprends de mes expériences. Je veux rendre le monde meilleur. En 2004, Swartz quitte Highland Park et s'inscrit à l'Université Stanford. Il avait eu une colite ulcéreuse, c'était très gênant. On veillait à ce qu'il prenne son traitement. Il a été hospitalisé et prenait un cocktail de pilules quotidien. Une de ces pilules était un stéroïde qui a freiné sa croissance et l'a fait se sentir différent des autres étudiants. Aaron est arrivé à Stanford prêt à suivre des études et s'est retrouvé dans un programme de babysitting pour surdoués, qui ont 4 ans pour devenir de grands entrepreneurs, l'élite des "1%", et je pense que ça le rendait fou. En 2005, après seulement un an d'université, Swartz se voit proposer un poste chez "Y Combinator", un incubateur de startups dirigé par Paul Graham. Il a dit : "Hé, j'ai une idée de site web !" Et Graham l'aimait suffisamment pour répondre : "ouais, OK". Il a quitté la fac et emménagé dans cet appartement... Voici l'appartement d'Aaron quand il est arrivé ici. Je me rappelle mon père évoquant la difficulté de trouver une location. Aaron n'avait pas d'argent, il venait de quitter la fac. Aaron vivait dans ce qui est devenu le salon. Certains posters datent de cette époque. Et la bibliothèque, avec plus de livres, mais beaucoup viennent d'Aaron. Chez Y Combinator, Aaron crée le site "Infogami", un outil pour créer des sites web. Mais Infogami ne trouve pas son public. La société fusionne avec un autre projet d'Y Combinator qui a besoin d'aide. C'est un projet dirigé par Steve Huffman et Alexis Ohanian. Et ça s'appelle Reddit. On était partis de rien. Zéro utilisateurs, zéro argent, zéro code. Le site grossissait, chaque jour plus populaire. Ça ne s'arrêtait pas ! On a eu 1 000 utilisateurs, 10 000, puis 20 000, etc. C'était incroyable ! Reddit explose et devient LE café du coin pour geeks sur Internet. Il y a plein de blagues, d'arts, et le site finit par regrouper plein de gens. Ça devient le site qu'ils visitent chaque matin pour avoir des nouvelles. Reddit frôle le chaos par certains aspects. D'un côté, les gens y discutent de l'actu, de technologies, de politique, et de l'autre, il y a tout un tas de contenus explicites voire offensants. Certains groupes de discussion sont de vrais nids à "trolls". A cet égard, Reddit a fait l'objet de controverses, et flirte avec les limites du chaos. Intéressé par Reddit, le géant de la presse Condé Nast fait une offre de rachat. Une somme assez grosse pour que mon père se demande : "Où vais-je mettre tout cet argent ?" - Beaucoup d'argent comme...? - Comme BEAUCOUP d'argent ! Sans doute plus d'un million de dollars, mais en fait je ne sais pas trop. - Et quel âge a-t-il à cette époque ? - 19 ou 20 ans... Ça se passait dans cet appartement. Ils s'asseyaient sur des canapés posés là et "hackaient" sur Reddit. Quand ils l'ont vendu, ils ont organisé une grande fête. Le lendemain, ils se sont envolés pour la Californie en me laissant les clés. C'était marrant. Il avait vendu sa startup alors on pensait tous qu'il était richissime. Mais il nous a dit : "Non, ce qu'il me faut, c'est juste une chambre grande comme une boîte à chaussure". C'était à peine plus grand qu'un placard. Il paraissait très improbable qu'il dépense son argent en futilités. Il a expliqué : "J'aime vivre en appartement, je ne dépenserai pas pour aller vivre ailleurs ou acheter une maison. Et j'aime m'habiller en jean et en T-shirt, je ne vais pas me ruiner en vêtements. Tout ça ne compte pas !" Ce qui compte pour Swartz, c'est l'évolution du trafic sur Internet, et aussi ce qui attire notre attention. Dans l'ancien système de diffusion, on est essentiellement limités par la disponibilité des fréquences. On ne peut envoyer que 10 chaînes télé sur les ondes. Même avec le câble, il n'y a que 500 chaînes. Sur Internet, tout le monde peut avoir sa chaîne, son blog, ou sa page Myspace. Chacun a la possibilité de s'exprimer. Désormais, il ne s'agit donc plus de qui a accès aux fréquences, mais de qui contrôle les moyens de trouver les gens. Le pouvoir se concentre autour de sites comme Google, qui agissent comme des contrôleurs et vous indiquent où aller sur le web, qui vous fournissent vos sources d'information. Ce n'est plus une question de "Seuls certains ont le droit de parler". Tout le monde a le droit de parler. Mais reste à savoir qui sera entendu. Quand il a démarré chez Condé Nast, à San Francisco, à son arrivée au bureau ils ont voulu lui donner un ordinateur complètement préconfiguré, en lui disant de ne pas installer de nouveaux logiciels dessus. Ce qui est un scandale aux yeux d'un développeur. Dès le premier jour, il s'est plaint de ce genre de trucs. "Murs gris, bureaux gris, bruits gris. Dès le premier jour, je n'ai pas pu le supporter. Au déjeuner, je me suis enfermé aux toilettes et j'ai pleuré. Je ne pourrai pas rester sain d'esprit si quelqu'un me parle toute la journée. Encore moins mener un travail à son terme. Personne ne semble concrétiser quoi que ce soit d'ailleurs. Il y a toujours quelqu'un qui débarque au bureau, pour traîner, discuter ou jouer au nouveau jeu vidéo que Wired est en train de tester." Il avait des aspirations différentes, disons politiquement orientées. Et ce n'est pas vraiment dans la culture de la Silicon Valley d'orienter les activités techniques pour atteindre des objectifs politiques. Aaron détestait travailler en entreprise. Tous détestaient leur job à Condé Nast, mais Aaron était le seul à ne pas l'encaisser. Et Aaron a fini par se faire licencier en ne se rendant plus au bureau. On dit que la rupture fut difficile. Alexis Ohanian et Steve Huffman ont refusé d'être interviewés pour ce film. Il rejetait le monde des affaires. Il faut garder à l'esprit qu'en choisissant de quitter la culture startup, Aaron laissait derrière lui les choses qui l'avaient fait connaître et apprécier. Il risquait de décevoir ses fans. Il est arrivé là où il devait aller. Mais il a eu l'entêtement nécessaire et la lucidité de réaliser qu'il avait gravi une montagne de merde pour en arracher la seule rose et découvrir qu'il avait perdu l'odorat au final. Plutôt que de s'asseoir en se persuadant que ce n'était pas si grave que ça, et comme il avait trouvé cette rose de toute façon, il est redescendu. Ce qui est plutôt cool. Aaron a toujours vu la programmation comme une sorte de magie, qui permet de faire des choses impossibles aux gens normaux. Si vous aviez des pouvoirs magiques, les utiliseriez-vous pour faire le bien, ou pour gagner des tonnes d'argent ? Swartz s'est inspiré d'un visionnaire qu'il avait rencontré étant gamin. L'homme qui a inventé le World Wide Web. Tim Berners-Lee. Dans les années 1990, Berners-Lee était assis sur l'une des inventions les plus lucratives du 20e siècle. Mais au lieu d'en profiter, il a gracieusement offert le Web au monde. C'est uniquement grâce à cela que le World Wide Web existe aujourd'hui. Aaron est certainement, profondément influencé par Tim. Tim est un génie éminent d'Internet complètement insensible au gain. Gagner des milliards de dollars, ça ne l'intéresse absolument pas. Les gens disaient : "Ah, là y'a de l'argent à se faire !" On aurait eu plein de petits webs au lieu d'un seul gros. Or ça n'aurait pas marché avec un petit web ou tout plein de webs, parce qu'on n'aurait pas pu sauter d'un lien à l'autre. Il fallait avoir une masse critique, la planète entière en fait. Pour que ça marche, il fallait que toute la planète rejoigne le réseau. Je crois sincèrement qu'on ne devrait pas se contenter du monde tel qu'il est, accepter sans broncher ce qu'on nous donne ou juste faire ce que les adultes, nos parents et la société nous ordonnent. On devrait toujours tout questionner. J'ai une approche très scientifique. Ce qu'on apprend est provisoire, sujet aux aux réfutations et aux doutes. J'estime qu'il en va de même pour la société. Quand j'ai pris conscience de certains problèmes très concrets, fondamentaux, sur lesquels je pouvais intervenir, je n'ai vu aucun moyen d'oublier ça. Je n'ai plus eu le choix. On a passé beaucoup de temps ensemble, comme des amis au départ. Nous discutions des heures, jusque tard dans la nuit. J'aurais dû comprendre qu'il flirtait avec moi. D'une certaine manière, je me disais : "C'est une mauvaise idée, c'est impossible". Et je faisais comme si de rien n'était. Mon mariage s'effondrait. Je n'avais vraiment nulle part où aller. Nous sommes devenus colocataires, et j'ai amené ma fille avec moi. Nous avons emménagé, meublé la maison. C'était vraiment reposant. Ma vie n'avait pas été des plus reposantes. La sienne non plus. Nous avons été très proches dès le début de notre relation amoureuse. Nous étions en contact permanent. Mais nous avions tous deux un caractère difficile... (rires) Dans une conversation très "Ally McBeal", il m'a avoué avoir une chanson préférée. Je lui ai dit de la jouer pour moi. C'était "Extraordinary Machine" (Fiona Apple). Il y a ce sentiment d'être un peu meurtri qu'on retrouve dans la chanson. Et tout cet espoir aussi. ♪ À pied c'est une lente escalade. Mais je suis douée pour les situations inconfortables... ...donc je ne peux m'empêcher de changer tout le temps ♪ De diverses manières, Aaron était très optimiste à propos de la vie. Même quand ça n'allait pas très fort, il restait incroyablement optimiste. ♪ Extraordinary machine ♪ - Qu'est-ce que tu fais ? - Flickr a de la vidéo maintenant. Swartz se jette sur plusieurs projets relatifs à l'accessibilité de l'information publique. Y compris Watchdog.net, un site de transparence. Et un projet appelé "The Open Library". Open Library est un projet que vous trouverez sur le site OpenLibrary.org Il s'agit d'un gigantesque wiki, modifiable, avec une page par livre. Pour tous les livres publiés, nous voulons avoir une page web avec toutes sortes d'informations : Éditeurs, libraires, bibliothèques, lecteurs... On y trouverait tous les liens pour savoir où l'acheter, l'emprunter, le consulter. Je suis un vrai rat de bibliothèque. Du genre à, arrivé dans une ville, chercher immédiatement la bibliothèque. C'est le rêve derrière Open Library : Construire un site où on pourrait sauter de livre en livre, d'un lecteur à un auteur, d'un sujet à une idée. Voyager à travers cet arbre immense du savoir, confiné, perdu dans les grandes bibliothèques physiques, et peu accessible en ligne. C'est crucial, car les livres sont notre héritage culturel. Les livres sont l'endroit où les gens écrivent des choses. Et voir tout cela englouti par une seule entreprise, c'est effrayant. Comment peut-on garantir l'accès public au domaine public ? On tient pour acquis que l'accès au domaine public est... public, Mais ce n'est pas vrai. Le domaine public devrait être libre pour tous. Or il est souvent verrouillé. Il y a souvent une surveillance. C'est un peu comme un parc national qui aurait des fossés autour, et des fusils et des tourelles, au cas où quelqu'un tenterait de profiter du domaine public. Aaron souhaitait tout particulièrement ouvrir l'accès public au domaine public. Ça fait partie des choses qui lui ont valu tant d'ennuis. J'ai tenté d'accéder aux enregistrements de la Cour Fédérale des États-Unis. J'ai alors découvert un système déroutant, à savoir le PACER, un logiciel d'Accès Public aux Enregistrements Électroniques de la Cour J'ai cherché sur Google, et je suis tombé sur Carl Malamud. Aux USA, l'accès aux documents juridiques pèse 10 milliards de dollars par an. PACER est une abomination incroyable des services du gouvernement. C'est 10 cents par page. C'est le code le plus absurde qu'on ait jamais vu. On ne peut faire aucune recherche, ni mettre de signet. Il faut avoir une carte de crédit. Or ces archives sont publiques ! Les cours de districts sont très importantes, c'est le point de départ de nombreux contentieux : Jugements sur les droits civils, sur les brevets... toutes sortes d'affaires. Journalistes, étudiants, citoyens, avocats... tous ont besoin de PACER mais il leur pourrit la vie à chaque étape. Les plus démunis accèdent moins facilement aux lois que ceux qui ont une American Express Gold. C'est un impôt sur l'accès à la justice. La loi est la base de notre démocratie et il faut payer pour y accéder ?! Ce n'est pas très démocratique, ça. Ils se font 120 millions de dollars par an avec le système PACER. Mais si l'on en croit leurs propres écrits, le coût est largement moindre. En fait, c'est illégal. La loi "e-gouvernement" de 2002 stipule que les tribunaux ne doivent imposer des frais qu'à hauteur du strict nécessaire pour rembourser les coûts de PACER. Fondateur de Public.Resource.Org, Malamud dénonçait les coûts de PACER. Il a lancé le programme "The PACER Recycling Project". Les gens pouvaient uploader sur une base de données gratuite des documents PACER déjà payés pour que d'autres puissent les utiliser. Le Congrès et d'autres critiquaient vertement PACER sur le peu d'accès public. Ils ont installé un accès libre à PACER dans 17 bibliothèques à travers le pays Ça représente une bibliothèque tous les 57 000 km carrés, je crois. Ce n'était donc pas très pratique. J'ai encouragé les volontaires à rejoindre le "Bataillon de la Clé USB", à récupérer des fichiers dans les bibliothèques ayant accès à PACER, pour les uploader sur le site du PACER Recycling Project. Les gens amenaient leur clé USB dans ces bibliothèques. Ils téléchargeaient des tas de fichiers et me les envoyaient. En fait, c'était juste une blague. Quand vous cliquiez sur le site du Bataillon de la Clé USB, apparaissait cet extrait du Magicien d'Oz où les Croquignons chantent : ♪ Nous représentons la guilde des sucettes. ♪ Et j'ai reçu des coup de fils de Steve Shultz et Aaron, disant : "Hé, on veut rejoindre le Bataillon de la Clé USB !" C'est à ce moment que j'ai rencontré Aaron lors d'une conférence. Un grand nombre de personnes devra collaborer pour cette opération. Donc je l'ai abordé et j'ai dit : "Hé, je pense qu'une intervention s'impose sur le problème PACER". Schultz avait développé un premier programme automatisant le téléchargement de fichiers PACER depuis les bibliothèques pilotes. Swartz a voulu jeter un œil. Je lui ai donc montré le code, sans me douter de ce qui allait arriver. Dans les quelques heures qui ont suivi la conférence, il est resté assis là, dans un coin, à améliorer mon code. Il a recruté un ami qui vivait près d'une de ces bibliothèques, afin qu'il s'y rende et commence à tester son code amélioré. Là, les gens des tribunaux se sont dit : "Il se passe quelque chose". Et les données ont commencé à arriver, arriver, arriver... On a vite atteint 760 Go de fichiers PACER, soit près de 20 millions de pages. En utilisant les informations des bibliothèques d'accès gratuit, Swartz effectuait des téléchargements parallèles massifs depuis le système PACER. Il a récupéré près de 2,7 millions de pages de texte, 20 millions de pages issues de la Cour Fédérale. J'admets que 20 millions de pages, ça dépasse sans doute largement les attentes de ceux qui ont lancé le programme pilote d'accès à PACER, mais il n'y rien d'illégal à surprendre un bureaucrate. Aaron et Carl ont décidé d'aller dire au New York Times ce qui venait d'arriver. Ils attirent aussi l'attention du FBI, qui met en place une surveillance sur la maison des parents de Swartz en Illinois. J'ai reçu un tweet de sa mère, qui disait : "Appelle-moi !" Je me suis demandé : "Qu'est-ce qui peut bien se passer ?" Et finalement, je joins Aaron. Sa mère était catastrophée : "Oh mon Dieu, le FBI, le FBI, le FBI !" Un agent du FBI est passé sur l'allée devant notre maison. Il tentait de voir si Aaron était dans sa chambre. J'étais à la maison ce jour-là, et je me revois me demander : "Pourquoi cette voiture est entrée puis ressortie de notre allée ? C'est bizarre !" C'est quand j'ai lu le rapport du FBI, 5 ans plus tard, que j'ai compris : "Oh mon Dieu, c'était donc ça, un agent du FBI était dans l'allée !" Il était terrifié. Totalement terrifié. Et il l'a été plus encore quand le FBI l'a appelé au téléphone pour le convaincre de venir discuter dans un café, sans avocat. Il m'a dit qu'il était rentré chez lui et s'était allongé en tremblant de peur. Ces documents de tribunaux attestaient aussi d'atteintes massives à la vie privée. En conséquence de quoi, les tribunaux ont été tenus de changer leurs politiques. Et le FBI a clos ses investigations en abandonnant toutes poursuites. Aujourd'hui encore, je trouve extraordinaire que tout le monde, même dans le plus reculé des bureaux du FBI, juge normal d'utiliser l'argent public pour enquêter sur des personnes suspectées de vol au motif qu'elles ont rendu la loi publique. Comment peut-on se considérer comme un homme de loi et penser qu'il y a quoi que ce soit de mal à rendre la loi publique ? Aaron était prêt à prendre des risques pour les causes auxquelles il croyait. Tracassé par la disparité des richesses, Swartz sort du terrain technologique pour s'allier à des causes plus politisées. Je suis allé au Congrès et je l'ai invité pour un stage de quelque temps, afin qu'il puisse découvrir les processus de la politique. Il découvrait une communauté, de nouvelles compétences... et des bidouilles internes à la politique. Il est aberrant que les mineurs martèlent à la sueur de leur front avec la peur constante de ne pas nourrir leur famille s'ils osent arrêter, alors que je gagne chaque jour plus d'argent assis à regarder la télévision. Mais il faut croire que le monde est insensé. Donc j'ai co-fondé le groupe "Progressive Change Campaign Committee". Ce que nous voulons, c'est coordonner, via Internet, ceux qui désirent pousser la politique du pays dans le sens du progrès social. Pour participer, rejoignez notre mailing-list et notre campagne. Aidez-nous à faire élire des candidats progressistes dans tout le pays. Le groupe initie une vague de soutiens pour élire Elizabeth Warren au Sénat. Il pensait peut-être que le système était stupide, mais il est venu ici en disant : "Je dois comprendre ce système, car il peut être manipulé, comme tout autre système social." Sa passion pour les bibliothèques et le savoir ne passe pas au second plan. Aaron en vient à examiner les institutions qui publient dans les journaux académiques. En tant qu'étudiants d'une grande université américaine, j'imagine que vous avez accès à un large panel de journaux académiques. Aux USA, la plupart des universités paient des droits à des organismes comme JSTOR et Thomson ISI pour accéder aux journaux académiques que le reste du monde ne peut pas lire. Les publications académiques compilent l'intégralité du savoir humain en ligne. Beaucoup sont payées par les contribuables et les subventions gouvernementales. Pour les lire, il faut reverser des frais élevés aux éditeurs comme Reed-Elsevier. Ces licences sont si prohibitives que les personnes étudiant en Inde, pas aux USA, ne peuvent pas y avoir accès. Elles sont exclues de ces journaux, privées de notre héritage scientifique. Beaucoup de ces journaux remontent à l'époque des Lumières. Quand paraît un papier scientifique, il est scanné, numérisé, classé... C'est le legs, l'histoire des scientifiques qui ont réalisé des travaux intéressants. C'est un bien qui devrait nous appartenir à tous, en tant que peuple. Mais au lieu de ça, il est verrouillé et mis en ligne par une poignée d'entreprises lucratives qui en retirent un maximum d'argent. Prenons un chercheur payé par une université ou par les citoyens. Il publie un papier et à la fin, quand tout le travail a été fait, toutes les recherches originales, la réflexion, le travail de labo, l'analyse, à la dernière étape, quand tout est terminé, ce chercheur abandonne ses droits à des sociétés multimilliardaires. C'est révoltant. C'est une économie entière construite sur du bénévolat. Les éditeurs n'arrivent qu'à la fin pour encaisser le jackpot. Vous parlez d'une escroquerie ! Un éditeur a fait 3 milliards de dollars de profits l'an dernier en Angleterre. Enfin, c'est du racket ! JSTOR n'est qu'un acteur mineur dans toute cette histoire mais allez savoir pourquoi, c'est JSTOR qu'Aaron a décidé d'affronter. Lors d'une conférence sur le libre accès et les publications ouvertes, je ne sais pas qui de JSTOR intervenait, mais à un moment, Aaron lui a demandé : "Combien ça coûterait d'ouvrir JSTOR purement et simplement ?" Et ils ont répondu, quelque chose comme 200 millions de dollars, je crois. Aaron a trouvé ça totalement absurde. En tant que boursier d'Harvard, il savait que les utilisateurs du réseau informatique du MIT, situé à deux pas, avaient des autorisations d'accès aux richesses de JSTOR. Swartz y vit une opportunité. On pourrait obtenir ces articles avec une clé du portail et la magie d'un "shell script". Le 24 septembre 2010, Swartz s'enregistre sur le réseau du MIT avec son nouveau PC portable Acer, sous le pseudonyme "Garry Host". Le PC est enregistré sous le nom de "GHost laptop" (NDLT : "portable fantôme"). Il n'a pas "hacké" JSTOR au sens traditionnel du terme. La base de données JSTOR était structurée. Il lui était très facile de comprendre comment télécharger tous les articles. C'était numéroté très basiquement, slash slash slash, n° d'article, 400, 44000 puis 24, 25, 26, etc. Il a écrit "keepgrabbing.py", un script Python pour "capturer" les articles l'un après l'autre. Le jour suivant, le "portable fantôme" commence à capturer les articles. Mais rapidement, l'adresse IP de l'ordinateur est bloquée. Pour Swartz, c'est juste une anicroche. Il donne vite une nouvelle adresse IP à son PC et continue de télécharger. Quand ils remarquent ce qui se passe, JSTOR et le MIT tentent de le bloquer. À un certain point, voyant que ces actions ne suffisent pas, JSTOR coupe complètement les accès du MIT à sa base de données. C'est un jeu du chat et de la souris autour de l'accès à la base JSTOR. Ici, Aaron est, bien entendu, le chat, vu qu'il a plus de compétences techniques que ceux qui tentent de défendre JSTOR. Au sous-sol de l'un des bâtiments, il y avait un local qui n'était pas fermé. Au lieu de passer par le Wi-Fi, il y est allé pour se connecter directement au réseau. Il a juste laissé son PC là, à télécharger ces articles sur un disque dur externe. Ce que Swartz ignore, c'est que les autorités ont découvert son PC et son disque dur. Ils n'arrêtent pas les téléchargements. Au lieu de ça, ils installent une caméra de surveillance. Ils ont trouvé le PC dans ce local au sous-sol d'un bâtiment du MIT. Ils auraient pu le débrancher. Ils auraient pu attendre que le gars revienne et lui dire : "Eh mec, t'es qui ?! Qu'est-ce que tu fais ? Coupe ça !" Ils auraient pu faire ce genre de trucs, mais non... Ce qu'ils voulaient, c'était filmer des preuves pour monter un procès. C'est l'unique raison pour laquelle on filme ce genre de choses. Au début, la caméra de surveillance n'enregistre qu'une seule personne, un employé qui stocke des bouteilles et des bidons dans ce placard. Après quelques jours, elle coince Swartz. Swartz remplace le disque dur. Il le sort de son sac à dos. Il disparaît du cadre pendant environ 5 minutes, puis il s'en va. Ils lui ont tendu une sorte de guet-apens. Il rentrait chez lui du MIT en vélo, des flics sont sortis de tous les côtés, et ils ont commencé à le poursuivre. Il m'a décrit comment il avait été plaqué au sol et attaqué par la police. Il m'a dit qu'il n'était pas sûr que c'était la police qui le poursuivait. Il pensait que quelqu'un essayait peut-être de l'agresser. Il m'a raconté aussi qu'ils l'avaient battu. Ça l'a complètement dévasté. Les poursuites pénales, c'était étranger et inconcevable pour notre famille. Je ne savais pas quoi faire. Ils ont perquisitionné sa maison, son appartement, son bureau... Deux jours avant l'arrestation, l'enquête était montée plus haut que JSTOR et la police locale de Cambridge. Elle était entre les mains des services secrets des États-Unis. Les services secrets enquêtent sur les fraudes informatiques dès 1984, mais leur rôle s'est renforcé 6 semaines après l'attaque du 11 septembre. Le Président Bush a utilisé le Patriot Act pour bâtir un réseau de "Forces d'Interventions contre la Cybercriminalité" (ECTF). Ce projet de loi tient compte des nouvelles réalités et des dangers posés par le terrorisme moderne. Selon les services secrets, le champ d'action des ECTF couvre les activités ayant des impacts économiques, la criminalité organisée, et les scénarios impliquant des nouvelles technologies. Les services secrets transfèrent le dossier Swartz au bureau du procureur de Boston. Au bureau du procureur, un gars avait pour titre "Chef de la division Cybercriminalité". Je ne sais pas ce qu'il faisait d'autre, mais... on n'est pas "Procureur de la Cybercriminalité" sans cybercrimes à combattre... Donc il a sauté sur cette occasion et l'a gardée pour lui. Il ne l'a déléguée à personne de son bureau ou de son unité, et lui... C'est Steve Heymann. Le Procureur Heymann se fait discret depuis l'arrestation d'Aaron Swartz, Mais on peut le voir ici dans un épisode du show télévisé "American Greed". L'émission date à peu près de l'arrestation d'Aaron. Il évoque son dossier précédent, le célèbre hacker Alberto Gonzales, qui l'a placé sous les projecteurs et lui a valu beaucoup de félicitations. Gonzales a perpétré le vol d'une centaine de millions de numéros de cartes bancaires. une fraude informatique inégalée à ce jour. Décrivant Gonzales, Heymann donne ici sa vision de l'état d'esprit des hackers : Ces gars sont motivés par les mêmes choses que nous. Ils ont un ego. Ils aiment les défis Sans oublier l'argent et tout ce qu'on peut obtenir avec. Suspecté dans l'affaire Gonzales Jonathan James était un jeune hacker. Pensant qu'il écoperait pour Gonzales, James s'est suicidé pendant l'enquête. Dans l'un des premiers communiqués exprimant l'avis du gouvernement sur l'affaire Swartz, Carmen Ortiz, supérieure d'Heymann au bureau du procureur du Massachusets, déclare : "Voler c'est voler, que ce soit avec un ordinateur ou une barre à mine, et que vous preniez des documents, des données ou des dollars." C'est faux. C'est faux, à l'évidence. Je ne dis pas que c'est inoffensif ou qu'on ne devrait pas considérer le vol d'informations comme un délit, mais il faut être beaucoup plus subtil pour bien évaluer les préjudices réels. Prenons cette image de la barre à mine. Si j'entre par effraction quelque part, je crée des dommages, aucun doute là-dessus. Si Aaron écrit un script qui télécharge une centaine de fois par seconde, il n'y a de dommage évident pour personne. S'il le fait pour constituer une archive et faire avancer la recherche académique, Toujours aucun dommage pour personne. Il n'a pas volé. Il n'a rien vendu. Il n'a même pas donné ce qu'il avait obtenu. C'était une question de principe, pour autant que je puisse en juger. L'arrestation ébranle Swartz. Il ne voulait absolument pas en parler. Ça le stressait beaucoup. Imaginez que le FBI vienne sur le pas de votre porte chaque jour, à chaque fois que vous descendez dans le hall, même pour faire la lessive, et qu'ils puissent entrer chez vous parce que la porte n'est pas verrouillée ! Je serais sacrément stressé. Et c'était clair ! Aaron était toujours dans une sorte de, dans une sorte d'humeur austère. Il ne donnait aucune information sensible sur ses déplacements à cette époque, parce qu'il avait très peur que le FBI vienne l'attendre. C'est une période de grogne sociale et d'activisme politique sans précédent. Time Magazine nommera "Le manifestant" comme personnalité de l'année 2011. Il y avait un sacré regain d'activité chez les hackers. Wikileaks avait diffusé son trésor de câbles diplomatiques. Manning venait d'être arrêté, alors qu'on ne savait même pas s'il était à la source des fuites. Anonymous, qui est une sorte de collectif de protestation et compte beaucoup de hackers dans ses rangs, lançait différents types d'actions. Comparez tout ça avec ce qu'il a fait ! Cette histoire aurait dû se régler avec le MIT et JSTOR, une sorte d'affaire privée à caractère professionnel. Cela n'aurait jamais dû être porté à l'attention du système pénal. Ça ne regardait pas la justice ! Avant de l'inculper, la Justice propose à Swartz un arrangement qui suppose 3 mois de prison, un séjour en foyer de transition, et un an de détention à domicile, le tout avec interdiction de toucher un ordinateur. à la condition qu'il plaide coupable. Voilà la situation. Aucune information que ce soit sur le dossier ou les preuves du gouvernement. Vous êtes face à une décision grave que votre avocat vous pousse à prendre. Le gouvernement vous propose une offre non-négociable. On vous dit que vous êtes en position de faiblesse, vraisemblablement, et que vous feriez mieux d'accepter l'offre, coupable ou non. Boston a sa propre division Cybercriminalité, avec beaucoup d'avocats, plus que nécessaire sans doute. On peut envisager toutes sortes d'affaires vraiment difficiles à instruire, des criminels russes et des cols-blancs des gens qui peuvent s'offrir des avocats à 500-700 dollars de l'heure, et puis vous avez ce gamin. Il est facile de prouver qu'il a fait quelque chose. Le FBI l'a déjà identifié comme un fauteur de troubles. Autant être le plus sévère possible avec ce gars, n'est-ce pas ? C'est bon pour vous le procureur. C'est bon pour la République car vous combattez tous les terroristes. J'avais tellement peur. J'avais peur que mon ordinateur soit saisi. Et j'avais peur d'aller en prison si mon ordinateur était saisi. J'avais des documents confidentiels issus de mon travail précédent sur mon portable. Or protéger mes sources, ça a toujours été ma principale priorité. J'avais tellement peur de ce qui pourrait arriver à Ada. Aaron m'a parlé de l'arrangement qu'on lui avait proposé. Il m'a juste dit qu'il l'accepterait si je le lui demandais. J'ai vraiment été sur le point de dire : "Accepte". Durant cette période, il avait développé de vraies aspirations politiques. Après avoir mis fin à sa carrière en startups, il avait entamé une nouvelle vie qui l'avait mené à l'activisme politique. Il ne pensait pas pouvoir continuer cette vie en étant considéré comme un criminel. Un jour, alors que nous marchions près de la Maison Blanche, il m'a dit : "Les criminels ne peuvent pas travailler ici." C'était vraiment cette vie-là qu'il voulait. Il n'avait tué personne. Il n'avait blessé personne. Il n'avait pas volé d'argent ou commis d'acte comparable à un crime. Il n'avait rien fait qui mérite d'être étiqueté comme un criminel, et déchu de son droit de vote dans de nombreux états pour ce qu'il a fait. C'est juste scandaleux. Payer une amende, être banni du MIT, pourquoi pas... Mais être un criminel ? Faire de la prison ?! Swartz a rejeté l'accord. Heymann a redoublé d'efforts. Il nous a maintenus sous pression à tous les niveaux. Même avec les preuves matérielles saisies sur le disque dur de son PC et sa clé USB, les juges doivent étayer leur dossier concernant les motivations d'Aaron. Pourquoi Aaron Swartz a-t-il téléchargé des articles de JSTOR ? Et que comptait-il faire avec ? Le gouvernement prétend qu'il avait l'intention de les publier. Nous ne savons vraiment pas si c'était sa réelle intention vu qu'Aaron avait aussi l'habitude de monter des projets où il analysait de gigantesques jeux d'articles pour en tirer des éléments intéressants. La preuve en est qu'il avait déjà téléchargé l'intégralité de la base juridique Westlaw quand il était à Stanford. Pour un projet d'études en droit à Stanford, Swartz a téléchargé la base de données juridique Westlaw. Il a établi des connexions troublantes entre des financeurs de recherches en droit et des études qui leur étaient favorables. Il a fait des analyses incroyables, montrant que des sociétés à but lucratif donnaient de l'argent à des professeurs de droit pour rédiger des revues d'articles juridiques qui leur étaient favorables, par exemple, Exxon pendant une marée noire. C'était donc un système très corrompu et qui finançait des recherches bidons. Swartz n'a jamais publié les documents Westlaw. En théorie, il aurait pu faire la même chose avec les données JSTOR. Cela n'aurait pas posé de problème. Mais s'il avait eu l'intention de créer un service concurrent à JSTOR, du genre "On ouvre notre propre serveur d'accès à la Harvard Law Review et on le fait payer", dans ce cas, d'accord, on peut envisager l'intention délictuelle et la tentative d'exploitation de ces informations. Mais c'est de la folie d'imaginer que c'est ce qu'il faisait. Il y a une hypothèse intermédiaire. Et s'il voulait juste libérer ces articles pour les pays en développement ? L'approche de la loi devrait être différente en fonction de ce qu'il envisageait. Le gouvernement le poursuivait comme pour une violation du droit commercial, comme un piratage de cartes bancaires, ce genre de délit. Je ne sais pas ce qu'il comptait faire avec cette base de données. À en croire l'un de ses amis, Aaron cherchait à prouver que certains financements privés biaisent des études sur le réchauffement. Je crois totalement à cette idée. On m'a juste avertie que Steve voulait me parler... Je me suis dit que c'était peut-être un moyen de me sortir de là... De sortir de cette situation. Je ne voulais pas vivre dans la peur de voir mon ordinateur être saisi. Je ne voulais pas vivre dans la peur d'avoir à aller en prison accusée d'outrage au tribunal si je refusais de déchiffrer mon ordinateur. Quand ils sont venus et m'ont dit : "Steve veut te parler", ça semblait raisonnable. Ils proposent à Norton un marché qu'on nomme la "Lettre Reine d'un Jour" Cela autorise le procureur à poser des questions à propos de l'affaire Aaron. Pour toute information révélée, Norton se verrait garantir l'immunité. Ça ne me plaisait pas ! J'ai répété à mes avocats que... Ça me semblait louche. Que je n'aimais pas ça. Je ne voulais pas d'immunité, Je n'en avais pas besoin, je n'avais rien fait ! Mais ils étaient vraiment très stricts : pas de rencontre avec le procureur sans immunité. [Interviewer] Juste pour être clair, c'est une lettre "Reine d'un Jour", un marché. Exact, un marché. [Interviewer] En vertu duquel vous leur donnez des informations en échange d'une protection contre toutes poursuites. Il ne s'agissait pas d'apporter des informations. En tous cas, je ne voyais pas les choses comme ça. C'était juste avoir une discussion, une rencontre avec eux. [Interviewer] Donc, ils vous interrogent... Ils me posent des questions... [Interviewer] Ils peuvent demander ce qu'ils veulent. Exact. [Interviewer] Et quoi qu'ils apprennent... J'ai vraiment... [Interviewer] ... inaudible... Exact. Et j'ai essayé à plusieurs reprises d'y aller sans immunité. J'ai essayé de faire refuser l'arrangement avec insistance. J'étais malade, j'étais sous la pression de mes avocats. J'étais en pleine confusion, je n'allais pas bien à ce moment. J'étais déprimée et effrayée. Je ne comprenais pas la situation dans laquelle j'étais. Je ne comprenais pas pourquoi j'étais dans cette situation. Je n'avais rien fait de remarquable, encore moins de blâmable. Nous devenions cinglés. Aaron était désemparé à cause de ça. Nous étions désemparés à cause de ça. Les avocats d'Aaron étaient désemparés à cause de ça. On a tenté de convaincre Quinn de changer d'avocats. Je n'étais pas habituée à me trouver dans une pièce avec des hommes costauds et armés, qui me répétaient que je mentais, que je devais bien être coupable de quelque chose. Je leur ai dit que ce qui avait engendré ces poursuites n'était pas un crime. Je leur ai dit qu'ils étaient du mauvais côté de l'Histoire. J'ai utilisé cette phrase. J'ai dit : "Vous êtes du mauvais côté de l'Histoire." Et ils s'ennuyaient. Ils n'avaient pas l'air d'être en colère, juste de s'ennuyer. Puis j'ai réalisé que nous n'avions pas la même conversation. Je leur ai dit plein de choses, comme pourquoi les gens téléchargent des articles scientifiques. Au final, je ne me souviens plus pourquoi, j'ai parlé de son billet de blog... "Le Manifeste de la Guérilla pour le Libre Accès". Voici le "Manifeste de la Guérilla pour le Libre Accès", censé avoir été écrit en juillet 2008 en Italie. "L'information c'est le pouvoir. Mais comme pour tout pouvoir, il y a ceux qui veulent le garder pour eux. Le patrimoine culturel et scientifique mondial, publié depuis plusieurs siècles dans les livres et les revues, est de plus en plus souvent numérisé puis verrouillé par une poignée d’entreprises privées. Pendant ce temps, ceux qui ont été écartés de ce festin n’attendent pas sans rien faire. Vous vous êtes faufilés dans les brèches et avez escaladé les barrières, libérant l’information verrouillée par les éditeurs pour la partager avec vos amis. Mais toutes ces actions se déroulent dans l’ombre, de façon souterraine. On les qualifie de "vol" ou bien de "piratage". Comme si partager une abondance de connaissances revenait à attaquer un navire et tuer son équipage. Mais le partage n’est pas immoral, c’est un impératif moral. Seuls ceux qu’aveugle la cupidité refusent une copie à leurs amis. La justice ne consiste pas à se soumettre à des lois injustes Il est temps de sortir de l’ombre et, dans la grande tradition de la désobéissance civile, d’affirmer notre opposition à la confiscation criminelle de la culture publique." Le Manifeste lui-même aurait été écrit par 4 personnes différentes, et également modifié par Norton. Mais c'est la signature de Swartz qui y est apposée. Quand ça s'est terminé, je suis allée immédiatement chez Aaron. Je lui ai dit tout ce dont je pouvais me souvenir. Il s'est mis très en colère. Les choses que j'ai faites n'auraient pas dû se cumuler de cette manière. Je n'avais rien fait de mal, et tout s'était mal passé. Mais je n'ai jamais été... Je suis toujours en colère. Je suis toujours en colère... Car on a beau faire de son mieux avec ces gens, ils trouvent le moyen de tout retourner contre vous. Ils vous blesseront avec tout ce qu'ils peuvent. En cet instant, je regrette d'avoir dit ce que j'ai dit. Mais mon plus grand regret, c'est qu'on a baissé les bras. C'est qu'on est d'accord avec ça. On accepte ce système judiciaire, qui joue avec les gens en les coinçant dans des pièges mesquins pour mieux ruiner leurs vies. Donc oui, j'aurais voulu ne pas dire ça. Mais je suis beaucoup, beaucoup plus en colère de voir que c'est là où j'en suis. De réaliser que nous, le peuple, considérons tout ça comme normal. Ils ont utilisé toutes les méthodes auxquelles ils pouvaient penser pour obtenir d'elle des informations qui pourraient desservir Aaron, être utiles aux poursuites contre lui. Mais, je ne pense pas qu'elle avait des informations utiles au gouvernement. Les mois passent. Les amis et la famille de Swartz attendent une condamnation imminente. Entretemps, Swartz devient un expert référence pour toute question sur le Net. [Interviewer] Une question pour vous alors : Selon vous, l'accès à Internet devrait être considéré comme un droit de l'homme ? Une chose que le gouvernement ne peut pas nous enlever ? Oui, définitivement, je veux dire.... Avancer la sécurité nationale comme excuse pour couper Internet, c'est ce que nous avons vu en Égypte, en Syrie et tous ces autres pays. Et donc, oui, c'est vrai ! WikiLeaks révèle des choses fâcheuses à propos du gouvernement US. Les gens vont s'organiser, manifester et tenter de changer leur gouvernement. Et c'est une bonne chose ! C'est la base du 1er Amendement sur la liberté d'expression et d'association ! Suggérer que nous devrions couper Internet va à l'encontre des principes américains. Nos Pères Fondateurs auraient compris ce principe, je pense. Si Internet avait existé à l'époque, ils auraient écrit "FAI" au lieu de "Bureaux de poste" dans la Constitution. [Interviewer] Bien, il est très intéressant de voir... Swartz rencontre l'activiste Taren Stinebrickner-Kauffman. Ils commencent à se fréquenter. Nous avons besoin d'un tollé mondial massif. Mais il n'y a pas de tollé mondial massif. Cela ne créera aucun changement. 4 personnes de cette ville suffiraient pour causer un tollé mondial massif. Tu sais, nous avons besoin d'un signataire de la pétition. Sans donner de précisions, il la prévient qu'il est impliqué dans ce qu'il appelle : la "Sale Affaire". Et j'avais toutes sortes de théories folles... qu'il avait une histoire avec Elizabeth Warren ou quelque chose... Je soupçonnais à la fois Hillary Clinton et Elisabeth Warren, en fait, mais hum... Donc, un jour, vers fin juillet, Aaron m'appelle, je décroche et il me dit : "Tu sais, la Sale Affaire pourrait être dans les journaux demain. Tu préfères que je te le dise, ou tu veux l'apprendre par les journaux ?" Et j'ai répondu : "Eh bien, je veux que tu me le dises." Aaron continue : "Ben, j'ai été... J'ai été arrêté pour avoir téléchargé trop d'articles de journaux académiques. Ils veulent faire de moi un exemple." Et j'ai dit : "Vraiment, c'est tout ? C'est ça ta grande affaire !?" Ça ne semblait pas si grave. Le 14 juillet 2011, les procureurs fédéraux inculpent Swartz sous 4 chefs d'accusation. Il a été inculpé. Le même jour en Angleterre, 2 membres de LulzSec ont été arrêtés, ainsi que quelques autres vrais hackers. Aaron ressemble un peu à un hacker, assez en tout cas pour qu'ils puissent, mettre sa tête au bout d'un pieu et la brandir au-dessus des grilles. Aaron est allé se rendre, et ils l'ont arrêté. Puis ils l'ont fouillé au corps. Ils lui ont enlevé ses lacets. Ils lui ont pris sa ceinture et l'ont mis à l'isolement. Le bureau du procureur du Massachussetts déclare : "Swartz encourt 35 années de prison, suivies de 3 ans de liberté surveillée, des dédommagements et une amende à hauteur d'un million de dollars." Il est libéré avec une caution de 100 000 dollars. Le même jour, la victime principale de cette affaire, JSTOR, abandonne officiellement toute charge contre Swartz, et met fin à ses poursuites. JSTOR, ce n'était pas nos amis. Ils ne nous aidaient pas et n'étaient pas amicaux. Ils ont juste dit qu'ils ne prendraient pas part à ça. JSTOR, et sa maison mère, ITHAKA, ont aussi décliné nos demandes d'interviews. Mais à l'époque, ils déclarent : "C'est le gouvernement qui a décidé de lancer des poursuites, pas JSTOR." Et on a pensé qu'avec ça, l'affaire serait terminée, Qu'on serait en mesure d'obtenir de Steve Heymann l'abandon du dossier, ou un règlement raisonnable. Et le gouvernement a refusé. [Interviewer] Pourquoi ? Eh bien, j'imagine qu'ils voulaient faire d'Aaron un exemple. Ils ont dit qu'ils voulaient s'appuyer sur cette affaire pour la dissuasion, que pour cette raison, ils maintiendraient l'inculpation et l'emprisonnement. Ils nous ont dit ça. [Interviewer] Ils vous ont dit ça ? Oui [Interviewer] Ça allait être un exemple. Oui [Interviewer] Il allait servir d'exemple. Oui. Steve Heymann a dit ça. Dissuader qui ? Il y a d'autres gens dehors en train de se connecter à JSTOR pour télécharger les articles et faire une déclaration politique ? Mais enfin, qui pensent-ils dissuader ? La posture de l'Administration Obama sur la dissuasion serait plus compréhensible si c'était une administration qui avait, par exemple, choisi de poursuivre ce qui est sans doute le plus grand crime économique que ce pays ait connu au cours des 100 dernières années. Les crimes qui ont conduit à la crise financière de Wall Street. Quand vous utilisez de manière sélective la notion - non polémique - de dissuasion, votre analyse des infractions à la loi n'est plus impartiale. Et vous déployez des moyens coercitifs sur des idéologies politiques spécifiques. Ce n'est pas seulement anti-démocratique, c'est censé être anti-américain ! Le procureur Heymann aurait par la suite déclaré à l'avocat consultant du MIT que la goutte d'eau de trop avait été une déclaration de presse faite par Demand Progress, une organisation fondée par Swartz. Selon l'avocat du MIT, Heymann aurait réagi à cette déclaration de soutien en la qualifiant de "campagne sauvage sur Internet" qui aurait "stupidement déplacé l'affaire d'un niveau individuel à institutionnel". C'était une situation empoisonnée. Un procureur qui ne voulait pas perdre la face, qui voulait une carrière politique, peut-être, sans traîner de "casserole". Vous dépensez combien d'argent public pour traîner devant les tribunaux quelqu'un parce qu'il a pris trop de livres à la bibliothèque ? Soyons sérieux ! Alors j'ai tenté d'exercer autant de pressions que possible sur le MIT, afin qu'ils aillent voir le gouvernement et demandent l'abandon des poursuites. [Interviewer] Quelle a été la réaction du MIT ? Il ne semble pas y avoir eu de réaction du MIT à ce moment-là. Le MIT n'a pas pris la défense d'Aaron. Ce qui a semblé scandaleux aux yeux des membres de la communauté du MIT. Étant donné que le MIT encourage le hacking au sens noble du terme. Au MIT, courir sur les toits et dans les tunnels où vous n'êtes pas autorisés, ce n'est pas seulement un rite de passage, c'est une visite obligée. Le crochetage de serrure, c'est la classe de neige du MIT. Ils avaient l'autorité morale suffisante pour mettre un terme à tout ça. Le MIT ne s'est jamais levé pour prendre position et dire aux fédéraux : "Ne faites pas ça. Nous ne voulons pas ça. Votre réaction est excessive." Que je sache en tout cas. Ils ont réagi comme n'importe quelle société l'aurait fait. En quelque sorte, ils ont aidé le gouvernement, ils ne nous ont pas aidés, sauf quand ils sentaient que c'était de leur devoir. Et surtout, ils n'ont jamais essayé de stopper tout ça. Le MIT a décliné toutes les demandes d'explications, mais l'institut a publié un rapport disant qu'il avait tenté de rester neutre, estimant qu'Heymann et les cours fédérales américaines se préoccupaient peu de ce que le MIT penserait ou dirait sur le sujet. Ce comportement semblait vraiment en contradiction avec l'éthique du MIT. On peut dire que le MIT a fermé les yeux, et que ça ne leur posait aucun problème. Rester neutre, en soi, c'était déjà se ranger du côté du procureur. Prenons l'exemple de Steve Jobs et Steve Wozniak. Ils ont démarré avec la "Blue Box", en grugeant les opérateurs téléphoniques. Et si l'on se penche sur Bill Gates et Paul Allen, qui ont lancé leur business en prenant du temps de calcul à Harvard, ce qui était clairement contre les règles. La différence entre Aaron et ces gens, c'est qu'il voulait un monde meilleur. Il ne voulait pas gagner de l'argent. Swartz continue à être consulté sur divers problèmes liés à Internet. Internet fonctionne parce que c'est un marché concurrentiel d'idées. Nous devons obtenir plus d'informations à propos de notre gouvernement, plus d'accessibilité, plus de discussions, plus de débats, mais il semblerait que le Congrès soit plutôt enclin à interdire certaines choses. Aaron pensait changer le monde en expliquant le monde clairement aux gens. "Flame" peut prendre le contrôle votre ordinateur pour vous espionner. Bienvenue Aaron. Ravie de vous avoir à nouveau dans ce show. C'est ce que les espions faisaient par le passé, poser des microphones, surveiller ce que les gens disent, c'est juste qu'ils ont des ordinateurs pour le faire désormais. Swartz poursuit ses activités politiques. Son attention se porte sur un projet de loi examiné au Congrès visant à lutter contre le piratage en ligne. Son nom : "SOPA". Des militants comme Peter Eckersley le considèrent comme une menace pour l'intégrité technique même d'Internet. L'une des premières choses que j'ai faites, c'est appeler Aaron pour lui demander : "Peut-on mener une grosse campagne en ligne contre ça ?" "Ce n'est pas un projet de loi sur le droit d'auteur." "Ah bon ?" "Non", m'a-t-il dit, "c'est une loi contre la liberté de se connecter." Et là, je l'ai écouté. Il y a réfléchi un moment, puis il a dit : "Oui". C'est là qu'il a lancé "Demand Progress". Demand Progress est une organisation activiste en ligne. Nous comptons désormais près d'un million et demi de membres, mais nous avons commencé à l'automne 2010. Aaron était un acteur important dans la communautés de ceux qui ont agi pour porter les problèmes de justice sociale au niveau fédéral. SOPA visait à réduire le piratage en ligne de la musique et des films. Mais ça revenait à s'armer d'un marteau pour des problèmes exigeant un scalpel. Adoptée, la loi autoriserait toute entreprise à couper les finances de sites entiers sans procédure régulière, et pourrait même forcer Google à exclure certains de ses liens. Tout ce qu'il fallait, c'était une simple plainte pour violation du droit d'auteur. Les grands médias traditionnels affrontaient la culture du remix, nouvelle mais plus sophistiquée. N'importe quel propriétaire de site web devient un policier. S'il ne s'assure pas que personne n'utilise son site pour quelque chose d'illégal, le site entier peut être fermé sans autre forme de procès. C'en était trop, je veux dire, c'était une catastrophe ! Cette loi menace la liberté d'expression et les libertés civiles de tous les internautes. Nous n'étions qu'une poignée à dire : "Hé, on ne défend pas le piratage, mais c'est insensé de vouloir détruire l'architecture du Net, le système de noms de domaine, et tout ce qui en fait un terrain libre et ouvert, au nom de la lutte contre le piratage !" Et Aaron l'avait tout de suite compris. Les libertés garanties par la Constitution, sur lesquelles notre pays s'est construit, seraient soudainement effacées. Au lieu de nous apporter plus de liberté, les nouvelles technologies étoufferaient les droits que nous tenons pour acquis. En parlant à Peter ce jour-là, j'ai réalisé que je ne pouvais pas laisser ça arriver. Quand le projet de loi SOPA est apparu en octobre 2011, on le croyait inévitable. Dès sa parution, notre stratégie visait à le ralentir, peut-être même l'affaiblir. Mais nous ne pensions pas être en mesure de stopper ce projet. En travaillant à Washington, on comprend généralement qu'une bataille législative est un combat entre des lobbys capitalistes divergents. Ils se battent pour faire passer des lois, et les combats les plus rudes ont lieu quand s'affrontent directement deux lobbys de force égale en termes de campagnes, de contributions financières et d'influence. Ça donne des batailles sanglantes. Généralement, lorsqu'il n'y a pas de combat, c'est parce que tout l'argent et toutes les entreprises sont d'un côté, et en face, il n'y a que des millions de personnes. Je n'ai rien vu comme PIPA et SOPA de toute ma carrière dans le service public. Il y avait plus de 40 sénateurs des États-Unis comme co-sponsors sur ce projet de loi. On approchait donc le cap des 60 votes permettant une procédure raccourcie. Même moi, je commençais à douter. C'était une période difficile. Swartz et Demand Progress mobilisent un fort soutien par des méthodes traditionnelles, combinées à de la Voix sur IP pour faciliter les appels de citoyens vers leurs élus. Je n'avais jamais rencontré quelqu'un qui soit capable d'agir à un tel niveau, que ce soit sur les aspects technologiques ou stratégiques d'une campagne. Des millions de personnes contactent le Congrès et signent les pétitions anti-SOPA. Le Congrès est pris au dépourvu. C'était quelque chose de voir le Congrès débattre, désemparé, du projet de loi, Ils répétaient qu'ils réguleraient Internet, qu'une bande de nerds ne les arrêterait pas. Je ne suis pas un nerd. Je n'ai tout simplement pas le niveau d'un nerd... Peut-être que nous devrions demander à des nerds de quoi il s'agit exactement ? Ayons une audience, amenez les nerds... Vraiment ? "Nerds ?" À mon avis, le mot que vous cherchez est "Experts", pour vous éclairer et pour que vos lois ne vous explosent pas à la figure en cassant Internet. On emploie le terme "geek", mais on en a le droit, parce qu'on est des geeks. Le fait qu'ils soient allés aussi loin, sans consulter aucun expert technique, montre bien qu'il y a un problème dans cette ville. J'aimerais qu'un témoin vienne en audience et dise : "C'est pour cela qu'ils ont tort". Auparavant, un bureau fournissait des conseils scientifiques et technologiques. Les élus pouvaient s'y rendre et demander : "Aidez-moi à comprendre ceci ou cela." Et Gingrich l'a supprimé, jugeant que c'était une perte d'argent. Depuis, le Congrès a plongé dans l'âge des ténèbres. Personne ne croyait vraiment que SOPA pourrait être battu, même pas Aaron. Ça valait la peine d'essayer, mais ça semblait irréalisable. Mais quelques mois plus tard, il s'est tourné vers moi en disant : "Je pense qu'on peut gagner !" Et j'ai répondu : "Ce serait incroyable !" Les appels au Congrès continuent. Quand l'hébergeur de domaines Go Daddy annonce son soutien au projet de loi, les utilisateurs protestent en transférant leurs domaines par dizaines de milliers. Humilié, Go Daddy change sa position sur SOPA en l'espace d'une semaine. Les élus soutenaient les majors, mais quand ils ont vu tous ces remous ils ont en quelque sorte réduit la voilure du projet. La situation se renversait peu à peu. Nos arguments commençaient à porter. C'était comme si Aaron avait enflammé une allumette et qu'elle avait été soufflée, allumé une autre, et qu'elle ait été soufflée, et qu'il enfin soit parvenu à réunir assez de carburant pour que la flamme prenne et devienne ce brasier rugissant. Le 16 janvier 2012, la Maison Blanche déclare officiellement qu'elle ne supporte plus le projet de loi. Et puis il s'est passé ceci : Je pense sincèrement que nous devrions nous pencher sur le problème de piratage, et que nous devrions le faire très sérieusement. Mais ce projet de loi est inapproprié. Quand Jimmy Wales affiche son soutien en mettant Wikipedia en berne, le 5e site le plus populaire au monde, ça représente 7% de tous les clics sur Internet, Wikipedia est passé au noir. Reddit est passé au noir. Craigslist est passé au noir. Les plombs du standard téléphonique du Capitole ont sauté. Les élus se battaient pour se rétracter du projet qu'ils avait tant soutenu. En 24h, l'opposition du Congrès au SOPA est passée de ça à ça. Voir les membres du Congrès et du Sénat basculer pendant la journée du blackout C'était tout bonnement incroyable. Il y a eu près de 100 basculements. Aussi incroyable que ça reste pour moi de le croire après tout ça, nous avions gagné. La chose que tout le monde considérait comme impossible, que les plus grandes entreprises mondiales considéraient comme un rêve irréalisable, s'était produite. Nous l'avons fait. Nous avons gagné. C'est une semaine historique dans l'histoire d'Internet, voire de la politique américaine. Les gens de Washington, D.C., les équipes de Capitol Hill, nous ont dit qu'ils avaient reçu plus d'emails et d'appels le jour du Blackout SOPA qu'ils n'en avaient jamais reçu à quelque sujet que ce soit. Ça a été un moment sacrément excitant. C'est un moment où Internet a mûri, politiquement. C'était exaltant et nous avions du mal à croire que c'était vraiment arrivé. C'est difficile de croire qu'une loi portée par tant de puissance financière n'est pas parvenue à passer tranquillement le cap du Congrès. Et non seulement elle n'est pas passée, mais elle a tout bonnement été enterrée. On se sent parfois sans aucun pouvoir, quand on descend dans la rue qu'on marche et qu'on crie, mais que personne n'écoute. Aujourd'hui, je suis là pour vous assurer que vous êtes très puissants. Vous pensez peut-être que vous n'êtes pas écoutés, mais je vous assure que vous l'êtes. Vous êtes entendus. Vous faites bouger les choses. Vous pouvez arrêter ce projet si vous n'arrêtez pas de vous battre. Arrêtez PIPA ! Arrêtez SOPA ! Pour parler franchement, certains leaders d'Internet apprécieraient de pouvoir censurer leurs plus petits concurrents. Nous ne pouvons pas laisser ça arriver. Pour lui, il était plus important d'être sûr d'avoir causé un petit changement, que d'avoir joué un petit rôle dans un grand changement. SOPA, c'était jouer un rôle majeur dans un changement majeur. Pour lui, c'était comme une "validation de concept" personnelle. "Ce que je veux faire de ma vie, c'est changer le monde. J'y pense de manière très scientifique, en mesurant les effets produits, et ceci montre que c'est possible. Oui, ce que je veux faire de ma vie est possible. J'ai prouvé que je peux le faire, que moi, Aaron Swartz, je peux changer le monde." Pour un gars comme Aaron, qui n'a jamais vraiment réalisé qu'il avait fait beaucoup, ça a été un de ces rares moments où on pouvait vraiment voir qu'il sentait qu'il avait fait quelque chose de bien, un peu comme si c'était son unique chance de faire un tour d'honneur. Tout le monde disait qu'il n'y avait pas moyen de stopper SOPA. Nous l'avons stoppé. Il s'agit là de 3 prodigieuses victoires, et l'année n'est pas encore terminée. S'il y a lieu d'être optimiste, c'est bien maintenant. Vous savez, il a vaincu SOPA un an après son arrestation. Ces instants de bonheur étaient ambigus. Il se passait plein de choses. Sa participation au processus politique était tellement en phase avec ses aspirations. Impossible de l'arrêter. La liste des organisations que Swartz fonde ou co-fonde est énorme. Bien avant qu'Edward Snowden ne révèle la surveillance massive d'Internet, Swartz est déjà inquiet. Il est choquant de constater à quel point les impératifs de transparence sont laxistes. Ils ne donnent pas la moindre statistique sur la taille du programme de surveillance. Si la réponse est : "On espionne tant de gens qu'on ne peut même pas les compter", alors ça fait un sacré paquet de gens. Ce serait une chose s'ils disaient : "Écoutez, nous connaissons le nombre de téléphones que nous espionnons, mais nous ne savons pas à combien d'individus ça correspond". Ils ne font que répondre : "Nous ne pouvons pas donner de nombres, quels qu'ils soient". C'est quand même effrayant, voilà ce que c'est. Ils lui ont mis une pression incroyable. Ils lui ont pris tout l'argent qu'il avait gagné. Ils ont menacé de supprimer sa liberté de mouvement. Pourquoi faire ça ? Pourquoi poursuivre les lanceurs d'alerte ? Pourquoi s'en prendre à des gens pour avoir dit toutes sortes de vérités à propos des banques, de la guerre, de la transparence du gouvernement ? Les secrets servent ceux qui ont déjà le pouvoir, et nous vivons dans une ère du secret qui coïncide avec une ère où le gouvernement fait un grand nombre de choses probablement illégales et anticonstitutionnelles. Ce n'est pas une coïncidence. Cette technologie est utilisée ici, par le gouvernement, pas par des pays lointains. Le problème des programmes d'espionnage, c'est leur avancée inexorable depuis Nixon. Bush les a renforcés après le 11 septembre. Obama a continué à les étendre. Le problème n'a fait qu'empirer. À aucun moment, on a pu se dire : "OK, c'est là qu'on doit galvaniser l'opposition, c'est aujourd'hui que ça compte..." À mon avis, les poursuites contre Aaron Swartz visaient à envoyer un message très précis à un groupe de personnes en qui l'administration Obama voyait une menace, à savoir la communauté militant pour la démocratie et le droit à l'information. Le message que l'administration Obama leur envoyait plus spécifiquement était : "On sait que vous pouvez créer des troubles pour le pouvoir en place, alors on va faire un exemple d'Aaron Swartz, pour vous effrayer suffisamment, et que vous vous teniez tranquilles." Et le gouvernement a dit : "Les cadres juridiques qui légitiment nos programmes d'espionnage sont aussi classés, on ne peut pas vous dévoiler quelles lois permettent de vous espionner." À chaque fois qu'ils peuvent dire : "Voici un autre exemple de cyberguerre. Les cybercriminels attaquent à nouveau. Nous sommes tous en danger, tous menacés." C'est une excuse pour faire passer des lois de plus en plus dangereuses. [Interviewer] Et juste pour bien suivre, où en est le combat selon vous? À vous de voir. [Interviewer] Je sais, c'est que, nous voudrions, vous savez... Bon, on observe deux points de vue très opposés : "Tout est parfait, Internet a créé toute cette liberté et tout va être fantastique" ou bien "Tout est terrible, Internet a créé tous ces outils pour réprimer, espionner, et contrôler ce que nous disons". Et le truc, c'est que les deux sont vrais. Internet a produit les deux, et les deux sont incroyables et étonnants. Mais c'est à nous de décider lequel gagnera à la fin. C'est absurde de dire : "L'un fonctionne mieux que l'autre". Les deux sont vrais. C'est à nous de choisir la version dont nous souhaitons bénéficier, car elles vont et iront toujours de pair. Le 12 septembre 2012, les procureurs fédéraux déposent un nouvel acte d'accusation contre Swartz, ajoutant les infractions de fraude électronique, d'accès non autorisé à un ordinateur et de fraude informatique. Ce n'est plus 4 mais 13 chefs d'accusation auxquels Swartz est désormais confronté. Le niveau des poursuites a considérablement augmenté, de même que les peines et les amendes qu'il encourt. Ils ont déposé une mise en accusation distincte pour ajouter de nouvelles charges. Selon eux, ce comportement constituait un certain nombre de crimes fédéraux, et devrait entraîner des peines très lourdes en vertu des lois. Cet argument, et la plupart des poursuites contre Swartz, s'appuyait sur une loi originellement créée en 1986. Le "Computer Fraud and Abuse Act" (CFAA) Le CFAA a été inspiré par le film "War games", avec Matthew Broderick, c'est un bon film. [Broderick] Là je vous tiens. Dans ce film, un gamin se sert de la magie des réseaux informatiques, pour lancer une attaque nucléaire. En réalité c'est impossible, d'autant plus dans les années 80. Mais il faut croire que ce film a suffisamment effrayé le Congrès pour permettre le passage du premier Computer Fraud and Abuse Act. C'est une loi obsolète. Elle pénalise par exemple les accords de type "contrats de services". Imaginons des sites de rencontre comme eHarmony or Match.com, où n'importe qui peut mentir sur ses qualités. D'un coup, en fonction de la juridiction et des procureurs, n'importe qui peut se retrouver dans les ennuis jusqu'au cou. Nous connaissons tous les "Conditions Générales d'Utilisation" (CGU). La plupart des gens ne les lisent pas, mais ne pas respecter leurs termes est potentiellement un délit. Les conditions d'utilisation d'un site disent souvent : Soyez agréable avec les autres et ne faites rien d'inapproprié. Le droit pénal ne devrait rien avoir à faire avec ce genre de violations, d'ailleurs, la plupart des gens trouvent ça dingue. On trouve des exemples encore plus fous. Avant leur modification en mars 2013, les conditions d'utilisation du site du magazine "Seventeen" disaient que vous deviez avoir plus de 18 ans pour pouvoir le lire ! Vu l'interprétation du CFAA qui a été faite par le département de la Justice, je dirais que nous violons probablement tous la loi. Vague et sujet à des abus, le CFAA est devenu un marteau multitâche pour régler un large éventail de litiges liés à l'informatique. Ce n'est pas l'unique facteur du dossier mais 11 des 13 chefs d'accusation invoquaient le CFAA contre Swartz. La question "Pourquoi ?" ponctue toute l'histoire d'Aaron Swartz. Qu'est-ce qui motive le gouvernement ? Quel aurait été leur réquisitoire ? Le département de la Justice a décliné nos demandes de réponses, mais le Pr. Orin Kerr est un ancien procureur qui a étudié le dossier. J'ai examiné ce dossier avec un regard différent pour plusieurs raisons. J'ai été procureur fédéral au ministère de la justice durant 3 ans avant d'enseigner. Le gouvernement a déposé un acte d'accusation fondé sur des crimes qu'il pensait commis. D'un point de vue purement théorique, en analysant la jurisprudence, en examinant la loi, en regardant l'histoire, en étudiant les dossiers qui s'étaient présentés auparavant, je pense que l'accusation était équitable. On peut se demander s'il aurait dû ou non être inculpé, mais il y a beaucoup de désaccords. Certains veulent défendre le libre accès, d'autres non. Selon moi, le gouvernement a pris le Manifeste de Swartz très au sérieux. Je pense qu'ils le voyaient comme quelqu'un d'engagé, guidé par l'impératif moral de violer ou de contourner une loi jugée injuste. En démocratie, il y a des moyens de changer une loi si vous la trouvez injuste. Vous pouvez aller au Congrès, Swartz l'a bien démontré contre SOPA. Ou bien vous pouvez violer la loi pour tenter de la faire annuler. Et je pense que les poursuites visaient avant tout l'acharnement de Swartz non seulement à violer la loi, mais à faire en sorte que la loi soit annulée. Fournir à tous un accès à la base de données, sans retour en arrière possible. Une fois ce fait accompli, le camp de Swartz aurait gagné. La justesse de cette loi est source de profonds désaccords dans la société. In fine, c'est au Congrès que la décision doit être prise par le peuple américain. Il y a un second problème que nous tentons encore de comprendre. Comment jauger la gravité des infractions ? On est entrés dans une ère nouvelle, celle de l'informatique et de ses abus, mais on n'a pas encore une vision claire de l'endroit où se situent les limites, on étudie encore la question. C'est un abus du pouvoir discrétionnaire de poursuite. Le marteau de la Justice est censé effrayer les gens mais il devient de plus en plus gros. Et la plupart des gens ne jouent pas leur vie aux dés comme ça. Faut-il mettre quelqu'un sur écoute ? Faut-il le filmer ? Doit-on retourner quelqu'un pour l'inciter à balancer d'autres personnes ? C'est ainsi que les procureurs et les agents fédéraux pensent. Ils construisent des dossiers. Ils fabriquent des dossiers. Swartz est pris dans l'engrenage d'un système pénal brutal qui ne peut pas revenir en arrière. Une machine qui donne aux USA le taux d'incarcération le plus élevé au monde. On s'est laissés enfermer dans une politique dictée par la colère et la peur. Or tout ce dont on a peur, comme le futur d'Internet et des accès, et tout ce qui nous met en colère, déclenche une réaction instinctive de la justice pénale. On a utilisé la prison et les punitions pour résoudre toutes sortes de problèmes qui, historiquement, n'avaient jamais relevé de la justice pénale. Cette tendance à menacer, inculper, poursuivre... est en partie à l'origine des débats et controverses sur l'accès à Internet et le droit à l'information. C'est cohérent avec ce qu'on observe dans d'autres domaines. À la différence que les gens les plus souvent victimes et ciblés par ce type de réponses carcérales sont typiquement les minorités pauvres. Swartz s'éloigne de plus en plus de ses amis et à sa famille. Il avait cessé de travailler sur quoi que ce soit d'autre. En fait, l'affaire était en train d'envahir toute sa vie. L'un de ses avocats a dit aux procureurs qu'il était émotionnellement vulnérable, pour qu'ils gardent bien ça à l'esprit et qu'ils en prennent bonne note. Ça lui pesait énormément. Il ne supportait pas les entraves, dans ses actions ou ses mouvements. Il était terrifié par la menace de détention qu'on a fait lourdement planer sur sa tête. Ça a complètement épuisé ses ressources financières, Et... ça nous a coûté très cher aussi. Puis il a levé des fonds substantiels, Et donc, en gros, ça atteignait les millions de dollars. [Interviewer] Pour sa défense ? Oui. [Interviewer] Des millions ? Oui Il ne voulait pas être un fardeau pour les autres. Ça a dû jouer à mon avis. Il était du genre "J'ai ma vie normale d'un côté, j'ai cette merde à gérer de l'autre, et j'essaie de garder les deux aussi séparées que possible". Mais elles commençaient à se mélanger et tout le reste devenait merdique. Swartz fait face à un choix de plus en plus difficile. Plaider coupable et aller de l'avant ? Ou combattre un système déficient ? Avec un tel dossier, la réponse est simple. Il rejette l'accord préalable. Une date et fixée pour le procès. Aaron était déterminé à ne pas se soumettre, à ne pas accepter une chose qu'il trouvait injuste, et je pense qu'il était aussi effrayé. Je ne pense pas qu'ils auraient condamné Aaron. On l'aurait tiré de ce palais de justice je lui aurais donné une grosse accolade, on aurait traversé la petite rivière de Boston et on aurait bu quelques bières. Je pensais vraiment qu'on avait raison. Pour moi, on allait gagner cette affaire. On pouvait gagner cette affaire. Il ne se confiait pas beaucoup, mais on pouvait voir qu'il endurait une douleur immense. Durant son enfance, Aaron n'a jamais eu de sautes d'humeur d'épisodes dépressifs, ou quoi que ce soit s'approchant d'une "dépression sévère". Peut-être qu'il était déprimé. Ça arrive d'être déprimé. Très tôt dans notre relation, au bout de 3 ou 4 semaines, je me souviens qu'il m'a dit... que j'étais beaucoup plus forte qu'il ne l'était. Il... Il était fragile sous bien des aspects. Il avait dû endurer plus que la plupart des gens. Ça faisait aussi partie de son éclat. Je crois qu'il avait traversé une sorte de dépression clinique peu après ses 20 ans. Mais pas quand on était ensemble. Ce n'était pas une personne "joyeuse" mais ça n'équivaut pas à être déprimé. Il a été sous une telle pression ces 2 longues années durant. Il en avait juste marre. Il était juste... C'était trop pour lui. J'ai reçu un appel de téléphone tard dans la nuit. J'ai su que ça n'allait pas, j'ai appelé et j'ai réalisé ce qui s'était passé. L'un des co-fondateurs du site Reddit a été retrouvé mort. La police annonce qu'Aaron Swartz s'est suicidé hier, dans son appartement de Brooklyn. Il avait 26 ans. J'ai juste pensé : "Nous avons perdu... l'un des esprits les plus créatifs de notre génération". Pour moi, le monde entier s'est effondré à cet instant. Ça a été l'une des nuits les plus difficiles de ma vie. J'ai hurlé : "Je ne vous entends pas ! Qu'avez-vous dit ? Je ne vous entends pas !" Je ne peux pas. On arrête là. Ça n'avait aucun sens... et ça n'en a toujours pas. J'étais tellement frustré, en colère. J'ai essayé d'expliquer ça à mes enfants. Celui de 3 ans m'a dit que les médecins le guériraient. J'ai connu beaucoup de gens qui sont morts, mais je n'ai jamais perdu quelqu'un comme ça. Tout le monde se dit, et moi le premier, qu'il y a tant de choses qu'on aurait pu faire en plus. Je ne savais pas qu'il en était là. Je ne savais pas qu'il souffrait et... Il faisait partie de moi. Je voulais juste que ce ne soit pas vrai et là, là j'ai juste regardé sa page Wikipédia et j'ai vu la date de décès, "2013". Aaron est mort. Égarés dans ce monde de fous, nous perdons un mentor, un vieux sage. Hackers combattant pour le bien, l'un des nôtres est tombé. Nous avons perdu l'un des nôtres. Éducateurs, soignants, auditeurs, contributeurs, tous parents, Nous avons perdu un enfant. Nous le pleurerons tous. Ma première pensée a été : "Et si personne ne le remarquait ?" Parce qu'il n'était pas évident à mes yeux qu'il était si visible. Je n'avais jamais vu autant d'émotion. Internet s'est juste... embrasé. On m'en avait déjà parlé avant mais je n'avais jamais eu l'occasion de voir des gens pleurer sur Twitter. C'était manifestement un deuil en ligne. Il était l'enfant d'Internet, et le vieux monde l'a tué. Nous vivons une époque où les grandes injustices restent impunies. Les responsables de la crise financière dînent régulièrement avec le président. Penser qu'à cette époque, c'est CE type d'actes que le gouvernement devait punir, semble tellement absurde, si ce n'était pas si tragique. La question est : "Peut-on faire quelque chose, étant donné ce qui est arrivé, pour rendre le monde meilleur, et comment perpétuer cet héritage ?" C'est la seule question à se poser. Partout dans le monde essaiment des hackathons, des rassemblements, Aaron Swartz a, dans un certain sens, fait ressortir le meilleur de nous, en essayant de dire : "Comment on répare ça ?" Il était, à mon humble avis, l'un des vrais révolutionnaires admirables que ce pays a produit. Je ne sais pas si Aaron en est sorti vaincu ou victorieux, mais nous sommes assurément façonnés par les poings avec lesquels il a lutté. Quand on envoie des agents de la loi armés aux trousses de citoyens essayant d'élargir l'accès à la connaissance, on brise la règle du droit, on profane le temple de la justice. Aaron Swartz n'était pas un criminel. Le changement ne tombe pas du ciel. Il se produit grâce à une lutte constante. Aaron pouvait vraiment faire de la magie, et je ferai tout pour que sa magie ne s'arrête pas avec sa mort. Il pensait qu'il pouvait changer le monde, et il avait raison. Cette semaine, aujourd'hui, des phénix renaissent déjà de ses cendres. Après la mort de Swartz, la représentante Zoé Lofgren et le sénateur Ron Wyden ont présenté une loi qui réforme le Computer Fraud and Abuse Act, cette loi dépassée qui sous-tendait la majorité des charges contre Swartz. Elle s'appelle "la Loi d'Aaron". Aaron estimait qu'on devrait toujours s'interroger : "Quelle est, au monde, la chose la plus cruciale à laquelle je devrais m'atteler maintenant ?" Et si vous n'êtes pas déjà à travailler dessus, qu'est-ce que vous attendez ? [Manifestants] Voici le visage de la démocratie ! La liberté sur Internet est attaquée, que fait-on ? Levez-vous et défendez-vous ! La liberté sur Internet est attaquée, que fait-on ? Hey, hey ! Ho, ho ! Carmen Ortiz démission ! Je voudrais que l'on puisse changer le passé, mais c'est impossible. Mais on peut changer le futur, et on le doit. On le doit à Aaron, et on se le doit à nous-mêmes. On se doit de le faire pour un monde meilleur, plus humain, où la justice fonctionne, et où l'accès au savoir est un droit de l'homme. En février dernier, un gamin de Baltimore, âgé de 14 ans, qui avait accès à JSTOR, et qui a fait une recherche approfondie après avoir lu quelque chose, a trouvé comment faire des tests précoces pour détecter le cancer du pancréas. Le cancer du pancréas est souvent fatal car on le détecte beaucoup trop tard. Quand on le détecte, il est déjà trop tard pour faire quoi que ce soit. Il a envoyé un email à toute la division Oncologie de l'Université Johns Hopkins, ça fait des centaines de gars, et... [Interviewer] À 14 ans ? 14 ans, oui, et la plupart l'ont ignoré. Mais l'un d'eux lui a répondu, en disant : "Ce n'est pas une idée si stupide, si tu venais en discuter ?" Le gamin a travaillé soirs et week-ends avec ce chercheur, et en février, je l'ai entendu aux infos, quelques semaines après la mort d'Aaron, c'était encore très présent dans les médias... Désolé... Le gamin a dit que la raison pour laquelle il était dans les médias, c'est parce qu'ils y étaient arrivés. Ils expédiaient un test de détection précoce du cancer du pancréas, qui sauvera des vies. Et il a dit : "C'est pour ça que ce qu'Aaron a fait est si important." Parce qu'on ne sait jamais, non ? La vérité universelle, ce n'est pas seulement ce que les décideurs utilisent pour décider les limitations de vitesse. C'est ce qui pourrait éviter à votre enfant de mourir d'un cancer du pancréas. Mais sans accès à l'information, celui qui voudrait vous sauver pourrait bien ne jamais trouver la réponse. Il dormait si bien, il n'est pas tombé, même pas quand il a rêvé qu'il était de retour dans le vaisseau spatial. Très bien, Aaron. Très bien. Oui, Aaron. Maintenant c'est l'heure de la chanson. ♪ ♪ ♪ Sous-titres : @dbourrion, @symac, @btreguier, @loopiloop Licence Creative Commons BY-NC-SA 3.0